Issu d’une thèse de doctorat préparée sous la direction de Nathalie Jaëck, qui signe une stimulante préface, l’ouvrage de Julie Gay étudie l’effet de l’espace insulaire sur la poétique du roman d’aventures à l’époque victorienne. Elle a retenu trois auteurs majeurs, Stevenson, Conrad et Wells, sans les traiter séparément mais en intégrant leurs textes (romans et novellas), et selon une méthode comparatiste, à une problématique d’ensemble bien structurée. Deux grands mouvements se dégagent. Le premier s’intitule « L’aventure insulaire à l’époque victorienne, entre régression et mutation ». Il y est montré comment l’île offre un passage vers l’imaginaire et comment elle permet de mettre en lumière la position propre de chacun des trois auteurs dans la tension entre réalisme et romance. Le second mouvement, « Approche géocritique et géopoétique de l’île : pour une poétique insulaire de l’aventure », inverse la perspective. Il s’agit d’y examiner non plus comment l’espace insulaire informe le récit mais, à rebours, comment le récit construit son espace. L’île, qui ne cesse de fasciner comme l’avait noté Deleuze dans l’un de ses premiers textes, devient non plus seulement un topos ou un thème, ni même un tremplin de la fiction, mais un véritable laboratoire littéraire qui permet, à partir de ce lieu sans lien, qui se situe au-delà des coordonnées d’un espace-temps classique, d’expérimenter de nouveaux chemins d’écriture en retrouvant dans l’aventure une source essentielle de la fiction. Peut-être, en amont de la période considérée, l’impact des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, que Wells admirait, aurait-elle pu d’ailleurs être davantage soulignée. L’intérêt de l’ouvrage est multiple : à un premier niveau, il nous renvoie à l’enfance retrouvée, à la régression de l’insularité. Mais au-delà, les textes de ces auteurs, qui sont à bien des égards différents mais que l’histoire littéraire a placés entre le réalisme et le modernisme, prennent l’allure de vaisseaux de mots, de bateaux d’encre et de papier, qui se déplacent dans une cartographie plurielle.
Cette étude originale, riche et documentée, apporte aussi à la théorie littéraire des analyses renouvelées et puissantes, inspirées notamment par la géocritique, tout en donnant au lecteur l’accès fréquent aux textes eux-mêmes, très souvent convoqués et minutieusement commentés. La mise en page pourra toutefois paraître trop peu aérée pour un ouvrage imposant de 454 pages. Le lecteur trouvera par ailleurs une bibliographie fournie, un triple index des noms, des îles et des œuvres du corpus, ainsi qu’une table des matières détaillée. On ne saurait trop en recommander la lecture à qui, franchissant la prometteuse porte d’entrée qu’offre le référent spatial, s’intéresse au récit d’aventures, à la littérature victorienne et à l’étude de la fiction en général.