Introduction

Texte intégral

Le colloque « La transsystémie : pour une approche rénovée de la conception et de l’enseignement du droit » organisé par l’Université d’Auvergne en partenariat avec l’Université McGill (Montréal) s’est tenu à Clermont-Ferrand les 12 et 13 décembre 2016. Cet évènement a été consacré à la mémoire du Professeur Roderick MacDonald, l’un des co-fondateurs du programme transsystémique de l’enseignement du droit à l’Université McGill. Cette approche innovante, développée dans un contexte du bijuridisme, permet de dépasser les pratiques orthodoxes et les catégories préétablies de la connaissance juridique.

L’idée directrice du colloque a été l’abolition des frontières tant terrestres que conceptuelles dans l’enseignement du droit. Les premières interventions s’intéressaient à la possibilité de transcender les concepts et les cadres d’un système de droit. Ainsi Daniel Jutras (Université McGill) est-il revenu sur la genèse du programme transsystémique, notamment en mettant en parallèle les motivations profondes, différentes, mais complémentaires, des Professeurs R. MacDonald et P. Glenn. Le rejet de toute pensée binaire, la nécessaire transcendance du caractère formel du droit, la place et le rôle du juge et de l’homo juridicus sont autant de valeurs sous-tendant cette approche transsystémique, laquelle est aujourd’hui à sa version 2.0 avec notamment la mise en place du cours transsystémique de droit des biens.

La question de l’approche transsystémique dans l’espace juridique européen fut ensuite abordée par Sandrine Tisseyre (Université de Pau et des Pays de l’Adour) qui est revenue sur l’existence d’une communauté de valeurs, pouvant servir de base à une culture juridique, dont on peut se demander si elle repose sur un véritable consensus ou si elle n’est en fait imposée. Anne Blandine Caire (Université d’Auvergne) s’est quant à elle penchée sur l’apparition d’une nouvelle cartographie du droit en Europe à travers l’apparition de concepts autonomes utilisés par la CEDH, ce qui conduit à une normativité métatraditionnelle.

La transsystémie ayant pour vocation d’abolir les frontières conceptuelles, c’est tout naturellement que Marie-Elisabeth Baudoin (Université d’Auvergne) s’est interrogée sur l’avenir des frontières entre droit public et droit privé, cette dichotomie apparaissant aujourd’hui dépassée du fait du changement dans les modes de production du droit, l’image de la pyramide ayant laissé la place aux réseaux. Pour Sébastien Pimont (Science Po Paris), le transsystémisme est une variation du multiculturalisme juridique, qui doit aboutir à l’apparition d’une communauté d’interprètes, appelés à devenir de véritables « agents doubles ».

La réflexion sur les méthodes d’enseignement et la présentation d’exemples de mises en œuvre de l’approche transsystémique ont constitué le cœur de la seconde partie du colloque.

Il a été proposé d’exploiter des outils existants en philosophie du droit, histoire du droit et droit comparé. Richard Janda (Université McGill) a présenté les fondements philosophiques de l’approche transsystémique : il s’agirait de la pensée cosmopolite favorable au pluralisme et contraire à la séparation des systèmes. Nicolas Laurent-Bonne (Université d’Auvergne) a souligné la nécessité d’un enseignement interdisciplinaire, distingué de l’enseignement pluridisciplinaire. L’histoire du droit pourrait facilement intégrer l’approche transsystémique, car elle démontre la pluralité des points de vue et permet de relativiser les règles et les catégories juridiques.

Jean-François Riffard (Université d’Auvergne) est revenu quant à lui sur les liens qui unissent l’approche transsystémique du droit et le droit comparé, notamment sur le plan méthodologique. Dans les deux cas, il s’agit d’ouvrir une porte sur le monde, de permettre au juriste quel qu’il soit d’évoluer dans un contexte de diversités, de pluralités juridiques. Mais, sur le plan méthodologique, transsystémie et droit comparé diffèrent grandement, car l’un, le droit comparé orthodoxe, est conçu comme un outil de recherches, alors que la transsystémie est toute entière tournée vers la formation. Néanmoins, dans les deux cas, l’approche fonctionnelle du phénomène juridique peut constituer une base de départ naturelle et efficace. Sylwia Wyszogrodzka (Université d’Auvergne) s’est interrogée sur l’apport de la transsystémie au droit comparé. Le droit comparé classique nécessite d’être réformé pour mieux répondre aux nouveaux défis de la globalisation. Or l’approche transsystémique, qui apporte l’ouverture à la normativité non étatique et à l’interdisciplinarité, permet d’introduire des catégories transversales et se détacher des classifications internes à un système de référence.

De nombreux intervenants ont précisé que la mise en œuvre de la pédagogie transsystémique exige de modifier la structure des cours. Le point de départ dans la construction d’un cours est désormais « le problème humain ». La règle de droit qui établit la solution à un problème devient secondaire, tout comme les théories doctrinales. Dans l’approche transsystémique, comme l’a expliqué Rosalie Jukier (Université McGill) les connaissances portent sur les mentalités et les traditions juridiques, l’enseignant exploite tant les sources formelles que les instruments de soft law. L’enseignement du droit positif devient ainsi plus critique et interactif. Comme l’a remarqué Catherine Walsh (Université McGill) en développant l’exemple du droit des sûretés, une telle méthode permet de mieux saisir les différences entre les traditions juridiques. À titre d’illustration : la common law protège davantage le propriétaire, le droit civil privilégie la sécurité des transactions.

En Europe, l’Université du Luxembourg a mis en place le nouveau Bachelor transnationalisé dès la rentrée 2014-2015. Pascal Ancel (Université du Luxembourg) a exposé comment se déroule cette expérience, en soulignant certaines particularités du programme : tous les cours magistraux transnationaux sont complétés par des séminaires en droit national. L’enseignement comparatif est prévu dès la première année d’études et il s’agit d’une approche égalitaire, sans système dominant. Les cours sont construits autour des thèmes afin de faire découvrir aux étudiants les modèles de solutions et de mettre l’accent sur les différences. Hugues Bouthinon-Dumas (Essec Business School) a présenté quant à lui l’utilité de l’approche transsystémique dans l’enseignement du droit en école de commerce. Une telle formation insiste sur l’exigence de performance et d’interopérabilité. La nécessité principale est donc de traduire un problème économique dans un langage juridique. Puisqu’il est important de donner des repères et de susciter des réflexes, les solutions juridiques sont secondaires. L’enseignement devient plus interactif et créatif, car l’étudiant doit chercher lui-même les solutions.

Le colloque a permis, entre autres, de mettre en exergue certaines difficultés dans les facultés de droit françaises : la spécialisation très poussée des connaissances, le cloisonnement des savoirs et les défaillances du modèle traditionnel de l’enseignement. Des discussions ont porté sur la mise en œuvre des méthodes innovantes d’enseignement et d’évaluation des étudiants. Il a été souligné la nécessité d’agir dès la première année d’études lorsque les étudiants ne sont pas encore formés par le modèle traditionnel. Même si le contexte est différent en France et à l’Université McGill, les préoccupations sont communes : aider les étudiants à mieux s’insérer dans les milieux professionnels, afin de devenir artisans créatifs du droit. Il s’agirait de former les juristes transnationaux pour leur proposer « un cadre commun de réflexion ».

Citer cet article

Référence électronique

Jean-François RIFFARD et Sylwia CASTILLO-WYSZOGRODZKA, « Introduction », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 17 | 2019, mis en ligne le 28 septembre 2021, consulté le 04 mai 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=304

Auteurs

Jean-François RIFFARD

Professeur de droit privé et de sciences criminelles, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l'Hospital EA 4232, F-63000 Clermont-Ferrand France

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Sylwia CASTILLO-WYSZOGRODZKA

Maître de conférences en droit privé et en sciences criminelles, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l'Hospital EA 4232, F-63000 Clermont-Ferrand France

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