Les réflexions que j’aimerais ici partager (et peut-être aussi la rubrique qu’elles inaugurent) trouvent leur origine dans le constat suivant : la littérature de voyage, bien qu’elle ait souvent nourri des propositions théoriques de grande portée – à commencer par celles d’Edward Saïd, de François Hartog ou de Tzvetan Todorov –, a relativement peu fait l’objet, en tant que telle, d’un véritable effort de théorisation1. Sans doute peut-on imputer une part de ce déficit aux conditions d’émergence d’un champ disciplinaire conquis de haute lutte à compter des années 1980 : si l’étude des corpus viatiques s’est progressivement imposée en réaction à la clôture structuraliste, aux conceptions intransitives ou autotéliques de la littérature, ce n’était pas, on le comprend bien, pour enfermer ses objets dans des carcans typologiques ou définitionnels. Aussi les esprits qu’elle attirait à soi avaient-ils toutes les chances de privilégier le foisonnement de l’enquête érudite, l’exploration des expériences singulières, et par conséquent de se montrer réticents devant le geste de réduction du divers impliqué par toute modélisation. Cela dit, l’histoire de la discipline et les préférences de son personnel ne sauraient tout expliquer : il semble que quelque chose, au cœur même de la littérature de voyage, oppose une résistance profonde, sur le plan épistémologique, à certaines formes de théorisation. L’hybridité ou les frontières mal définies, par exemple, sont des écueils où les esprits catégoriels et catégoriques font généralement naufrage, et il y aurait matière à rédiger (en pastichant un genre maritime inventé au xvie siècle par les Portugais) une petite história trágico-teórica de ces déconvenues.
Je voudrais toutefois mettre l’accent sur un autre élément de résistance en proposant quelques considérations sur les défis que lance à la pensée théorique la dimension référentielle du texte de voyage. J’essaierai plus précisément de montrer qu’il existe trois types de rapports possibles à cette dimension, lesquels s’organisent de façon hiérarchique – on gagne en compréhension en passant de l’un à l’autre –, mais selon une structure paradoxale que les lecteurs de Pascal connaissent bien : celle qui est mise au jour dans la liasse intitulée « Raison des effets », lorsque se trouvent réhabilitées certaines opinions populaires qui, pour n’être pas raisonnées, ne peuvent être jugées irrationnelles qu’à un premier niveau de compréhension (celui de la demi-science)2. Il sera donc ici question de lectures naïves, de lectures demi-habiles, et d’une invitation à dépasser ces dernières pour récupérer, mais de façon si possible éclairée, quelque chose de la justesse des premières. On ne se trompera pas en lisant les remarques qui suivent comme un petit manifeste en faveur d’une lecture non formaliste, mais profondément attentive aux formes et à leurs effets, de ce qu’il est convenu d’appeler la littérature viatique.
Avant de m’attacher à remplir ce programme, je me dois de rappeler brièvement la place centrale qu’occupe la dimension référentielle, au sens strict du terme, dans la définition même du genre3. Plusieurs travaux désormais classiques ont souligné les problèmes de caractérisation générique posés par la littérature de voyage : qu’on la juge amorphe ou au contraire polymorphe (ce qui revient un peu au même), elle n’obéit en effet à aucun critère formel spécifique susceptible de revêtir une fonction définitoire4. Si une telle latitude sur le plan des formes la rapproche à bien des égards du genre romanesque, une forte contrainte thématique inscrite dans sa désignation même semble l’en distinguer : pour qu’une œuvre appartienne à la littérature viatique, il est indispensable – qu’on me pardonne la tautologie – qu’elle s’attache de façon privilégiée à rendre compte d’un voyage. Mais cette seule exigence ne saurait suffire à poser une définition, sans quoi l’Odyssée ou Robinson Crusoé devraient figurer dans le même ensemble que le Journal de Christophe Colomb ou L’Usage du monde. D’où la nécessité de recourir à des critères extratextuels (péritexte, connaissances géographiques et historiques, etc.) pour distinguer les voyages réels des voyages fictifs et parvenir à une définition au moins satisfaisante du genre, dont on dira qu’il est constitué de l’ensemble des textes référentiels rendant compte en priorité d’un déplacement dans l’espace5.
Une telle définition est de nature à susciter au moins deux inquiétudes théoriques, la première engageant la notion de dominante, la seconde celle de référence (ou de réalité). Il peut tout d’abord sembler étrange d’introduire dans une définition générique un critère graduel et vaguement subjectif comme celui exprimé ici à travers le syntagme « en priorité ». Cette précision quelque peu imprécise est toutefois indispensable dès lors qu’on entend différencier, par exemple, un texte autobiographique intégrant l’évocation de certains déplacements (disons Les Confessions de Rousseau) et un texte centré sur l’évocation d’un voyage (ou de plusieurs)6. On peut évidemment imaginer certains cas limites et indécidables, comme l’autobiographie d’un grand voyageur : le lecteur pourrait alors hésiter (ou alterner) entre l’activation du pacte autobiographique et celle de ce qu’il convient d’appeler, avec Réal Ouellet s’inspirant de Philippe Lejeune, le pacte viatique7. Cette notion de pacte nous amène à la seconde inquiétude théorique, qui touche aux critères de distinction, souvent incertains et historiquement variables, entre voyages réels et voyages fictifs. Pour le dire brièvement, la porosité bien connue entre les deux ensembles (circulation de thèmes et de procédés8, et même passage de certains textes de l’un à l’autre9) ne constitue pas une objection contre la distinction en soi : ce qui compte, c’est qu’un même lecteur ne puisse pas, devant une même œuvre, activer à la fois un pacte romanesque et un pacte viatique, un pacte fictionnel et un pacte référentiel, et que le second entraîne une exigence de factualité par rapport à laquelle tout écart pourra être considéré comme un mensonge ou une rêverie10. La violation (ou la subversion) du pacte viatique confirme plutôt qu’elle n’abolit son principe même.
Si schématique soit-il, ce rappel permet de mesurer à quel point la question de la référence n’a rien ici de périphérique ou de secondaire. Elle touche à la définition des objets qui nous occupent et c’est pourquoi l’examen des différentes positions adoptées à son endroit s’articule aux fondements mêmes d’une herméneutique du texte viatique.
Lectures candides (et optimistes)
Une première manière, indiscutablement heureuse, d’aborder la dimension référentielle d’un texte viatique est de se laisser séduire par elle. De succomber pleinement à l’illusion mimétique et de voyager ainsi par procuration dans l’espace et bien souvent aussi dans le temps. Ce rapport non problématique (et, en ce sens, à la fois candide et optimiste) est sans conteste le plus universellement partagé : c’est lui qui explique le succès du genre auprès d’un large public, l’effervescence éditoriale ou l’attrait de tel festival. Il serait parfaitement injuste d’ironiser sur le processus d’identification que suppose ce genre de lecture, sur le frisson d’aventure ou d’émerveillement qu’il procure : c’est de là que vient l’attirance pour la littérature de voyage, même chez les spécialistes, et leur motivation à aborder de nouvelles œuvres, consacrées à de nouveaux espaces, n’est jamais sans lien avec le bonheur premier d’une telle « découverte » du monde. Reste que ce type de rapport à la visée référentielle de la littérature de voyage relève avant toute chose d’une lecture d’agrément, antérieure à toute relation critique.
On notera cependant que certaines lectures scientifiques à vocation étroitement documentaire, si elles s’affranchissent bien d’un simple rapport d’identification, ne s’élèvent guère au-dessus d’un optimisme candide quant à la capacité des textes viatiques à refléter le monde. Au même titre que la lecture d’agrément, la lecture historienne (ou ethnohistorienne), à tout le moins dans ses versions indigentes, ignore les stratégies rhétoriques ou intertextuelles, les ruses des formes et du sens qui, sous couvert de simplicité du style, caractérisent l’écriture du voyage des origines à nos jours. Autres ambitions, même candeur, qui consiste en somme à ignorer toute épaisseur textuelle.
Lectures suspicieuses (et formalistes)
L’émergence d’une lecture critique ne peut bien entendu se faire qu’à travers une rupture suspicieuse avec cette simplicité première. Il s’agit de mettre le texte à distance pour l’objectiver en tant que tel, c’est-à-dire en tant qu’artefact, en tant qu’élaboration, et de réfléchir aux mécanismes qu’il met en jeu plutôt que de se contenter de subir leurs effets. Apparaissent alors différents procédés qui permettent au texte viatique de fonctionner : déclarations liminaires, alternance maîtrisée de l’aventure (récit), de l’inventaire (description) et du commentaire, héroïsation ou non du voyageur (figuration de soi), autopsie, analogies, stratégies intertextuelles, mise en scène de la langue de l’autre, etc. La liste est évidemment longue, et ses éléments extrêmement divers, mais ils n’en concourent pas moins à imposer une seule et même conception de l’objet appréhendé : le texte de voyage devient une construction qui doit être analysée au moyen des outils traditionnellement mobilisés (et élaborés) pour l’étude des textes fictionnels. Cette perspective est incontestablement précieuse en ce qu’elle fait apparaître, au-delà de leur vocation documentaire, la dimension rhétorique des relations de voyage, et en ce qu’elle offre, au sujet de leurs différents dispositifs (énonciatifs, narratifs, etc.), des possibilités de conceptualisation et de modélisation tout à fait stimulantes. Lorsqu’on enseigne la littérature de voyage, c’est d’abord à ce plan, me semble-t-il, que l’on doit s’efforcer de faire accéder les étudiantes et les étudiants. Il y a là une étape nécessaire, dont on ne peut faire l’économie si l’on entend s’affranchir d’une lecture candide des textes viatiques.
Mais il faut souligner que l’émergence de cette perspective critique s’accompagne en général d’une tendance à passer sous silence la dimension référentielle de la littérature de voyage. En même temps que l’on s’attache aux dispositifs formels du texte viatique, qu’on lui applique avec soin les méthodes habituelles de l’analyse littéraire, on néglige le fait qu’il ne se situe en aucune façon sur le même plan que les œuvres de fiction. Ainsi faisant, les lectures formalistes (et leurs prolongements théoriques) laissent échapper la spécificité d’un rapport au monde dont elles ne savent trop quoi faire, mais dont on a pourtant vu qu’il est constitutif du genre. Problème majeur, on en conviendra, et qui fait clairement apparaître les limites des approches formelles, tout élégantes et stimulantes qu’elles soient. On perçoit toujours quelque chose comme un embarras référentiel dans les lectures les plus fines de la littérature de voyage.
La manifestation la plus spectaculaire de cet embarras s’observe dans ce qui est pour moi le livre le plus théoriquement ambitieux (et conceptuellement exigeant) jamais consacré à la littérature viatique : Le Voyage, le monde et la bibliothèque, de Christine Montalbetti11. Appliquant aux grands récits de voyage du xixe siècle français les anciens arguments des sophistes grecs à propos de la disjonction entre le discours et le monde, l’autrice pose que le projet référentiel de la littérature viatique se heurte à trois obstacles majeurs : 1. l’hétérogénéité du langage et du monde (comment représenter des réalités visuelles au moyen d’outils discursifs ?) ; 2. l’hétérogénéité de la langue et du monde (comment exprimer une réalité exotique avec un lexique endotique ?) ; 3. l’hétérogénéité du texte et du monde (comment faire entrer le désordre proliférant du réel dans les structures clairement délimitées d’une construction textuelle ?). Elle montre ensuite avec finesse que le voyageur n’ignore pas ces obstacles, mais ne cesse au contraire d’en faire état et, surtout, tente de les surmonter soit en recourant à la médiation de la bibliothèque, soit au moyen de solutions tantôt métaphoriques, tantôt littérales, mais toujours approximatives et ponctuelles : le recours à la métaphore du livre du monde ou la reproduction d’inscriptions, par exemple, permettent de conjurer la première des trois hétérogénéités mentionnées, de façon toutefois circonscrite et provisoire. Car si l’on suit jusque dans leurs ultimes conséquences les propositions de Montalbetti, le problème de l’hétéronomie du texte viatique et des réalités qu’il s’efforce de représenter est en réalité impossible à résoudre. La référence ne peut théoriquement pas fonctionner, de sorte que le texte viatique, condamné à l’accumulation des médiations ou au ressassement des apories, finira toujours par manquer sa cible ; il demeurera comme coupé du monde, et la Constantinople de Gautier ne sera jamais que l’homonyme de la ville réelle.
Plutôt que de répondre une nouvelle fois à cette thèse – qui néglige les innombrables moments non problématiques des récits de voyage étudiés et se dissipe comme un beau mirage du seul fait, empiriquement vérifiable, que la lecture de Gautier permette de distinguer au premier coup d’œil Sainte-Sophie de la Mosquée bleue12 –, j’aimerais ici la désigner pour ce qu’elle est : une tentative extrême de liquidation de la référence et de ses effets par une certaine pensée théorique. Ce que montre le livre de Montalbetti, si brillant et suggestif soit-il, c’est que la dimension référentielle inhérente au texte viatique embarrasse profondément les théories formalistes, et qu’elles préfèrent essayer coûte que coûte de s’en débarrasser (quitte à tendre vers la suppression de toute distinction entre textes référentiels et textes fictionnels13) plutôt que de reconnaître l’inadéquation de leur méthode à certaines caractéristiques de leur objet. Il y a sans conteste de l’habilité dans ces tours de force conceptuels qui se piquent de déjouer les fausses évidences, mais certainement pas en proportion suffisante pour nous permettre d’appréhender le texte viatique dans toute la puissance de ses effets.
Vers une lecture habile ?
Je n’ai aucunement la prétention de proposer ici un modèle herméneutique achevé, une théorie du texte viatique qui pourrait faire référence ou autorité. Mais je crois tout de même pouvoir énoncer certains critères qu’une lecture habile (pour reprendre le schème pascalien) aura à cœur de respecter, et mettre à disposition certains instruments (ou suggérer certaines relectures) dont elle pourra faire usage. Il me semble possible de ramener à trois grands principes les exigences qu’une herméneutique respectueuse de la spécificité du texte viatique se devra de satisfaire.
1. Il faudra tout d’abord, on l’aura compris, qu’elle renoue pleinement avec le principe de référence. Non pour en subir naïvement les effets, mais pour les constituer en objets de réflexion et pour comprendre les mécanismes, textuels et extratextuels, qui les rendent possibles14. Les acquis des approches formalistes pourront certainement être récupérés dans une telle perspective, mais à condition qu’ils soient mis au service d’une compréhension fine des rapports que le discours viatique entretient avec le monde comme il va. Toute élaboration textuelle sera ainsi appréhendée comme une restitution, comme la traduction d’une expérience. Une manière de translation du monde.
2. L’idée selon laquelle le texte de voyage communique effectivement quelque chose à propos du monde arpenté implique le fonctionnement de la chaîne minimale suivante : monde – conscience du voyageur – texte – conscience du lecteur. Peu importe ici que cette chaîne puisse s’enrichir ou se compliquer d’autres médiations (truchement, ghost-writer, bibliothèque, etc.) : ce qui compte, c’est qu’elle induit nécessairement une conception vectorielle des configurations textuelles. Dans cette optique, les formes apparaissent en effet traversées de forces qu’elles canalisent pour mieux les véhiculer. Les structures se révèlent plus dynamiques, ou dynamisées, que ne le laissait entrevoir l’approche formaliste. Pour rendre compte de ce quelque chose qui passe et produit des effets à travers des milieux différents, je ne vois pas de meilleur modèle que celui de la vibration. Le principe de vibration prolonge et précise le principe de référence en ce qu’il oblige à se défaire d’une conception statique des formes pour prêter attention aux forces qu’elles parviennent à transmettre et aux modalités de cette transmission. Les esprits les mieux tournés y verront la marque d’une conscience New Age (good vibes !) en quête de communication ultime avec un monde en surchauffe (bad vibes !) : pourquoi pas, mais le concept me vient surtout de certains textes de l’École de Genève, où il apparaît çà et là, plus ou moins discrètement, comme dans ce commentaire où Georges Poulet ressaisit de façon lumineuse la démarche critique propre à Marcel Raymond :
La tâche du critique est donc toute tracée. En deçà du fouillis inextricable que représente l’amas des expériences humaines, elle consiste à se reporter à une expérience première et à la faire revivre en soi, à la faire vibrer de nouveau selon son timbre particulier, telle qu’elle fut expérimentée par une conscience15.
Faire vibrer de nouveau, selon son timbre particulier, l’expérience première d’un écrivain. En ce qu’elle a toujours conjugué attention aux formes et rejet du formalisme, et bien entendu en ce qu’elle n’a jamais cessé de s’interroger sur la nature du geste critique, l’École de Genève me paraît fournir de nombreux outils ou modèles transposables à la lecture du texte viatique.
3. Ce qui nous amène à un dernier principe, lequel procède de la transposition à la littérature viatique de ce que je crois pouvoir appeler une « conception genevoise » de la relation critique. Malgré leurs différences parfois importantes, de grandes figures comme Marcel Raymond, Albert Béguin, Georges Poulet et (jusqu’à un certain point) Jean Starobinski envisagent l’expérience critique comme une rencontre, à travers les formes et leur signification, avec la conscience de l’écrivain16. Or, cette conception me semble gagner en force et en pertinence dans le cas d’une littérature qui se présente elle-même comme la restitution d’une rencontre, avec le monde ou avec différentes formes d’altérité. La lecture habile devrait pleinement intégrer ce principe de rencontre : elle devrait toujours se penser et se déployer comme la rencontre d’une rencontre, comme une rencontre au second degré, avec tout ce que cela implique en termes d’homologies, de jeux spéculaires, pour ainsi dire de plis. En ce sens, la critique de la littérature de voyage a particulièrement vocation à reproduire ou à refléter, mais en les transposant bien sûr à un autre plan, les propriétés de son objet.
Un voyageur part à la rencontre du monde, il en expérimente les beautés, les singularités, les difficultés, et il tente de restituer cette expérience par le discours, à travers donc des formes, qui en communiquent quelque chose à la conscience du lecteur, la font vibrer en lui. Tel est en somme le modèle référentiel dont une lecture habile se devra de rendre compte, en précisant à chaque fois ses modalités de fonctionnement, ses spécificités rhétoriques ou esthétiques, les qualités aussi qu’il requiert de la part du voyageur comme du lecteur.
On s’apercevra alors que ces qualités sont parfois étrangement semblables chez l’un et l’autre. Que par exemple l’« exercice de disparition », le dépouillement ascétique qui caractérise l’art de voyager et d’écrire de Nicolas Bouvier17, n’est pas sans lien avec l’effacement devant les œuvres littéraires que prônait Marcel Raymond, qui fut son professeur à l’Université de Genève18. Témoin cet extrait d’une conférence prononcée le 4 décembre 1947, à laquelle Bouvier, qui entamait alors ses études universitaires, a tout à fait pu assister :
Il s’agit donc en premier lieu, pour le lecteur, de se dépouiller de tout ce qui n’est pas lui-même, d’interrompre le jeu de l’amour-propre et les mouvements de l’affectivité, liés le plus souvent au souvenir ou au projet d’une activité sociale.
Par une sorte d’ascèse, il s’agit d’entrer dans un état de réceptivité profonde où l’être se sensibilise à l’extrême, puis de céder peu à peu à une sympathie pénétrante19.
Dans le chapitre où il convoque quelques-unes de ces lignes, Georges Poulet insiste à juste titre sur la parenté qui peut exister entre cette démarche critique et celle du consentement mystique « à ne plus être soi20 ». Et sans doute y a-t-il, dans les propositions qui sont ici les miennes, quelque chose de l’ordre d’une confiance un peu plus qu’étroitement rationnelle en la possibilité d’atteindre un état de pleine disponibilité, de ressentir les vibrations du monde par le biais de la littérature de voyage.
Mystique sans Dieu ? Peut-être. Cela vaudra toujours mieux qu’une néo-scolastique sans âme.