Nombre de récits de voyage en Orient de la première moitié du xixe siècle confrontent leurs lecteurs à un constat paradoxal : la surreprésentation d’une figure marginale, et particulièrement marginalisée au cours du xixe siècle en France, la prostituée. Pour certains, la prostituée orientale, à peine perceptible derrière le voile opaque et pudique dont la recouvre l’imaginaire biblique, est la réminiscence de Salomé, de Tamar, ou encore de Rabab. Pour d’autres, lecteurs de Flaubert, elle s’incarne en la figure de Kuchiuk-Hanem. L’écrivain rouennais, que l’on sait coutumier des lupanars parisiens1, livre en effet dans ses notes de voyage et dans des lettres adressées à ses plus fidèles amis et compagnons de débauche, des détails croustillants sur la nuit torride passée, en 1850, aux côtés de cette prostituée égyptienne. Sa notoriété, la muse orientale de Flaubert la doit également à l’analyse qu’en a livrée Edward Saïd dans son très célèbre, et non moins polémique, Orientalism (1978). Le théoricien des postcolonial studies propose de lire la relation qui unit Flaubert (le voyageur occidental) à Kuchiuk-Hanem (la danseuse-prostituée orientale) à partir d’un schéma idéologique de domination2.
Cette étude entend montrer que d’autres voyageurs, parfois moins célèbres, ont fait paraître dans leurs textes des figures de prostituées et abordé la question de la prostitution en Orient. Parmi eux figurent des voyageurs tels que le naturaliste Sonnini de Manoncourt, l’historien Joseph Michaud ou encore le diplomate Théodore Renoüard de Bussierre, mais également des voyageuses, à l’instar de la très populaire Ida Saint-Elme ou la saint-simonienne Suzanne Voilquin. Leurs récits de voyage en Égypte ont été écrits au cours de la première moitié du xixe siècle3, c’est-à-dire avant que l’attention des Européens ne soit tout entière projetée sur les territoires colonisés4. Ces « filles de joies musulmanes5 », qui ne sont pas encore intégrées à un système de prostitution à l’occidentale, incarnent une forme d’altérité qui interroge les voyageurs occidentaux. C’est en vertu du système moral, politique et social occidental que ces figures féminines font en tout premier lieu l’objet d’une marginalisation. Les voyageurs tiennent un discours d’exclusion qui stigmatise non seulement leur « statut social », mais encore leur identité orientale. Ce discours se heurte néanmoins à la marginalisation des prostituées telle qu’elle est (ou n’est pas) opérée par les sociétés orientales et musulmanes. La prostitution orientale est intégrée dans un système dont les institutions (politiques et religieuses) et l’organisation sociale sont étrangères aux voyageurs et entrent parfois en contradiction avec les principes de la société française, bourgeoise et chrétienne, de l’époque. Néanmoins, loin d’être univoques et systématiquement dominateurs, ces discours renvoient à une diversité de situations vécues, qui elles-mêmes se traduisent par des discours hétérogènes. Certains de ces voyageurs font preuve d’une réelle curiosité culturelle. Ils découvrent un système politique et des pratiques sociales qui, en Égypte au début du xixe siècle, sont en pleine mutation6. Ils découvrent la société égyptienne par ses marges.
« Le plus infâme métier dans la plus corrompue des villes7 »
En effet, quoiqu’il soit vrai, comme on l’a dit, que dans tous les lieux un peu considérables de l’Égypte il y ait des courtisanes en grand nombre, il est faux que destinées aux plaisirs des voyageurs, ceux-ci ne soient pas obligés de les payer ; qu’elles aient été léguées à la prostitution par des hommes charitables ; que des messagers de la galanterie conduisent le voyageur au temple où les jeunes prêtresses font si volontairement leurs stations. L’éloge que l’on fait de leurs charmes, de leur taille dégagée, de leurs belles hanches, de la chute ravissante de leurs reins, enfin de leur unique envie de plaire et de rendre sensible à leurs appas, est encore une série d’erreurs ; mais ce qui n’est pas moins faux, est l’espèce de générosité dont on a voulu honorer la conduite si peu honnête de ces filles, en assurant que, satisfaites d’être aimées et préférées à leurs compagnes, elles n’en voulaient pas du tout à la bourse du voyageur. […] D’un autre côté, l’on chercherait en vain, parmi celles de la haute Égypte, les détails ravissants de la beauté dont on les a fort mal à propos gratifiées. L’on n’y voit que des malheureuses, laides pour la plupart, mal vêtues, rebutantes par l’excès de leur effronterie, d’autant plus remarquable dans ces pays, qu’elles y sont les seules femmes qui marchent le visage découvert et qui parlent aux hommes en public ; plus dégoûtantes encore, à raison des maux affreux et sans nombre dont elles sont infectées ; en un mot, réunissant toutes les horreurs du libertinage sans en posséder le moindre agrément. Telles sont, dans le réel, ces femmes qui ne peuvent avoir d’attraits qu’aux yeux de la brutalité. Que des jeunes gens qui, séduits peut-être par la peinture mensongère que l’on a faite des Vénus égyptiennes, désireraient d’être à portée de les adorer, n’aient aucun regret. Ils ne trouveraient en elles que des objets déplaisants, en comparaison desquels la plupart des courtisanes d’Europe pourraient passer pour des divinités. Afin de détruire toutes les fausses impressions qu’aurait pu laisser la lecture de faits controuvés, je ne dois pas omettre de dire que les réunions des filles publiques en Égypte, loin d’y être un établissement légal, n’y sont que tolérées8.
Ainsi Sonnini de Manoncourt (1751-1812) s’évertue-t-il, après son passage dans la ville d’Echmimm, à déconstruire un certain nombre d’idées reçues à propos des courtisanes égyptiennes. Armé d’une puissante rhétorique de la démythification, il s’attaque à un ensemble de discours, et au-delà à tout un imaginaire fallacieux (« série d’erreurs », « faux », « peinture mensongère ») de la prostitution orientale. En cette toute fin de xviiie siècle, ces propos témoignent des fantasmes que suscite la prostituée, encore hantée par la figure mythologique de Vénus (« les Vénus égyptiennes ») et associée à la pratique de la prostitution sacrée dans l’Antiquité (« temple », « jeunes prêtresses »). Par sa posture iconoclaste et démystificatrice à l’égard de la prostitution, Sonnini s’oppose en réalité au discours d’un autre voyageur, Claude-Étienne Savary (1749-1788), qu’il accuse, après la publication de ses Lettres sur l’Égypte en 1785, d’avoir véhiculé un certain nombre d’images fausses inspirées des Mille et Une Nuits9. L’image idéalisée des courtisanes égyptiennes que Sonnini entend démentir semble correspondre en réalité au portrait que Savary dresse des almées10. Ce dernier décrit avec beaucoup d’admiration leurs danses inspirées par « les mystères de l’amour11 ». Il vante le talent, le charme et l’élégance de ces danseuses qui se produisent dans les harems, et qui ont reçu une « éducation plus soignée que celle des autres femmes12 ». Dans la lettre XIV, il les distingue en effet d’une catégorie de prostituées (dont les danses sont destinées au « peuple13 ») qui correspondent davantage aux filles publiques décrites par Sonnini.
À l’image de Sonnini, beaucoup de voyageurs de la première moitié du siècle s’attaquent frontalement aux représentations fantasmées de la féminité orientale. Dès le début du siècle, l’odalisque orientale14, à la fois figure de déesse, d’esclave et de courtisane, a envahi l’imaginaire occidental et inspiré des rêves de voyage à toute une génération romantique convaincue de partir à la rencontre de ces filles du soleil, apparemment « plus chaudes que les blanches15 ». Les prostituées rencontrées en Orient font pourtant l’objet, dans les textes viatiques de la même période, d’une dépréciation générale. Dans le contexte plus global du discours réglementariste qui se développe dans les années 1830, les écrivains-voyageurs adoptent une attitude de rejet, qui n’exclut pas une forme de fascination, ou de curiosité malsaine. Dans les textes, les codes sociaux et les principes moraux du voyageur constituent une norme à partir de laquelle sont observées et jugées les prostituées. À la marginalisation sociale dont font l’objet les prostituées dans la société française du xixe siècle s’ajoute, dans le cas particulier des prostituées orientales, un niveau supplémentaire de marginalisation, qui est porté par un discours sur la « race ».
La plupart des textes étudiés témoignent en tout premier lieu d’une réaction morale de la part des voyageurs. La prostitution et la danse sont associées de manière quasi automatique à une forme de débauche et de dépravation des mœurs. Signe d’un rapport plus libre au corps et à la sexualité, la danse entre en conflit avec les idéaux chrétiens et bourgeois, qui légitiment l’ostracisation de la danseuse-prostituée16. Les termes de « volupté », de « lasciveté », d’« indécence », ou encore d’« impudence » sont repris d’un texte à l’autre et construisent un réseau sémantique inspiré par les mêmes impératifs moraux. Tel est le récit d’une scène de danse au Caire que livre Sonnini :
L’on y voyait des danseuses, dont les pas et les sauts n’ont pas de rapports avec les danses de nos contrées. Ce sont, pour la plupart du temps, des mouvements vifs et vraiment étonnants dans les reins, que ces femmes agitent, sans remuer le reste du corps, avec une extrême souplesse : mais en même temps avec beaucoup d’indécence. […] Ce spectacle de la lubricité la plus impudente, était très agréable aux yeux d’un peuple grossier dépravé. Il attirait toujours de nombreux spectateurs ; et les femmes, à travers leurs jalousies, y prenaient grand plaisir, et y recevaient les leçons d’immoralité. […] Leur visage est découvert, et l’on a vu que, dans ce pays, c’était le comble de l’effronterie. Aussi sont-elles disposées et exercées à un métier moins honnête encore que celui d’exécuter en public les danses les plus lascives17.
À peine quelques années plus tard, on trouvera une périphrase semblable dans le Voyage dans la Basse et Haute Égypte de Dominique Vivant Denon (1747-1825). Après avoir décrit, non sans « dégoût », les danses réalisées par des almées de Metubis (dans la région du Delta du Nil) comme « l’expression grossière et indécente de l’emportement des sens », il regrette que celles-ci n’aient reçu d’autre éducation que « celle réservée au plus infâme métier dans la plus corrompue des villes18 ». Les voyageuses tiennent, quant à elles, un discours tout aussi critique, voire plus radical, à l’égard des prostituées, qu’elles considèrent comme des êtres dépravés et avilis. Lors de son passage à Kenné (en Haute-Égypte), Ida Saint-Elme (1778-1845) est surprise, dans un café, par l’arrivée d’« une demi-douzaine de femmes publiques », accompagnées de soldats albanais et de quelques pèlerins :
La scène devint tellement plus libre, que nous nous retirâmes bien vite ; auprès de la porte se trouvait une masure ; la rue était fort étroite ; Léopold marchait derrière ; tout à coup une de ces femmes s’attacha à lui avec des gestes si parlants, qu’il ne put se méprendre sur l’objet de l’attaque, et fut obligé de repousser assez durement cette Putiphar de carrefour, et force fut de dire qu’il n’était besoin d’être un Joseph pour cela. L’Almey [almée] allait jeter les hauts cris, lorsque le Malem, par un mot, la fit fuir de toute la vitesse que lui permettaient ses grosses et vieilles babouches. Ah ? le vice en Europe est moins dégoûtant et surtout mieux chaussé19.
Confrontés à une scène jugée indécente, la voyageuse et son compagnon Léopold adoptent une attitude de rejet, qui se manifeste par la fuite. Néanmoins s’en suit, à la manière d’un vaudeville, une scène de « racolage » plutôt cocasse, dans laquelle le jeune amant devient la victime des attaques (physiques et sonores) de la prostituée. La référence burlesque à l’épisode biblique dans lequel Joseph repousse les avances de la femme de Putiphar donne le mauvais rôle à cette prostituée « de carrefour ». Si elle importune les deux voyageurs, elle fait également l’objet de la répulsion du Malem (artisan égyptien), qui la chasse à la manière d’un animal ou d’un parasite. À la fin de cet extrait, le recours à l’analogie permet à la voyageuse d’établir une hiérarchie valorisant les prostituées européennes, pourtant elles-mêmes couvertes d’ignominie en France à la même période. On trouve, dans le premier extrait du récit de voyage de Sonnini cité, une même valorisation des « courtisanes d’Europe » qui, en comparaison, « pourraient passer pour des divinités20 ». La condamnation morale de la prostituée orientale est portée par l’ambition de rendre universelles les valeurs chrétiennes et bourgeoises (notamment la chasteté et la pudeur), qui, dans la société française de l’époque, sont associées à la féminité. Lancée, en Égypte, dans une quête obsessionnelle de la Mère, la saint-simonienne Suzanne Voilquin21 (1801-1876) ne retrouve pas dans les figures d’almées qu’elle rencontre les valeurs de cette Féminité idéale :
La femme d’Orient […] ignore la modestie et la pudeur, ce véritable charme de la femme d’Occident, gracieux et doux prestige qui assure notre dignité et surtout notre place dans le monde22 !
Cette hiérarchisation, au sommet de laquelle se trouve la prostituée européenne, instaure une distinction d’ordre racial, fondée, certes, sur un degré supposé de civilisation, mais également sur la couleur de peau. Certains textes font état d’une différence entre les prostituées orientales elles-mêmes : en 1851, Charles de Pardieu (1811-1881) distingue les prostituées du Caire des « prostituées noires23 » originaires de Nubie24. Amable Régnault (1798-1897) montre, quant à lui, que ce rapport de domination détermine les relations que les prostituées orientales entretiennent entre elles. Il note que certaines courtisanes des grandes villes égyptiennes ont à leur service des Nubiennes :
Quelques-unes s’établissent dans des maisons spacieuses, et possèdent des esclaves noires, dont la prostitution augmente leur fortune25 […].
Le regard que portent les voyageurs sur les prostituées en Orient est, en outre, déterminé par les discours médicaux et politiques qui circulent en France à la même période. En 1836, le médecin Alexandre Parent-Duchâtelet fait paraître une étude intitulée De la prostitution dans la ville de Paris considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration, dans laquelle il considère, comme bon nombre de ses contemporains, que la prostitution est une menace morale, sociale, sanitaire et politique, qu’il faut réglementer. En ce début de xixe siècle, il mesure les risques de la contagion biologique et participe au développement d’une hantise généralisée, le péril vénérien, et d’une véritable syphilophobie. Dans les textes étudiés, les traces de ces préoccupations d’ordre sanitaire apparaissent dès le début du siècle. Sonnini parachève le portrait désacralisant qu’il livre des prostituées égyptiennes en précisant qu’elles sont
plus dégoûtantes encore, à raison des maux affreux et sans nombre dont elles sont infectées ; en un mot, réunissant toutes les horreurs du libertinage sans en posséder le moindre agrément26.
À partir des années 1830, le problème de la syphilis est ouvertement évoqué et toujours étroitement associé à la pratique de la prostitution. Jean-Jacques Rifaud (1786-1852) remarque, à propos des almées, que « le contact de ces femmes n’est pas sans inconvénients pour la santé ». Il constate également que
les maladies vénériennes deviennent plus rares à mesure qu’on s’écarte du Nil, et plus on avance vers le sud. En Nubie, elles sont inconnues ainsi que les prostituées27.
Quelques années plus tard, Joseph Michaud (1767-1839) notera pour sa part que
la syphilis a fait des progrès effrayants dans la Haute et Basse Égypte, et ses ravages se sont étendus jusque dans le désert28.
Aux antipodes de leurs successeurs qui, à l’instar de Flaubert et de Du Camp, auront des aventures d’une nuit avec des prostituées égyptiennes, ces voyageurs de la première moitié du siècle stigmatisent leur dépravation morale et leur manque d’hygiène.
Ce discours critique à l’égard de la prostitution a une double cible. En repoussant la figure de la prostituée aux marges de la morale et des normes sociales, il impose la centralité de son propre modèle idéologique, politique et social. Néanmoins, le jugement porté sur la figure de la prostituée est inclus dans une condamnation plus générale de la dépravation des peuples orientaux. Les danses réalisées par les courtisanes égyptiennes sont, selon Sonnini « très agréable[s] aux yeux d’un peuple grossier dépravé. » Il précise :
Il [le spectacle] attirait toujours de nombreux spectateurs ; et les femmes, à travers leurs jalousies, y prenaient grand plaisir, et y recevaient les leçons d’immoralité29.
Par leur comportement dépravé, les courtisanes-danseuses répondraient aux attentes, voire aux besoins, des Orientaux. Sonnini est surpris que les femmes puissent suivre ces « leçons d’immoralité » et que cette forme de prostitution soit visible de tous. En ce début de xixe siècle, son discours porte les germes des politiques réglementaristes, qui, dès les années 1830, préconiseront de contenir la prostitution dans un milieu clos, invisible des enfants, des filles et des femmes honnêtes. « [L]aides », « mal vêtues », « rebutantes par l’excès de leur effronterie », ou encore « dégoûtantes », ces « malheureuses » ne pourraient ainsi, selon lui, « avoir d’attraits qu’aux yeux de la brutalité30 ». Le peuple égyptien est caractérisé à partir de la notion de brutalité, qui est implicitement associée à la lubricité et à la sexualité. Dans un passage moins célèbre de ses notes de voyage, Flaubert offre à ses conducteurs les services d’une prostituée :
[…] j’ai régalé de Vénus nos trois bourriquiers moyennant la somme de soixante paras. […] Je n’oublierai jamais le mouvement brutal de mon vieil ânier s’abattant sur la fille, la prenant du bras droit, lui caressant les seins de la gauche et l’entraînant, le tout dans un même mouvement, avec ses grandes dents blanches qui riaient31.
Le voyageur décrit le déchaînement de l’un de ses âniers dans une scène épique, où, dépossédé de lui-même par son désir sexuel, celui-ci est ramené à un état primitif. Par une sorte de transfert, l’ânier, dont la fonction est de maîtriser les bêtes, est bestialisé. Le micro-récit de cette frénésie sexuelle est dramatisé par le portrait diabolisé de l’ânier aux « grandes dents blanches » et au rire démoniaque. Cette scène réactive le vieux fantasme européen de la surpuissance sexuelle du peuple32, tel qu’il apparaîtra de manière significative, à la fin du siècle, dans Germinal de Zola. Dans une des nombreuses scènes de bordel, l’écrivain naturaliste donne à voir la violence des pulsions sexuelles d’un ouvrier :
Mais il ne parla pas davantage. Il l’avait empoignée solidement, il la jetait sous le hangar. Et elle tomba à la renverse sur les vieux cordages, elle cessa de se défendre, subissant le mâle avant l’âge, avec cette soumission héréditaire, qui, dès l’enfance, culbutait en plein vent les filles de sa race. Ses bégaiements effrayés s’éteignirent, on n’entendit plus que le souffle ardent de l’homme33.
L’utilisation du terme de « race » (« filles de sa race ») est révélatrice de l’association, dès le début du siècle, du peuple à une forme d’altérité irréductible, qui le rapprocherait des races étrangères. Parent-Duchâtelet définit notamment les prostituées comme « un peuple à part », « différant autant par les mœurs, les goûts et les habitudes de la société de leurs compatriotes, que ceux-ci diffèrent des nations d’un autre hémisphère34 ». La prostitution est ainsi le support, dans les récits de voyage étudiés, du constat de la dépravation générale et de l’immoralité des mœurs orientales. Suzanne Voilquin est l’une des rares voyageuses à avoir pu assister, lors de son voyage en Égypte en 1834, à la très célèbre danse de l’abeille35. Confiant à son lecteur sa « répulsion pour toute cette impudeur dramatisée », elle se questionne sur la signification de ces pratiques immorales :
Cette exubérance de passions charnelles qui produit autour de moi cette joie si vraie ne tient-elle pas, me disais-je, à ce que ce peuple enfant n’a encore que des sensations et qu’il lui reste pour se compléter à progresser jusqu’aux sentiments36 ?
La scène observée amène la voyageuse à associer plus généralement l’Orient à la matérialité exubérante des « passions charnelles » et des « sensations », qu’elle oppose à la force suprasensible et platonique des « sentiments ». Ce constat lui permet d’introduire le motif très répandu du « peuple enfant », inspiré, au xixe siècle, par les théories sur le « retard » des peuples orientaux et musulmans. L’immaturité de l’Orient est associée à un retard dans l’évolution supposée linéaire de l’humanité (telle qu’elle est notamment pensée dans la philosophie romantique allemande à la même période) vers le progrès (intellectuel, moral et spirituel). Parce qu’elle est condamnée à n’exister que par son corps (et donc à n’accéder à aucune forme d’intelligence), mais également parce qu’elle n’adhère pas aux valeurs de la société globale, la figure de la prostituée est associée au stéréotype de l’immaturité au xixe siècle. Dans Les Vierges folles (1840), fervent plaidoyer contre la prostitution, Alphonse Esquiros (1812-1876) considère les prostituées comme une « classe de femmes qui perpétuent parmi nous l’enfance de la race humaine » et « qui sont demeurées […] dans l’état primitif de non-développement37 ». Dans l’imaginaire social du xixe siècle, on retrouve ainsi une circulation des mêmes stéréotypes connotant la marginalité (tout autant sociale que raciale).
L’enquête par les marges : l’Orient des prostituées
Le discours sur la prostitution qui circule dans le corpus viatique de la première moitié du xixe siècle a une portée marginalisante, qui, bien qu’elle puisse être associée à une forme de rejet profond, est une mise à distance de son objet. Animés par l’ambition de déconstruire certains vieux fantasmes sexuels ou engagés dans une sévère dénonciation morale, ces textes revendiquent un rapport « authentique » à la réalité orientale. Après avoir décrit, non sans euphémisme, la danse de l’abeille, Suzanne Voilquin conclut : « Ce fut la dernière excursion que je fis dans la vie privée de ce peuple38. » La prostitution, révélatrice des mœurs intimes qui régissent les rapports de sexe, ainsi que des désirs et angoisses collectifs, permet aux voyageurs de découvrir un système social, religieux et politique.
Dès leur arrivée en Égypte, la plupart des voyageurs sont confrontés à l’inaccessibilité des femmes : ils constatent que les mœurs et la religion musulmanes ont érigé en norme sociale et morale le retrait des femmes de la sphère publique39. Dans cette insoluble dialectique entre le voilement et le dévoilement, la présence et l’absence, celles qui sont visibles font exception par leur statut marginal de « femmes publiques40 ». En Égypte, les voyageurs constatent que les prostituées se distinguent des autres femmes car elles ne portent pas le voile. Selon Sonnini,
leur effronterie est d’autant plus remarquable dans ces pays, qu’elles y sont les seules femmes qui marchent le visage découvert et qui parlent aux hommes en public41 […].
On trouve, dans les Lettres sur l’Orient de Renoüard de Bussierre (1802-1865), une mention à peu près équivalente à propos d’une almée cairote : « […] elle n’était point voilée, ce qui passe ici pour le comble de l’impudence42. » Quelques pages plus tôt, le voyageur évoquait l’héritage antique de cette coutume : chez les Grecs et chez les Romains, « les seules courtisanes se permettaient de paraître sans ce vêtement43 [le voile]. » Cette visibilité, par laquelle elles contreviennent aux dogmes religieux, est une des premières formes de marginalité. L’absence du voile est en lui-même l’indicateur d’un statut social marginal au sein de la société égyptienne musulmane. Célibataires, ces prostituées exercent un métier et gagnent de l’argent. Des considérations financières apparaissent de temps à autre dans les textes et laissent percevoir, outre la vénalité des prostituées, que la prostitution, qui génère des revenus, est considérée en Égypte comme une profession à part entière. Les témoignages qui se veulent les plus « sociologiques » émettent des distinctions sociales entre les différentes prostituées. Selon Henri Gisquet (1792-1866), « il en existe pour tous les degrés de l’échelle sociale44 ». Celui-ci s’inscrit, en 1848, dans la tradition de ces voyageurs plus « avertis45 » ayant rétabli la distinction, souvent sous-estimée par les Européens, entre les oualem (almée au singulier) qui « occupent le premier rang dans cette caste », « ont acquis un peu de fortune » et sont « habillées comme les plus brillantes odalisques » et les gaouasys « de bas étage » qui exécutent des « danses lascives » dans les cafés, et dont les services sont payés au prix le plus bas46. Ce commerce fait l’objet d’une véritable juridiction que Michaud avait déjà décrit en ces termes quelques années plus tôt :
Les courtisanes qui les [les cafés] fréquentent sont inscrites sur les registres du fisc et paient un tribut ; elles ont une organisation et des règlements qui leur sont propres ; elles ont même dans plusieurs bourgs un quartier séparé comme à Fouah ; le bourg ou la ville où elles se trouvent en plus grand nombre, et qui est comme le quartier général de la prostitution, est Mehallet-el-kibir […] elles choisissent une matrone à laquelle elles obéissent, et qui les envoie par détachements dans les bourgs et villages du Delta47.
Michaud semble particulièrement surpris par le degré d’organisation sociale et l’agentivité des prostituées orientales qui, depuis l’occupation romaine en Égypte, sont enregistrées et taxées. Ces taxes attireront également l’attention d’Amable Regnault lors de son voyage en 1854, où il notera que la « taxe payée pour toutes ces classes réunies de prostituées, au Caire, s’élève à 800 bourses, qui équivalent à 4000 livres sterling ou 100 000 francs48 ». Ce mode de fonctionnement entre en opposition avec la victimisation (en particulier au pouvoir de la pègre) des prostituées dans les sociétés occidentales qui voient à peine se développer les politiques réglementaristes. Comme le montre le solide exposé de Michaud, le contrôle de la prostitution passe par la mise en place de « quartier[s] séparé[s] » à l’intérieur des villes, puis par le « détachement » de certaines prostituées dans des régions du pays. Les prostituées sont en effet chassées des grandes villes jusqu’à ce qu’en 1834 Méhémet Ali interdise la prostitution et la danse publiques féminines au Caire49. Il faudra attendre les années 1840 pour que les voyageurs européens rendent compte de cette nouvelle législation. Dans le chapitre III de son tableau de L’Égypte en 1845, Victor Schœlcher (1804-1893) expose ainsi la situation des almées :
Les courtisanes, qui ont toutes pour profession avouée celle de danseuses sous le nom d’almées, formaient il y a peu de temps encore, en Égypte, une corporation qui payait une grosse redevance au gouvernement. Le scandale public devint si criant avec le nombre toujours croissant des Européens employés et des voyageurs, que Méhémet fut obligé d’abandonner ce honteux tribut, et de prohiber les danses et le commerce des courtisanes50.
Dans une section intitulée « Les almées déportées à Esneh », ce dernier explique que les prostituées et danseuses sont envoyées en Haute-Égypte, tout particulièrement à Esneh (Esna, Esné dans les textes) et à Qéneh (Kenné ou Qena). Victor Schœlcher y exprime son incompréhension à l’égard de cette réglementation à « géométrie variable » de la prostitution :
Pourquoi une loi aussi morale est-elle localisée ? Les plus célèbres courtisanes ont été déportées en bloc à Esneh. Ce qui peut être mortel au Caire et à Alexandrie est-il donc sans danger à Esneh ? […] Qu’est-ce que donc que cette pudeur de grandes villes ? Chasser les prostituées des deux capitales pour les répandre au fond des provinces, c’est changer le mal de place et non pas le détruire ; c’est infecter dix endroits pour en purger un seul51.
Dans cette cartographie de la prostitution apparaissent d’autres villes, comme Tanta (Tentah ou Tantah dans les textes), dans le delta du Nil. Plusieurs voyageurs assistent aux festivités qui commémorent la naissance du Prophète de l’islam, organisées annuellement par la ville de Tanta. Michaud en donne la description suivante :
Je vous ai déjà parlé dans mes lettres de cette foire ou de cette fête de Tantah ; je vous ai parlé des femmes qui viennent demander au santon Bedaouy le don de la fécondité ; cette singulière dévotion a toujours amené à Tantah un très grand concours, et le libertinage n’a pas manqué de venir à la suite de la superstition. Les almées du Caire, celles de la Haute-Égypte, celles du Delta et de tous les rivages du Nil, accourent tous les ans dans la première quinzaine d’avril ; elles ont à leur suite des baladins, des chanteurs, des musiciens qui viennent égayer la multitude ; hommes et femmes se présentent dans la mosquée, font leur prière ou fatah devant le tombeau du santon ; puis ils se répandent devant les maisons de la ville, dans les cafés qui couvrent la plaine ; ils dressent partout des tentes, séjour des amusements et des joies profanes ; partout on voit des spectacles, des danses ; partout on entend le bruit du tambourin, le bruit des castagnettes et des voix qui sortent d’un abri de feuillage ou d’une tente de roseaux et qui crient aux passants, Talé, talé, venez, venez52.
La façon dont, dans ces festivités, la commémoration religieuse et la spiritualité ambiante (« santon », « don », « dévotion », « superstition ») côtoient le libertinage et les « joies profanes » surprend, voire choque le narrateur. Une trentaine d’années plus tard, la voyageuse féministe Olympe Audouard (1832-1890) remarque que
Tentah est peut-être la seule ville du monde où la prostitution s’étale en plein air librement et fièrement, où elle fête Vénus sans la moindre vergogne53.
Ces scènes paraissent aux voyageurs européens d’autant plus « scandaleuses » et « obscènes54 » qu’elles sont, selon eux, réalisées sous couvert du spirituel et du sacré. Ces festivités religieuses ont souvent été associées à la coutume très ancienne de la prostitution sacrée. La pratique de relations sexuelles dans le cadre d’un culte ou d’un rituel avait pour but d’honorer la déesse de la fertilité. Michaud mentionne bien que ces femmes sont venues réclamer le « don de la fécondité », mais il montre comment ces motifs superstitieux hérités de l’Antiquité sont devenus des prétextes à la pratique généralisée de la prostitution. Outre la confusion entre le sacré et le profane, entre l’héritage d’une tradition spirituelle et son dévoiement moral, il semble percevoir ces pratiques comme une forme d’intégration, et non de marginalisation de la prostitution dans les sociétés orientales. La réglementation et les pratiques de la prostitution en Orient entrent ainsi en contradiction avec un système d’exclusion à l’occidentale et laissent percevoir le regard critique du voyageur sur les institutions religieuses et politiques en Égypte. Parmi les effets les plus curieux de cette réglementation « à l’égyptienne » de la prostitution, les voyageurs mentionnent également les pratiques de jeunes travestis jouant le rôle de prostituées femmes en dansant dans les rues :
[…] la mesure [concernant les femmes] semble prise au profit d’une immoralité plus grande encore et plus affreuse.
Le voudra-t-on croire, en effet ? là où la prostitution des femmes est interdite, celle des hommes est tolérée ! Les khowals, qui servent un vice contre nature, trop répandu en Orient, exécutent à toute heure, dans les rues du Caire, identiquement les mêmes danses que les almées, et exercent la plus misérable partie de leur métier. […]
Et les admirateurs de Méhémet-Ali osent le louer d’avoir expulsé les almées de la capitale de l’Égypte55 ?
Le discours révolté de Victor Schœlcher sur les khowals est un lieu commun des textes viatiques de la période56. Il redouble la condamnation morale de la prostitution d’une hantise de l’homosexualité, qui semble tolérée de facto dans la société égyptienne. Voici une occasion supplémentaire de pointer du doigt, non seulement l’incompétence des dirigeants politiques, mais encore la grossièreté et l’immoralité généralisées des Orientaux.
Si les scènes de danse et de racolage dans les grandes villes égyptiennes permettaient aux voyageurs d’observer les courtisanes dans des lieux publics, à partir des années 1830 les récits de voyage témoignent du développement d’une prostitution clandestine et illégale, destinée aux étrangers. En 1798, Sonnini indiquait déjà que les voyageurs étaient les cibles des prostituées égyptiennes, qui en voulaient à leur bourse. Les textes des voyageurs qui ont pu observer de plus près le fonctionnement de cette prostitution clandestine offrent ainsi des témoignages précieux sur cette contre-société souterraine et informelle. Dans Le Nil, Maxime Du Camp explique que, dès son arrivée à Esné en mars 1850, une jeune fille est venue lui proposer les services de sa maîtresse :
Lorsqu’elle fut devant moi, elle découvrit un fort laid visage et me pria, au nom de sa maîtresse, d’aller le soir dans sa maison voir des almées qui feraient « des danses mêlées de chansons » comme eût dit Molière. J’acceptai. Sa maîtresse était une Arabe syrienne qui, après avoir été quelque temps la maîtresse d’Abbas-Pacha, fut un jour exilée à Esné. Elle se nommait Koutchouk-Hanem (petite rose), et donnait des soirées aux voyageurs qui la payaient grassement57.
Dans cette cartographie de la prostitution égyptienne, la prostitution clandestine introduit de nouveaux espaces marginaux, à l’intérieur même des villes : elle a lieu dans l’espace privé de la « maison », à l’abri des regards inquisiteurs. Elle se déroule également « le soir », dans l’intimité de la pénombre. Par la référence ironique à Molière, ainsi que par le portrait de Kuchiuk-Hanem (son statut d’ancienne « maîtresse » d’un homme puissant), Du Camp ne laisse pas vraiment planer le doute quant à l’intérêt premier de ces soirées destinées aux voyageurs. Payés « grassement », les services de la courtisane sont ainsi révélateurs de toute une économie souterraine. Si Du Camp est plus discret sur ses aventures sexuelles58, le récit des soirées passées dans les bordels orientaux que livre Flaubert dans ses notes de voyage est une réelle incursion dans l’univers de la prostitution clandestine. On retrouve, dans les épisodes de la soirée chez la Triestine59 et de la première nuit chez Kuchiuk-Hanem60, certaines constantes. Lors de la soirée chez la Triestine le narrateur insiste sur le cadre illégal et clandestin de la scène. Elle a lieu dans une « petite rue derrière l’hôtel d’Orient » (p. 86), dans un appartement dont la propriétaire a « une peur violente de la police » (p. 87). De la même façon, le narrateur insiste sur le cheminement labyrinthique qui permet d’accéder à la maison de Kuchiuk, qui est surveillée par « des gardes ou maquereaux » (p. 135). La présence de ces maquereaux, tout comme celle de la Triestine, qui, décrite comme une « petite femme, blonde, rougeaude » (p. 87), a tous les airs d’une maquerelle levantine montre que la prostitution clandestine est un circuit bien organisé. Elle semble s’être établie, dans les grandes villes, pour répondre aux besoins des voyageurs européens. Flaubert devine chez la Triestine que l’une des prostituées « est sans doute au Caire la maîtresse de quelque Européen » (p. 87). Chez Kuchiuk-Hanem, Joseph lui montre « la grande maison de la fameuse Safiah » (p. 132). Outre le rapport très personnel, voire existentiel, que Flaubert entretient avec la prostitution, les scènes de bordel et la rencontre de prostituées semblent offrir au voyageur un accès privilégié à cette féminité orientale qui lui échappe par ailleurs. Lors de la soirée chez la Triestine, il note : « Effet nouveau pour moi de ce déshabillé – la femme musulmane est barricadée, les pantalons noués et sans ouverture empêchent tout badinage de main » (p. 87). L’expérience de la prostitution est un moyen d’éprouver l’Orient dans ce qu’il a de plus intime.
Entre le début du xixe siècle et les années 1860, la figure de la prostituée égyptienne, sans cesse observée et jugée à travers le prisme des discours sociaux contemporains, suscite des réactions contradictoires, du dégoût à la fascination, du rejet à la curiosité. Partageant le même trottoir que les gueux, mendiants et autres marginaux, la prostituée fait partie de cet autre monde, envers maudit du petit monde policé et aseptisé de la bourgeoisie. À la marge de la marge, les prostituées rencontrées en Égypte font, de surcroît, l’objet d’un discours racialisé. Allégories de la luxure et de l’avarice, elles portent enfin, pour certains voyageurs, le lourd fardeau de signifier la dépravation morale de tout un peuple. Le discours sur la prostitution est ainsi, dans certains textes, le support d’une critique plus profonde des institutions musulmanes et des mœurs orientales.
S’offrant seules aux regards curieux et avides de nouveauté des voyageurs, ces prostituées sont, au fond, chargées d’incarner un monde. Au discours moral se substitue de temps à autre l’exposé « sociologique », compte-rendu de la découverte d’une société en pleine mutation. La curiosité culturelle est parfois la face visible d’une fascination plus profonde qui amène à franchir les frontières du public et du légal. Le voyageur se meut en enquêteur intrépide, explorateur des bas-fonds61 de la prostitution clandestine. La prostituée orientale devient une figure sociale digne d’attention. Pourtant, seule Kuchiuk-Hânem sera auréolée de cette profondeur psychologique et de ce potentiel sémiotique qu’atteindront certaines de ses homologues françaises dans la seconde moitié du siècle62. Les autres demeurent, pour la plupart, un mystère que les voyageurs cherchent, ou pas, à élucider :
D’où sortent ces femmes ? que deviennent-elles sur leurs vieux jours ? Profonds mystères que je ne me chargerais pas d’éclaircir ? Elles existaient, elles existent, elles existeront probablement toujours, en vertu de cette raison, que les hommes seront toujours les mêmes. Je laisse à votre sagacité parisienne le soin de me comprendre63.