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Récits, images, traductions

Choses (entre)vues

Between Glimpsing and Observing
Danièle Méaux

Résumés

Cet article questionne la pratique de la photographie par Nicolas Bouvier dans ses voyages et la façon dont les images prises au cours de ses déplacements suggèrent une itinérance en tant qu’état. Pratiquant la prise de vue comme la prise de note, Bouvier consigne ses perceptions et ses rencontres par le médium de la photographie. Au sein de motifs photographiques renvoyant à l’expérience du voyage (la route, la prise de vue de détails en gros plan, l’insouciance technique), le ressenti du déplacement se fait voir, tout comme la subjectivité de l’écrivain-voyageur.

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Texte intégral

  • 1 On peut, par exemple, consulter à cet égard : Margaret Topping, « Phototextual journeys : Nicolas (...)
  • 2 Nicolas Bouvier, Routes et déroutes. Entretiens avec Irène Lichtenstein-Fall, Genève, Metropolis, (...)

1Il ne s’agira pas, dans cet article, d’esquisser un tableau des relations extrêmement riches et protéiformes que Nicolas Bouvier a entretenues avec la photographie ou plus généralement avec l’image1. Il ne cessa de réaliser des clichés au fil de ses nombreux voyages – et ce dès son premier périple en Laponie (alors qu’il n’avait que dix-sept ans) : de façon constante, il pratiqua la prise de vue comme on recourt à la prise de note, consignant ses perceptions et ses rencontres. Afin de s’assurer des revenus, il fut également amené à faire de la pratique photographique une profession, répondant aux commandes de la presse japonaise, en 1955-1956 ; bien davantage que les paysages, ce sont alors les portraits qui le retiennent2.

  • 3 Nicolas Bouvier, Japon, Lausanne, Éditions Rencontre, « L’Atlas des Voyages », 1967.

2En 1967, il signa aux éditions Rencontre, dans la collection « L’Atlas des voyages », un ouvrage intitulé Japon réunissant un texte et des images, d’emblée conçus pour constituer un ensemble cohérent3 :

  • 4 Nicolas Bouvier, Routes et déroutes. Entretiens avec Irène Lichtenstein-Fall, op. cit.,p. 129.

Il s’agissait de présenter un pays, son histoire, son ambiance, en partie son folklore, le quotidien, entreprise quasi ethnologique où j’avais donc le support d’un projet rationnel. Pour toute la partie historique, c’était la chronologie. Et j’avais aussi à cœur de fixer des coutumes qui ont peut-être disparu aujourd’hui. En quoi j’ai aussi fait un travail d’archéologue. J’avais un support de méthode qu’on n’a pas dans un récit dont la route est le principal personnage4.

  • 5 Entretien avec Nicolas Bouvier, « L’image et ses leçons », archives de la RTS, [En ligne] URL : ht (...)
  • 6 Ibid.
  • 7 Nicolas Bouvier, Boissonnas. Une dynastie de photographes, Lausanne, Payot, 1983.
  • 8 Ella Maillart, La Vie immédiate (textes de Nicolas Bouvier), Paris, Payot, et Lausanne, Éditions 2 (...)

Il exerça – de manière prolongée – la profession d’iconographe (qui n’existait pas vraiment avant qu’il ne la pratique5), se mettant en quête d’images extrêmement variées, sur la demande d’organisations telles que l’OMS ou d’éditeurs (en particulier dans le domaine de l’histoire des sciences, de la médecine, de la zoologie, de la botanique…). Il apprit la prise de vue en bibliothèque et consulta les fonds les plus variés, notamment à Paris. C’est alors que, selon ses dires, il acquiert une vaste culture des images – qui sont à même de véhiculer, notamment dans les temps les plus anciens, tout un savoir que ne livrent pas les textes6. Il eut plus tard l’opportunité d’écrire au sujet de la photographie ; on pense, par exemple, à l’ouvrage qu’il consacra à la dynastie genevoise des Boissonnas7. Il rédigea des textes pour un recueil de photographies d’Ella Maillart8.

  • 9 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde [1963], Paris, Payot, coll. « Voyageurs », 1992, p. 12.
  • 10 Nicolas Bouvier revendiquait le primat du voyage sur l’écriture. Si ses livres furent le résultat (...)
  • 11 871 tirages originaux et environ 14 000 négatifs y sont déposés.
  • 12 Les Photographies de Nicolas Bouvier. Dans la vapeur blanche du soleil, Genève, Éditions Zoé, 1999 (...)

3Plutôt que d’essayer d’embrasser ici les différentes facettes de ce commerce assidu, je me consacrerai à la façon dont les images qu’il a réalisées au cours de ses déplacements réussissent à suggérer l’itinérance en tant qu’état : « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit que l’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait9 », écrit Nicolas Bouvier. En suivant le fil directeur de ces réflexions, j’essaierai de mettre en évidence la manière dont les photographies du voyageur-écrivain10 s’avèrent capables de donner à ressentir l’expérience vécue du déplacement. Les vues sur lesquelles je m’appuierai sont, pour la plupart, conservées au Musée de l’Élysée à Lausanne11. Si elles ont été publiées, c’est dans des ouvrages posthumes12, pour lesquels la sélection des images ou la maquette ont donc complètement échappé à Nicolas Bouvier. Ces vues se présentent comme intrinsèquement liées à l’exercice du voyage – dont elles retiennent les « impressions » (au double sens du terme, tout à la fois photochimique et mental).

On the road

4Au sein des vues, reviennent tout d’abord un certain nombre de motifs qui ne peuvent manquer de renvoyer puissamment à l’expérience du déplacement. Leur présence au sein des photographies est pour partie contingente, puisque ces éléments sont de facto parties prenantes du périple. Mais c’est pour cette raison précisément qu’ils en viennent à emblématiser, pour le lecteur, un vécu nomade – tel qu’il put être éprouvé par l’opérateur.

5Il en va ainsi de la Fiat 500 Topolino (petit véhicule économique caractéristique des années d’après-guerre) – qui figure sur de nombreux clichés, avec sa plaque d’immatriculation bien lisible révélant l’origine genevoise de ses propriétaires, une roue de secours et des bidons d’essence accrochés à son capot arrière, un toit ouvrant d’où émerge parfois le torse de Thierry Vernet, les cheveux au vent et l’œil en alerte. Cette seule vision n’est pas sans suggérer toute une histoire ; un lieu de départ, d’éventuelles difficultés de parcours, une direction, un compagnonnage… se trouvent évoqués. La précarité du véhicule renvoie au peu de moyens dont disposent Nicolas Bouvier et Thierry Vernet pour le projet ambitieux qu’ils se sont assigné ; elle suggère aussi leur vulnérabilité au regard de la difficulté de l’entreprise. La petite voiture réapparaît en Turquie (1953), au Kurdistan (1954), à Tabriz, en Azerbaïdjan (1954), au Pakistan, en Inde (1955)… De fait, tout au long de leur périple, elle ne les lâcha pas et elle continua à servir Nicolas Bouvier lorsque ce dernier se trouva à poursuivre son voyage seul. Son apparition sur les routes caillouteuses et sèches signe la présence sur les lieux des deux jeunes gens, dont elle constitue pour ainsi dire la seconde peau, l’enveloppe, dérisoire certes, mais douée de mobilité et donc capable d’assurer leur progression de par le monde. La Fiat Topolino est ainsi symbole de toute une aventure.

6Une vue a été réalisée par Thierry Vernet depuis l’intérieur de la Fiat. L’image se trouve cernée en bas et à gauche par le bord sombre et légèrement flouté de l’habitacle – qui réplique peu ou prou les limites de la photographie. À contre-jour, apparaissent le volant et un essuie-glace, de sorte qu’il ne fait pas de doute que le cliché a été pris depuis la place du conducteur. À gauche se tient, dans la lumière déclinante, la silhouette obscurcie par l’éclairage de Nicolas Bouvier. Face au pare-brise maculé, s’ouvre une piste grenue jalonnée sur sa droite de frêles pylônes électriques. Les bords de l’habitacle découpent un pan de réel ainsi que le fait le viseur de l’appareil. La lumière vient de l’extérieur pour pénétrer à l’intérieur du véhicule, comme au sein d’un boîtier obscur. Machine de locomotion, la Fiat se fait pour ainsi dire, dans ce cliché, machine de vision. Dès que les petits formats furent mis sur le marché au tout début du vingtième siècle, la prise de vue s’accompagna d’une singulière liberté de déplacement de l’opérateur – dont le corps et le regard en mouvement se trouvaient prolongés par l’appareil. L’image de Thierry Vernet renvoie à cette mobilité de la vision du photographe, qui fait écho à celle du voyageur puisque ce dernier, au fil de son cheminement, laisse pénétrer en lui les visions du dehors qui viennent imprégner son univers mental.

  • 13 Michel Collot, La Poésie moderne et la structure d’horizon, Paris, Presses universitaires de Franc (...)

7À la petite Fiat, qui réapparaît d’image en image, font écho de nombreuses routes, sur lesquelles circulent les véhicules les plus divers ; ces chaussées s’ouvrent le plus souvent face au spectateur dans la profondeur même de la représentation ; les lignes de fuite qui se resserrent à l’horizon, circonscrivent ainsi un couloir de circulation qui tend à aspirer le regard de l’observateur, de sorte que ce dernier a tendance à se projeter dans l’espace qui se présente à lui. Chacune de ces images sonne comme un appel au déplacement, auquel le spectateur est d’autant plus sensible qu’il occupe peu ou prou face à l’étendue représentée la position qui fut celle de l’opérateur itinérant. L’horizon que l’on discerne au loin paraît voué à reculer toujours davantage, au fur et à mesure que le voyageur progresse13. Les photographies traduisent une impulsion vers l’avant, une soif de déplacement qui fait écho à certaines phrases de Nicolas Bouvier :

  • 14 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, op.cit., p. 49. Je souligne.

À mon retour, il s’est trouvé beaucoup de gens qui n’étaient pas partis, pour me dire qu’avec un peu de fantaisie et de concentration ils voyageaient tout aussi bien sans lever le cul de leur chaise. Je les crois volontiers. Ce sont des forts. Pas moi. J’ai trop besoin de cet appoint concret qu’est le déplacement dans l’espace. Heureusement d’ailleurs que le monde s’étend pour les faibles et les supporte, et quand le monde, comme certains soirs sur la route de Macédoine, c’est la lune à gauche, les flots argentés de la Morava à droite, et la perspective d’aller chercher derrière l’horizon un village où vivre les trois prochaines semaines, je suis bien aise de ne pouvoir m’en passer14.

8Une vue réalisée en 1954 au Kurdistan montre, en plan rapproché, les effets emportés par les deux voyageurs, entassés dans le coffre exigu de la Fiat Topolino ; la place est restreinte, aussi a-t-il fallu n’emporter que le strict nécessaire : le spectateur devine, sous sa housse, la forme d’une guitare ; il distingue aussi deux gamelles en aluminium de forme rectangulaire serrées par un gros élastique, un sac à dos, un chapeau de tissu, une couverture… L’itinérance implique de se satisfaire de peu, de se délaisser de l’accessoire, de s’alléger somme toute en restreignant le nombre des objets employés. N’est emporté que ce qui correspond à un usage indispensable, autrement dit ce qui permet de se déplacer (la voiture), de dormir (la couverture), de manger (les gamelles), de se protéger contre les intempéries (le chapeau)… La guitare, quant à elle, renvoie à l’importance que revêt la musique pour Nicolas Bouvier (ainsi que pour Thierry Vernet, qui joue très régulièrement de l’accordéon pendant le voyage). Ce plan serré sur les maigres bagages emportés en dit plus long que l’on ne croit sur l’état de voyage. L’itinérance prend ici des allures d’ascèse.

Nicolas Bouvier, « Sur la route de Shiraz, 1954 »

Nicolas Bouvier, « Sur la route de Shiraz, 1954 »

© Fonds Nicolas Bouvier/Musée de l’Élysée, Lausanne.

  • 15 Au sens que Roland Barthes prête à ce terme.

9Les vues réalisées par Nicolas Bouvier s’avèrent donc rythmées par le retour de sujets très concrets – qui renvoient de façon métonymique au vécu du voyage. La photographie a retenu les éléments matériels et contingents – qui faisaient partie du vécu du voyageur et étaient somme toute constamment sous ses yeux. C’est rétrospectivement que vient s’y accrocher toute une « mythologie15 » de l’itinérance ; ces sujets se présentent, pour le spectateur d’aujourd’hui, comme des « lieux communs » qui sont les constituants d’une légende.

La part de l’œil

  • 16 Nicolas Bouvier, L’Échappée belle. Éloge de quelques pérégrins, Genève, Metropolis, 1996, p. 50. J (...)

10« On voyage pour faire apparaître le monde et connaître avec lui, comme avec une femme, de trop brefs instants d’unité indicible et de totale réconciliation16 », note Nicolas Bouvier. Le déplacement géographique s’accompagne d’une perte des repères ordinaires, d’un reflux des habitudes anesthésiantes, de sorte que la curiosité se transforme et s’accroît. Les situations, qui se présentent dans une altérité et une nouveauté singulières, surprennent l’œil et certaines rencontres visuelles sont d’une plénitude telle qu’elles tiennent de l’épiphanie. Les écrits de Nicolas Bouvier manifestent, de façon réitérée, cette attention exacerbée portée aux choses vues – ou (entre)vues – qui paraissent lui « sauter aux yeux », sans s’insérer nécessairement dans des scenarii connus qui permettraient leur réduction à un patron narratif familier. Peut-être la force du spectacle visuel croît-elle, en proportion même des difficultés d’une compréhension fondée sur la connaissance.

11La prise de vue – par ce qu’elle est – se prête bien à la traduction d’une ouverture au monde et d’un exercice compulsif et émerveillé du regard. Le cliché prive le perçu de ses dimensions sonore, olfactive ou tactile pour rendre perceptible le seul mystère de l’apparition visible. Les objets et les situations se trouvent extraits de leur fonctionnalité immédiate pour être portés à la vue ; l’image isole, fragmente le continuum spatio-temporel pour ne retenir que des pans très minces des apparences. La photographie opère donc une forme d’abstraction, à même d’octroyer aux objets, aux êtres ou aux moments une dimension quasiment épiphanique.

12Le médium se prête, par exemple, à la saisie de co-présences – qui, révélées par l’image, constituent autant de fêtes du regard. Sur un cliché pris à Rasht en Iran (1954), se trouvent réunis un vieil homme coiffé d’une chéchia et un ensemble de calottes du même modèle, empilées sur des présentoirs ou bien suspendues à des fils. L’arrière-plan est obscur et les couvre-chefs se détachent crûment sur le fond sombre, qu’ils viennent rythmer comme des notes sur une partition aux valeurs inversées. On ne sait pas très bien ce qui, de l’ensemble des chapeaux ou du visage buriné surmonté d’une chéchia, constitue l’objet de la photographie : le choix d’un plan moyen permet leur cohabitation dans le champ. Il semble bien que ce soit la rencontre de ces sujets, la manière dont ils viennent rimer entre eux et ponctuer l’espace qui ait focalisé l’attention de l’opérateur. C’est en tout cas leur agencement et la manière dont il rythme le champ qui retient le spectateur.

Nicolas Bouvier, « Rasht, Iran, 1954 »

Nicolas Bouvier, « Rasht, Iran, 1954 »

© Fonds Nicolas Bouvier/Musée de l’Élysée, Lausanne.

13De manière récurrente, on peut dire que ce sont les détails qui captent l’attention de Nicolas Bouvier. L’appareil de petit format – je l’ai dit – autorise la mobilité du praticien qui peut prendre du recul ou bien se rapprocher, pratiquer la plongée et la contre-plongée… Les plans resserrés traduisent l’intérêt porté à un objet ou à un individu précis ; ce dernier se trouve dès lors séparé de son contexte, comme sous l’effet d’une focalisation du regard (qui laisse dans l’imprécision tout ce qui ne se trouve pas situé dans la zone fovéale, au centre du champ visuel). On pense, par exemple, à une vue prise au Kurdistan en 1954, où une tortue cheminant sur le macadam, près de la roue d’une automobile, apparaît en gros plan. Dans ce type de photographie, un élément singulier obnubile l’attention ; il s’impose au regard du spectateur comme il a peut-être retenu celui du voyageur, au milieu du continuum flottant des perceptions éprouvées.

14Le gros plan est récurrent chez Nicolas Bouvier, qui n’hésite jamais à s’approcher de son sujet pour isoler un détail. Mais c’est parfois la mise au point qui permet de faire ressortir un élément particulier de son environnement. Sur une vue réalisée dans un marché, au village de Bogoièvo à une centaine de kilomètres de Belgrade, en 1953, un violon accompagné de son archet, adossé à la roue d’une carriole, apparaît au premier plan. Les courbures de l’instrument aux tonalités claires et à la texture lustrée se détachent sur la forme ronde, de substance grenue, de la roue. C’est sur la partie arrière de cette dernière que la mise au point a été faite, de sorte que les formes du violon, à peine plus proche du praticien, sont légèrement floues. Quant à l’arrière-plan, il est complètement brouillé en raison d’une profondeur de champ très réduite. La caisse de l’instrument paraît, en outre, singulièrement grande par rapport aux sujets (cheval ou arbre) situés à l’arrière ; de ce fait, l’instrument semble presque avancer vers le spectateur. La mise au point effectuée suggère, en tout cas, une attention soudainement portée par le voyageur à ce violon négligemment posé au sol.

Nicolas Bouvier, « Bogoièvo, Yougoslavie, 1953 »

Nicolas Bouvier, « Bogoièvo, Yougoslavie, 1953 »

15© Fonds Nicolas Bouvier/Musée de l’Élysée, Lausanne.

  • 17 Entretien avec Nicolas Bouvier, déjà cité (voir supra, note 5).
  • 18 Ibid.

16Mais davantage que tout autre sujet, ce sont les personnes, et plus précisément les visages, qu’aime à photographier Nicolas Bouvier. Au sein de ses images, les êtres ont une présence singulière et leur regard est fréquemment tourné vers l’objectif (et le praticien) – de sorte qu’il croise celui du spectateur. Dans un entretien, Nicolas Bouvier décrit la relation de confiance qu’il aime à instaurer avec ses modèles et qu’il a notamment expérimentée au Japon où les gens font moins qu’en Occident de leur visage une forme de « programme social17 » ; à cet égard, il parle du « don », du « cadeau18 » pratiqué par ceux qui lui offrent leur visage.

17Dans le cas d’un portrait concerté, l’échange de regards est plus ou moins attendu. Mais, dans les images prises sur le vif, il est plus rare ; on remarque qu’alors il n’est pas non plus évité par Nicolas Bouvier. L’activité du photographe éveille la curiosité de ses modèles qui tournent leur visage dans sa direction : un échange fugitif a lieu – que le photographe n’esquive nullement. Pour Nicolas Bouvier, le voyage est rencontre de l’autre.

  • 19 Jean-Pierre Montier, L’Art sans art d’Henri Cartier-Bresson, Paris, Flammarion, 1995, p. 46.
  • 20 Voir Nicolas Bouvier, Le Dehors et le dedans, Genève, Éditions Zoé, 1982.

18Le style de l’opérateur itinérant est dominé par l’absence d’apprêt et la simplicité. Compositions sophistiquées, usage savant de la technique sont ostensiblement rejetés. L’appareil se donne comme prolongement de l’œil du voyageur et chaque vue a l’allure d’un « pseudo-regard19 » porté sur le monde. La spontanéité des prises de vue signe une forme de disponibilité du voyageur : pour ses yeux libérés de l’anesthésie de la routine, assoiffés de perceptions nouvelles et de contacts humains, tout fait saillie. La photographie permet l’isolement du visible, alors que les textes de Nicolas Bouvier montrent combien l’ouïe est également mobilisée : les notations sonores sont extrêmement fréquentes. Ses images traduisent, en tout cas, une singulière appétence de voir. Elles donnent à ressentir la subjectivité du voyageur, dans un constant échange avec le réel – qui en retour emplit l’être : chaque vue se présente comme une interface entre le monde du dehors et le monde du dedans20.

Erreur/errance

19Par-delà le simple rejet d’une sophistication esthétique ou technique, les photographies prises – et conservées – par Nicolas Bouvier manifestent l’acceptation de traits ordinairement considérés comme des « erreurs » ou des « ratages ». Certaines vues, sans doute réalisées depuis un véhicule en marche, sont entièrement floues – la vitesse de prise vue n’étant probablement pas assez rapide pour que le sujet soit immobilisé avec précision. Ailleurs, le brouillage, plus ou moins étendu, peut être imputé à un manque de mise au point. Certaines images sont réalisées à contre-jour de sorte que les éléments figurés, trop sombres, ne sont plus très lisibles. C’est d’autres fois la sous-exposition qui fait obstacle à la visibilité de certaines parties du champ. Le cadrage ne répond pas toujours aux normes en vigueur, des personnages se trouvant par exemple sectionnés par les limites du cliché. Tous ces traits ressortissent à ce qu’on a coutume de considérer comme des « défauts » (et que les ouvrages techniques conseillent d’éviter).

  • 21 Thomas Lélu, Manuel de la photo ratée, Paris, Al Dante/Léo Scheer, 2002.
  • 22 Clément Chéroux, Fautographie. Petite histoire de l’erreur photographique, Crisnée, Yellow Now, 20 (...)

20Un Manuel de la photo ratée21, publié en 2002, fait l’inventaire ludique des malfaçons les plus courantes chez les amateurs – dont la production offre un large éventail d’images défectueuses, mais amusantes. Dans Fautographie. Petite histoire de l’erreur photographique, Clément Chéroux ausculte la « transfiguration d’un rebut hérétique en réussite esthétique, cette mutation du vice en vertu22 » : au sein des avant-gardes, par exemple, les « ratages » ont souvent été appréciés pour leur potentiel de subversion des normes ; aujourd’hui, les tenants de la « photographie pauvre » valorisent une pratique de la prise de vue qui fait passer la spontanéité et la participation à l’événement avant la perfection technique, permettant l’éclosion d’effets plastiques inattendus ; l’œuvre de Bernard Plossu a souvent été assimilée à cette tendance ; le brouillage, la granulation ou les décentrements – fréquents dans ses photographies – ne découlent pas d’un manque de métier, mais d’un jeu subtil et maîtrisé avec les conventions (qui ont, par exemple, exigé de manière récurrente au fil de l’histoire du médium que l’image soit nette pour être « réussie »).

  • 23 Robert Frank, The Americans [1959], New York - Zurich - Berlin, Scalo Publishers, 1995.
  • 24 Clément Chéroux, Fautographie. Petite histoire de l’erreur photographique, op. cit., p. 123.

21Pour Clément Chéroux, Robert Frank manifeste, dans The Americans23, « une esthétique de la malfaçon24 ». Une telle expression ne pourrait absolument pas caractériser les travaux photographiques de Nicolas Bouvier ; d’une part, il n’y a chez le voyageur photographe aucune forme de systématisation : chaque cliché est lié à une situation, à une émotion singulière et des vues nettes et parfaitement centrées voisinent avec des clichés aux allures plus défectueuses ; d’autre part, ses prises de vue ne sont nullement polarisées par une préoccupation plastique qui ferait des « effets de ratage » le levier d’innovations formelles. Chez Nicolas Bouvier, l’insouciance technique traduit le primat donné à la disponibilité, renvoie à une appétence pour le réel qui aimante toute sa pratique photographique. Dans une certaine mesure, l’adhésion au moment et l’intensité du vécu semblent compter davantage que le résultat obtenu. Le voyageur retient des images comme il consignerait des notes afin de conserver la trace de l’expérience. Ainsi le flou, le contre-jour ou le décentrement ne lui paraissent nullement nuire au rendu d’une situation ; ils participent bien au contraire pleinement de son évocation.

22La relative « décontraction » à l’égard de la technique dont témoignent les images de Nicolas Bouvier conditionne en outre leur réception : le spectateur tend lui aussi, dans une certaine mesure, à aller à l’essentiel. Au sujet de leur propre pratique, Gilles Mora et Claude Nori écrivent :

  • 25 Gilles Mora, Claude Nori, L’Été dernier. Manifeste photobiographique, Paris, Éditions de l’Étoile, (...)

À la longue pourtant, la trop grande perfection visuelle d’une image déplace son importance. Si elle n’est pas spécialement belle, au sens généralement accepté, l’image photographique, par contre, est pour nous, le pont entre le présent et le déjà-vu, et le contexte du moment photographiquement immobilisé25.

Autrement dit, une réussite formelle affirmée peut aboutir à donner le sentiment que le réel se trouve placé dans du formol, alors que certaines imperfections sont susceptibles de contribuer à suggérer le mouvement de la vie et à laisser le passé entrouvert.

Nicolas Bouvier, « Porteur de narghilé, Tchaikhane du Bazar, Tabriz, hiver 1953-1954 »

Nicolas Bouvier, « Porteur de narghilé, Tchaikhane du Bazar, Tabriz, hiver 1953-1954 »

© Fonds Nicolas Bouvier/Musée de l’Élysée, Lausanne.

23Les récits de voyage de Nicolas Bouvier résultent d’un long et patient labeur d’écriture. Toute relation viatique est le fruit d’une mise en intrigue rétrospective, qui est pratiquée, « de retour à la maison », loin du désordre de l’expérience vécue. Même si un souci d’authenticité anime l’auteur, une reconfiguration du passé est pratiquée a posteriori. Il n’en va nullement de même des photographies qui sont réalisées dans le vif de la sensation éprouvée. Même si le développement est effectué avec un certain retard par rapport au moment de la prise de vue, même si une sélection peut être ultérieurement effectuée à partir des négatifs, les empreintes photochimiques sont contemporaines du vécu, et c’est précisément l’intensité du moment que les images de Nicolas Bouvier réussissent à traduire.

  • 26 Henri Cartier-Bresson, Images à la sauvette, Paris, Verve, 1952, Préface.

24Au sein des photographies, la subjectivité du voyageur photographe est d’autant plus manifeste qu’il semble précisément s’exposer comme un opérateur qui ne maîtrise pas tout, ne domine pas complètement ses émotions et sa sensibilité. Les « ratages » s’apparentent à des lapsus ou à des actes manqués qui paraissent révéler, chez le sujet, une forme de contrôle insuffisant. Ils suggèrent l’idée que l’opérateur est débordé, emporté par le flux de la vie qu’il n’a pas su arrêter en un tout parfaitement organisé. Les images de Nicolas Bouvier ne figent pas un « instant décisif » – tel qu’il a été défini par Henri Cartier-Bresson26 ; bien au contraire, elles rendent sensible un temps vécu qu’on ne peut enfermer, qui dépasse et refuse toute immobilisation réussie.

  • 27 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, op. cit., p. 68.

25L’acceptation de l’accident n’est pas sans manifester aussi la disponibilité du voyageur à l’inattendu ; elle signe une forme de relâchement de la surveillance de soi et un consentement à l’imprévu. L’ouverture au monde est revendiquée par Nicolas Bouvier pour lequel le voyage doit permettre de se purger des idées reçues, afin d’aller vers une plus grande présence27. Les effets de « ratage », qui suggèrent un moindre contrôle, renvoient à une perte de repères, au dépaysement. Davantage même, ils donnent métaphoriquement à l’expérience convoquée une allure d’épreuve ; ils peuvent en effet découler de difficultés de prise de vue (liées au climat, à l’éclairage, au mouvement…) et celles-ci se font les équivalents d’obstacles placés sur le chemin de l’opérateur vagabond. De la sorte, le déplacement prend des allures initiatiques : il semble que, dans l’adversité, le moi trouve à se révéler. Alain Bergala note d’ailleurs :

  • 28 Alain Bergala, Les Absences du photographe, avec Raymond Depardon, Correspondance new-yorkaise, Pa (...)

Il faudra bien un jour, pourtant, tirer toutes les conséquences de cette vérité qu’il en est de la photographie comme du voyage, que c’est une expérience où le moi peut se trouver en perte de maîtrise, en défaillance, et qu’au moment de cette perte, de cet achoppement, il peut arriver que quelque chose de la vérité du sujet trouve précisément à se dire28.

26Le latin iterare (voyager) a donné le verbe « errer » en français ; mais, par homonymie, celui-ci a tendu à se confondre au xvie siècle avec un autre verbe qui venait de errare (se tromper), pour constituer un seul et même vocable combinant plus ou moins les sèmes du déplacement et de l’erreur : il y a eu confusion et contamination. « Errer », c’est se déplacer, mais aussi se remettre en question, accepter de changer de cap en fonction de l’humeur ou des aléas extérieurs ; c’est admettre que l’être ne soit pas en position de contrôle des événements, mais de trouble ou de fragilité si bien qu’il commet des « erreurs ». Nicolas Bouvier confie :

  • 29 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, op. cit., p. 348.

Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr29.

Dans les images de l’opérateur voyageur, les effets de « ratage » traduisent la précarité des situations, l’émotion ou l’inconfort du sujet (susceptibles d’entraver une prise de vue concertée) ; ils participent donc pleinement d’une évocation de l’itinérance, telle que la conçoit le photographe.

27Bon nombre des vues de Nicolas Bouvier peuvent être appréhendées comme révélatrices d’un état de voyage – qu’elles tendent à leur façon à caractériser. Les images de la Fiat Topolino et de pistes caillouteuses renvoient aux conditions d’un déplacement effectif, qui confinent parfois à l’ascèse. La priorité donnée à des cadrages serrés sur des détails ou des personnes traduit la pulsion scopique, l’euphorie de la découverte, la sensualité des échanges et des regards. La tolérance à l’égard des « malfaçons » laisse affleurer un sujet qui accepte la perte de contrôle afin que croissent l’intensité de l’expérience (et la possibilité de sa transcription par la photographie). Nicolas Bouvier aimait à dire qu’il n’était pas un « écrivain voyageur », mais un « voyageur écrivain » ; il est loisible de transposer : il n’est pas un « photographe voyageur », mais un « voyageur photographe ». Et cette assertion se trouve précisément prise en charge par un certain nombre de ses images.

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Notes

1 On peut, par exemple, consulter à cet égard : Margaret Topping, « Phototextual journeys : Nicolas Bouvier in Asia », Studies in Travel Writing vol. 4, n° 13, 2009, p. 317-334 ou Jean-François Guennoc, « Chambres noires, chambres claires : la photographie chez Nicolas Bouvier. Un usage inquiet du regard et du monde », in Catherine Emerson et Maria Scott (dir.), Artful Deceptions : Verbal and Visual Trickery in French Culture, Bern, Peter Lang, 2006, p. 49-62 (mais ce dernier article s’intéresse davantage aux discours tenus par Nicolas Bouvier sur sa pratique photographique qu’à l’étude de ses images).

2 Nicolas Bouvier, Routes et déroutes. Entretiens avec Irène Lichtenstein-Fall, Genève, Metropolis, 2004, p. 110.

3 Nicolas Bouvier, Japon, Lausanne, Éditions Rencontre, « L’Atlas des Voyages », 1967.

4 Nicolas Bouvier, Routes et déroutes. Entretiens avec Irène Lichtenstein-Fall, op. cit.,p. 129.

5 Entretien avec Nicolas Bouvier, « L’image et ses leçons », archives de la RTS, [En ligne] URL : https://www.rts.ch/play/tv/visiteurs-du-soir/video/limage-et-ses-leons?urn=urn:rts:video:10027341 [consulté le 27/09/2017].

6 Ibid.

7 Nicolas Bouvier, Boissonnas. Une dynastie de photographes, Lausanne, Payot, 1983.

8 Ella Maillart, La Vie immédiate (textes de Nicolas Bouvier), Paris, Payot, et Lausanne, Éditions 24 Heures, « Voyageurs », 1991.

9 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde [1963], Paris, Payot, coll. « Voyageurs », 1992, p. 12.

10 Nicolas Bouvier revendiquait le primat du voyage sur l’écriture. Si ses livres furent le résultat d’un patient et lent travail stylistique, celui-ci visa toujours, de fait, à restituer l’émotion d’une expérience première. Voir à cet égard : Entretien avec Nicolas Bouvier, « L’usage du monde », archives de RTS : https://www.rts.ch/archives/tv/culture/a-livre-ouvert/3467006-lusage-du-monde.html [consulté le 27/09/2017].

11 871 tirages originaux et environ 14 000 négatifs y sont déposés.

12 Les Photographies de Nicolas Bouvier. Dans la vapeur blanche du soleil, Genève, Éditions Zoé, 1999. Nicolas Bouvier, L’Œil du voyageur [2001], introduction de Daniel Girardin, Paris, Hoëbeke/Musée de l’Élysée, 2008.

13 Michel Collot, La Poésie moderne et la structure d’horizon, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Écriture », 1989.

14 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, op.cit., p. 49. Je souligne.

15 Au sens que Roland Barthes prête à ce terme.

16 Nicolas Bouvier, L’Échappée belle. Éloge de quelques pérégrins, Genève, Metropolis, 1996, p. 50. Je souligne.

17 Entretien avec Nicolas Bouvier, déjà cité (voir supra, note 5).

18 Ibid.

19 Jean-Pierre Montier, L’Art sans art d’Henri Cartier-Bresson, Paris, Flammarion, 1995, p. 46.

20 Voir Nicolas Bouvier, Le Dehors et le dedans, Genève, Éditions Zoé, 1982.

21 Thomas Lélu, Manuel de la photo ratée, Paris, Al Dante/Léo Scheer, 2002.

22 Clément Chéroux, Fautographie. Petite histoire de l’erreur photographique, Crisnée, Yellow Now, 2003, p. 62.

23 Robert Frank, The Americans [1959], New York - Zurich - Berlin, Scalo Publishers, 1995.

24 Clément Chéroux, Fautographie. Petite histoire de l’erreur photographique, op. cit., p. 123.

25 Gilles Mora, Claude Nori, L’Été dernier. Manifeste photobiographique, Paris, Éditions de l’Étoile, « Écrit sur l’image », 1983, p. 15.

26 Henri Cartier-Bresson, Images à la sauvette, Paris, Verve, 1952, Préface.

27 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, op. cit., p. 68.

28 Alain Bergala, Les Absences du photographe, avec Raymond Depardon, Correspondance new-yorkaise, Paris, Éditions de l’Étoile, coll. « Écrit sur l’image », 1981, p. 65-66.

29 Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, op. cit., p. 348.

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Table des illustrations

Titre Nicolas Bouvier, « Sur la route de Shiraz, 1954 »
Crédits © Fonds Nicolas Bouvier/Musée de l’Élysée, Lausanne.
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Titre Nicolas Bouvier, « Rasht, Iran, 1954 »
Crédits © Fonds Nicolas Bouvier/Musée de l’Élysée, Lausanne.
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Titre Nicolas Bouvier, « Bogoièvo, Yougoslavie, 1953 »
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Titre Nicolas Bouvier, « Porteur de narghilé, Tchaikhane du Bazar, Tabriz, hiver 1953-1954 »
Crédits © Fonds Nicolas Bouvier/Musée de l’Élysée, Lausanne.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Danièle Méaux, « Choses (entre)vues »Viatica [En ligne], HS 1 | 2017, mis en ligne le 20 septembre 2017, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatica/806 ; DOI : https://doi.org/10.52497/viatica806

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Auteur

Danièle Méaux

CIEREC – EA 3068, Université Jean Monnet Saint-Étienne

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