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Comptes rendus

Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique (xvie-xviiie siècles). Au carrefour des genres

Paris, Hermann, 2014, 165 pages – ISBN : 978-2-7056-9010-6
Marie-Christine Gomez-Géraud
Référence(s) :

Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique (xvie-xviiie siècles). Au carrefour des genres, Paris, Hermann, 2014, 165 pages – ISBN : 978-2-7056-9010-6

Texte intégral

1Sans aucun doute, en ouvrant La Relation de voyage en Amérique (xvie-xviiie siècles). Au carrefour des genres, le lecteur retrouvera avec plaisir la plume de Réal Ouellet. Si le livre qui vient de paraître chez Hermann n’est pas une nouveauté, cette récente édition de l’ouvrage publié sous le même titre par les Presses de l’Université de Laval en 2010, dit assez qu’on ne saurait parler de littérature de voyages sans prendre en compte cette réflexion sur la poétique viatique. Dès 1988, Réal Ouellet posait la question : « Qu’est-ce qu’une relation de voyage ? » (dans Claude Duchet et Stéphane Vachon [dir.], La Recherche littéraire. Objets et méthodes, Montréal, XYZ, 1988, p. 287 sq.). Sur un corpus limité, il expérimentait alors des notions qu’il appliquera ensuite à un corpus bien plus large et qu’il articulera sur le plan théorique, tout en s’appuyant sur une large bibliothèque, celle des « textes issus de l’Amérique du Nord et des Antilles entre le xvie et le xviiie siècle ». Il y avait un véritable défi à envisager dans un bref volume un tel ensemble de récits. Le pari est tenu.

2D’une allure vive et d’une plume serrée, l’auteur balaie donc un corpus extensif, afin de démonter les mécanismes de ce genre « protéiforme » et profus. Le livre, composé en sept chapitres, se construit, au moins en son centre, à partir de la revue des fonctions du texte viatique « dans sa triple dimension narrative, descriptive et commentative » (p. 4). En effet, l’auteur envisage successivement « le pacte viatique », « la mise en texte », « le récit d’une aventure », « la description d’un nouveau monde », le « commentaire », « la parole rapportée » et « le sujet scripteur », toutes notions qui renvoient le lecteur à une analyse littéraire menée avec rigueur et érudition. La diversité des auteurs convoqués, au fil des lectures, pour bâtir une théorie du genre en dit long sur la curiosité intellectuelle de Réal Ouellet. La réflexion se construit à la fois sur des références externes qui vont au-delà de la seule théorie littéraire ou des études portant sur les œuvres du corpus, et sur des références internes. Les matériaux des récits les plus tardifs, identifiés avec précision, montrent comment, au fil du temps, s’élabore une littérature qui s’appuie sur des Voyages antérieurs et qui cultive peu à peu l’allusion ou la référence. À cet égard et pour exemple, les remarques formulées sur les harangues d’adieu (p. 103) qui mettent en regard le Voyage autour du monde de Bougainville et la Nouvelle relation de Gaspésie de Chrestien Leclercq (1691), moins renommée, ouvrent de belles échappées.

3Plus encore que son contenu qui a déjà fait dans les années passées l’objet de comptes-rendus critiques, cet ouvrage suscite des réflexions sur les études de poétique viatique contemporaines. Il y a peu, Frédéric Tinguely, dans un ouvrage qui rassemblait des articles rédigés depuis 1997 (Le Voyageur aux mille tours. Les ruses de l’écriture du monde à la Renaissance, Champion, 2014) appelait de ses vœux une lecture lente et patiente des récits de voyage, textes aux stratégies complexes et cachées. La réédition du livre de Réal Ouellet invite le lecteur à suivre une piste d’investigation différente et à observer la « perspective globalisante d’une poétique de la relation de voyage » (p. 57). Une chose est sûre : sous la plume des deux critiques, le récit de voyage est bien tenu pour une œuvre littéraire qui réclame une étude littéraire. Les textes leur donnent raison.

4L’ambition théorique aurait pu faire oublier la chair du récit de voyage, fondé au départ sur une expérience. Pourtant, il est clair que la méthode de Réal Ouellet n’entraîne jamais la réflexion dans ce sens. Bien au contraire, car « l’aventure viatique ne réside pas seulement dans la découverte de lieux inconnus : elle se trouve aussi dans l’écriture dont l’auteur ne sait pas toujours où elle le mènera » (p. 135). De fait, écrit-il encore, la « véritable aventure est celle de l’acte d’écrire ». Ici saisit-on sans doute, avec la surprise renouvelée offerte par le récit de voyage, les limites d’un cadre théorique, toujours utilisé avec souplesse. Ce n’est pas un hasard si l’auteur revient à plusieurs reprises sur les aléas qui guettent la gestation du récit. Ainsi quand il recueille les mentions de l’acte d’écriture, les manuscrits perdus, l’état des papiers de voyage gâtés par la route et jusqu’au gel de l’encre (p. 50) ; ainsi encore quand il met en relief cette page où le missionnaire François Hertel regarde sa main à l’œuvre, cette main « qui a un doigt bruslé dans un Calumet » (p. 137). De l’analyse de ces fragiles détails naît un nouveau discours qui échappe aux stratégies discursives les mieux rodées et restitue aux textes une forme de densité et d’émotion.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Christine Gomez-Géraud, « Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique (xvie-xviiie siècles). Au carrefour des genres »Viatica [En ligne], 3 | 2016, mis en ligne le 01 mars 2016, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/580 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatica.580

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Auteur

Marie-Christine Gomez-Géraud

Université Paris-Ouest Nanterre La Défense

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