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Comptes rendus

Helen MacEwan, Les Sœurs Brontë à Bruxelles

Bruxelles, CFC-Éditions, « La Ville écrite », 2015, 215 pages – ISBN : 978-2-87572-013-9
Isabelle Hervouet-Farrar
Référence(s) :

Helen MacEwan, Les Sœurs Brontë à Bruxelles, Bruxelles, CFC-Éditions, « La Ville écrite », 2015, 215 pages – ISBN : 978-2-87572-013-9

Texte intégral

1Helen MacEwan, écrivaine et traductrice anglaise résidant en Belgique, consacre ici un court ouvrage au séjour à Bruxelles des deux plus célèbres sœurs Brontë, Charlotte et Emily. Son ouvrage ne relève donc pas tout à fait de la littérature de voyage mais plutôt de la littérature de résidence. Même si le nom des Brontë est à jamais lié à celui de leur village du Yorkshire, Haworth, Emily a passé un an de sa courte vie dans la capitale belge (1842), et Charlotte deux ans (1842 et 1843). En 1841 en effet, Charlotte suggère à ses deux sœurs, Emily et Anne, de repousser de quelques mois l’ouverture de leur propre école, ce projet longuement mûri qui doit leur permettre de gagner leur vie sans se voir contraintes de travailler chez d’autres, et ce le temps d’un séjour à l’étranger. Plutôt Bruxelles que Paris, moins chère et plus cosmopolite. Aussi Charlotte espère-t-elle de ce séjour, financé par la tante Branwell, qu’il lui permettra d’acquérir une maîtrise parfaite du français, de solides connaissances en italien et même quelques rudiments d’allemand, et d’attirer ainsi des élèves en nombre suffisant pour faire de l’ouverture de sa nouvelle école un succès. Au-delà de toutes ces bonnes raisons, Charlotte se dit animée par l’envie de voyager, par le « désir si fort d’avoir des ailes » (lettre du 7 août 1841, citée p. 7). En février 1842, escortées par leur père, les deux sœurs arrivent à Bruxelles et s’installent au « Pensionnat de demoiselles Héger-Parent », situé rue Isabelle. Elles y suivent des cours et en donnent aussi : Emily enseigne la musique, Charlotte l’anglais. Elles rentrent en Angleterre en novembre de la même année, rappelées à Haworth par le décès soudain de leur tante. Charlotte retourne seule à Bruxelles à la fin du mois de janvier 1843 pour quitter définitivement la Belgique le 1er janvier 1844.

2Le projet d’Helen MacEwan est donc tout à la fois de permettre aux Bruxellois d’aujourd’hui ou aux touristes passionnés de littérature de parcourir la capitale belge dans les pas des Brontë, de retracer le détail de leur séjour tout en faisant revivre le Bruxelles du milieu du xixe siècle, et de montrer l’importance dans la carrière et la vie de Charlotte du séjour « en terre promise » (selon les termes d’une lettre écrite en décembre 1841 à son amie Ellen Nussey, citée p. 25).

3Parce qu’il est léger et parfaitement documenté, l’ouvrage d’Helen MacEwan vaut surtout comme guide de voyage. Il est parfait pour l’amateur des Brontë qui souhaite retrouver leur trace à Bruxelles. Il semble facile en effet d’accéder à tous les lieux marquants du séjour, en particulier au site du pensionnat, grâce aux indications détaillées données notamment au début du chapitre III. On apprend qu’il ne reste pas grand-chose de ce qu’ont connu les Brontë puisque le pensionnat Héger-Parent et la rue Isabelle n’existent plus depuis le tout début du xxe siècle, mais Helen MacEwan parvient à les faire resurgir en nous donnant à voir de nombreuses gravures, photos et plans d’époque, particulièrement bienvenus, qui illustrent ses descriptions précises. On peut s’interroger malgré tout sur l’absence, dans cette traduction française de l’ouvrage, d’un chapitre présent dans l’édition anglaise : « A Brontë Walk in Brussels », qui guide de façon très précise tous ceux qui souhaitent, en promenade, redécouvrir les lieux traversés par les sœurs au début des années 1840.

4Le propos d’Helen MacEwan est présenté en une série de très courts chapitres qui alternent données biographiques, topographiques et historiques. Cette fragmentation peut tout d’abord dérouter ou donner l’impression que la démarche manque de rigueur ; elle permet au contraire, peu à peu, de mêler à cette visite de la capitale belge d’hier et d’aujourd’hui le cheminement personnel et littéraire d’une écrivaine en devenir. Grâce aux cours et aux conseils de Constantin Héger, l’époux de la directrice du pensionnat, qui l’oblige à rédiger force « devoirs » (des compositions en français), Charlotte apprend en effet à discipliner son écriture, à la débarrasser des scories et excès des récits de jeunesse, composés avec Branwell jusque-là, et se prépare ainsi à écrire les romans de la maturité (elle commencera l’écriture de The Professor au début de 1846). La critique s’accorde d’ailleurs généralement sur l’importance cruciale du séjour belge pour la romancière. La préface de l’ouvrage, signée de Lyndall Gordon, biographe reconnue de Brontë, ne dit pas autre chose en préambule : « Le génie ne suffit pas. Il doit trouver le bon terreau où se développer, et, pour Charlotte Brontë, ce fut Bruxelles » (p. 7).

5Le chapitre VI de l’ouvrage de MacEwan propose d’ailleurs le texte de quatre devoirs écrits par Charlotte et Emily et corrigés par Constantin Héger. Puisque toutes les biographies des Brontë proposent ces textes dans un anglais parfait, on ne saurait trop insister sur le plaisir éprouvé à avoir ainsi accès à ces textes dans leur version d’origine, qui donne donc à voir aussi bien les prouesses que les maladresses des deux sœurs en français. Tout en appuyant les propos de MacEwan sur le désir de Charlotte, plus vif que celui de sa sœur, de maîtriser le français, la lecture de ces devoirs permet au lecteur de constater les progrès remarquables de l’aînée, mais aussi de découvrir ou de redécouvrir un de ses textes, d’une très grande beauté, la « Lettre d’un pauvre peintre à un grand seigneur » (p. 59-63).

6Le séjour à Bruxelles fut, on le sait aussi, déterminant pour Charlotte sur un plan plus intime. Les cours suivis avec Constantin Héger, remarquable pédagogue à la personnalité originale et charismatique, enflammèrent l’esprit et le cœur de Charlotte. Les lettres écrites par la jeune femme à son « Maître » après le départ de Bruxelles attestent de la brûlure de cette passion amoureuse non partagée. Là encore, la traduction de l’ouvrage de MacEwan est plus intéressante que l’original, puisque c’est en français que Charlotte écrivit ces lettres (dont le texte nous est donc donné), un français ardent, poignant, qui dévoile sans fard l’extrême souffrance de la future romancière.

7Si les lettres et les devoirs ont pleinement leur place dans pareil ouvrage, on peut s’interroger par contre sur le parti pris d’intégrer également trois longs extraits du roman Villette, publié en 1853. Certes, Villette, capitale d’un royaume européen, est largement (peut-être uniquement) inspirée de Bruxelles. Mais les extraits choisis ne sont pas toujours ceux qui décrivent la ville ou la vie de ses habitants. L’extrait qui constitue l’intégralité du chapitre XII de l’ouvrage de MacEwan, par exemple, reprend le moment où Lucy enterre les lettres d’un homme qui ne l’aime pas (un personnage inspiré, d’après les biographes, non pas par Constantin Héger, mais par l’éditeur londonien de la romancière, George Smith). L’intérêt de cet extrait dans l’économie générale de l’ouvrage n’est pas précisé.

8De façon plus générale, la mention constante, sans véritable réflexion critique, des liens plus qu’étroits qui unissent le biographique et la fiction fragilise le projet. Malgré les quelques phrases qui réaffirment la nécessité d’opérer une distinction claire : « Villette […] est une fiction, et non une autobiographie » (p. 144), « son roman […], ne l’oublions pas, n’est qu’une fiction » (p. 156), il existe de nombreux raccourcis regrettables qui assimilent Villette à Bruxelles, Lucy Snowe à Charlotte Brontë, et Paul Emanuel à Constantin Héger. Le chapitre V, consacré à M. Héger, débute par quatre courts extraits de Villette décrivant Paul Emanuel. Ces quatre extraits ne donnent lieu à aucun commentaire, comme s’il allait de soi qu’une description physique et psychologique de Paul Emanuel vaut portrait de M. Héger. Sans doute aurait-il fallu que l’ouvrage de MacEwan s’interroge véritablement sur la porosité, dans l’œuvre de Charlotte Brontë, entre le biographique et la fiction, question particulièrement épineuse pour la critique brontéenne. Ce n’est bien sûr pas son propos : il ne s’agit pas là d’un ouvrage de théorie ou de critique littéraire. Mais dans ce cas, présenter le fictionnel comme strictement (et uniquement) biographique mettra mal à l’aise l’amateur de Charlotte Brontë.

9Se pose également la question du lectorat visé. S’il s’agit de permettre aux passionnés des Brontë de parcourir Bruxelles pour retrouver les lieux fréquentés par les sœurs, alors ces trois longs extraits de Villette sont inutiles car déjà bien connus, et encore plus inutile semblera le résumé des deux romans bruxellois de Charlotte (Le Professeur et Villette) proposé en annexe. S’il s’agit au contraire de faire découvrir les Brontë à qui les connaît peu ou mal, alors sans doute aurait-il mieux valu renvoyer ces futurs passionnés vers les textes complets, et non en proposer des résumés et des extraits. Le rappel de la chronologie de l’expérience bruxelloise et les quelques repères bibliographiques donnés en fin d’ouvrage semblent plus pertinents.

10À ces quelques éléments qui conduisent très ponctuellement à s’interroger sur les partis pris adoptés par Helen MacEwan s’ajoutent quelques maladresses et fautes de français trouvées dans la traduction de l’anglais. On relève : « mais pas plus que ses autres connaissances anglaises établies à Bruxelles, les Dixon n’y demeureront pas longtemps. » (p. 116), « aucune des réponses n’ont été conservées » (p. 165) ou encore « bien que ses commentaires montrèrent » (p. 185). Peut-être ces tournures sont-elles acceptables en français belge, mais elles gâchent ponctuellement le plaisir de la lecture.

11On l’aura compris, cet ouvrage très documenté intéressera tous ceux qui souhaitent retrouver le contexte historique du séjour des Brontë à Bruxelles. La précision des éléments historiques, géographiques et topographiques en fait un guide particulièrement riche, surtout si l’on songe au nombre et à la qualité des illustrations. On notera pour terminer que cette expérience, si déterminante pour Charlotte, n’a eu que peu d’impact sur Emily. Voilà sans doute pourquoi il est si peu question d’elle, à la fois dans l’ouvrage de MacEwan et dans ce compte rendu de lecture.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Isabelle Hervouet-Farrar, « Helen MacEwan, Les Sœurs Brontë à Bruxelles »Viatica [En ligne], 4 | 2017, mis en ligne le 01 mars 2017, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/764 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatica.764

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Auteur

Isabelle Hervouet-Farrar

CELIS, Université Clermont Auvergne

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