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Comptes rendus

Danièle Méaux, Géo-photographies : une approche renouvelée des territoires

Trézélan, Filigranes Éditions, 2015, 176 pages – ISBN : 978-2-35046-358-2
Jordi Ballesta
Référence(s) :

Danièle Méaux, Géo-photographies : une approche renouvelée des territoires, Trézélan, Filigranes Éditions, 2015, 176 pages – ISBN : 978-2-35046-358-2

Texte intégral

1Après la parution en 2009 de son livre Voyages de photographes, puis la direction, pour partie partagée, des ouvrages Le Paysage au rythme du voyage, en 2011, Paysages en devenir, en 2012, Protocole & photographie contemporaine, en 2013, au sein duquel s’insère son article Géo/photo/graphes, Danièle Méaux publie Géo-photographies : une approche renouvelée des territoires. Si cet ouvrage vient synthétiser, peut-être parachever, un cycle de plusieurs années de recherche personnelle, Géo-photographies participe également de l’ouverture d’un champ de questionnements, au croisement, d’une part, des études spatiales, qu’elles soient proprement géographiques ou architecturales, plus étroitement urbanistiques, paysagères ou environnementales, et d’autre part, des études visuelles, qu’elles procèdent de l’esthétique ou de l’histoire de l’art et des techniques. Bien que faisant suite à un nombre limité de thèses et d’articles, d’ouvrages et de revues cultivant ce croisement, Géo-photographies constitue sans doute le premier livre, du moins dans la littérature française, qui affirme l’existence, encore implicite, d’un art tout autant géographique que photographique, mais aussi d’une géographie non aérienne, dont les savoirs ressortent substantiellement de la photographie.

2De fait, le parcours que Danièle Méaux a effectué, de la photographie paysagère à la géographie photographique, n’a été que rarement accompli. Hormis quelques exceptions, la photographie paysagère, comme genre photographique, n’avait pas été encore envisagée comme l’un des versants d’une géographie photographique, dont les attaches scientifiques sont prononcées et dont les images ne viennent pas illustrer des thèses par ailleurs développées. Tandis qu’en provenance de la géographie, la curiosité pour la photographie contemporaine est d’ordinaire mesurée, pour ce qui est de l’histoire de l’art et spécifiquement de la photographie, la géographie relève le plus souvent d’un domaine étranger et qui l’est d’autant plus quand sa connexité avec le land art, les arts de la marche et de la carte n’est pas appréciée. Certes, en France, la Mission photographique de la Datar, de 1983 à 1989, et l’Observatoire photographique du paysage, depuis 1991, ont conduit à associer des photographes, des aménageurs et accessoirement des géographes, tels Roger Brunet et Augustin Berque, mais dans les publications consacrées à ces projets, l’analyse des paysages, que les photographes ont imagés, et des territoires, qu’ils ont arpentés, n’a pas conduit à concevoir ce qu’est une géo-photographie.

3De même, si outre-Atlantique et dès le milieu des années soixante-dix, l’exposition New Topographics fut au fondement d’une réflexion sur la photographie comme mode de documentation des manières d’habiter, de bâtir et d’aménager, les conjugaisons entre géo et photo graphies n’y furent pas explicitement abordées. La topo- fut privilégiée à la géo-graphie et fut entendue comme le pan plus particulièrement documentaire de l’art paysager. En revanche, si le sillon tracé par Danièle Méaux constitue l’un des premiers actes théoriques de la géo-photographie, il est notable que les recherches sur la figuration architecturale donnent lieu, depuis plusieurs années, à des travaux relevant aussi bien des études photographiques que de l’histoire de l’architecture. Pour ne citer que l’exemple le plus emblématique, l’ouvrage Learning from Las Vegas de Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour est l’objet de nombreuses recherches, dont certaines permettent d’identifier un art de l’enquête proprement photo-architectural. Il est, du reste, notable que cet art, à la convergence de deux écritures, développé par des architectes le pratiquant à des fins de notation et de documentation, n’incombe pas au genre de la photographie d’architecture, dont la fonction est volontiers illustrative.

4À la différence de ces enquêtes photo-architecturales, il n’existe pas encore de travaux géographiques qui soient parallèlement reconnus comme parties prenantes de l’histoire de l’art photographique. En raison de cette absence, la géo-photographie définie par Danièle Méaux aurait difficilement pu faire place aux recherches photographiques des géographes, alors qu’eux-mêmes, d’ailleurs, n’ont pas exploré leurs pratiques afférentes. Ainsi, archiviste incontournable des formes urbaines européennes, Gabriele Basilico fut tout d’abord formé à l’architecture et continua ensuite à s’inscrire dans cette même discipline. Également architecte, Alex MacLean contribue foncièrement à la connaissance géographique du monde, mais la géo-photographie telle que la définit Danièle Méaux ne procède aucunement du regard aérien et d’une prédilection pour la grande échelle. L’ancrage de terrain et l’engagement physique au sein des phénomènes photographiés y sont autrement privilégiés. En outre, les géo-photographies analysées proviennent d’auteurs qui, sans doute pour la plupart, pensent leur œuvre en se référant aux notions de paysage et de territoire, plutôt qu’en mobilisant celle de géographie. Géo-photographies ou photo-géographies, l’ordre des termes peut faire sens, selon que la description de la Terre ou le procédé de captation est tout d’abord considéré. Introduisant la géo-photographie par une référence à la Terre, Danièle Méaux a manifestement voulu signifier que les œuvres étudiées appartiennent bel et bien à la géographie, comme science et comme art, de par les phénomènes qu’elles interrogent, les connaissances qu’elles sont susceptibles de véhiculer, les savoir-faire sur lesquelles elles reposent et l’expérience du monde qu’elles génèrent. En ce sens, Danièle Méaux ne convie pas le lecteur à analyser ces œuvres selon les optiques uniques de l’esthétique, de l’histoire ou des sciences de l’art ; au contraire, elle les projette au sein d’une discipline extérieure, dont la conscience des ancrages artistiques demeure pourtant faible. Géo-photographies : une approche renouvelée des territoires peut ainsi être appréciée comme une proposition de mise en partage destinée aux géographes, qui, s’ils l’approuvaient, pourraient être enclins à se tourner davantage vers la photographie, non pas aérienne mais pieds à terre, pour, in fine, en faire une de leurs écritures de recherche.

5Quoi qu’il en soit, Danièle Méaux signifie dès le sommaire et l’introduction de son ouvrage son ouverture à la géographie. Selon elle, un « véritable tropisme géographique se manifeste chez les photographes », lesquels se focalisent sur « la manière dont les hommes habitent et forgent l’espace », questionnent « les transformations significatives du territoire » et les symptômes émanant « des changements géopolitiques ». La géo-photographie conduit à « l’auscultation de sites » ; elle constitue un « laboratoire de production de connaissances ». Ses « images invitent à une réflexion sur l’aménagement » ; leurs auteurs « mettent en évidence la discontinuité, l’hétérogénéité et la progression ininterrompue du bâti dispersé »… Pareillement, « transects », « aménagement », « syntagmes paysagers », « habitat en archipel », « espaces véhiculaires », « labilité des frontières » sont autant de notions qui balisent les chapitres et qui, pour nombre d’entre elles, auraient pu être employées dans le cadre d’un ouvrage strictement géographique. Amenant véritablement à lire les travaux de géo-photographes, tels ceux de John Davies à Clermont-Ferrand, de François Deladerrière en pays de Savoie et niçois, de Laurent Malone et Dennis Adams à New York, de Benoît Grimbert dans le Grand Londres ou de Laurent Gueneau à Saint-Étienne, Danièle Méaux permet également d’appréhender ce qu’ils donnent à voir, à questionner et à documenter, mais aussi en quoi ils procèdent d’une relation spatiale développée in situ, faite de modes d’expérimentation et de captation régulés, d’investigations par la marche ou par d’autres moyens de locomotion, d’imprégnations lentes, de traversées, d’itinérances et de retour dans le sillage. Les géo-photographies se lisent au travers d’images, mais leur amplitude outrepasse les domaines de la réception et de l’écriture visuelles. Elles ressortissent à un mode d’apprentissage empirique du monde, par la présence, le déplacement et plus largement l’expérience spatiale : sujet que John Brinckerhoff Jackson, Jean-Marc Besse, Michel de Certeau et Olivier Lugon, parmi les auteurs cités, ont investi et dont Danièle Méaux vient ici mobiliser les écrits.

6Certes, à mesure de l’intérêt et de la curiosité de chacun pour la géo-photographie, que cette notion soit venue auparavant ou non à l’esprit, l’ouvrage de Danièle Méaux peut laisser poindre des limites et, au-delà de son contenu, inviter à s’informer davantage sur les œuvres et problématiques qui n’y sont que brièvement décrites. Ainsi, les géo-photographies que Danièle Méaux identifie sont avant tout hexagonales. En dehors de Walking the High Line de John Sternfeld, en moindre mesure de British Landscape de John Davies et de plus courtes incursions extra-frontalières, la quasi-totalité des travaux cités et analysés ont été produits en France ou émanent d’auteurs français. Tandis que Ruhr de Joachim Brohm et Unsere Landschaften de Martin Manz et Reinhard Matz sont fugacement mentionnés, le lecteur, amateur potentiel de géo-photographie, pourrait souhaiter voir questionné plus avant le caractère précurseur de ces séries, du fait, entre autres, de leur attention aux topographies ordinaires et quotidiennement pratiquées. En un paragraphe, Scattered City de Gabriele Basilico est si rapidement exposé que les ressorts « véhiculaires » qui animent cet ouvrage paraissent ne pas être suffisamment expliqués. D’ailleurs, il est notable que ces attentions et façons de photographier l’ordinaire et le véhiculaire furent certainement plus tardives à l’intérieur des frontières françaises, ou du moins, que leur affirmation s’est avérée moins saillante. De même, si elle est maintes fois prise en compte, la pluri-spatialité des travaux étudiés ne permet peut-être pas assez de constater l’existence d’images géo-photographiques scindées ou presque dissociées du genre paysager. Une lecture plus critique aurait sans doute mené à reconnaître ce qui s’inscrit stricto sensu dans l’art du paysage et ce qui ne participe pas d’une géo-photographie s’appliquant à comprendre le monde, les manières d’habiter, de bâtir et d’aménager qui y sont déployées.

7Pour autant, ces limites sont inhérentes à toute recherche et sont également concomitantes aux qualités de cet ouvrage. Avec Géo-photographies : une approche renouvelée des territoires, Danièle Méaux ne s’attache pas à canaliser et à clore ; elle s’applique à ouvrir un champ d’investigation, aussi bien analytique que pratique et tout autant à destination des géographes, des photographes, des historiens de l’art que des philosophes de l’esthétique. Le fait que l’essentiel des travaux analysés soit articulé à l’écosystème photographique français s’expliquerait pareillement par sa volonté de connaître, directement ou quasiment, soit les terrains photographiés, soit les auteurs qui les ont arpentés. En ce sens, Danièle Méaux semble avoir installé un rapport de proximité avec la plupart des géo-photographies qu’elle a intégrées à son ouvrage, loin de toute observation à distance et de tout attrait pour des œuvres qui l’auraient dépaysée. In fine, Géo-photographies peut se lire comme un essai sur la photographie, comme une proposition de synergie pluridisciplinaire, mais aussi comme un ouvrage de géographie dont la qualité de l’impression et de l’iconographie serait du reste rare.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jordi Ballesta, « Danièle Méaux, Géo-photographies : une approche renouvelée des territoires »Viatica [En ligne], 3 | 2016, mis en ligne le 01 mars 2016, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/583 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatica.583

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Auteur

Jordi Ballesta

CIEREC, Université Jean Monnet

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Droits d’auteur

CC-BY-4.0

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