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Comptes rendus

Frédéric Tinguely, Le Voyageur aux mille tours. Les ruses de l’écriture du monde à la Renaissance

Paris, Honoré Champion, 2014, 244 p., ISBN : 978-2-74532-645-4
Marie-Christine Gomez-Géraud
Référence(s) :

Frédéric Tinguely, Le Voyageur aux mille tours. Les ruses de l’écriture du monde à la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 2014, 244 p., ISBN : 978-2-74532-645-4

Texte intégral

1À sa manière, le lecteur de récits de voyage est l’explorateur d’un étrange labyrinthe dont il lui est difficile de sortir sans passer et repasser encore par les mêmes chemins, en suivant les mêmes traces, en explorant les mêmes lieux textuels. Frédéric Tinguely est de ces lecteurs patients. Le livre qu’il publie aux éditions Champion, sous un titre suggestif, le dit assez : qui pense le récit viatique comme le discours du « voyageur aux mille tours » n’a pas le choix ; il devra se livrer à une lecture toute de circonspection, scrutant les détails.

2Depuis L’Écriture du Levant à la Renaissance (Genève, Droz, 2000), Frédéric Tinguely n’avait pas cessé de réfléchir et d’écrire sur le récit de voyage, tout en déplaçant ses intérêts vers l’Inde (Le Fakir et le Taj Mahal, Chêne-Bourg, La Baconnière Arts, 2011) et vers le xviie siècle, en éditant le voyage de François Bernier (Un libertin dans l’Inde moghole, Paris, Chandeigne, 2008). Sous l’ombre tutélaire d’Ulysse, le critique genevois relit son itinéraire intellectuel et reprend, parfois à nouveaux frais, et en actualisant toujours les références bibliographiques, neuf études publiées entre 1997 et 2004 sur les quatorze qui figurent dans ce nouvel ouvrage.

3Retour sur un parcours de chercheur, donc ; retour à la Renaissance aussi. Les vieux voyageurs ont la vie dure et leurs textes, qui résistent au temps, appellent inéluctablement la réinterprétation : Jean de Léry, repris dans deux analyses (« L’aventure de la connaissance », p. 155-168 et « L’apprenti voyageur », p. 169-180) et Michel de Montaigne étudié dans sa relation aux « identités singulières » (p. 195-206) sont à nouveau convoqués pour une réflexion enrichie, auprès de Pierre Gilles (« À la redécouverte de l’éléphant : Pierre Gilles et son autopsie levantine », p. 81-96) et des missionnaires jésuites (« L’art de l’enfance […] », p. 207-220). La fresque composée par les quatorze études dessine nettement la méthode revendiquée – et appelée de ses vœux – par Frédéric Tinguely dans une conclusion qui se place à nouveau sous le patronage de Montaigne. En plaidant « pour une lecture topographique » et en réactivant le fameux passage de l’essai « Des cannibales » (I, 31) où l’auteur réclamait des « topographes » faisant « narration particulière des endroits où ils ont été », et où il se prononçait contre les cosmographes récitant le monde sans l’avoir vu. Ces analyses sont autant d’illustrations de la méthode préconisée par le critique. Ainsi, la stimulante étude (dont on n’avait jusqu’ici qu’une version orale – Centre V.-L. Saulnier, 2009), intitulée « Le lézard et le nourrisson » et consacrée à deux passages de l’Histoire d’un voyage de Jean de Léry, passe au crible de l’analyse syntaxique et stylistique deux micro-récits en vue de démontrer que Léry veut « entraîner son lecteur vers de nouveaux territoires », par « une stratégie d’écriture cohérente placée sous le signe de la ruse ».

4Un tel type de lecture suppose de fait une démarche patiente, attentive, capable de remonter le cours du chemin pour emprunter de nouveaux itinéraires en vue de débusquer les ruses des auteurs. La leçon de méthode d’abord illustrée, puis conceptualisée, mérite qu’on s’y arrête : l’auteur de l’ouvrage insiste sur la nécessité d’une lecture lente, arrimée au contexte historique et idéologique ; il insiste cependant sur la primauté absolue qui doit être accordée au texte, à sa facture, à ses objectifs, le plus souvent implicites. À partir de ces analyses, il restera à procéder à une synthèse forte et juste, affirme Frédéric Tinguely.

5Le retour au texte, sous le patronage d’un Ulysse qui appelle à la prudence, équivaudrait donc en quelque sorte à un nouveau départ dans les études du récit viatique, ici envisagé comme un ensemble de stratégies concertées. Sans doute s’agit-il, pour Frédéric Tinguely, de revendiquer l’essence pleinement littéraire du récit de voyage, et « le remarquable savoir-faire propre aux voyageurs-écrivains de la Renaissance » (p. 20). Le plan même suivant lequel sont regroupées les études va dans ce sens. On ne saurait donc qu’acquiescer à cette leçon de méthode qui rencontre et confirme les efforts engagés par les chercheurs en matière de littérature viatique depuis quelques décennies et permet de trouver, réunis dans le corps d’un même ouvrage, les fragments d’une pensée élaborée au long cours.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Christine Gomez-Géraud, « Frédéric Tinguely, Le Voyageur aux mille tours. Les ruses de l’écriture du monde à la Renaissance »Viatica [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 01 mars 2015, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/540 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatica.540

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Auteur

Marie-Christine Gomez-Géraud

Université Paris-Ouest Nanterre La Défense

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