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Comptes rendus

Gérard Collomb et Martijn van den Bel (dir.), Entre deux mondes, Amérindiens et Européens sur les côtes de Guyane, avant la colonie (1560-1627)

Paris, Édition du CTHS, « La librairie des cultures », 2014, 318 pages – ISBN : 978-2-7355-0834-1
Jean-Claude Laborie
Référence(s) :

Gérard Collomb et Martijn van den Bel (dir.), Entre deux mondes, Amérindiens et Européens sur les côtes de Guyane, avant la colonie (1560-1627), Paris, Édition du CTHS, « La librairie des cultures », 2014, 318 pages – ISBN : 978-2-7355-0834-1

Texte intégral

1Cet ouvrage, publié en 2014 dans la collection « la librairie des cultures » du Comité des travaux historiques et scientifiques, présente une anthologie de textes rédigés de 1560 à 1627, qui documentent les premiers contacts avec les Amérindiens, sur les côtes guyanaises. Il complète l’édition, dans la même collection, de l’ouvrage de Francis Dupuy Les Arpenteurs des confins. Explorateurs de l’intérieur de la Guyane (1720-1860) (2012), qui relate l’étape ultérieure de l’exploration et de la colonisation de l’intérieur de la Guyane. Les quinze textes présentés ne sont pas des inédits, mais ils n’avaient jamais été réunis dans une édition en français. Publiés de manière dispersée, notamment dans l’extraordinaire collection anglaise de Richard Hakluyt et Samuel Purchas (1625), ces documents étaient connus le plus souvent des seuls spécialistes de ce terrain. De fait, cette période antérieure à la fondation officielle, en 1664, de l’établissement français dans la zone guyanaise, a suscité beaucoup plus d’études dans l’aire anglo-saxonne que du côté français, un déficit que cette mise à disposition des sources vient opportunément combler. Sont ainsi réunis et traduits des textes de l’anglais (Lawrence Keymis, Thomas Masham, John Ley, John Wilson, Robert Harcourt et Walter Ralegh), du néerlandais (Abraham Cabeliau, Lourens Lourenszoon, Jan van Rijen et Johannes de Laet), de l’espagnol (Rodrigo de Navarrete) et de l’italien (Robert Thornton), avec deux textes rédigés originellement en français (Jean Mocquet et Jesse de Forest).

2Le parti pris des auteurs est donc de rassembler ici les sources historiques à partir desquelles tous les spécialistes de l’anthropologie guyanaise ont travaillé, pour les mettre à disposition d’un public plus large en les accompagnant d’un appareil critique conséquent, les notes et la bibliographie synthétisant l’état de la recherche sur le sujet. L’unité de ces textes (ou extraits), par ailleurs de nature et de format divers, réside dans le fait qu’ils apportent des informations de première main sur une période et un territoire interstitiel dans l’histoire des relations entre les Européens et les Amérindiens. En effet, la côte qui s’étend au nord de l’embouchure de l’Amazone et qui remonte peu ou prou jusqu’aux limites actuelles des Guyanes et du Venezuela est demeurée, pendant plus d’un siècle et demi après la découverte de l’Amérique, un interland entre les possessions espagnoles des Antilles et un Brésil portugais dont la frontière amazonienne est encore très floue. Des sociétés amérindiennes arawak et caribe encore cohérentes, repliées vers l’intérieur du continent pour échapper aux rapines et à la chasse aux esclaves menées par les Espagnols depuis les îles de la Caraïbe, ont subsisté bien après la destruction des populations des Antilles ou du sud du Brésil. Se déployant le long des voies fluviales de l’Oyapock, de l’Amazone et du Rio Negro, elles continuent à animer un très vaste réseau d’échanges et de circulation, dont l’étendue révèle la profondeur et la densité de la présence amérindienne à l’intérieur du continent. Cette situation singulière a retardé d’un siècle la colonisation effective et préservé un « entre-deux culturel et social », comme le rappellent les auteurs dans l’introduction (p. 8). Ces côtes étant encore ouvertes à l’exploration des nations exclues du « testament d’Adam », Anglais, Hollandais et Français s’y engouffrèrent afin d’établir des relations avec les autochtones, dans le but explicite d’y préparer leur implantation. Mais fidèles à une stratégie qui avait fait ses preuves, il s’agissait pour eux de s’insérer dans le tissu des conflits locaux, d’établir des liens avec des groupes disposés à soutenir les nouveaux arrivants contre les oppresseurs espagnols et, pour ce faire, de repérer les contours d’alliances éventuelles ainsi que les richesses potentielles du territoire. Comme pour les voyageurs non portugais au Brésil (André Thevet, Hans Staden ou Jean de Léry), du milieu du xvisiècle, le rapport de forces défavorable induit la nécessité du contact et de la négociation, suscitant des textes qui donnent consistance à la société de l’autre qu’il est vital de connaître.

3Ainsi cette publication s’inscrit-elle dans le courant de l’anthropologie historique, sociale et culturelle des peuples amérindiens, qui a considérablement renouvelé son approche de la conquête de l’Amérique depuis une trentaine d’années. Du nord au sud du continent, le scénario de la rencontre interculturelle et des multiples reconfigurations qu’elle occasionna s’écrit de manière plus complexe dès l’instant où l’interlocuteur des Européens acquiert toute sa consistance. Qu’il s’agisse de l’intérieur du Brésil tupi guarani au sud, de l’espace amazonien ou de l’Amérique du Nord, d’immenses circuits d’échanges ont, de toute évidence, existé et fonctionné bien au-delà des rencontres côtières avec les caravelles, offrant au monde amérindien une issue, au moins jusqu’au milieu du xixe siècle et à l’exploration quasi exhaustive de l’intérieur du continent.

4Enfin au-delà de l’intérêt scientifique, la lecture de ces textes ranime un monde qui pour être en sursis n’en est pas moins bien vivant. La dynamique du contact interculturel y est sensible, émaillée de tâtonnements réciproques, de découvertes et de quiproquos, tragiques ou savoureux, mais toujours riches de sens. Même si les textes sont inégaux, adoptant souvent le style austère du rapport d’activité ou du journal de bord, ils s’ouvrent à l’anecdote, à la surprise et, de manière tout à fait singulière, à la perception directe et dépourvue de tout jugement moral sur les particularités culturelles amérindiennes (l’anthropophagie, la nudité…). Entre pragmatisme, curiosité et intérêt réciproques, un espace commun exista de fait pendant quelques décennies, que ces textes nous permettent d’entrevoir.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Claude Laborie, « Gérard Collomb et Martijn van den Bel (dir.), Entre deux mondes, Amérindiens et Européens sur les côtes de Guyane, avant la colonie (1560-1627) »Viatica [En ligne], 4 | 2017, mis en ligne le 01 mars 2017, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/759 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatica.759

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Auteur

Jean-Claude Laborie

Université Paris-Ouest Nanterre La Défense

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