Introduction
L’œuvre de Miguel de Cervantès se caractérise par la multiplicité des interprétations dont elle a fait l’objet avec le temps. Divers facteurs les ont influencées, tels les constructions sociales, le degré de connaissance de l’œuvre ou la conjoncture politique, ainsi que l’éventail de formats, textuels et visuels, qui ont servi à représenter l’œuvre. De même que le message s’est modifié, les moyens de diffusion se sont diversifiés, et la diversité de représentations qui a permis à de larges pans de la population d’accéder massivement à la création cervantine, est aussi digne d’étude.
Partant de là, deux axes structurent ce travail. Le premier retrace l’évolution de la représentation graphique du célèbre personnage littéraire entre les xviie et xxe siècles, en considérant les illustrations élaborées pour les diverses éditions publiées ainsi que l’ensemble du répertoire visuel construit autour du Don Quichotte sur des supports divers et variés.
On présentera ainsi les étapes clés qui ont marqué l’évolution de l’image du Quichotte au fil des siècles et qui l’ont conduit à s’ériger, non seulement en l’un des personnages les plus célèbres de la littérature, mais aussi en un repère de premier plan dans le monde des arts graphiques. Après ce parcours, on se focalisera sur la publication Hazañas bélicas, qui constitue le cœur de ce travail, afin de mettre en lumière la présence de Don Quichotte dans ses pages, et d’analyser par ce biais les motivations qui ont pu conduire à choisir ce recours visuel, et les effets que sa présence a pu produire sur les lecteurs.
On a consulté, pour mener à bien cette analyse, les importantes collections du Centro de Estudios de Castilla-La Mancha (UCLM), institution de référence pour l’étude de l’œuvre et du personnage cervantins, et où se conservent, outre la série de publications étudiée, des dizaines de bandes dessinées comptant la présence du célèbre chevalier. La consultation de ces fonds a permis d’appréhender de manière large la multitude de supports représentant ce personnage, de connaître les diverses interprétations proposées pour expliquer chacun d’entre eux, ainsi que d’intégrer cette information à l’objet de cette étude. Celle-ci a également fait appel aux nombreux apports du groupe de recherche intégré au Centro de Estudios de Castilla-La Mancha dont les divers projets sur l’iconographie populaire du Quichotte, conduits depuis 2002, ont permis de disposer d’un excellent socle sur lequel fonder cet article1.
Une nouvelle image pour le célèbre Don Quichotte de la Manche
La figure de Don Quichotte a perduré comme un élément de l’imaginaire populaire espagnol le plus couramment utilisé par les caricaturistes, dessinateurs ou illustrateurs. Pour cette raison, le roman fit l’objet, pratiquement dès sa parution, d’une double « textualité », configurée par la lecture elle-même ainsi que par les nombreux témoignages visuels produits au fil du temps. La popularité de ces représentations a permis de les graver dans la rétine du grand public et a contribué à amplifier la diffusion de l’œuvre, sans passer nécessairement par sa lecture complète. Le langage visuel peut, en effet, transmettre des informations, car il est possible d’interpréter ce type de représentations sans savoir déchiffrer le texte écrit. Cela augmentait le public potentiel susceptible de connaître de première main les aventures de l’hidalgo de La Mancha, car il avait la possibilité d’y accéder sans recourir à l’œuvre de Cervantès elle-même (Sánchez, Almarcha et Fernández, 2005 : 117-119 et Almarcha, González et Sánchez, 2005)2. L’iconographie du personnage s’est construite à partir d’estampes pascales, de gravures, d’autocollants, de cartes collectionnables, de cartes postales, de timbres, de bandes dessinées qui ont tous véhiculé l’éternelle image de Don Quichotte. Cette large diversité démontre, sans aucun doute, la portée de l’œuvre cervantine, sa projection et sa fécondité dans l’imaginaire collectif, non seulement en Espagne mais dans le monde entier, contribuant ainsi à la dimension mythique du livre (Canavaggio, 2005). En outre, les constantes interprétations du texte cervantin proposaient des relectures successives de l’histoire originale, qui influençaient immédiatement la façon de la représenter sur les divers supports mentionnés. Durant ce long cheminement, le célèbre personnage cervantin a pu vivre les plus diverses expériences ou transmettre des idées diverses, et s’est érigé en l’un des archétypes les plus courants de tous les temps, en s’adaptant aux changements d’époques.
Il faut remonter au début du xviie siècle, à peine deux ans après la parution de l’œuvre, pour trouver les premières éditions illustrées et, de ce fait, les premiers exemples de ces représentations graphiques. Aucune d’entre elles n’était d’ailleurs d’origine espagnole : c’est en France et en Angleterre où, en 1618, les premières illustrations accompagnèrent les textes traduits par François de Rossett3 et Blount4. Au cours de ce siècle, vers 1650-1652, Jacques Lagniet présenta diverses interprétations des personnages en éditant une série de lithographies, composée de 38 gravures sur cuivre dont 32 illustrent la première partie de l’œuvre, et les 6 dernières la seconde. Don Quichotte y est représenté comme un personnage à la folie incontestable, conformément à la perception de l’époque qui considérait le roman comme une comédie vulgaire (Lenaghan, 2003 : 21)5.
Le xviiie siècle fut aussi le témoin de la publication de nombreuses éditions illustrées et, avec chacune d’elles, l’image du Quichotte acquérait de nouvelles connotations en s’adaptant aux temps nouveaux. De manière générale, les représentations maintinrent une forte présence des éléments comiques adoptés lors du siècle précédent, même si les artistes manifestèrent dans les illustrations plus de retenue dans l’évocation de certains aspects ou des épisodes particuliers. Le prologue de la remarquable édition anglaise, élaborée sous l’impulsion de Lord Carteret en 1738, témoigne de l’importance accordée dès cette époque aux représentations visuelles. Comme l’évoque Lenaghan (2003 : 30), John Oldfield, auteur de cette introduction, disait des estampes qu’« [e]lles ne sont pas de "simples ornements", mais exercent une influence importante sur le lecteur. Elles servent surtout à "fournir ce qu’il faut à l’imagination imparfaite du lecteur" en évoquant par leurs gestes les passions et les pensées des personnages. »
Le xixe siècle, quant à lui, apporta de profondes innovations dans la représentation iconographique du chevalier de La Mancha. Tout d’abord, les éditions romantiques transformèrent la façon d’appréhender le personnage, en l’immergeant dans des paysages plus oniriques, à l’instar de l’édition imprimée en 1863 qui comptait les saisissantes illustrations de Gustave Doré. Cependant, le grand changement se produisit avec la représentation du Quichotte par la caricature, un genre qui accueillit les personnages cervantins avec un grand intérêt. La satire politique fit de Don Quichotte un personnage plus que récurrent et le conduisit à occuper de nouveaux espaces (Hartau, 2007 : 81 ; Givanel i Mas, 1946 : 93-95 et López-Torán, 2021 : 280). La profonde crise provoquée par la perte des dernières colonies ultramarines en 1898 fut certainement l’un des moments où s’intensifia le plus la présence de Don Quichotte dans ce nouveau champ de diffusion qu’était la caricature. La récupération des grandes figures de l’imaginaire collectif devait contribuer à renforcer la cohésion sociale et morale du pays, alors même que les conséquences désastreuses de la guerre avec les États-Unis avaient mis à mal la force de la nation. Le personnage cervantin profita alors d’une présence accrue dans diverses publications périodiques de l’époque6 (Varela, 2003).
Enfin, le xxe siècle réservait au Quichotte une nouvelle relecture, fruit des événements qui se produisirent avec le changement de siècle. Parmi les plus importants figurait toujours le Désastre de 1898, encore récent, ainsi que la célébration du cinquième centenaire de la publication de l’œuvre en 1905 et la nouvelle interprétation idéologique imposée après la guerre civile espagnole (Perrot, 2009). En outre, cette relecture s’accompagna d’une actualisation des supports utilisés pour illustrer les aventures de l’hidalgo de la Mancha, ainsi que d’une réception plus importante de la part d’autres disciplines qui consolidèrent cette double textualité évoquée précédemment (Perrot, 2003).
L’industrie graphique n’eut de cesse de se moderniser et d’incorporer de nouveaux supports grâce aux progrès techniques. La carte postale, ce support en carton qui connut son époque dorée précisément dans les premières décennies de ce nouveau siècle, fut ainsi l’un des médiums les plus employés pour reproduire l’image du Quichotte. Le volume d’édition et de production atteint dans les années antérieures à la Grande Guerre provoqua une explosion de créativité, abordant un nombre considérable de thématiques, et nombre de séries éditées ou d’exemplaires de cartes postales firent référence, directement ou indirectement, à l’œuvre de Cervantès ou à ses personnages. Par exemple, Pedro de Rojas édita une série de 25 exemplaires en 1905, intitulée Don Quijote en el siglo XX7. Le célèbre personnage cervantin y faisait l’objet d’une réinterprétation intéressante, vivant les mêmes aventures décrites dans l’œuvre mais au milieu d’éléments caractéristiques du nouveau siècle : il se déplaçait en automobile et non à dos de son cheval Rocinante. L’année suivante, L. Porras édita une nouvelle série et Fermí Sagristá fit de même pendant la Grande Guerre, représentant Don Quichotte en plein conflit mondial avec son fidèle écuyer Sancho. En outre, d’autres exemplaires circulèrent hors de l’Espagne, comme la série de L’ingénieux chevalier Don Quichotte de la Manche, éditée par la maison d’édition française Solyphot en 19098.
Par ailleurs, les cartes collectionnables tirèrent également parti de l’image de Don Quichotte pour illustrer de nombreux exemplaires, souvent à des fins publicitaires, comme ce fut le cas de la collection publiée par la Lithographie parisienne pour les magasins Au Bon Marché9 (Almarcha, Sánchez y Fernández, 2007). Pour finir, un des supports privilégiés pour reprendre l’image du célèbre personnage cervantin fut la bande dessinée, car elle permettait de raconter les aventures de Don Quichotte au moyen d’une forme de narration attrayante. La bande dessinée, dont les origines remontent au milieu du xixe siècle, se développa principalement pendant le siècle suivant, grâce aux améliorations continues de l’industrie graphique. En Espagne, la publication de TBO en 1917 provoqua une rupture significative, donnant lieu au mot « tebeo » lui-même pour désigner les séries d’aventures racontées sous la forme d’histoires graphiques. De nouvelles publications virent le jour lors des deux décennies postérieures, comme Pulgarcito ou Pocholo, parallèlement à l’essor de l’industrie dans le monde entier grâce à des personnages aussi connus que Tintin en Belgique ou Winnie-the-Pooh et Tarzan aux États-Unis (Coma, 1977 et Moix, 2007).
Don Quichotte, bien entendu, figurait parmi les protagonistes de ces bandes dessinées. Paru en 1903, Le retour de Don Quichotte fut l’un des premiers exemples de ce type de représentations. Le journal humoristique français Le Bon Vivant publia cette série de neuf vignettes qui reprenait certaines des aventures de Don Quichotte. En Espagne, la première adaptation du Quichotte en bande dessinée vit le jour dans les années 1940, en tant que publication indépendante et non comme composante d’une publication existante, comme c’était le cas dans l’exemple précédent. Publiée par Hispano Americana de Ediciones, elle s’intitulait Don Quijote de la Mancha et comptait seize pages illustrées par des dessins de Torrent. À partir de ce moment, le recours au personnage de Cervantès devint fréquent dans la bande dessinée, soit dans des adaptations de l’œuvre écrite, soit lors d’apparitions sporadiques au sein de courts récits, divers et variés. L’un des nombreux exemples se trouve dans le numéro 49 du célèbre Journal de Tintin, d’édition française, publié le 29 septembre 1949, intitulé précisément Don Quichotte10. Ainsi, le saut au neuvième art, la bande dessinée, apporta à l’œuvre une nouvelle voie de diffusion et d’appropriation, car il augmentait le public qui pouvait accéder aux aventures de l’ingénieux hidalgo de La Mancha. En outre, ce média, situé à cheval entre la littérature et l’art, consolida le statut d’archétype universel que le personnage avait gagné avec le temps (Almarcha, Sánchez y Fernández, 2006).
Le Quichotte dans Hazañas bélicas
On a pu retracer brièvement l’évolution de l’illustration graphique du Quichotte jusqu’à la bande dessinée, média qui constitue la base de cet article. Il s’agit à présent de mettre en lumière sa présence dans la publication Hazañas bélicas, qui fut certainement la collection d’aventures mettant en scène des guerres la plus célèbre d’Espagne.
Cette publication débuta sa longue existence en 1948, sous la direction d’un des dessinateurs les plus connus de l’époque, Guillermo Sánchez Boix, dit Boixcar, au sein de la prestigieuse maison d’édition Toray. Elle narrait, dans un format paysage de 16 × 24 cm, des histoires courtes qui se déroulaient pendant la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée ou, dans une moindre mesure, la guerre d’Indochine. Leur succès rapide n’était en rien un phénomène singulier, car il s’inscrivait dans une tendance constatée dans plusieurs pays, à cause des thématiques guerrières adoptées par les comics dans les années 1950. Aux États-Unis, certaines des séries les plus vendues furent Two-Fisted Tales, Frontline Combat, Fightin' Marines ou Our Army at War. Dans le cas de l’Espagne, cette tendance s’observe également à la même époque à travers les cas de Historias de guerra et Relatos de guerra, une autre des séries à succès de la maison d’édition Toray et dont la publication débuta en 1962, précisément lors de l’essor de ces courts récits d’aventures pendant la guerre (Díaz, 2014a : 212, Porcel, 2011 et Riches, 2009).
La période comprise entre les années 1940 et 1960 fut, par conséquent, le moment de plus forte production des tebeos en Espagne, comme ce fut d’ailleurs le cas dans d’autres pays. Cependant, dans le cas espagnol, cette évolution fut conditionnée par les conséquences de la guerre civile et de l’instauration de la dictature, principalement à cause de la censure imposée par le régime. De ce fait, l’augmentation considérable de la production éditoriale fut accompagnée par le fort contrôle exercé par l’État franquiste pour conditionner l’opinion que le jeune public avait des événements racontés dans ces bandes dessinées. Ainsi, les tebeos devinrent des objets culturels, facilement manipulables, au service de la nouvelle conception idéologique qui s’implantait progressivement (Altarriba, 2001 ; Marimon, 2005 et Vázquez de Parga, 1980).
Cette censure livre de précieuses informations, car le contrôle exercé sur les messages diffusés à l’époque nous permet d’appréhender directement les objectifs poursuivis à l’époque. Par exemple, on peut rechercher, à travers les personnages et les courts récits racontés dans les pages des diverses publications, la trace des ruptures au sein de la politique extérieure suivie par le régime pendant ces années.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’Espagne était officiellement un pays neutre, bien que sa proximité avec les puissances de l’Axe ne fît aucun doute. Après la défaite des régimes fascistes et la fin du conflit, les rapports entre l’Espagne et les États-Unis s’améliorèrent au fil de la décennie. Ce rapprochement atteignit son point d’orgue avec la signature des Pactes de Madrid en 1953 ; il s’agissait d’une série d’accords entérinant l’intégration de l’Espagne dans le bloc occidental après les années d’isolement imposées par la proximité franquiste avec l’Allemagne et l’Italie. En outre, l’influence de la culture nord-américaine fut de plus en plus perceptible, grâce à d’intenses campagnes de propagande destinées à orienter l’image de la superpuissance dans le monde, diffusées au sein de canaux et de mécanismes de diffusion multiples (Niño, 2012).
L’une des publications qui mit en lumière cette évolution fut, précisément, celle dont traite cet article : Hazañas bélicas, que le régime prit pour cible, du fait de son étroit rapport avec l’univers de la guerre, dans le but de diffuser une image biaisée des conflits armés qui avaient lieu hors de l’Espagne. Ainsi, les histoires racontées dans ses pages et les illustrations correspondantes ne prétendaient pas être un reflet des événements qui avaient eu lieu à l’occasion d’affrontements tels que la Seconde Guerre mondiale ou la guerre de Corée, mais diffusaient plutôt une interprétation en phase avec celle du régime franquiste (Díaz, 2014b : 67).
Les scènes de guerre constituent l’un des contextes au sein desquels le personnage de Don Quichotte a été le plus représenté, et les charges contre les moulins à vent, les lions ou les outres de vins constituent certains des épisodes qui, mettant en scène des affrontements, ont été le plus repris. Cet état de fait et la condition du personnage – un chevalier à la recherche d’aventures – permettent certainement d’expliquer la facilité avec laquelle le personnage a intégré des scénarios de conflits armés, que ce soit dans des bandes dessinées ou d’autres supports visuels. La consultation des plus de trois cents exemplaires de Hazañas bélicas a permis de retrouver la présence de l’œuvre de Cervantès dans deux des exemplaires de la série « extra rouge », dont les histoires se déroulent, respectivement, pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée.
En 1962, le numéro 62 de la série spéciale « extra rouge » comportait le récit « Don Quijote en Corea ». La première page était composée, presque dans sa totalité, d’une imposante illustration où le célèbre chevalier errant et son fidèle écuyer Sancho se tenaient près de deux chars d’assaut subissant l’impact d’une forte explosion. L’œuvre cervantine y constituait un recours décisif pour résoudre le problème posé dans l’histoire, car, comme on le précisait sur cette même page : « à l’instar de certains chevaliers errants, Don Quichotte remporta une bataille supplémentaire après sa mort. Et il ne la remporta point dans les plaines de La Manche ni dans une steppe de Castille, mais il la remporta en Corée !11 » (voir illustration nº 1).
Illustration nº 1 : Hazañas Bélicas, nº 62, série « extra rouge », p. 1.
On remarque d’emblée la puissance de l’arrière-plan de cette magnifique illustration, obtenue grâce à ce nuage de flammes et de fumée provoqué par la forte explosion des deux chars d’assaut.
Crédit : Dessin de ©Alan Doyer. Source : Centro de Estudios de Castilla-La Mancha.
La narration commence en 1925, quand un couple espagnol traverse l’Atlantique en direction des États-Unis, dans l’espoir de commencer une nouvelle vie. Au cours d’un dialogue maintenu sur le bateau, les deux protagonistes expriment l’amour qu’ils ressentent pour l’Espagne, avec des expressions telles que « Je voudrais que les choses de notre patrie ne s’éloignent pas de mon regard12 », ou bien avec la promesse que jamais ils n’aimeraient l’Amérique autant que l’Espagne. Vingt-cinq années plus tard, leur fils John Ramírez s’enrôle dans un centre de recrutement pour participer à la guerre de Corée, avec comme seule possession un exemplaire du Quichotte. Après avoir été déclaré apte au service, il voyage jusqu’au front, où plusieurs événements le poussent à se défaire du livre : on lui soutient que cet objet ne pourra pas le sauver à la guerre. Cependant, il refuse catégoriquement, car il s’agit de la seule chose qu’il lui reste de son père. L’action se poursuit avec l’arrivée du protagoniste sur l’une des positions américaines où seuls demeurent deux soldats, dont l’un est Gorila, un personnage emblématique de cette série. Ils doivent avertir que des renforts sont en chemin, mais ils sont surpris par un assaut terrestre lancé par les Nord-Coréens qui est suivi d’une reconnaissance aérienne sur leur position.
Les chances de survie dans cette situation périlleuse sont pratiquement nulles pour les Américains, mais l’œuvre de Cervantès leur fournit une aide inespérée. Pendant qu’ils dorment, John Ramírez fait un rêve prémonitoire qui l’entraîne dans l’aventure décrite dans le « Chapitre XLI : De la venue de Clavileño, et de la fin de cette longue aventure »13. Le célèbre épisode du cheval de bois inspire au soldat une méthode pour attaquer les Nord-Coréens par surprise. Pendant que ses deux compagnons les distraient, il se glisse dans un avion et attaque le campement ennemi depuis les airs, comme s’il traversait le ciel porté par le cheval de bois que décrit l’œuvre. L’opération est un succès et l’armée américaine parvient à avancer sur les positions adverses.
Cette péripétie illustre le lien le plus évident entre l’œuvre et la bande dessinée, car elle nous conduit au cœur d’un de ses passages les plus connus. Le roman devient le salut de ces trois soldats américains pris au piège, malgré les conseils donnés tant de fois au protagoniste de s’en défaire en raison de sa supposée inutilité. Le héros de cette histoire, ce jeune combattant d’origine espagnole, suit ainsi la prose immortelle de Cervantès pour triompher de l’ennemi.
Par ailleurs, le numéro 99 de la série spéciale « extra rojo », paru en 1962, contenait un récit intitulé « Nuevo Quijote ». La première page synthétisait l’idée au cœur de l’histoire, au moyen d’une citation tirée du chapitre LVIII de la seconde partie du Quichotte14 : « la liberté, Sancho, est l’un des dons les plus précieux que l’homme a reçus des cieux. Pour elle, et pour l’honneur, on peut et on doit mettre sa vie en jeu15 ». La liberté était, précisément, l’axe d’un récit qui prenait place pendant la Seconde Guerre mondiale (voir illustration nº 2).
Illustration nº 2 : Hazañas Bélicas, nº 99, série « extra rouge », p. 13.
Dès le début, il est fait référence au lien avec l’œuvre de Cervantès, au moyen du livre dans les mains du protagoniste et de l’inclusion de Don Quichotte et de Sancho Panza dans le coin supérieur droit.
Crédit : Dessin de ©Juan Mulero. Source : Centro de Estudios de Castilla-La Mancha.
Le récit nous conduit dans un camp de prisonniers français en Allemagne, où le protagoniste de l’histoire, René, dit « le fuyant », lit l’œuvre de Cervantès. À en juger par les dialogues, les détenus sont des prisonniers politiques, alors que « le fuyant » est un prisonnier de droit commun, arrêté pour vol. Le protagoniste a les faveurs des responsables du campement, car il les informe des plans ou des intentions que peuvent avoir les autres captifs mais, imprégné par l’idéal de liberté qu’il a lu dans le Quichotte, il considère l’heure venue de penser un plan pour s’évader. Le destin semble se ranger de son côté quand il apprend que, la nuit même, plusieurs camions doivent arriver, chargés d’explosifs et de produits combustibles. Il pense les utiliser comme une distraction pour permettre leur fuite. Il parvient à convaincre le reste des prisonniers de mettre son plan à exécution, malgré leur méfiance, et, à la faveur de la nuit, « le fuyant » tente de faire sauter les camions pour attirer l’attention des militaires pendant que les autres s’échappent avec succès de l’enceinte. Il est cependant découvert et arrêté avant de pouvoir s’enfuir à son tour. Bien qu’il reste en arrière, et conscient d’être condamné, il se montre entièrement satisfait de sa bonne action, car il considère que Don Quichotte aurait fait la même chose à sa place : « il faut sacrifier sa vie pour la liberté16 » et « Je l’ai écouté !17 » conclut-il (voir Illustration nº 3).
Illustration nº 3. Hazañas Bélicas, nº 99, série « extra rouge », p. 99.
La fin du récit fait, comme le début, directement référence au roman. Le personnage cervantin réapparaît, mais cette fois avec le visage de René, le protagoniste. Cette illustration renforce l’identification du personnage principal avec Don Quichotte.
Crédit : Dessin de ©Juan Mulero. Source : Centro de Estudios de Castilla-La Mancha.
Les deux récits suivent parfaitement les règles de la narration de la bande dessinée et transportent le lecteur dans des pays lointains où se déroulent des aventures périlleuses. Il faut signaler que la population espagnole ne disposait pas du même degré de connaissance quant au déroulement des conflits évoqués dans les deux scénarios ; la prédisposition face à chacun d’entre eux était donc certainement un peu différente. Les informations sur la Seconde Guerre mondiale atteignirent un niveau de diffusion extraordinaire, sans aucun doute du fait des grandes répercussions qu’avaient les hostilités des pays voisins sur l’Espagne. Cependant, le rôle prépondérant de la propagande invite à considérer avec prudence les connaissances effectives d’une société pourtant en demande d’informations. La Seconde Guerre mondiale impliqua la circulation continue de matériel de propagande distribué par chacun des pays impliqués, y compris par ceux qui se déclaraient neutres. Les supports retenus par les organismes étatiques pour transmettre l’information jugée nécessaire à l’ensemble de la société furent des plus variés, et l’essor des nouveaux moyens de communication permit d’étendre les consignes officielles à de larges pans de la société. Si les informations sur le conflit mondial mobilisèrent un degré de transmission d’informations sans précédent, à travers une multitude de moyens de communication, la guerre de Corée n’eut aucunement le même impact en Espagne. En cela, elle ne fut pas une exception : ce fut le cas dans nombre de pays, y compris les États-Unis. Au demeurant, la méconnaissance de la population des opérations militaires menées en Asie et leur faible impact sur la société américaine – comparé à celui de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre du Vietnam – expliquent que ce conflit soit désigné comme « la guerre oubliée ». En conséquence, la bande dessinée disposait de marges de manœuvre plus importantes, car il n’existait pas de repères sur le déroulement de la guerre qui fussent partagés largement.
Cependant, bien qu’il s’agisse de deux histoires distinctes, aussi bien dans le traitement que dans le degré de connaissances des lecteurs, elles possèdent des éléments communs et on peut en tirer des lignes d’interprétation qui nous permettent de répondre aux questions posées initialement.
Nous pouvons ainsi analyser la présence de l’œuvre cervantine dans le développement des récits. Bien que nous ignorions la raison qui a motivé cette décision, on peut supposer qu’elle a été influencée par l’universalité du Quichotte et par sa capacité à incarner des valeurs identifiables par un public jeune. Comme l’affirme Jean-Louis Guereña (2008 : 145), « l’œuvre cervantine constitue sans aucun doute, et depuis longtemps, un élément incontournable du panthéon culturel et aussi de la culture scolaire, un véritable capital culturel symbolique18 ». En effet, le Quichotte occupa rapidement une place importante au sein de la culture scolaire, mais l’intérêt pour l’œuvre grandit au début du xxe siècle. Grâce aux lectures obligatoires, le chevalier errant devint un personnage de référence pour le public constitué par les lecteurs majoritaires de la bande dessinée, sans oublier les autres lecteurs potentiels. En outre, cette connaissance de l’œuvre permettait d’identifier une série de valeurs attribuée à chacun des personnages, de sorte qu’elle constituait un recours efficace pour les illustrateurs : elle facilitait l’association ou l’assimilation de l’idée à transmettre. À l’instar des Rois Catholiques, du Cid ou de don Pelayo, le personnage cervantin devint l’une des figures les plus récupérées par l’Espagne franquiste dans sa tentative de faire revivre le meilleur du passé. Le visage le plus universel de la littérature espagnole contribuait ainsi à transmettre les enseignements moraux présents dans tous les numéros de Hazañas bélicas, où le bien triomphait du mal de manière très personnelle (Lucía, 2007 et Allen et Finch, 2004).
Il faut donc analyser les valeurs ou messages que l’œuvre et ses personnages transmettent. Bien qu’ils ne soient évoqués que dans deux exemplaires des bandes dessinées, ceux-ci sont suffisants pour retrouver les interprétations traditionnellement faites autour de la figure de Don Quichotte, tant dans ses relectures successives que dans ses nombreuses représentations visuelles. On retrouve ainsi une série de qualités récurrentes : le courage, la folie – considérée dans un sens positif – et l’héroïsme, pour n’en citer que quelques-unes.
Dans le récit de la Seconde Guerre mondiale, « le fuyant » possède la première des qualités, car il ne craint pas d’affronter le danger même si les soldats allemands, supérieurs en nombre, rendent toute fuite très improbable. Le courage est aussi incarné dans l’épisode de la guerre de Corée par le protagoniste au moment de mener l’assaut contre le camp ennemi malgré une planification improvisée et une infériorité numérique criante.
Ceci est étroitement lié à la folie positive. Souvent critiquée et disqualifiée, c’est précisément cette « folie » qui, au cours de ces deux histoires, permet aux protagonistes de trouver la solution au problème posé. À l’instar de Don Quichotte, qui affronta en solitaire des géants et des lions, les personnages des deux histoires agissent presque seuls contre l’adversité. Ils parient sur le succès de leur action grâce à la poursuite d’un idéal ou à la confiance absolue en un plan révélé en songe.
La résolution du problème en fait, inévitablement, des héros. René « le fuyant » et John Ramírez accomplissent une mission orientée vers le bien commun. De la même manière, dans l’œuvre de Cervantès, Don Quichotte lui-même se voit comme un héros en tentant de résoudre tous les problèmes et surmonter toutes les épreuves qu’il rencontre.
Enfin, pour terminer l’analyse autour de cet aspect, il nous faut indiquer que le choix de ces héros et antagonistes au moment de la publication de Hazañas bélicas est lié aux intérêts de l’Espagne dans les relations internationales exposées précédemment.
Tout d’abord, dans le récit qui se déroule pendant la guerre de Corée, on retrouve la trace de l’engagement progressif du régime de Franco dans le bloc occidental, qui contribua à doter l’image des États-Unis d’aspects positifs dans diverses aventures publiées, alors que les Japonais, les Coréens, les Chinois ou les Russes étaient toujours représentés comme les méchants de l’histoire que le devoir moral imposait d’affronter. En outre, ces derniers étaient tous fréquemment associés au communisme, ce mal auquel l’Espagne franquiste disait faire face par tous les moyens. Cependant, même s’ils incarnaient une menace, les ennemis étaient toujours dépeints comme maladroits ou peu intelligents, car ils étaient vaincus sans trop de difficultés dans tous les récits. (Díaz, 2014b : 82). Le choix des héros et des antagonistes dans l’histoire publiée dans le numéro 99 répondait aussi à ce changement dans la politique extérieure, cette fois marqué par la tentative de se distancer du passé germanophile : ce sont les Allemands qui détiennent captifs des Français. Cette situation illustre d’ailleurs l’une des nombreuses réalités de la guerre : l’internement de prisonniers par les Allemands, mais, à l’instar d’autres chapitres, l’image des soldats est traitée sans aucune critique. Il n’en reste pas moins qu’illustrer l’emprisonnement d’hommes pour motifs politiques est significatif, étant donné la résonnance avec l’Espagne de Franco.
Le troisième axe d’analyse concerne la représentation graphique. Contrairement à d’autres publications, où il prend effectivement part à l’action, Don Quichotte est l’inspirateur et non l’exécuteur dans les deux récits de Hazañas bélicas, ce qui se traduit par la faible présence du personnage dans les vignettes. Il apparaît deux fois dans le numéro 62, sur la première page (voir illustration nº 1) puis monté sur Clavileño (voir illustration nº 4) au milieu du récit, alors qu’il n’est présent qu’à une seule occasion dans le numéro 99, sur la première page (voir illustration nº 2). À chaque fois, ces représentations répondent aux critères qui lui sont traditionnellement associés et à la description que Cervantès fait de son propre personnage au début du roman : le visage émacié, le corps sec, la barbe pointue, portant une lance, une bassine ou une épée (Lenaghan, 2003 : 17). Cette image connue de tous est donc la plus efficace pour obtenir la reconnaissance rapide du grand public.
Illustration nº 4 : Hazañas Bélicas, nº 62, série « extra rouge », p. 11.
Cette scène intéressante représente le songe du protagoniste. Don Quichotte entre en scène avec fracas à dos de Clavileño, lequel exhale de la fumée sur quatre soldats nord-coréens qui s’enfuient de toute part.
Crédit : Dessin de ©Alan Doyer. Source : Centro de Estudios de Castilla-La Mancha.
En outre, il est intéressant de constater que le personnage cervantin est entouré d’éléments anachroniques19 dans les deux histoires où se perçoit le brio du trait des illustrateurs. Il est ainsi possible de repérer nombre de détails qui pourraient passer inaperçus aux yeux du lecteur, tels que la justesse des représentations des armes et des uniformes des différentes armées. Elles illustrent le soin apporté aux vignettes de Hazañas bélicas. Par ailleurs, les tanks qui apparaissent dans près d’une dizaine d’illustrations du numéro 62 ressemblent très fortement aux T-34, un des modèles les plus utilisés par les Nord-Coréens pendant la guerre. La page 15 du numéro 99 constitue un exemple de cette précision, en présentant dans une même vignette un tank, dont la structure est vraisemblablement soviétique, un véhicule blindé et un tank allemand, sans doute un Panzer. Notons aussi les caractéristiques des uniformes et les modèles des casques de chacune des armées, bien représentés et très similaires à ceux véritablement utilisés (voir les illustrations 5 et 6).
Illustration nº 5 : Hazañas Bélicas, nº62, série « extra rouge », p. 8 (détail).
Crédit : Dessin de ©Juan Mulero. Source : Centro de Estudios de Castilla-La Mancha.
Illustration nº 6 : Hazañas Bélicas, nº99, série « extra rouge », p. 15 (détail).
Ces vignettes sont seulement deux exemples de cet indiscutable brio avec lequel sont représentés les blindés ou les uniformes des soldats allemands, comportant d’intéressants détails qui démontrent une connaissance poussée de la réalité des conflits.
Crédit . Dessin de ©Alan Doyer. Source : Centro de Estudios de Castilla-La Mancha.
Enfin, le quatrième et dernier axe que nous pouvons aborder concerne la possible relation entre ces récits où apparaît Don Quichotte et la réalité, à moins qu’il ne s’agisse au contraire de narrations purement fictionnelles. Dans le cas du numéro 62, centré sur la guerre de Corée, il est difficile de savoir si l’attaque évoquée au cours de cette aventure correspond directement à l’un des épisodes du conflit, car les faibles données qu’elle livre ne permettent pas de le déterminer. Si le déroulement des mouvements militaires décrits peut certes rappeler certaines des opérations menées par les Américains pour empêcher l’avancée des Nord-Coréens, il est cependant fort probable qu’il s’agisse d’une opération fictive. La trame initiale du numéro 99 rappelle fortement, quant à elle, l’histoire d’Eulalio Ferrer20, bien que l’on ne puisse affirmer qu’elle ait influencé le choix du récit. Il s’agissait d’un habitant de Santander interné dans le camp d’Argelès-sur-Mer, en France, construit pour recevoir un grand nombre d’exilés espagnols qui fuyaient la guerre civile. Ferrer raconte qu’il se procura là-bas une œuvre de Cervantès, qu’il relut à plusieurs reprises pendant toute sa captivité et qui lui permettait de s’évader de la réalité pendant les longues journées du camp, jusqu’au point d’être imprégné par la lecture. Sa passion pour l’œuvre le conduisit à l’étudier toute sa vie et l’impact qu’elle eut sur lui transparaît dans ses écrits ultérieurs. La citation suivante de Ferrer résume parfaitement nombre des idées exposées au cours de cet article et achèvent cette étude sur la présence du Quichotte dans la publication Hazañas bélicas :
Je ne fais pas que lire Don Quichotte, je le vois. Il me semble être de chair et de sang. Dans chaque visage que je regarde, dans chaque geste que je fais, il y a des parties de lui. La force descriptive pénètre l’environnement et le rend quichottique. Nous ne sommes pas au xviie siècle, mais au xxe siècle. C’est un livre qui s’adapte au temps, qui court avec le temps. Don Quichotte peut dépeindre une époque, mais il la transcende et prend vie à chaque époque. Le temps est un multiplicateur de ses résonances. Cervantès voulait rendre célèbre Don Quichotte en l’offrant à Dulcinée. Et son souhait a été exaucé : il n’y a pas d’endroit au monde où ses actes ne soient pas connus21. (Ferrer, 1987).
Conclusion
Comme l’affirme Eulalio Ferrer, les exploits de Don Quichotte sont connus dans le monde entier et sa capacité d’adaptation aux différentes époques est indéniable. L’œuvre la plus universelle de la littérature espagnole a été l’objet de multiples interprétations et, dépassant l’intention de Miguel de Cervantès, les auteurs des relectures pertinentes ou les représentations graphiques constantes ont doté l’œuvre d’innombrables nuances qui, bien souvent, se diffusaient rapidement parmi le public.
Ces nouveaux apports ont enrichi l’œuvre et son analyse, de même que l’ont fait les nombreux supports qui l’ont représenté. Avec la bande dessinée, la lecture du Quichotte s’est située à mi-chemin entre deux grandes disciplines : la littérature et l’art. Surgit alors une façon différente d’appréhender la géniale création de Cervantès, à partir d’un nouveau sujet d’étude digne d’intérêt où le chevalier de La Mancha sert de jonction dans le dialogue qui se noue entre la réalité et la fiction.
Dans le cas de Hazañas bélicas, deux numéros ont recours à l’héritage de l’œuvre pour développer des récits pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. À défaut de connaître les motifs qui ont influencé l’inspiration des scénaristes, on peut penser qu’ils avaient trait à l’universalité et à la facilité d’adaptation de l’œuvre cervantine.
Son rôle dans les deux récits est sans aucun doute un autre point sur lequel il nous faut insister. Elle n’est pas un simple recours d’appoint, mais bien l’axe principal autour duquel se dénoue le problème posé par la trame narrative. La présence de ce recours littéraire ne relève pas de l’inclusion de circonstance, car elle était relativement courante dans l’industrie graphique, aussi bien dans le monde de la bande dessinée qu’au-delà, et se trouvait parfois influencée par la conjoncture politique. En plus de l’analyse purement formelle, la publication pendant la dictature permet de comprendre la construction du récit autour de ces deux conflits armés. Le traitement des personnages et de la narration répond à la forte influence exercée par le régime franquiste sur la production artistique de l’époque, mais aussi à l’influence nord-américaine, diffusée plus intensément grâce à la propagande produite outre-Atlantique. On peut ainsi constater comment ces illustrations ont participé à l’élaboration des récits de guerre que reçut la population espagnole, dans le contexte de la dictature franquiste.
Ce n’est, en fin de compte, qu’un exemple parmi d’autres de l’interminable liste des ressources que fournit toujours l’œuvre de Miguel de Cervantès, plus de quatre cents ans après sa parution. Les aventures connues dans le monde entier donnent lieu, dans ces deux récits, à deux exploits guerriers où Don Quichotte se révèle plus qu’armé.