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Les expériences de Johann Peter Reichart (1702-1755), tonnelier, marchand, voyageur, écrivain

The Experiences of Johann Peter Reichart (1702-1755), Cooper, Merchant, Traveller, Writer
Thomas Wien

Résumés

On associe volontiers le veni des relateurs de voyage de l’époque moderne au vidi, à leurs protestations rituelles de véridicité, à leur statut d’observateur. Les deux ne sont pourtant pas indissociables. C’est du moins l’impression qui se dégage du récit, paru en 1755, de J. P. Reichart, tonnelier puis marchand allemand qui a beaucoup voyagé au premier xviiie siècle, en Europe et au-delà. Le culte qu’il voue à l’expérience du voyage vise la reconnaissance de ses lecteurs et lectrices lettrés, quitte à compromettre l’entreprise en critiquant leur manque d’expérience viatique, tout en proposant ses propres idées sur la manière de traduire cette expérience en prose. Cette ambivalence manifeste la marginalité de cet intrus dans le monde des lettres et dans sa société régionale d’origine.

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Texte intégral

  • 1 Eines Hoch-Fürstl. Brandenburg-Onolzbachischen Unterthanen und Bürgers, auch gewesenen Kauff- und (...)
  • 2 Situé tout près de la petite ville de Gunzenhausen, en Moyenne-Franconie, le village porte aujourd (...)
  • 3 Reichart se prénommait généralement Peter (Stadtarchiv Ansbach, R 743, Wachtgelds-Register 1755, f(...)
  • 4 Soit la France, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, la Norvège, l’Angleterre. Avec un rayon d’ (...)

1Paru en 1755, Vingt ans de pérégrinations […] (Zwanzigjährige Wanderschafft […])1 de Johann Peter Reichart est l’autobiographie d’un homme dont la pierre tombale résume particulièrement mal l’itinéraire : « Streitdorf 1702 – Ansbach 1755 » semble décrire une vie à horizons restreints – et en l’occurrence, entièrement sud-allemands. Une demi-journée de marche sépare alors le village de la ville, le temps de passer d’une île à la suivante au sein de l’archipel en terre ferme nommé margraviat de Brandebourg-Ansbach (1398-1792)2. Or, Peter Reichart a pris quelques détours avant d’aboutir en ville3. Près de vingt ans durant comme le proclame le titre de son livre, son chemin l’a conduit dans six pays européens selon les frontières actuelles4. Il l’a aussi conduit par le vaste monde : à Québec, aux îles Vierges, au Cap de Bonne-Espérance et à Guangzhou/Canton. À l’époque moderne, Reichart est à coup sûr l’un des rares Européens nés pauvres et si loin de la mer à avoir connu un tel parcours.

  • 5 Ce récit n’a guère attiré l’attention des chercheurs. L’historienne de la littérature Anja Ballis (...)
  • 6 Wanderschafft, p. 492.
  • 7 Je n’ai pas trouvé d’archives permettant de vérifier cette explication de son bannissement.
  • 8 L’antijudaïsme est répandu dans sa région natale. À Gunzenhausen, par exemple, il y a des accusati (...)
  • 9 La citation est tirée du titre-fleuve du livre. L’observation de Jacques Revel au sujet du récit a (...)

2Sans parler du fait qu’il nous en a laissé le récit5. C’est à Ansbach qu’il couche ses souvenirs sur le papier. Souffrant, la cinquantaine venue, d’un « épuisement progressif6 », il aura tout juste le temps de terminer son manuscrit avant de mourir. Le livre de plus de 500 pages paraîtra peu après, par les soins d’Eva Maria Güss, sa veuve. Plusieurs raisons poussent visiblement Reichart à écrire. La chronique de ses nombreux emplois en divers lieux forme l’armature du récit. C’est néanmoins la fin brutale du compagnonnage du jeune tonnelier qui devient l’épisode central de la relation, la marquant d’une empreinte tragique. On y voit Reichart subir une violence comme l’Ancien Régime en produisait tant. Ayant trouvé du travail à Paris en 1722, le compagnon luthérien aurait eu maille à partir avec un aumônier d’hôpital cherchant à le convertir au catholicisme7. Le voilà emprisonné, enchaîné, et contraint de traverser la France puis l’Atlantique jusqu’au Canada, lieu de son bannissement. Au fil de sa narration, Reichart saisit l’occasion de dénoncer non seulement le prêtre parisien, mais tous ceux qui lui auraient fait du tort, tout au long de sa vie : des employeurs, des collègues, un capitaine de navire… ainsi que les juifs qu’il tient collectivement pour responsables de la déchéance économique de sa famille8. Ces comptes réglés, le récit débouche néanmoins – ou nécessairement ? – sur un enseignement édifiant : si l’auteur a survécu à l’épuisante alternance de « coups de chance et de malchance » qui résume son passage ici-bas, c’est grâce à la conduite (Führung) providentielle que Dieu offre aux humains – et notamment aux luthériens9.

  • 10 James S. Amelang observe un ton récriminateur (querulous) chez plusieurs autobiographes populaires (...)
  • 11 Voir Anja Ballis, op. cit., p. 227. Sur l’oraison funèbre luthérienne, voir notamment Cornelia Nie (...)
  • 12 Voir Arianne Baggerman, Rudolf Dekker et Michael Mascuch (dir.), Controlling Time and Shaping the (...)
  • 13 Wanderschafft, p. [iv].
  • 14 Jacques Chupeau, « Les récits de voyages aux lisières du roman », Revue d’histoire littéraire de l (...)
  • 15 Wanderschafft, p. 473-474.
  • 16 Ibid.
  • 17 Grégoire Holtz et Vincent Masse, « Étudier les récits de voyage : bilan, questionnements, enjeux » (...)

3Curriculum vitae aux décors changeants, récit de captivité, bilan mi-serein, mi-hargneux de fin de vie : on le voit, la narration exprime des préoccupations variées10. Anja Ballis a sûrement raison, d’ailleurs, d’ajouter à la liste des soucis de l’auteur celui d’alimenter… son propre éloge funèbre11. Tout cela témoigne si besoin était de l’hybridité de l’ego-récit européen à l’époque12, mais aussi et surtout de celle de la relation de voyage : à tout le moins, c’est ainsi que Reichart conçoit son ouvrage, qu’il qualifie de « récit de pérégrinations » (Wanderschaffts-Erzehlung)13. Il le manie bien à sa manière. Ne se contentant pas de raconter un parcours étonnant, il se distingue – et sans aucun doute, cherche à se distinguer – par une certaine expérimentation formelle s’appuyant sur une réflexion au sujet de la littérature viatique. Tout converge vers une injonction essentielle : ne raconter que sa propre expérience. Développé dans la dédicace et l’avant-propos, ce credo ne s’éloigne guère, à première vue, de l’engagement ostensible de « faire voir, faire vivre, faire vrai », dispositif rituel d’authentification de la littérature de voyage14. Certes conscient de l’enjeu, Reichart va jusqu’à reproduire un peu laborieusement l’adage qui veut que « la véracité des récits qui nous parviennent de lieux lointains ne peut pas toujours être endossée15 ». Mais tout indique que, soulevée vers la fin de l’ouvrage et de surcroît agrémentée d’un énigmatique « [c]ela, je le laisse au goût de chacun16 », cette question de la véridicité, gage de « l’intimité qu’entretient la littérature de voyage avec la représentation visuelle17 », ne lui paraît pas fondamentale. Non pas qu’il souhaite induire en erreur ses lecteurs. C’est plutôt la ferveur même du culte qu’il voue à l’expérience du voyage qui frappe. On se demande alors s’il martèle son passage par les lieux qu’il décrit pour des raisons moins conventionnelles, moins liées à la seule bonne foi du témoin qui vient de loin.

  • 18 Voir Gerald Prince, « Reader », dans Handbook of Narratology, Peter Hühn, John Pier, Wolf Schmid e (...)
  • 19 Wanderschafft, p. [x].
  • 20 Voir Steven Shapin, A Social History of Truth: Civility and Science in Seventeenth-Century England(...)
  • 21 Il fait remarquer qu’à sa connaissance aucun compatriote (Landsmann, au sens régional) n’a écrit d (...)
  • 22 Voir Georg Seiderer, « Ansbach im 18. Jahrhundert. Höfische und literarische Kultur einer fränkisc (...)

4À notre sens, le « j’y étais » presque obsessif de Reichart exprime en effet autre chose : ses relations compliquées avec un public destinataire dont la connivence (celle en somme du « lecteur idéal ») est loin de lui être acquise18. Quelle collectivité se profile derrière ce « lecteur très estimé, selon ce que mérite son état [nach Standes-Gebühr], libre de l’emprise de tout préjugé19 », que Reichart salue d’entrée de jeu ? Le groupe partage visiblement le jugement pondéré dont les couches supérieures (et surtout masculines) de la société se flattent alors de posséder l’apanage20. Puisque Reichart ne tarde pas à lui attribuer un territoire brandebourg-ansbachois, et par-là luthérien21, c’est donc à l’intelligentsia régionale qu’il destine son livre. Concentrée dans la ville-résidence d’Ansbach, celle-ci est surtout composée de roturiers au service du margrave, de la noblesse ou de l’Église luthérienne22. Sans exclure que ce public-cible s’élargisse à l’occasion, voici pour ainsi dire sa principale adresse, à la fois socioculturelle et physique.

  • 23 Wanderschafft., p. 3. Johann Sigmund Reichart se voit obligé de quitter sa famille et d’aller fabr (...)
  • 24 En tant que marchand, il se serait « bien débrouillé [sich wohl fortgebracht] » (ibid., p. 491).
  • 25 Les connaissances livresques qu’il égrène tout au long de son récit reflètent certes sa foi luthér (...)
  • 26 On remarque de temps en temps le glissement des consonnes caractéristique de la variante régionale (...)

5Le Reichart qui écrit, lui, vit bien à Ansbach, mais en marge de ce milieu instruit. Cinquième et dernier enfant d’un boulanger sans boulangerie décédé jeune, il aura tout juste reçu une instruction de base « dans ma chrétienté, puis en calcul et écriture23 » avant de se diriger vers la tonnellerie, les auberges et les caves des maisons marchandes et nobles. Peu à peu devenu spécialiste de la manutention et du commerce du vin, puis du commerce tout court24, Reichart avait pu, semble-t-il, cultiver le contact et la conversation de l’élite, ainsi que son propre goût pour la lecture25. De ses voyages, il remporta des compétences de base en français, néerlandais et danois. Plus que les éventuelles interventions d’un réviseur lettré, c’est sans doute ce parcours d’autodidacte qui expliquerait les signaux contradictoires de sa prose, carrefour animé de phrases convolutées, de traces de dialecte villageois, de tournures françaises et de références classiques26.

  • 27 Voir James S. Amelang, op. cit., p. 222.
  • 28 Voir ibid., p. 190 ; Eric J. Leed, The Mind of the Traveler: from Gilgamesh to Global Tourism, New (...)
  • 29 Voir Dominique Maingueneau, « Le tour ethnolinguistique de l’analyse du discours », Langages, no 1 (...)

6Voici donc un écrivain (re)venu de loin (socialement, spatialement), mais aussi de près : de Streitdorf. Cette situation soulève au moins trois enjeux. Pour commencer, Reichart fait figure d’« intrus » (trespasser) dans le monde des lettres, à l’instar des autobiographes populaires étudiés il y a quelques années par l’historien James Amelang27. En tant que voyageur longtemps parti, il semble aussi devenu un intrus dans sa société d’origine. Dans les deux cas, il a vécu une sorte de métamorphose qui, comme celle d’autres voyageurs de retour de leur périple, ne sera pas effective tant qu’elle ne sera pas ratifiée localement28. Enfin, dans ces circonstances, le livre même sert de pièce à conviction, de preuve du chemin parcouru. À ce titre, il est une performance à haut risque, devant un public exigeant. En effet, la reconnaissance des destinataires n’étant pas assurée, la question fondamentale de la légitimité de l’énonciation se pose29.

7Dans sa quête de se faire reconnaître comme être nouveau et familier à la fois, Reichart est de toute évidence conscient de ces enjeux. Il adopte des postures contradictoires devant son public, signes de son ambivalence à son égard : défi, séduction, et enfin sa propre transfiguration. Nous en traiterons à tour de rôle. On verra que chacune à sa façon circonscrit passablement le domaine de l’observation, du témoignage. Pour commencer, suivons Reichart alors que, quitte à heurter les destinataires pour la plupart sédentaires de son récit, il souligne à triple trait son expérience du voyage.

Reichart, champion de l’expérience vécue

  • 30 Wanderschafft, p. [xiii].
  • 31 Ibid., p. 457.
  • 32 Ibid., p. [x].
  • 33 Ibid.

8Tout commence par un engagement, plusieurs fois réitéré : Reichart promet de ne mêler à son récit « rien d’emprunté que je ferais passer pour mien30 », « rien d’étranger, ni de superflu, ni de ce que l’on a pu apprendre par cœur en lisant tant de récits de voyage31 ». Bref, il ne racontera que ce qu’il a lui-même vécu en chemin. À cette promesse, il associe sa revendication d’un style simple et limpide et, par-là, ses « origines modestes32 » (geringe Herkunfft) et son éducation sommaire. En refusant ostensiblement de « se servir d’un masque [Larve] moderne pour plaire à l’œil et à l’oreille33 », Reichart assume ses origines populaires et les propose comme gage d’authenticité. Chez lui, tout coule de source.

  • 34 Sur l’emploi de la vieille désignation de « relateur », voir Réal Ouellet, La Relation de voyage e (...)
  • 35 Voir Grégoire Holtz, « Le stile nu des récits de voyage », dans Le Lexique métalittéraire français (...)
  • 36 Voir Alexandre Cioranescu, « La découverte de l’Amérique et l’art de la description », Revue des s (...)
  • 37 Wanderschafft, p. [xii].
  • 38 Ibid., p. [xii-xiii].
  • 39 Ibid., p. [xiii]. Vers la fin de son récit (p. 457), Reichart ironise aux dépens des « chevaliers (...)

9Dispositif de crédibilisation, cette façon de procéder sert aussi manifestement à distinguer Reichart des relateurs lettrés34, notoirement enclins à doter leurs déclarations paratextuelles de faux airs de simplicité35. Très peu pour lui, l’éloge du voyage pour former la jeunesse, discours (et pratique) de plus en plus répandus chez l’élite européenne d’alors36 ; c’est en homme issu du peuple qu’il se targue d’avoir voyagé. C’est là son principal capital culturel, dirait-on : les voyages forment après tout la trame, voire le drame de son existence telle qu’il la reconstruit en écrivant. Très rapidement, cette particularité prend de l’ampleur, au fur et à mesure que sa critique des relateurs par trop sédentaires se mue en critique des lettrés sédentaires en général – dont l’essentiel du lectorat qu’il vise. Une cascade de citations permet de le constater. Le voilà pour commencer qui ironise aux dépens de « ceux qui grâce à la lecture appliquée des histoires et des gazettes se sont épargné beaucoup d’efforts et d’argent », ceux qui « bien au chaud près de leur poêle […] parcourent les quatre parties du globe37 ». Élargissant le propos, il s’en prend ensuite aux gens éduqués dans leur ensemble : « […] il est d’une vérité à toute épreuve qu’un mois passé à l’école de la contrariété est plus instructif que sept ans à l’étude des principes les plus sages et les plus sérieux d’Aristote38. » Enfin, il enfonce le clou avec une boutade à saveur mercantile : « […] tout comme tous les acheteurs ne sont pas des connaisseurs, tous les lettrés ne sont pas des savants39. »

  • 40 Ibid., p. [xiii].
  • 41 Ibid., p. [xiv].
  • 42 Ibid.
  • 43 Sur le thème de la dignité personnelle, voir James S. Amelang, op. cit., p. 249-250.

10Adressée à des lettrés, on conçoit qu’il y a mieux comme captatio benevolentiae… Le sentiment d’injustice qui motive ces propos devient manifeste lorsqu’il se plaint que certains relateurs ont récolté beaucoup de renommée sans avoir voyagé. Ces auteurs n’ont jamais quitté leur confort, alors que ses « vers simples » à lui ont été « conçus dans le pressoir de la douleur et de la peur […], sous l’emprise de la misère, des épreuves, du calvaire40 ». Le contraste est net et la critique sociale évidente : du reste assez prolixe sur ses maladies successives, il revendique une sorte de noblesse de la souffrance que son public ne saurait partager. La valeur des voyages, même difficiles, écrit-il, voilà ce que « beaucoup de gens ne peuvent comprendre41 », eux qui de toute façon n’en connaissent pas les « Fatiquen [sic]42 ». Via dolorosa, l’expérience dont il se charge seul devient ainsi marqueur identitaire, affaire de dignité rigoureusement personnelle43.

  • 44 Wanderschafft, p. [viii]. Je souligne.
  • 45 Ibid., p. [xiii].

11L’éloignant ainsi de son public-cible, cette expérience l’éloigne aussi du domaine de l’observation. Investir à ce point le registre corporel, du ressenti, du subi, c’est en effet presque obligatoirement dévaloriser l’observé. Les voyageurs en fauteuil n’ont certes pas « vu », mais surtout, ils n’ont pas souffert. En reprochant à ceux qui s’approprient les expériences (souvent déjà textuelles) d’autrui, de s’être épargné – d’avoir pu s’épargner – l’épreuve du périple, il renvoie au second plan la question de la véridicité des « observations » ainsi empruntées. À certains moments, cette souffrance paraît même court-circuiter toute démarche littéraire. L’accusation selon laquelle presque tous ses voisins du rayon des voyages seraient, eux, à reléguer parmi les « copistes […] n’ayant vécu qu’un minimum par eux-mêmes44 », semble opposer deux univers étanches, l’un textuel, l’autre expérientiel. L’expérience prend tant de place que Reichart semble peiner à se voir comme écrivain : aucune instance, ne serait-ce que mémorielle, ne semble à première vue s’interposer entre vécu et écrit. Si ce n’est une incertitude fondamentale quant à l’utilité même du textuel qu’il exprime. Il justifie par exemple l’absence de gravures dans Zwanzigjährige Wanderschafft en prétendant que « les connaisseurs préfèrent plutôt voir les choses dans l’original, en nature45 ». On flaire ici un sentiment sous-jacent de la futilité de toute représentation textuelle, même iconographique.

12Envahissante, souveraine, l’expérience semble alors absorber le regard : celui, en amont, du voyageur, celui, en aval, de l’écrivain qui devient une sorte de sténographe de l’existence. Mais à bien y regarder, Reichart ne renonce pas du tout à l’écriture. Au contraire : jouant la complicité avec son lectorat, et misant sur cet autre capital culturel que forment ses lectures, il développe puis met en œuvre toute une réflexion sur la manière de concilier expérience du monde et écriture. Réflexion qui, à divers égards, subordonne la première à la seconde, circonscrivant encore une fois le domaine de l’observé, et allant jusqu’à incorporer discrètement des observations des autres. L’écrivain-lecteur finit ainsi par supplanter le voyageur – et à plus forte raison, l’observateur.

Reichart, voyageur textuel

  • 46 Ibid., p. 120.
  • 47 Ibid., p. [viii].

13Une brève précision dévoile un peu son jeu. Il ne fera pas de description élaborée de Saint-Malo où il débarque en 1724 après s’être échappé du Canada, explique-t-il, car il n’a pas l’intention « de parler de choses que l’on ne s’attend pas à voir décrites par des gens d’état modeste46 ». Bien qu’affirmé, l’ancrage social est moins solide qu’il y paraît : du même souffle, Reichart laisse entendre qu’il aurait pu faire une description qu’« on » attribuerait volontiers à une personne privilégiée. Là est toute l’ambiguïté de sa position : l’humble qu’il prétend être semble désormais capable d’une démarche littéraire à proprement parler. Mine de rien, il appâte son public instruit en évoquant une culture acquise depuis ses « origines modestes », fruit de ses fréquentations humaines et livresques, et notamment de la consommation d’une « forte quantité de descriptions de voyage47 ».

  • 48 Ibid., p. [xiii].
  • 49 Ibid.

14De façon caractéristique, c’est par la négative qu’il signale ces compétences, en précisant ce qu’il n’entend pas faire. Il propose une éthique du délestage qui, à bien des égards, complémente son investissement expérientiel, mais finit par le circonscrire aussi. Son premier souci, du reste compréhensible chez un voyageur aux bagages aussi chargés, est d’alléger le récit. Il déplore que « [b]eaucoup d’auteurs de relations de voyage publient des journaux entiers, [décrivant] ce qui se passe au jour le jour, les diverses plantes, les différents animaux, la multitude des fausses cérémonies religieuses, etc.48 ». S’y exprime – outre sa perspective luthérienne sur les croyances d’autrui, nous y reviendrons – une méfiance certaine envers le catalogue apodémique. Le trop-plein de détails botaniques et ethnographiques conduit inexorablement à la confusion géographique et risque de choquer lecteurs et lectrices. Surtout, un tel embarras de richesses ne peut faire l’économie d’informations de seconde main, contrevenant au credo expérientiel reichartien. Le même désir d’éviter le superflu (dans ce cas, le superflu coûteux) motive sa décision de se passer des gravures, ces « cuivres inutiles49 ».

  • 50 Réal Ouellet, op. cit., p. 75.
  • 51 Wanderschafft, p. 118.
  • 52 Ibid., p. 271.
  • 53 Voir Zoë Kinsley, « Travelers and Tourists », dans Routledge Companion, op. cit., p. 237-245, ici (...)

15Procéder ainsi, c’est limiter d’emblée la part de l’observation. Il reste les observations des autres, celles qu’il renonce à « emprunter ». Toujours dans l’optique de l’allègement, Reichart trouve une façon originale de mettre en œuvre ce programme dans le corps du récit : pratiquant une sorte de « suivi des modifications » avant la lettre, il signale par-ci par-là les endroits où il aurait pu insérer de l’information de seconde main. Fier de la « description refusée50 », il souligne, chemin faisant, ce qu’il épargne à son estimé public. S’étendra-t-il sur la forteresse de Louisbourg ? Non, nous assure-t-il, ayant peu engrangé d’impressions sur place et parce que « [p]lusieurs trouveraient [cette description] empruntée à ce que les journaux avaient largement diffusé à ce sujet » lors du premier siège de la forteresse en 174551. Narrant son séjour antillais (1728), il ne dira presque rien « au sujet du coton et de la canne à sucre, puisque la plupart des descriptions de voyages en font mention52 ». Et ainsi de suite. Au lieu de regretter comme bien d’autres auteurs sa situation de voyageur « tardif », condamné à redécouvrir ce qui a déjà été vu et décrit53, il l’utilise à son profit, proposant une sorte de Grand Tour du non-dit. Cette intertextualité est bien fantomatique, puisqu’il ne nomme jamais ses (non-)sources.

  • 54 Réal Ouellet, op. cit., p. 117.

16Un itinéraire parallèle à celui de ses voyages se dessine ainsi, livresque plutôt que vécu. Non : livresque aussi bien que vécu, dans plusieurs cas, puisque pour éviter de marcher dans les traces d’autrui, il sabre forcément dans ses propres souvenirs. Sa méthode suppose une surveillance soutenue de la littérature de voyage – un effort équivalent, peut-être, à celui des « copistes », mais pour éviter de copier… Rien n’indique que sur le terrain, Reichart ait souffert du syndrome du « voyageur livre en mains », mais on sent bien – et c’est ce qu’il signale énergiquement à son lectorat – qu’à Ansbach, sa table de travail est « couverte d’ouvrages54 », selon l’habitus des relateurs instruits. Force est de conclure que d’apparence toute-puissante, l’expérience reichartienne du voyage en est en quelque sorte subordonnée à celle des prédécesseurs. Ou, pour le dire plus directement, elle est subordonnée à l’écrit. Des autres.

  • 55 Mary Louise Pratt, Imperial Eyes: Travel Writing and Transculturation, Londres, Routledge, 2008, p (...)
  • 56 Wanderschafft, p. [xiii].

17Reichart laisse donc effectivement les relateurs antérieurs s’approprier une partie de son expérience. S’il ne paraît point y voir d’inconvénient, reste à savoir si cette cession partielle de son vécu remémoré ne favorise pas une transaction en sens inverse : se rembourser en quelque sorte en incorporant subtilement des informations glanées dans ses lectures. L’expérience s’inclinerait dans ce cas entièrement devant le texte. Dans ce récit axé sur les emplois successifs du tonnelier multitâches, le détour par les écrits des autres paraît le plus souvent inutile, voire impossible. On peut penser, en revanche, que même pour cet ethnographe plutôt réticent, cet expédient devient plus pertinent lorsqu’il relate ses séjours extra-européens. Décrire les populations locales aurait pu lui paraître opportun, ne serait-ce qu’en guise de preuve de passage, sorte de tampon sur le passeport. S’inspirer des écrits de ses prédécesseurs serait alors d’autant plus commode que dans l’ensemble, Reichart n’a guère côtoyé ces peuples ; prisonnier, puis employé, il n’a pas pu avancer très loin dans les différentes « zones de contact » ultramarines55. Toujours est-il que dans trois cas sur quatre – les Antilles, le cap de l’Afrique et la Chine –, la (relative) prolixité ethnographique reichartienne correspond à peu près à l’intensité de ses relations avec les populations locales. Ces variations suggèrent qu’il s’appuie surtout sur ses propres souvenirs de voyage, nourris bien sûr par les on-dit de ses interlocuteurs créoles ou européens sur place, univers oral mais aussi textuel où se répercutent bien souvent des lieux communs déjà consignés quelque part. Survolant d’un regard oblique les empires ou les comptoirs commerciaux d’autres pays européens, il exprime des doutes sur l’esclavage mais endosse entièrement le colonialisme, insistant sur la nécessité d’extirper les « fausses cérémonies religieuses56 » des populations concernées. Ici, le public imaginaire et ansbachois de Reichart semble s’élargir, pour prendre des dimensions luthériennes, sinon européennes.

  • 57 Précisons qu’en tant que tonnelier au service du garde-magasin royal et, à l’occasion, serviteur l (...)
  • 58 Ibid., p. 85.
  • 59 Ibid., p. 87. Les Khoïsan étaient alors connus des Européens sous cet ethnonyme.
  • 60 Ibid., p. 88-90. Outre l’artificialité du propos, le peu de chances qu’un prisonnier protestant qu (...)
  • 61 Ibid., p. 89. Voir Bernard Vogler, « La famille dans les recueils de prières luthériens 1550-1700  (...)
  • 62 Réal Ouellet (op. cit., p. 124-128) nuance l’ironie de Lahontan. La bibliothèque (publique) du châ (...)
  • 63 Voir L. A. de Lahontan, Œuvres complètes, éd. Réal Ouellet et Alain Beaulieu, Montréal, Presses de (...)

18Le quatrième cas échappe à cette corrélation grossière entre fréquentations vécues et racontées et montre un Reichart, disons démonstrativement allusif. Il s’agit bien sûr du premier des séjours ultramarins de l’auteur, l’année passée à Québec en tant que prisonnier de Sa Majesté française en 1723-1724. En écrivant, Reichart témoigne d’un vif intérêt pour les autochtones et s’étend en conséquence. Or, tout indique que le prisonnier en liberté surveillée qu’il était trente ans plus tôt n’a eu que des contacts épisodiques avec quelques membres des Premières Nations57. S’il avait pu, comme il le prétend, « observ[er] de près [le] mode de vie58 » des autochtones de quelque nation que ce soit, il ne se serait pas permis le constat qu’« [i]ls ressemblent à bien des égards aux Hottentots59 » (sauf en guise d’aveu tacite qu’il connaissait encore moins ce dernier groupe). Cela étant, la docte conversation entre Reichart et un Mi’gmaq d’un certain âge qui forme la pièce de résistance de cette partie du récit est hautement invraisemblable60. Pour l’essentiel, il y est question de mœurs. Même s’il attribue un sens inné de l’ordre et une absence de cupidité aux autochtones, Reichart reste convaincu de la supériorité européenne. Par exemple, il instruit son « interlocuteur » sur l’utilité des trois états (producteurs, guerriers, magistrats, en allemand : Nährstand, Wehrstand, Lehrstand) remontant à Platon en passant par Luther61. Tout cela, il le fait sans l’ironie qui caractérise son modèle, qu’on aura reconnu – comme risquaient de le faire nombre de ses lecteurs, du reste – comme étant les Dialogues avec un Sauvage de Lahontan62. Les remarques de Reichart sur les alliances, la guerre, la torture, etc. témoignent également de ses lectures, des œuvres du baron principalement63.

  • 64 Wanderschafft, p. [xiii] et 457.
  • 65 Voir Percy G. Adams, Travellers and Travel Liars 1660-1800 [1962], New York, Dover Publications, 1 (...)
  • 66 Voir Wanderschafft, p. 68-69, 71. Le journal de bord du commandant du Chameau, le navire qui a tra (...)
  • 67 Ironiquement, c’est Reichart qui signale l’utilité de l’éducation formelle poussée, laissant à son (...)
  • 68 Il y aura d’autres commentaires par la suite, visant principalement la Hollande et sa Compagnie de (...)
  • 69 Voir Jonathan P.A. Sell, op. cit., p. 26-27.

19Le voilà alors, le champion du « rien d’emprunté […] rien d’étranger64 », dérogeant à ses beaux principes. Mais sans doute a-t-il ses raisons. Bien sûr, il se joint à nombre de voyageurs de l’époque, enclins à ménager la chèvre et le chou en niant leur discrète incorporation des témoignages d’autrui65. Pourtant, retrouver – mais uniquement dans cette partie du livre – ce genre d’intertextualité chez un écrivain-voyageur si prompt à la récuser incite à chercher des raisons qui lui sont particulières. Sans doute les circonstances de cette première sortie de l’Europe y comptent-elles pour beaucoup. Tout d’abord, comme s’il cherchait à apprivoiser la violence de son expulsion de France, l’auteur insiste sur le traitement humain qu’on lui réserve par la suite, dès son embarquement à La Rochelle. Les passages consacrés aux autochtones font partie de ce qui finit par ressembler à des aventures de jeunesse. La méfiance aiguisée par le recours à Lahontan, on finit d’ailleurs par détecter d’autres rencontres inventées jouant dans ce registre et mettant en scène, lors de la traversée vers le Canada, des pirates et un vaisseau fantôme66. Ensuite, le récit de ce premier voyage ultramarin semble se prêter à un exercice de crédibilisation en tant que commentateur. Reichart saisit l’occasion de se poser comme digne participant à la conversation savante sur la nature des peuples non européens – et par un effet de miroir, européens67. Plutôt menée aux dépens des autochtones, surtout décrits comme des êtres violents et imprévisibles, cette opération a tout d’un clin d’œil aux destinataires du récit. Invitation au dialogue renvoyant à l’imaginaire livresque partagé, elle permet de situer, fût-ce allusivement, son public dans un lacis rassurant de références partagées68. Dans l’esprit de Reichart, c’est peut-être là le prix d’admission à la communauté discursive : pour parler avec les spécialistes du discours, déployer les « ressources » qu’il a en commun avec ses destinataires afin de favoriser la communication69. Quitte à s’inspirer finalement, d’un air entendu, des relateurs antérieurs, cédant à l’attraction quasi gravitationnelle des observations écrites.

20Ne lésinant pas sur les efforts pour le séduire – et l’instruire –, Reichart s’expose comme tout auteur au jugement de son public. On a néanmoins l’impression qu’arrivé à la fin de son récit, il n’en estime pas moins la partie perdue. Du moins accentue-t-il la critique de ses lecteurs, tout en proposant la proximité divine comme seule finalité de ses voyages, comme seule expérience qui compte.

Reichart transfiguré

  • 70 Sur l’éditeur, voir Hans-Otto Keunecke, « Die Druckereien der Familie Messerer in Ansbach, Schwäbi (...)
  • 71 Sur la hausse du nombre de publications après 1750, voir Hans-Wolf Jäger, « Reisefacetten der Aufk (...)
  • 72 Voir August von Vocke, Geburts- und Todtenalmanach ansbachischer Gelehrten, Schriftsteller und Kün (...)

21Pour comprendre cet ultime revirement, examinons pour commencer la réception de Zwanzigjärhige Wanderschafft, après le décès de son auteur. Dans l’état actuel des recherches, le terme de non-réception paraît plus indiqué. Nous ignorons tout d’un premier paramètre, le tirage qu’Anna Maria Güss veuve Reichart a pu ou voulu financer chez l’éditeur ansbachois Messerer70. Toujours est-il que l’ouvrage ne semble pas avoir fait l’objet d’extraits ou de comptes rendus dans la presse périodique avant de disparaître sans laisser de trace dans le flot de littérature viatique de la seconde moitié du siècle71. Le nom de Reichart ne se trouve pas non plus dans le Gotha des écrivains ansbachois paru à la fin du siècle72

22Si l’écrivain n’a pas connu le sort qu’on aurait réservé à son livre, peut-être en a-t-il eu le pressentiment. Une preuve supplémentaire du caractère subordonné de l’observation, de la primauté de l’expérience éprouvée en voyage, vient à l’heure des bilans, en fin de récit et de vie. La relation de Reichart avec son public entre pour ainsi dire dans une nouvelle dimension. Accentuant sa critique des Ansbachois, lettrés et même non lettrés, l’écrivain renonce ostensiblement à son entreprise de séduction et à la reconnaissance qu’elle est censée lui procurer. Ou, plutôt, il mise sur une autre forme, supérieure, de reconnaissance. Une dernière fois, il jette son expérience dans la balance, sous un jour nouveau – et transcendant.

  • 73 Wanderschafft, p. 483.
  • 74 La description du costume bigarré de l’artisan s’étire sur quatre pages (ibid., p. 483-486).

23C’est au terme de son « pèlerinage73 » que Reichart relate une conversation avec un compagnon artisan haut en couleur, mais incarnant l’esprit borné des Ansbachois en général74. Il s’agit de toute évidence d’un personnage allégorique, chargé d’alimenter le procès reichartien du provincialisme et son éloge de la thérapie viatique. À l’issue de cette rencontre fictive, l’écrivain se dit

  • 75 Ibid., p. 488-489.

entièrement convaincu qu’il y a beaucoup de patriotes qui ont cet esprit [étroit], et parmi eux, plusieurs que j’avais moi-même rencontrés qui pouvaient être classés parmi les lettrés [studirte Leute]. D’une certaine façon, ces gens montraient de manière beaucoup plus grossière leur manque de compréhension à ce sujet [l’expérience des voyages]. […] Je crois que l’on rencontrerait encore plus de gens de leur acabit, plus stupides que même les Hottentots, si les voyages ne permettaient pas de temps en temps de découvrir ou d’inventer quelque chose et si l’un ou l’autre des [écrivains]-voyageurs n’avait exalté la toute-puissance et l’omniscience du Dieu qui règne partout75.

  • 76 Les Khoïsan ont le dos large en la matière : voir François Fauvelle-Aymar, L’Invention du Hottento (...)
  • 77 Voir Wanderschafft, p. 470-474.
  • 78 Ibid., p. 471.
  • 79 Voir ibid., p. 470-471.

Voici donc à nouveau Reichart l’incompris, critique plus que jamais de ses compatriotes aux horizons limités – même s’il tombe aussitôt dans le même travers à l’égard des « Hottentots »76. La citation suit de quelques pages la description du difficile retour de l’auteur vers sa région natale, à la fin des années 173077. Il en garde un souvenir amer. Divers Ansbachois l’auraient d’abord empêché de faire commerce, malgré son permis officiel, avant de se concerter pour le rendre inéligible à un emploi dans l’administration margraviale. Le comble : ils l’auraient traité, lui, l’enfant du pays, de « hergeloffene Kerl78 », ce qui désigne en dialecte un « gars venu d’on ne sait où ». La profondeur de l’insulte ressentie se mesure par le parallèle qui lui vient à l’esprit : on le traite, s’indigne-t-il, comme un juif79. Il n’y a sans doute pas de sentiment d’exclusion plus fort que cet antijudaïsme qui se retourne contre lui.

24On ne sait quelles rebuffades lui ont réservé les savants locaux, mais la précision qu’il « avait [lui]-même rencontré » des lettrés à l’esprit provincial laisse entendre des tensions certaines. Bref, les Ansbachois auraient refusé au fils prodigue l’accueil qu’il croyait mériter. La tentation est forte de voir dans le rappel de ce souvenir douloureux l’expression d’un double sentiment d’échec : l’intégration ratée du marchand compromet aussi la réussite de l’exercice de persuasion de l’écrivain champion de son expérience de voyage. Reichart en prend acte. S’il se pose plus que jamais en écrivain-voyageur cherchant à élargir l’esprit de ses compatriotes, il le fait désormais en associant son périple à la seule proximité divine. Un cri du cœur final résume l’essentiel, en deux points. D’abord, Reichart trace un lien entre son sentiment de rejet par la société locale et sa foi providentialiste :

  • 80 Ibid., p. 489.

même si, associées à tant d’afflictions, mes pérégrinations ne m’ont pas procuré des avantages dans ma patrie, il me reste (puisque des milliers et des milliers sont dans l’ignorance) à louer le Dieu que seul il faut honorer en disant : Seigneur, Ton amour m’a porté comme celui d’une mère dévouée […]80.

  • 81 Ibid. L’affirmation rappelle une phrase du début du livre : « C’est par la grâce de Dieu que l’on (...)
  • 82 Alexandra Walsham fait observer que le providentialisme protestant encourageait la recherche de «  (...)

Ensuite, il précise, triomphant, que c’est le voyageur qui est mieux placé que quiconque pour chanter les louanges du Créateur ubiquiste : « [c]’est pour découvrir Dieu et ses merveilles que l’on voyage81 ». La conduite divine, motif bien luthérien, est – littéralement – son leitmotiv depuis le début du livre, mais c’est ici qu’elle acquiert tout son sens. Au terme du périple, associer ainsi Dieu à sa propre expérience de voyageur permet à Reichart d’avoir le dernier mot, de prendre de la hauteur envers son public sceptique. À la fin, les derniers seront les premiers… Ce n’est pas pour rien que Reichart s’attribue par le titre-fleuve de son livre un « sort tout spécial [ganz besondere Fata] » : c’est un élu. Si l’on ne reconnaît pas la valeur de son long détour entre Streitdorf et Ansbach, on lui reconnaîtra d’avoir cheminé avec Dieu82.

 

  • 83 Voir par exemple Andreas Motsch, op. cit., p. 257.
  • 84 Grégoire Holtz et Vincent Masse, art. cit., p. 9.
  • 85 Voir Stephen Greenblatt, Renaissance Self-Fashioning. From More to Shakespeare, Chicago, Universit (...)

25Concluons. L’expérience ainsi transfigurée nous éloigne encore davantage de celle qui se porte garante de l’observation : celle que, frappés notamment par la place du récit viatique dans la généalogie des sciences (naturelles ou moins)83, nous associons le plus souvent aux prétentions de véridicité des relateurs de voyage. Vingt ans de pérégrinations illustre de façon originale la polyvalence du « genre sans genre84 » qu’est la littérature du lointain. On conclurait presque à une ruse reichartienne, le décor changeant n’étant finalement qu’accessoire au drame existentiel qui est son véritable sujet et qui fait primer le vécu sur le vu. Mais bien sûr, voyage expérimenté et raconté et quête de reconnaissance sont indissociablement liés ; le relateur débrouillard et le voyageur éprouvé avancent main dans main dans ces pages. Ils participent tous deux à une « fabrication de soi » qui se déroule nécessairement devant public et est en ce sens externalisée, situant le récit de voyage comme « document social » au sens fort du terme85. L’ancien tonnelier vit une marginalité complexe. Sans doute rend-elle plus visibles ses manœuvres empreintes d’ambivalence à la rencontre des destinataires de son récit. Évitons tout de même d’accorder un sens absolu à cette marginalité : nous aussi, nous manœuvrons…

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Notes

1 Eines Hoch-Fürstl. Brandenburg-Onolzbachischen Unterthanen und Bürgers, auch gewesenen Kauff- und Handelsmanns zu Anspach Johann Peter Reicharts Zwanzigjährige Wanderschafft und Reisen in West- und Ost-Indien, ja alle vier Theile der Welt [… – désormais Wanderschafft], Onolzbach, Christoph Lorenz Messerer, 1755, [xiv] et 512 p. Le présent article se veut une mise en contexte du récit du séjour canadien de Reichart, dont je prépare une édition en français, à paraître aux Presses de l’Université Laval. Je tiens à remercier Sébastien Côté de m’avoir fait découvrir ce texte fascinant et, pour leurs conseils et commentaires éclairants, l’expert anonyme de Viatica ainsi qu’Aline Charles, Peter Ernst, Nathalie Vuillemin et Jutta Weber. Toutes les traductions sont les miennes ; les échantillons en langue originale reproduisent le vieil allemand du texte.

2 Situé tout près de la petite ville de Gunzenhausen, en Moyenne-Franconie, le village porte aujourd’hui le nom de Streudorf. Le margraviat réunissait une bonne vingtaine de territoires distincts. Voir Rudolf Endres, « Die Markgraftümer », dans Handbuch der Bayerischen Geschichte, v. 3, t. 1. Geschichte Frankens bis zum Ausgang des 18. Jahrhunderts – 3e éd., A Kraus (dir.), Munich, C.H. Beck, 1997, p. 756-772. Sur la ville d’Ansbach (autrefois Onolzbach), voir Harms Bahl, Strukturanalyse einer Residenz vom Ende des Dreissigjährigen Krieges bis zur Mitte des 18. Jahrhunderts, Ansbach, Historischer Verein für Mittelfranken, 1974.

3 Reichart se prénommait généralement Peter (Stadtarchiv Ansbach, R 743, Wachtgelds-Register 1755, fo 1).

4 Soit la France, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, la Norvège, l’Angleterre. Avec un rayon d’action comparable, on trouve le marchand et entrepreneur en colonisation neuchâtelois Jean-Pierre Purry (voir Carlo Ginzburg, « Latitude, Slaves, and the Bible: An Experiment in Microhistory », Critical Inquiry, n° 31/3, 2005, p. 665-683) [En ligne] DOI : https://doi.org/10.1086/430989.

5 Ce récit n’a guère attiré l’attention des chercheurs. L’historienne de la littérature Anja Ballis est la seule à l’avoir (brièvement) étudié en tant qu’artefact littéraire (voir Anja Ballis, Literatur in Ansbach. Eine Literarhistorische Untersuchung von der Reformation bis zum Ende des Ancien Regime, Ansbach, Historischer Verein für Mittelfranken, 2001, p. 221-227). D’autres historiens se sont ponctuellement intéressés aux accointances néerlandaises de Reichart : voir Ilja Mieck, « Preussen und Westeuropa », dans Handbuch der preussischen Geschichte, Wolfgang Neugebauer (dir.), Berlin, De Gruyter, 2009, p. 560 ; Anja Chales de Beaulieu, Deutsche Reisende in den Niederlanden. Das Bild eines Nachbarn zwischen 1648 und 1795, Francfort, Peter Lang, 2000, p. 38 et 255-257 ; Roelof van Gelder, Het Oost-Indisch avontuur. Duitsers in dienst van de VOC (1600-1800), Nimègue, SUN, p. 69 et 293.

6 Wanderschafft, p. 492.

7 Je n’ai pas trouvé d’archives permettant de vérifier cette explication de son bannissement.

8 L’antijudaïsme est répandu dans sa région natale. À Gunzenhausen, par exemple, il y a des accusations de mise à mort rituelle en 1715 (voir Siegfried Haenle, Geschichte der Juden im ehemaligen Fürstentum Ansbach, Ansbach, Carl Jung, 1867, p. 129 ; Rainer Erb, « Der gekreuzigte Hund. Antijudaismus und Blutaberglaube im fränkischen Alltag des frühen 18. Jahrhunderts », Aschkenas, n° 2/1, 1992, p. 117-150, ici p. 119-120 ; Ernst Schubert, Arme Leute, Bettler und Gauner im Franken des 18. Jahrhunderts, Neustadt a.d. Aisch, Degener, 1983, p. 151-169).

9 La citation est tirée du titre-fleuve du livre. L’observation de Jacques Revel au sujet du récit autobiographique du potier d’étain Augustin Güntzer s’applique bien à l’ouvrage de Reichart : Dieu devient une sorte de co-protagoniste (voir Jacques Revel, « Préface : “Dans la main de Dieu jusqu’à la fin” », dans Augustin Güntzer, L’Histoire de toute ma vie. Autobiographie d’un potier d’étain calviniste du xviie siècle, éd. M. Debus Kehr, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 7-19, ici p. 8).

10 James S. Amelang observe un ton récriminateur (querulous) chez plusieurs autobiographes populaires européens (voir The Flight of Icarus. Artisan Autobiography in Early Modern Europe, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 194).

11 Voir Anja Ballis, op. cit., p. 227. Sur l’oraison funèbre luthérienne, voir notamment Cornelia Niekus Moore, Patterned Lives : The Lutheran Funeral Biography in Early Modern Germany, Wiesbaden, Harrassowitz, 2006.

12 Voir Arianne Baggerman, Rudolf Dekker et Michael Mascuch (dir.), Controlling Time and Shaping the Self: Developments in Autobiographical Writing since the Sixteenth Century, Leyde, Brill, 2011 ; Claudia Ulbrich, Kaspar von Greyerz et Lorenz Heiligensetzer (dir.), Mapping the « I »: Research on Self-Narratives in Germany and Switzerland, Leyde, Brill, 2015 ; Jean-Pierre Bardet et François-Joseph Ruggiu (dir.), Les écrits du for privé en France de la fin du Moyen Âge à 1914, Paris, Éditions du CTHS, 2015.

13 Wanderschafft, p. [iv].

14 Jacques Chupeau, « Les récits de voyages aux lisières du roman », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 77, no 3-4, p. 536-553, ici p. 541 [En ligne] URL : http://www.jstor.org/stable/40525852. Voir également Andreas Motsch, « La relation de voyage : itinéraire d’une pratique », Analyses, n° 9/1, 2014, p. 215-268, ici p. 248-250 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.18192/analyses.v9i1.968 ; Daniel Carey, « Truth, Lies and Travel Writing », dans Routledge Companion to Travel Writing, Carl Thompson (dir.), Londres/New York, Routledge, 2016, p. 3-14.

15 Wanderschafft, p. 473-474.

16 Ibid.

17 Grégoire Holtz et Vincent Masse, « Étudier les récits de voyage : bilan, questionnements, enjeux », Arborescences, n° 2, 2012, p. 1-30, ici p. 13 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.7202/1009267ar.

18 Voir Gerald Prince, « Reader », dans Handbook of Narratology, Peter Hühn, John Pier, Wolf Schmid et Jörg Schönert (dir.), Berlin, De Gruyter, 2009, p. 398-410.

19 Wanderschafft, p. [x].

20 Voir Steven Shapin, A Social History of Truth: Civility and Science in Seventeenth-Century England, Chicago, University of Chicago Press, 1994.

21 Il fait remarquer qu’à sa connaissance aucun compatriote (Landsmann, au sens régional) n’a écrit de récit comme le sien (Wanderschafft, p. [viii]). La principauté se convertit au luthéranisme à partir de 1528. Voir C. Scott Dixon, The Reformation and Rural Society: The Parishes of Brandenburg-Ansbach-Kulmbach, 1528-1603, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.

22 Voir Georg Seiderer, « Ansbach im 18. Jahrhundert. Höfische und literarische Kultur einer fränkischen Residenz », dans Dichter und Bürger in der Provinz. Johann Peter Uz und die Aufklärung in Ansbach, Ernst Rohmer et Theodor Verweyen (dir.), Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1998, p. 189-213 ; Hans-Otto Keunecke, « Die Ansbacher Schlossbibliothek und die Universitätsbibliothek Erlangen-Nürnberg », Bibliotheksforum Bayern, no 33, 2005, p. 246-278, ici p. 249 et 264 – sur les bibliothèques personnelles de la haute noblesse.

23 Wanderschafft., p. 3. Johann Sigmund Reichart se voit obligé de quitter sa famille et d’aller fabriquer du pain pour l’armée impériale du Rhin.

24 En tant que marchand, il se serait « bien débrouillé [sich wohl fortgebracht] » (ibid., p. 491).

25 Les connaissances livresques qu’il égrène tout au long de son récit reflètent certes sa foi luthérienne – voir les écrits pieux en fin de volume (p. 492-512) – mais aussi une longue fréquentation de la bibliothèque des voyages, favorisée peut-être par ses séjours répétés à Amsterdam et la présence à Ansbach d’une bibliothèque publique bien garnie (voir Hans-Otto Keunecke, op. cit., p. 246-278 ; Günther Schuhmann, Ansbacher Bibliotheken vom Mittelalter bis 1806, Kallmünz, Lassleben, 1961, p. 97-148). Reichart (Wanderschafft, p. [vii]) dit espérer que son ouvrage trouvera une place sur les rayons de la bibliothèque (devenue publique) du margrave à Ansbach.

26 On remarque de temps en temps le glissement des consonnes caractéristique de la variante régionale du francique oriental : « Ostfränkische Dialekte » : voir https://de.wikipedia.org/wiki/Ostfr%C3%A4nkische_Dialekte [consulté le 14/02/2022]. Il y a une ou deux occurrences de français germanisé en moyenne par page d’environ 250 mots. Sur ces emprunts et adaptations, voir Richard James Brunt, The Influence of the French Language on the German Vocabulary (1649-1735), Berlin, De Gruyter, 1983. James S. Amelang note la même tendance à insérer des références classiques chez nombre d’autobiographes populaires (op. cit., p. 152-153).

27 Voir James S. Amelang, op. cit., p. 222.

28 Voir ibid., p. 190 ; Eric J. Leed, The Mind of the Traveler: from Gilgamesh to Global Tourism, New York, Basic Books, 1991, p. 280 ; Julia Schleck, Telling True Tales of Islamic Lands, Cranbury (NJ), Associated University Presses, 2011, p. 21-22.

29 Voir Dominique Maingueneau, « Le tour ethnolinguistique de l’analyse du discours », Langages, no 105, mars 1992, p. 114-125, ici p. 115 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3406/lgge.1992.1628.

30 Wanderschafft, p. [xiii].

31 Ibid., p. 457.

32 Ibid., p. [x].

33 Ibid.

34 Sur l’emploi de la vieille désignation de « relateur », voir Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique (xvie- xviiie siècles). Au carrefour des genres, Québec, Presses de l’Université Laval, « Les Collections de la République des lettres », 2010, p. 4.

35 Voir Grégoire Holtz, « Le stile nu des récits de voyage », dans Le Lexique métalittéraire français, xvie- xviie siècles, Michel Jourde et Jean-Charles Monferran (dir.), Genève, Droz, 2006, p. 165-185.

36 Voir Alexandre Cioranescu, « La découverte de l’Amérique et l’art de la description », Revue des sciences humaines, n° 106, 1962, p. 161-168 ; Friedrich Wolfzettel, Le Discours du voyageur. Pour une histoire littéraire du récit de voyage en France, du Moyen Âge au xviiie siècle, Paris, PUF, 1996, p. 272-274.

37 Wanderschafft, p. [xii].

38 Ibid., p. [xii-xiii].

39 Ibid., p. [xiii]. Vers la fin de son récit (p. 457), Reichart ironise aux dépens des « chevaliers d’histoires » (Historien-Ritter).

40 Ibid., p. [xiii].

41 Ibid., p. [xiv].

42 Ibid.

43 Sur le thème de la dignité personnelle, voir James S. Amelang, op. cit., p. 249-250.

44 Wanderschafft, p. [viii]. Je souligne.

45 Ibid., p. [xiii].

46 Ibid., p. 120.

47 Ibid., p. [viii].

48 Ibid., p. [xiii].

49 Ibid.

50 Réal Ouellet, op. cit., p. 75.

51 Wanderschafft, p. 118.

52 Ibid., p. 271.

53 Voir Zoë Kinsley, « Travelers and Tourists », dans Routledge Companion, op. cit., p. 237-245, ici p. 242-243.

54 Réal Ouellet, op. cit., p. 117.

55 Mary Louise Pratt, Imperial Eyes: Travel Writing and Transculturation, Londres, Routledge, 2008, p. 8.

56 Wanderschafft, p. [xiii].

57 Précisons qu’en tant que tonnelier au service du garde-magasin royal et, à l’occasion, serviteur lors de banquets officiels, Reichart a pu rencontrer des autochtones libres, de passage en ville (ibid., p. 86-87) et a dû en croiser d’autres réduits en esclavage. Sans doute a-t-il assisté à la cérémonie diplomatique qu’il décrit p. 92. Mais tout indique qu’il n’a pu les fréquenter longuement ni chez eux : par exemple les Hurons-Wendats à Wendake, village situé à une quinzaine de kilomètres de la ville.

58 Ibid., p. 85.

59 Ibid., p. 87. Les Khoïsan étaient alors connus des Européens sous cet ethnonyme.

60 Ibid., p. 88-90. Outre l’artificialité du propos, le peu de chances qu’un prisonnier protestant qui résistait aux efforts de conversion du clergé catholique ait pu obtenir l’aide d’un interprète en soutane, comme le prétend Reichart, rend cette conversation hautement improbable.

61 Ibid., p. 89. Voir Bernard Vogler, « La famille dans les recueils de prières luthériens 1550-1700 », dans La Vie, la Mort, la Foi, le Temps. Mélanges offerts à Pierre Chaunu, Madeleine Foisil et Jean-Pierre Bardet (dir.), Paris, PUF, 1993, p. 249-255.

62 Réal Ouellet (op. cit., p. 124-128) nuance l’ironie de Lahontan. La bibliothèque (publique) du château du margrave rendait vraisemblablement disponible aux Ansbachois instruits une sélection des œuvres de Louis Armand de Lahontan. Du moins la Bibliothèque universitaire Erlangen-Nürnberg, héritière d’une bonne partie du fonds de celle d’Ansbach, en conserve-t-elle plusieurs éditions anciennes, dont celle de la Suite du Voyage de l’Amérique ou Dialogues de Monsieur le Baron de Lahontan et d’un Sauvage (Amsterdam, Boeteman, 1728) et, en traduction, Des berühmten Herrn Baron de Lahontan Neueste Reisen nach Nord-Indien, oder dem Mitternächtischen America (trad. L. F. Vischer, Hambourg et Leipzig, Reumann, 1711). Sur ces bibliothèques, voir Hans-Otto Keunecke, op. cit.

63 Voir L. A. de Lahontan, Œuvres complètes, éd. Réal Ouellet et Alain Beaulieu, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, « Bibliothèque du Nouveau Monde », 1990, 2 vol.

64 Wanderschafft, p. [xiii] et 457.

65 Voir Percy G. Adams, Travellers and Travel Liars 1660-1800 [1962], New York, Dover Publications, 1980 ; Daniel Carey, op. cit.

66 Voir Wanderschafft, p. 68-69, 71. Le journal de bord du commandant du Chameau, le navire qui a transporté Reichart au Canada, ne fait pas mention de ces rencontres : « Extrait du journal de M. de Beauharnois de Beauville, commandant le vaisseau du roy Le Chameau pour Québec » (8 juillet – 4 décembre 1723), Archives nationales de France, Marine JJ/4/1, pièce 10. Sur les conventions gouvernant des ajouts de ce genre, voir Jonathan P. A. Sell, Rhetoric and Wonder in English Travel Writing, 1560-1613, Burlington (VT), Ashgate, 2006, p. 32.

67 Ironiquement, c’est Reichart qui signale l’utilité de l’éducation formelle poussée, laissant à son « interlocuteur » mi’gmaq le soin de se porter à la défense de l’expérience vécue (p. 89-90). Sur les modes discursifs du récit de voyage, voir Réal Ouellet, op. cit., p. 4.

68 Il y aura d’autres commentaires par la suite, visant principalement la Hollande et sa Compagnie des Indes orientales : voir Wanderschafft, p. 366-370, 456-457, 474-482.

69 Voir Jonathan P.A. Sell, op. cit., p. 26-27.

70 Sur l’éditeur, voir Hans-Otto Keunecke, « Die Druckereien der Familie Messerer in Ansbach, Schwäbisch Hall und Öhringen : Erfolg und Faillement », Archiv für Geschichte des Buchwesens, n° 7/1, 2016, p. 1-22.

71 Sur la hausse du nombre de publications après 1750, voir Hans-Wolf Jäger, « Reisefacetten der Aufklärungszeit », dans Der Reisebericht, Peter J. Brenner (dir.), Francfort, Suhrkamp, 1989, p. 261-283, ici p. 262. Il n’est bien sûr pas interdit de tracer une diagonale entre cette sortie apparemment discrète et le peu d’attention que la recherche récente a accordé à ce livre.

72 Voir August von Vocke, Geburts- und Todtenalmanach ansbachischer Gelehrten, Schriftsteller und Künstler, t. 1, Augsbourg, Späth, 1796.

73 Wanderschafft, p. 483.

74 La description du costume bigarré de l’artisan s’étire sur quatre pages (ibid., p. 483-486).

75 Ibid., p. 488-489.

76 Les Khoïsan ont le dos large en la matière : voir François Fauvelle-Aymar, L’Invention du Hottentot. Histoire du regard occidental sur les Khoisan (xve- xixe siècle), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2002.

77 Voir Wanderschafft, p. 470-474.

78 Ibid., p. 471.

79 Voir ibid., p. 470-471.

80 Ibid., p. 489.

81 Ibid. L’affirmation rappelle une phrase du début du livre : « C’est par la grâce de Dieu que l’on fait l’expérience de quelque chose » (p. 2).

82 Alexandra Walsham fait observer que le providentialisme protestant encourageait la recherche de « preuves de l’intérêt de Dieu » et l’introspection, donnant aux fidèles « l’idée orgueilleuse et égoïste qu’un individu était l’objet des attentions particulières d’une Dieu paternaliste » (« “Le théâtre des jugements de Dieu” : le providentialisme et la Réforme protestante dans l’Angleterre des xvie- xviie siècles », Histoire, économie et société, n° 22/3, 2003, p. 325-348, ici p. 335 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3406/hes.2003.2324).

83 Voir par exemple Andreas Motsch, op. cit., p. 257.

84 Grégoire Holtz et Vincent Masse, art. cit., p. 9.

85 Voir Stephen Greenblatt, Renaissance Self-Fashioning. From More to Shakespeare, Chicago, University of Chicago Press, 1980. Sur la notion de « document social », voir J. Schleck, op. cit., p. 13 ; Gabriele Jancke, « Autobiographical Texts: Acting within a Network », dans Mapping the « I », op. cit., p. 118-165.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Thomas Wien, « Les expériences de Johann Peter Reichart (1702-1755), tonnelier, marchand, voyageur, écrivain »Viatica [En ligne], 10 | 2023, mis en ligne le 01 mars 2023, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/2520 ; DOI : https://doi.org/10.52497/viatica2520

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Auteur

Thomas Wien

Université de Montréal

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

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