Mémoires historiques. Le récit de soi extrabiographique dans Notes de bas de page et La Flamme

Historical memories. Extrabiographical self-narratives in Notes de bas de pages and La Flamme

DOI : 10.52497/kairos.708

Traduction(s) :
Memorias históricas. El relato de sí extrabiográfico en Notas al pie y en Llamarada

Résumés

Résumé : Les romans graphiques Notes de bas de page et La Flamme, publiés à trois ans d’intervalle par des auteur·rice·s argentin·e·s installé·e·s en Europe, ont en commun d’insérer la dernière dictature militaire argentine dans des trames temporelles et géographiques qui la débordent. Cet article analyse la façon dont des événements peu ou pas vécus de manière directe par Vollenweider et González sont paradoxalement racontés à travers le récit de soi. Sont ainsi interrogées la séparation de la catégorie des bandes dessinées de témoignage entre l’autobiographie et le récit sociohistorique et en dernière instance, certaines des modalités selon lesquelles la bande dessinée argentine actuelle reprend à la fois le vœu des années 1980 d’une réalité locale faite « materia aventurable », et l’investissement politique de la bande dessinée des années 1960 et 1970.

Abstract: Graphic novels Notes de bas de page and La Flamme, published three years apart by Argentine authors living in Europe, share a narrative that inserts the last Argentine dictatorship into an extended chronological and geographical perspective. This paper aims to comment on the way historical events Vollenweider and González have had no or little direct experience of are paradoxically addressed through self-narratives. It questions the separation of the testimony comics category between autobiographies and historical narratives and reflects on some of the ways today’s Argentine comics take over both the 1980s wish for a transmutation of local realities into “materia aventurable” and the 1960s and 1970s political approach to comics.

Index

Mots-clés

bande dessinée, Argentine, témoignage, récit de soi, González (Jorge), Vollenweider (Nacha)

Keywords

comics, Argentina, testimony, self-narrative, Jorge González, Nacha Vollenweider

Plan

Texte

Esta acechanza del pasado, casi constante, no solo interrumpe mi presente, literalmente lo invade.
Sylvia Molloy

Introduction

Selon Laura Vázquez, à partir des années 1960, la bande dessinée argentine cesse d’être un « territoire privilégié de l’évasion1 » (Vázquez, 2005). Se développe une historieta seria : une bande dessinée sérieuse qui, suivant une tendance observable au même moment en Amérique du Nord et en Europe, s’adresse à un public adulte. Sous plusieurs aspects, la bande dessinée se singularise. Pour le résumer à grands traits, les auteur·rice·s s’adressent moins à des masses qu’à des consciences individuelles, se détachent-elles·eux-mêmes de l’atelier fordiste pour acquérir une position d’auteur·rice·s irremplaçables et s’ancrent davantage dans des réalités contemporaines qui élargissent « les bornes de la matière à aventure2 » (Vázquez, 2005). Le virage est notamment marqué, dès la fin des années 1950, par la publication de El Eternauta, de Oesterheld et Solano López d’abord, puis de Oesterheld et Breccia pour la seconde version au discours politique critique plus affirmé sous la dictature d’Onganía, et de Oesterheld et Solano López de nouveau en 1976, sur un mode résolument engagé. Durant la dictature militaire de 1976-1983, ces évolutions se poursuivent, mais à vitesse considérablement réduite. Dans la bande dessinée comme dans le reste du monde de l’édition, le contexte fait l’effet d’un « coup aux livres3 » (Gociol, 2003). Oesterheld lui-même est séquestré et assassiné en 1977, après ses quatre filles.

Si la historieta seria continue d’évoluer pendant ces années, en particulier dans les pages des revues SuperHumor et Cuero, c’est donc avec le retour à la démocratie que le renouveau se précise, conjugué au choc laissé par la dictature. La revue anthologique Fierro, qui apparaît en 1984 et devient rapidement l’épicentre du développement de cette bande dessinée, est sous-titrée « Historietas para sobrevivientes4 ». Les mentions de Oesterheld sont constantes dans les premiers numéros : le scénariste devient « à la fois la tradition, la démocratie et le témoignage de l’horreur : la patrie5 » (Reggiani, 2005). Il fait figure de maître et de programme. De fait, nombreuses sont les bandes dessinées de la revue qui font référence au Proceso et posent la question traditionnelle des modalités de représentation de l’horreur. Laura Vázquez lie cet effort à l’apparition progressive, en Argentine, d’une tendance du témoignage et du récit à la première personne qui se dessinait déjà à l’échelle mondiale. Elle décrit le moment du retour à la démocratie comme celui d’une « revalorisation de la première personne et [de] la revendication d’une dimension subjective de la narration des événements historiques6 » (Vázquez, 2010 : 295). La percée de plus en plus en nette que faisait le récit de soi dans la bande dessinée, et qui allait s’intensifier dans les années 1990, serait, en somme, directement liée, en Argentine, au sentiment de nécessité du témoignage laissé par la dernière dictature militaire.

C’est dans cet héritage que peuvent être situés les romans graphiques Notes de bas de page (Vollenweider, 2017), de Nacha Vollenweider, et La Flamme (González, 2020), de Jorge González7. Plus de trente après la dictature, les deux auteur·rice·s argentin·e·s reviennent à leur tour sur l’histoire du pays en la mêlant à leur histoire familiale. Leurs deux œuvres ont en commun d’avoir été réalisées depuis une double distance vis-à-vis de cette histoire. Une distance temporelle d’abord. Respectivement né·es en 1983 et en 1970, Vollenweider et González n’ont pas eu la même expérience directe de cette période que les auteur·rice·s de Fierro et ne relatent pas les événements « à chaud ». Et une distance géographique par ailleurs. Les deux bandes dessinées sont réalisées depuis l’Allemagne et l’Espagne où se sont respectivement installé·e·s Vollenweider et González, depuis 2013 pour l’une et 1995 pour l’autre. Pour ces raisons, entre autres, les récits qu’il·elle·s proposent ont peu à voir avec les témoignages directs des années 1980. C’est donc la nature de ces témoignages que l’on pourrait dire « de seconde génération » que je m’attacherai à interroger en analysant la façon dont l’une et l’autre des auteur·rice·s élaborent des récits de soi que je nommerai extrabiographiques. C’est-à-dire, la manière dont des événements peu ou pas vécus de manière directe sont paradoxalement explorés à travers le récit de soi, et la manière dont le récit de soi produit un discours, à la fois sur ces événements et sur le sujet auctorial. Pour guider cette analyse, je m’appuierai notamment sur le texte « Dates de naissance. Récit de soi et ontologie du présent » de Didier Éribon, ainsi que sur quelques-unes des communications avec lesquelles il a été publié dans le recueil Principe d’une pensée critique (Éribon, 2016). Didier Éribon propose dans cet article une réflexion non pas sur l’autofiction mais sur l’auto-analyse, qu’il situe d’emblée « à l’opposé » de la première en ce qu’elle est « obligée de s’interroger sur le point de vue à partir duquel elle s’énonce » (Éribon, 2016 : 17-18). Toutefois, son analyse s’appuie en large partie sur des textes autofictionnels qui, s’ils ne sont pas « obligés » de se soumettre à cette interrogation, n’en sont pas moins empêchés.

Récit de soi, récit historique et histoire du soi

Archives du soi

Au cœur de toute entreprise de récit de soi, Didier Éribon place la question de la ou des dates de naissance. Écrire sur soi, c’est d’abord se demander où et quand commence « je » :

La première question qui sous-tend toute entreprise autobiographique, et encore plus toute entreprise autoanalytique est celle de la date de naissance : pas celle de l’état civil (la date de naissance légalement certifiée, administrativement enregistrée), mais celle de la condition que l’on vit, de la séquence historique dans laquelle on s’inscrit, de la situation géographique, de la position politique dont on est le produit […]. La question peut se traduire en ces termes : où et quand commence l’autobiographie ? Je veux dire : à quel moment du temps faut-il remonter ? Dans quel territoire faut-il fixer le commencement ? Où et quand commence « je » ? Le “moi” est un composé d’histoire et de géographie, et c’est cette composition qui nous fait être ce que nous sommes. Et si la formation du sujet doit être rapportée aux structures sociales et à leur histoire, il nous faut déterminer quelles sont ces structures sociales, quelle est cette histoire (Éribon, 2016 : 33).

En conjuguant, à des degrés et à travers des procédés différents, récit de soi et récit d’événements historiques, c’est ce Moi « composé » que mettent en récit Notes de bas de page et La Flamme. Comme son titre l’indique – en lui-même et par l’évocation intertextuelle du conte de Rodolfo Walsh Nota al pie – Notes de bas de page est organisé autour d’un système de notes. L’autrice-narratrice se représente dans son quotidien en Allemagne, dans lequel, régulièrement, des choses vues ou entendues lui rappellent des scènes passées. Un numéro apparaît alors et est reporté en fin de séquence, ouvrant une note, selon un principe de récit enchâssé. De manière presque pédagogique, les notes présentent et synthétisent achronologiquement des événements historiques plus ou moins récents à travers différents personnages de l’histoire familiale de l’autrice-narratrice, tel qu’un oncle disparu durant la dictature ou un ancêtre colon, Enrique Vollenweider8, qui s’était établi dans la province de Santa Fe dans les années 1850. Séquence après séquence, le récit enchâssé télescope derrière le présent du Moi une histoire plus vaste, qui dépasse son seul cadre biographique. Dans La Flamme, cette histoire n’apparaît pas de manière aussi explicite – elle est même peu perceptible pour un·e lecteur·rice qui ne connaîtrait pas l’histoire argentine. Elle constitue l’arrière-plan, détectable dans quelques dates et détails évocateurs, d’une fresque temporelle qui s’étend de 1903 à 2019. L’historicisation du Moi passe en premier lieu par l’histoire du grand-père de Jorge González, l’ex-joueur du Racing Club José María González – dit « La flamme » (Llamarada) ou « El ruso9 » du fait de ses cheveux roux – et par celle de sa descendance masculine, de son fils à ses arrière-petits-fils.

Dans l’une et l’autre des œuvres, le strictement personnel est évacué au profit d’un motif de la transmission. C’est ce qu’explicite une séquence très verbale de l’avant-dernier chapitre de La Flamme, représentant un débat autour du thème « Qu’est-ce que la vocation ? » (LF : 245-251). En Espagne dans un passé très proche, un présentateur donne successivement la parole à trois intervenants : Ricardo Ambrosio, personnage fictif de coach en développement personnel, et Hernán González et Soledad García Parajuá, ami·e·s de l’auteur et respectivement chercheur en microbiologie et génétique et chercheuse-psychanalyste. Tandis que le coach gesticulant incarne une caricature de la croyance en la force de volonté et, donc, en une forme d’individualité radicale, les deux autres intervenants lui opposent l’idée d’une porosité du soi – depuis une perspective psychanalytique familiste pour Soledad García Parajúa qui soutient que « l’être humain est configuré par ce qui est relatif et transitoire » et qu’il est souvent nécessaire de remonter trois générations en arrière pour comprendre un patient, et depuis une perspective épigénétique dans le cas de Hernán González qui explique qu’un certain nombre de données ADN sont transmises de génération en génération mais que « notre comportement est capable d’altérer l’ADN et que ces changements sont transmissibles à notre descendance » (LF : 248). Ce dernier referme le débat en reformulant la question de départ en : « [o]ù est la limite de ce qui est héritable ? » (LF : 251). Plus que celle de la représentation d’événements historiques ou biographiques pour eux-mêmes, c’est cette question qui anime l’œuvre. En mettant en scène sous la forme d’un débat auquel il assiste depuis le public des conversations qu’il a eues avec chacun·e de ses ami·e·s10, le dessinateur se représente aux prises avec ces questionnements qui traversent la bande dessinée. Une démarche similaire est mise en récit dans les dernières planches de Notes de bas de page. L’autrice-narratrice se rend chez Esther, une parente éloignée, présentée comme son alter ego au moyen d’une liste de leurs points communs, depuis leur goût pour la collection et les marches en montagne au fait qu’elles partagent toutes les deux leur vie avec une Allemande (NDBP : 200-204). Or, cet alter ego apparaît en archiviste de l’histoire familiale. Devant une grande bibliothèque, Esther ouvre pour Nacha un album photo dont la structure des pages met en abyme celle des planches de la bande dessinée, majoritairement divisées en deux grandes cases (NDBP : 201) [Figure 1]. Par ricochet, les récits historiques élaborés par l’autrice sont désignés comme un travail de constitution d’une archive d’une histoire intime (Díaz, 2017).

Figure 1.

Image

© Vollenweider / iLatina

Récits de soi en héritier·ère

De fait, Notes de bas de page fonctionne selon un principe d’accumulation. Le système des notes documente chaque instant de la vie quotidienne de l’autrice-narratrice en l’enchâssant dans des structures et des contextes mis en image par la reproduction de documents historiques et de photos de famille. À ces enchâssements répond, dans La Flamme, un jeu sur les couches et le mixed media. Tout au long de l’œuvre se succèdent et se superposent de nombreuses techniques et de nombreux matériaux, du trait de crayon tremblant aux aplats de couleur numérique, en passant par le pastel gras, la peinture ou l’encre. Cette accumulation est encore accrue par une pratique – fréquente chez González (Latxague, 2015) – du partage ponctuel de l’auctorialité dans certains chapitres et de l’insertion de documents extérieurs tels qu’une lettre manuscrite, des dessins d’enfant ou des coupures de presse. Dans l’une et l’autre des bandes dessinées, les auteur·rice·s-narrateur·rice·s se représentent inséré·e·s dans des récits épais composés de discours pluriels et entremêlés qui les placent en héritier·ère·s d’une histoire qui déborde les frontières géographiques et temporelles de leur propre existence. Cette constitution d’un soi-héritier·ère passe par une insistance partagée sur la transmission de prénoms ou surnoms d’une génération à l’autre. Dans La Flamme, Jorge González joue sur son homonymie avec son père. Lorsqu’apparaît pour la première fois dans le récit un enfant nommé Jorge (LF : 99), la·le lecteur·rice est porté·e à croire qu’il s’agit de l’auteur et non de son père. La confusion est même encouragée : Jorge-père est représenté en étudiant en architecture et, donc, en train de dessiner (LF : 105-107). Ce n’est qu’au moment du récit de la naissance de Jorge-fils que l’homonymie est explicitée – et soulignée – par des paroles attribuées à la mère : « [o]n l’appelle Jorge, comme toi ? » (LF : 111). La transmission répète celle qui apparaissait déjà dans les chapitres précédents entre José et Jorge-père, surnommé « Rusito11 » par ses coéquipiers de football en dépit de ses cheveux bruns. La chevelure rousse de José réapparaît quant à elle chez Mateo, le fils du dessinateur, dont il est dit à sa naissance qu’il « ressemble à petit vieux » (LF : 168). Le retour, dans le dernier chapitre, de ces cheveux roux qui avaient valu son surnom à José est mis en exergue par un traitement au pastel tout en sensualité et par le contraste offert par le bleu de la mer et du trait de contour, faisant l’effet de la transmission d’une « flamme », comme un passage de témoin.

La nature de cette transmission excède le cadre strictement familial. Dans Notes de bas de page, l’autrice-narratrice souligne elle aussi : « [m]oi, je m’appelle Ignacia en l’honneur de mon oncle » (NDBP : 20). La phrase apparaît immédiatement après la première mention du fait que cet oncle, Ignacio, a disparu lors de la dernière dictature militaire argentine. Derrière le prénom, c’est de certains aspects d’une histoire locale qu’hérite Nacha. De la même manière, il n’est pas anodin que le grand-père que Jorge González choisit comme point de départ du récit porte les couleurs de l’Argentine sur le maillot du Racing Club qu’il arbore dès la couverture (couleurs adoptées par le club en 1910, en l’honneur du centenaire de la Révolution de Mai). Au moyen de l’insistance sur ces transmissions, les auteur·rice·s-narrateur·ice·s se situent dans une « séquence historique » et renvoient leur(s) date(s) de naissance à la dictature, au premier péronisme, à l’entrée massive des Européens en Argentine dans la seconde moitié du xxe siècle sous l’effet des politiques alberdiennes, à l’assujettissement et au massacre des Indiens par lesquels s’est traduite cette présence ; mais également à des moments plus indépendants de l’histoire argentine, tels que, dans Notes de bas de page, la guerre civile syrienne de 2014 et les flux de migrations vers l’Europe qu’elle a entraînés, ou, dans La Flamme, certaines traditions gaditanes et judéo-chrétiennes. En mêlant récit de soi et récit historique, les deux bandes dessinées proposent une « exploration des sédimentations historiques déposées en nous » (Éribon, 2016 : 123) : elles se situent du côté de ce que Didier Éribon nomme avec Michel Foucault une « ontologie historique de soi-même » (Éribon, 2016 : 19). Elles dépassent les deux voies distinguées par Catherine Mao dans sa thèse parmi les bandes dessinées qui conjuguent récit de soi et récit d’événements extérieurs au soi – celle de « l’exemplarité », dans laquelle le récit de soi est une façon de parler d’une réalité en attestant sa crédibilité de témoin, et celle de « l’exception », dans laquelle le regard sur l’extérieur n’est plus un objectif mais un moyen, permettant d’accéder à soi sur le mode autobiographique (Mao, 2010 : 152-153). Dans Notes de bas de page et La Flamme, il n’est pas possible d’opérer cette distinction sans altérer la complexité du Moi « composé » qui y est mis en récit. Les éléments extrabiographiques convoqués se déposent dans le soi et, simultanément, le soi reflète une histoire.

Récit de soi historique

Le soi comme lieu de mémoire

Cette indissociabilité du biographique et de l’extrabiographique travaillée par Vollenweider et González actualise un vœu formulé en 1980 par Juan Sasturain. Dans un texte intitulé « El domicilio de la aventura12 », celui qui allait être le rédacteur en chef de Fierro remarquait une difficulté, chez les auteur·rice·s de bandes dessinées argentin·e·s qui ancraient leur récit sur le territoire national, à distinguer la « véracité » de la « vraisemblabilité13 » (Sasturain, 1995 : 55-60). Ce qu’il appelait la « circonstance nationale » faisait l’effet d’une limite imposée à l’imagination et à « l’aventure » : sitôt que les auteur·rice·s quittaient les « domiciles de l’aventure » privilégiés qu’étaient San Francisco ou Paris pour Buenos Aires, leurs récits se teintaient d’une forme de morosité qu’ils·elles expliquaient en argumentant que s’ils·elles transposaient leur personnage à « avenue Corrientes14 », il leur faudrait faire apparaître « dans la case suivante […] un policier qui les arrêterait15 ». Sasturain faisait valoir que les aventures imaginées dans les territoires étrangers ne correspondaient pas pour autant davantage à des réalités locales : lorsque les auteur·rice·s situaient leurs récits à Paris ou San Francisco, ils·elles ne se souciaient plus de leur « véracité » mais seulement de leur « vraisemblabilité » au regard, non pas d’une réalité historico-géographique, mais d’une « mythologie » du lieu. Si l’aventure achoppait à tant de limitations sur le sol argentin, c’était donc parce que « son référent [était] la réalité crue, l’histoire nationale, le paysage, tout un monde qui n’[avait] pas encore été nommé, une réalité qui n’avait pas été approchée16 ». En ployant sous la force de cette limite, les auteur·rice·s se faisaient l’écho d’une vision du monde qui « postul[ait] [leur] insignifiance et [les] pla[çait] dans une périphérie depuis laquelle l’Aventure et même l’Histoire sembl[aient] se muer en spectacle17 » : leur regard était colonisé. Sasturain concluait que, pour œuvrer à une décolonisation de ce regard, il faudrait, d’une part, que le contexte de production – les éditeurs et leur inscription dans les logiques autoritaires – évolue et que, d’autre part, les mécanismes de ce néocolonialisme culturel soient analysés.

En adoptant des postures de déplacé·e·s, Vollenweider et González renversent le regard extérieur (et extériorisant) sur la « circonstance nationale ». La perspective adoptée demeure celle des centres de l’impérialisme culturel, puisqu’il·elle·s se représentent élaborant ces récits depuis Hambourg et Madrid, mais ces centres sont activement investis par les auteur·rice·s-narrateur·rice·s. C’est une perspective argentine qui s’exprime depuis l’Europe et qui, du même coup, devient totalisante. L’abandon de la position de spectateu·rice·s périphériques est d’autant plus manifeste que, à différents égards, les Soi mis en récit dans Notes de bas de page et La Flamme sont conçus comme des lieux de mémoire. C’est de cette façon que l’on peut comprendre la référence au conte de Borges « El Aleph » et la lecture qui en est proposée chez González. Lorsque, dans le cinquième chapitre, José demande à son fils ce qu’il est en train de lire, ce dernier répond : « [u]n livre que m’a donné maman. C’est de Borges, son écrivain préféré… /… L’histoire d’un homme qui voit tout ce qui se passe dans l’univers en un seul point. C’est ce que j’ai compris, en tout cas » (LF : 89). Cinq chapitres plus tard, une nouvelle référence est faite à Borges par la mère, à travers une lettre laissée à son fils avant de mourir. Elle donne quelques instructions concernant son petit-fils et cite le titre du poème « Las cosas » : « [a]rrange les choses de façon à ce qu’il soit l’héritier principal. Laisse-le conserver les affaires, la maison, les petits souvenirs, les “choses”. Ces choses dont parle mon cher Borges : “Le bâton, les monnaies, le porte clés…” » (LF : 161). En tant qu’héritier désigné, Jorge devient le dépositaire des « choses », des témoins d’une époque qui perdurent « par delà l’oubli18 » (Borges, 1969 : 69). Il devient, en d’autres termes, un Aleph : un point depuis lequel peuvent être observés tous les lieux et tous les temps – ou, du moins, des lieux et des temps qui débordent largement sa trajectoire biographique. Dès lors, parcourir le soi, son quotidien, ses relations, ses goûts, c’est parcourir l’histoire. Lorsque, dans le sixième chapitre, le petit Jorge voit passer en voiture des hommes moustachus menaçants alors qu’il sort d’un bar dans lequel il a regardé un match avec son grand-père, la scène n’est commentée qu’à hauteur d’enfant (« [i]ls faisaient peur », LF : 131) et est immédiatement suivie, après une ellipse au milieu de la planche, par une scène montrant le petit garçon en train de se dessiner une moustache pour imiter un joueur de football dont il tient une vignette dans la main, sur laquelle on lit « Argentina 7819 ». C’est par cette seule « chose » qu’est synthétisée la tenue de la coupe du monde dans le contexte de la dictature et son instrumentalisation comme symbole et vecteur d’union nationale tandis que des prisonnier·ère·s étaient torturé·e·s, à quelques mètres du stade, dans l’ex-ESMA. Les premiers chapitres du roman graphique donnent à voir le développement de l’Union nationale par le football à travers les représentations successives du stade du Racing Club, d’abord plat et attirant des spectateurs épars en 1913 (LF : 44-45) puis cerné de hauts gradins peinant à contenir une foule compacte (LF : 72-73), rappelant les descriptions que faisait Scalabrini Ortiz du porteño en 1931 : « [l]e Portègne cherche des idoles, de quelque espèce que ce soit, qui polarisent sa sensibilité, des idoles devant lesquelles se déposer tout entier, avec ferveur. Il est volontiers supporter d’une équipe de football, dont il ne connaît pas personnellement les joueurs et du club d’adhérents de laquelle il ne fait pas nécessairement partie. Il peut se battre pour cette équipe. En venir aux mains pour elle20 » (Scalabrini Ortiz, 1932 : 56).

Dans Notes de bas de page, le lieu de mémoire institutionnel est plus explicitement laissé de côté au profit d’un lieu de mémoire ancré dans l’intime et le familial, sans qu’il ne perde rien de sa dimension collective. Dans une note qui se déroule dans un passé récent à Córdoba, Nacha mène Chini dans l’ex D2, centre de détention de la dictature transformé en « Sitio de memoria21 », tel que l’indique une plaque sur le pas de la porte, mais la visite est expédiée en deux cases et l’intérêt mémoriel du lieu est presque mis en doute par Nacha qui explique : « ils ont refait les murs à neuf pour que les victimes ne puissent pas les reconnaître » (NDBP : 75). Si la rapidité de la visite s’explique en partie parce qu’elle est un détour dans l’itinéraire des deux femmes, elle tient surtout à ce que la dictature a déjà été racontée à travers un lieu de mémoire dans la note précédente : la maison de la grand-mère de Nacha. Là où il n’est presque rien montré de l’ex D2, la maison est parcourue méthodiquement, pièce par pièce, au moyen de cases montrant, comme des photos-témoin, les traces de l’histoire dans chaque recoin (NDBP : 23-47). Parcourir la maison familiale, c’est parcourir une histoire argentine qui s’étend du début de la dictature au kirchnérisme – et que la structure du récit élargit encore. La note dédiée à cette maison est déclenchée, dans le récit-cadre, par l’évocation de la gare d’Altona à Hambourg, dont le nom est un « hommage au quartier Altona à Talpaque, province de Buenos Aires » (NDBP : 12). Le début de la note fonctionne ensuite par associations d’idées :

Ils disent que j’exagère, mais ce que je préfère en l’Allemagne [sic.], ce sont ses trains. / Les nôtres, en Argentine, ont été apportés par les Anglais, ils amenaient le progrès. / De ce progrès, il ne reste que les panneaux des stations abandonnées. / Dans ma ville natale, le train est passé pour la dernière fois en 1977. / La même année où ils firent disparaître mon oncle Ignacio, le « bouchon » (NDBP : 17-19).

La condition de déplacée de l’autrice, qui se remémore la visite de la maison depuis un train à Hambourg, télescope en un même instant le parcours de lieux distants et des mémoires qu’ils évoquent, tissant du même coup des liens entre ces derniers – en l’occurrence, entre deux entreprises de pseudo « progrès » ou de « réorganisation » : celle des colonies européennes de la seconde moitié du xxe siècle, et celle de la dictature militaire. Le récit de soi ouvre un « tunnel temporel », à l’image de celui qu’imaginent Jorge et son ami Hernán, adolescents, pour les personnages de la bande dessinée qu’ils créent à quatre mains : « [e]t si au lieu de voyager dans le passé ou dans le futur, la machine se casse [sic.] quand ils sont en train de voyager on ne sait pas trop où ? […] Ils pourraient être obligés de voyager à l’intérieur d’eux-mêmes ? » (LF : 140). Le parcours par l’intime autorise l’emprunt de tunnels temporels et géographiques signifiants – régulièrement matérialisés chez Jorge González par des transitions entre époques opérées par le passage des personnages par des passerelles souterraines, des ascenseurs ou des couloirs de métro. Le déploiement de ces tunnels cartographie des parcours situés et orientés d’une même période historique en fonction des positions depuis lesquelles se met en récit le Soi :

[…] « faire le diagnostic du présent », ou « l’ontologie de nous-mêmes » […] c’est nécessairement retracer la généalogie de ce que nous sommes. Qui sommes-nous ? Et comment le sommes-nous devenus ? Mais cette généalogie ne peut être restituée que dans une approche plurielle, sectorielle, « locale ». Ce sont des diagnostics et des ontologies de nous-mêmes. La temporalité historique ne saurait être unifiée, réunifiée, dans une grande synthèse que chacun de nous incarnerait ou qui s’incarnerait en chacun de nous : il y a des présents, qui sont différents pour chacun de nous, selon les collectifs, les catégories, les ontologies auxquels nous sommes rattachés, ou auxquels nous sommes référés par l’histoire, c’est-à-dire par le pouvoir, mais aussi par la résistance au pouvoir, par les mécanismes de l’assujettissement et par le travail individuel et collectif de désassujettissement (Éribon, 2016 : 19).

Ce sont les positions dont Vollenweider et González retracent la généalogie à travers un cadre chronologique plus ou moins identique que je voudrais à présent distinguer.

Notes de bas de page : récit de soi depuis les marges

Chez Nacha Vollenweider, c’est depuis un présent vécu dans les marges qu’est parcourue l’histoire. Dans le récit-cadre comme dans les notes, l’autrice-narratrice se représente en lesbienne. Elle multiplie les scènes de vie quotidienne avec sa compagne, dans le train en Allemagne ou dans la ville de Córdoba, et esquisse une forme de nouvelle bande dessinée de mœurs22 – qui n’est pas passée inaperçue puisqu’une case représentant Nacha et Chini dormant l’une à côté de l’autre a fait la couverture de l’édition du 19 mai 2017 de Soy, supplément hebdomadaire du journal argentin Página 12 dédié aux questions LGBTQIA+. La marginalité dans laquelle la situe cette identité est appuyée par une note dédiée au mariage des deux femmes. Elle est d’abord introduite par une discussion laissant entendre que le rite social est consenti dans le but de faciliter à Nacha l’obtention d’un permis de séjour permanent en Allemagne, et en dépit des réticences de la famille de Chini. La solitude dans laquelle se déroule le mariage est ensuite soulignée par la question liminaire de Chini, sur le mode de l’irréalité : « [q]ui tu aurais invité ? ». Comme en écho à cette question, les planches suivantes se peuplent de figures animales (un lapin et un éléphant humanoïdes, respectivement accompagnés d’une poule et d’un écureuil) qui les accompagneront dans la salle des actes. Dans l’article consacré dans Soy à Notes de bas de page, Diego Trerotola lie également ces figures animales à l’argument homophobe souvent entendu lors des débats autour des lois sur le mariage homosexuel selon lequel, si on autorise le mariage entre personnes de même sexe, on finira par autoriser le mariage avec des animaux (Trerotola, 2017). Ces invités chimériques accentuent d’autant plus la solitude dans laquelle se marient les deux femmes que l’un deux, le lapin, reprend un personnage sous les traits duquel l’autrice se représentait elle-même dans une bande dessinée précédente (Vollenweider, 2015). Sur l’avant-dernière planche, cette solitude est une dernière fois soulignée lorsque, en sortant de la salle des actes, Nacha et Chini croisent le couple suivant, hétérosexuel, suivi d’une ribambelle d’invité·e·s. Dans l’un des textes de Principes d’une pensée critique, Didier Éribon revient sur un contraste similaire vécu lors de son pacs. En sortant du bureau minuscule et encombré d’une greffière, dans lequel on lui a « concédé la possibilité de signer un contrat sur un coin de table », il est frappé par la « solennité pompeuse » d’une salle de mariage adjacente. La mesure de cet écart n’éveille pas en lui un désir de mariage (« certes non », précise-t-il) mais un sentiment d’exclusion qu’il analyse comme n’étant pas « limité au moment où on l’éprouve » mais témoin d’une situation permanente de subalternité : « [u]n sentiment d’exclusion ne saurait être limité au moment où on l’éprouve […]. Si fugace soit-il, dans la mesure où je le ressens, et surtout si je le ressens dans des lieux ou dans le contexte d’institutions auxquelles je n’aspire pas à appartenir, c’est que j’ai été socialisé comme un être soumis à l’exclusion, à l’infériorisation. En fait, l’exclusion est inscrite au cœur de mon être, et le sentiment si fort que j’en ai à certains moments n’est que l’affleurement à la surface de la conscience de ce que je suis à chaque moment de ma vie, même si je n’y pense pas » (Éribon, 2016 : 163-164). La scène rapportée est antérieure à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe en France.

En ce sens, dans Notes de bas de page, la note consacrée au mariage ne fait pas exception vis-à-vis des événements historiques relatés dans les autres notes. Loin d’être bornée à la dimension d’une anecdote, elle participe d’une généalogie de l’exclusion. La mise en relation, par la bande dessinée, de l’homosexualité et de certains exemples historiques d’exclusion est également loin, bien sûr, d’être bornée à la comparaison. De nombreux·ses disparu·e·s du Proceso de Reorganización Nacional ont été séquestré·e·s sur le motif de leur orientation sexuelle ou de leur genre. En juin 2019 encore, le chercheur argentin Facundo Saxe recevait des menaces de mort signées « La Triple A » après avoir été publiquement humilié à la télévision pour ses travaux de recherche sur la bande dessinée LGBT (Curia, 2019). En fait, tout se passe comme si, séquence après séquence, l’autrice-narratrice réagissait au discours de Videla rapporté dans la première note, selon lequel un disparu est « une incognita. /Il n’a pas d’entité. Il n’est pas » (NDBP : 23). Toute l’œuvre pose la question : comment disparaît-on ? Cette question fait écho au conte de Walsh, dont la présence intertextuelle épaissit encore l’archive imaginée par Nacha Vollenweider.

Les notes comme les séquences du récit-cadre composent en effet une galerie transchronologique d’assigné·e·s à la disparition. Elle s’incarne d’abord dans l’oncle, et, à travers lui, dans les disparu·e·s de la dictature militaire auxquel·le·s sont consacrées les deux premières notes. Les paroles programmatiques d’un tango de Discpéolo écouté par Nacha opèrent ensuite une transition vers un parcours gradué d’autres formes de disparitions :

… que el mundo fue y será una porquería ya lo sé… /en el quinientos seis y en el dos mil también, que siempre ha habido chorros/maquiavelos y estafaos, contentos y amargaos, valores y dublé… /vivimos revolcaos en un merengue y en el mismo lado [sic] manoseamos [sic]… 23 (NDBP : 49).

La mention de cette boue qui s’étend d’époque en époque est immédiatement traduite dans des questions de genre et de sexualité à travers une scène dans laquelle un homme rit grassement lorsque son chien urine sur Chini dans la rue, puis à travers la note consacrée au mariage. Est ensuite esquissé le portrait d’un Sud au moyen d’une série de menus dysfonctionnements vécus par Nacha et Chini dans leur quotidien à Córdoba, du système électrique défaillant de l’immeuble à celui des kioskos24 incapables de recharger les cartes de transport – système de recharge dont Nacha souligne qu’il a été imaginé par une entreprise allemande. Plus loin, ce Sud s’incarne avec une force autrement plus grande dans plusieurs séquences dédiées à la situation des personnes migrantes et/ou racisées en Allemagne et des classes populaires à Córdoba. En descendant du train, Nacha et Chini aperçoivent un homme noir contrôlé par la police au motif d’une traque aux sans-papiers. Nacha, immigrante argentine blanche, remarque : « [s]i moi j’étais une sans-papiers, ils s’en rendraient compte peut-être ? » (NDBP : 138). Elle compare ensuite ces interpellations racistes avec le Code de coexistence en vigueur à Córdoba, « qui établit que des personnes suspectes peuvent être interrogées » et qui « sert surtout à s’en prendre aux personnes des quartiers défavorisés » en « s’inspir[ant] des lois de la dictature » (NDBP : 146-149). Contrôles policiers en Allemagne et séquestrations de l’Argentine de la Junte sont placés dans une même histoire des disparitions organisées. Disparitions qu’illustrent les stratégies de dissimulation adoptées par les deux migrant·e·s syrien·ne·s qu’accueillent Nacha et Chini, qui assurent « [w]e are really quiet!!!25 » et avouent avoir été contraint·e·s de mentir sur leur relation puisque se déclarer comme un couple était la seule façon de ne pas être séparé·e·s. À ce réseau d’assignations à la disparition s’ajoute, enfin, dans la dernière note, l’histoire des Indiens et des colonies européennes installées dans les terres argentines dans la seconde moitié du xxe siècle. Sur une double page, l’autrice-narratrice représente à gauche une statue de son ancêtre colon Enrique Vollenweider – au moment de la mort duquel « les Indiens de la zone étaient considérés en extinction » (NDBP : 197) – encore en place aujourd’hui dans la province de Santa Fe, et couvre la planche de droite de peinture noire déposée à grands coups de pinceaux par-dessus laquelle on lit : « [p]our les Indiens, il n’y a aucun monument » (NDBP : 198-199). Cette page couverte de noir reprend le dispositif déjà employé pour dire la disparition de l’oncle Ignacio durant la dictature (NDBP : 36) et achève de tresser ensemble les disparitions égrenées par la bande dessinée, en même temps qu’elle suggère la place très différente qu’occupe Nacha dans ces généalogies en tant qu’Argentine blanche [Figures 2 et 3]. À la façon d’un « à suivre » glaçant, le récit se referme sur une planche qui montre Nacha s’arrêtant, dans la gare de Bern, devant une affiche du parti nationaliste suisse appelant à l’expulsion des migrant·e·s.

Figure 2.

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© Vollenweider/iLatina

Figure 3.

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© Vollenweider / iLatina

La Flamme : récit de soi depuis les masculinités

Dans La Flamme, le « tunnel » emprunté est ancré dans des rapports interpersonnels plus resserrés. C’est à travers les masculinités et, plus particulièrement, les rapports père-fils, que la période est parcourue. Ces rapports sont toutefois départicularisés par des répétitions qui les historicisent. Trois fois, entre José et son père, puis José et son fils, puis Jorge González et son père, une scène revient presque à l’identique. Le père et le fils prévoient de se retrouver plus tard et partent (ou restent) chacun de leur côté tandis que les planches ou les cases alentour se vident de traits ou de paroles (LF : 77 ; 105 ; 134). Cette histoire est accompagnée de sa propre documentation, moins directement « historique » que celle qui apparaît dans Notes de bas de page. Elle est constituée d’images des bordels du début du xxe siècle (LF : 16-21), des stades de football (LF : 57-76), du film Le fils du crack dans lequel un père explique à son fils que « les hommes ne pleurent pas » (LF : 93-97), de bagarres de cours de récréation (LF : 127) ou de comics de superhéros (LF : 132) – autant d’éléments qui désignent l’incommunicabilité et la conflictualité dans les rapports virils comme des structures qui dépassent le cadre de la famille de l’auteur-narrateur. De fait, c’est sûrement dans le rapport entre Hernán, l’ami de Jorge, et son père que cette conflictualité est donnée à voir de la manière la plus spectaculaire. Épuisé par l’injonction à la performance sportive que lui oppose son père en dépit de son goût bien plus grand pour les études scientifiques (« Pour qui tu te prends ? Tu fais ton scientifique… »), l’adolescent se casse volontairement la jambe durant un match de football (LF : 153-154). La scène apparaissait déjà dans Dear Patagonia, précédent roman graphique autofictionnel de Jorge González, à travers le personnage fictif de Cuyul qui s’amputait le poignet pour atteindre l’objectif de poids fixé par son père pour son prochain combat de boxe (González, 2011). Cet autre sportif, Mapuche, décidait ensuite de tout quitter, de son père à ses vêtements, pour s’installer dans les plaines de la Patagonie, avant d’être capturé par le chirurgien nazi et lecteur de Nietzsche Joseph Mengele qui allait greffer sur son moignon une patte de mouton. On voit les liens que l’on pourrait tirer entre ces rapports masculins et des entreprises de domptage des corps beaucoup plus organisées. L’absence du père de Jorge après le divorce d’avec sa mère est elle-même mise en images de façon très équivoque à la fin du septième chapitre : les barreaux de la porte de l’ascenseur derrière laquelle disparaît ce père dans une scène située en 1982 (LF : 143) ont de quoi faire songer à la dictature militaire au moins autant qu’à un nouvel au revoir du père et du fils. C’est la même équivocité que l’on retrouve lorsque, une vingtaine de planches après la scène qui montrait des hommes menaçants passant en voiture devant Jorge et son grand-père durant la dictature, le grand-père est renversé et tué par une voiture similaire, fondant les moments historiques d’affrontement dans des incarnations des rapports virils.

Une « inconnue » à « résoudre avec le temps »

En faisant le récit de la formation d’un être au monde depuis un contexte de production qui le permet, les deux œuvres actualisent le vœu de Sasturain. Elles y répondent en le transposant dans des situations particulières vécues dans le présent de l’écriture et en élaborant, depuis ces situations, des récits dissidents. Chacune à leur façon, les deux œuvres résolvent une inconnue avec le temps, selon le programme annoncé par Hernán au terme du débat sur les limites de ce qui est héritable (LF : 251). Que cette « inconnue », ou « incognita », relève de la subalternisation ou de la transmission de la masculinité, les deux dessinateur·rice·s se livrent à un double exercice de reconstruction mémorielle. Il s’agit, d’une part, de retracer une généalogie, de comprendre (dans tous les sens du terme) ces « inconnues » au moyen de l’historicisation et, d’autre part et par conséquent, de les mettre en récit dans leur « immanence » (pour reprendre un terme employé par Didier Éribon) et ouvrir la porte à d’autres « virtualités ». J’emprunte à dessein le terme de « virtualités » à Michel Foucault dont l’idée de « l’amitié comme mode de vie » (Foucault, 1994 : 163-167) peut permettre de penser la forme que prennent ces alternatives chez Jorge González. Bien que relatée en dehors du cadre de l’homosexualité à partir duquel l’imagine Foucault, la relation qui se tisse dans les chapitres 6 à 12 entre Jorge et Hernán entre en dissonance évidente avec les autres relations masculines du récit. Elle ouvre la porte à d’autres « virtualités relationnelles et affectives », à des « relations qui font court-circuit et qui introduisent l’amour là où il devrait y avoir la loi, la règle ou l’habitude ». Dans des espaces en marge (sous la douche, en mer, puis dans un autre pays, après leur expatriation simultanée), des scènes de discussions placées sous le signe de la vulnérabilité et de l’alliance ont lieu entre les deux garçons, puis les deux adolescents et les deux hommes. Ils partagent leurs émotions, confessent les relations qu’ils entretiennent avec leurs pères respectifs, observent leur corps, se prennent dans les bras et réfléchissent aux vertus de « l’erreur » pour imaginer une autre relation père-fils entre Jorge et Mateo – bientôt reconduite dans celle de Jorge et son père dans la seule séquence achronologique du récit, où le dessin s’atomise en particules, comme pour se recomposer, puis dans la relation fraternelle en devenir de Mateo et Leo. À mesure que la conflictualité des relations masculines est historicisée par la répétition, une généalogie alternative s’ébauche dans la relation construite par Jorge et Hernán. La grand-mère participe à la légitimer à travers une lettre dans laquelle elle désigne son petit-fils comme victime de la domination masculine, au même titre qu’elle-même, et demande à son fils de le laisser prendre d’autres chemins, affirmant : « [j]e veux mourir en revendiquant ses droits ». Dès le chapitre 6, dans lequel ils apparaissent ensemble pour la première fois, le petit Jorge, enthousiaste, demande à son grand-père : « [t]u savais qu’on a le même nom de famille ? » (LF : 131). De même, la planche qui suit immédiatement et qui montre Hernán lisant dans son lit contre les invectives de son père s’ouvre sur deux gros plans sur une affiche de Zorro, un superhéros dont l’amitié avec son fidèle serviteur Bernardo a inspiré au dessinateur Bob Kane les personnages de Batman et Robin, autre « daring duo » que le psychiatre étatsunien Fredric Wertham condamnait en 1954 dans son Seduction of the innocent comme incitation à l’homosexualité, puisqu’il montrait deux hommes proches se soutenant constamment l’un l’autre dans l’adversité (Wertham, 1954 : 189-193). En cela, l’écriture de la construction et, donc, des possibilités de reconstruction, des relations masculines dans La Flamme fait écho au vœu de Foucault d’une « amitié comme mode de vie » développée en « creus[ant] pour montrer comment les choses ont été historiquement contingentes, pour telle ou telle raison intelligible mais non nécessaire » et en « pens[ant] que ce qui existe est loin de remplir tous les espaces possibles » (Foucault, 1994 : 163-167).

À propos de Notes de bas de page, Pazchi Díaz a souligné la construction de ce qu’elle a nommé une « généalogie dissidente » (Díaz, 2017). Par cette expression, elle désignait une histoire familiale racontée à travers ses disparu·e·s – et, donc, à travers les moments où les branches de la généalogie se brisent – par Nacha et Esther, deux figures d’archivistes elles-mêmes minorées, auxquelles il faudrait ajouter celle de la grand-mère et ancienne mère de la place de Mai. Il est possible de donner un sens plus fort à cette « généalogie dissidente » en ce qu’elle s’affranchit du cadre familial et trace des liens beaucoup plus transversaux. D’une certaine façon, un glissement s’opère au fil de l’œuvre depuis l’association ou la comparaison des disparu·e·s de la famille avec des figures et des groupes extrafamiliaux vers le tressage – glissement qu’illustre le passage du moment où, dans les premières planches de l’œuvre, le motif quadrillé du siège du train allemand fait penser Nacha à la « matrice coloniale » des villes argentines, au plan rapproché sur des chaînes s’entremêlant sur la couverture d’un registre généalogique, dans les dernières planches de l’œuvre [Figures 4 et 5]. Lorsque, dans ces planches finales, Nacha et Esther reviennent à une histoire plus strictement familiale en étalant sur une table les photos de quelques ancêtres dont la mémoire s’est perdue, la juxtaposition prend des airs de synthèse. Les descriptions faites de ces lointains parents retrouvés font écho aux motifs de disparition égrenés au fil de la bande dessinée : une femme « ressemble à une Indienne », deux hommes dont la présentation groupée laisse entendre qu’ils formaient un couple « sont morts dans un asile », deux autres femmes ont respectivement « véc[u] en célibataire » et « été diagnostiquée[s] hystérique[s] », et la trace d’une dernière a été perdue après qu’elle s’est mariée à un homme. Lorsque l’autrice-narratrice conclut à propos du dernier parent décrit, plus proche d’elle et d’Esther dans la généalogie, « [c]’est de là que nous venons », c’est bien de toutes ces figures et de celles qui se télescopent derrière elles qu’elle semble parler, depuis la marge. À rebours du verdict d’un journaliste selon lequel la bande dessinée de Vollenweider pêcherait par une « confusion » mise sur le dos d’un « manque de maîtrise scénaristique dû à la jeunesse de l’autrice » et d’une « identité graphique […] pas encore clairement définie » (Figueres, 2019), l’accumulation et l’achronologie travaillées dans Notes de bas de page dessinent des généalogies transversales et dissidentes du soi.

Figure 4.

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© Vollenweider/iLatina

Figure 5.

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© Vollenweider / iLatina

Conclusion

Là où les bandes dessinées argentines qui mobilisaient l’histoire locale dans les années 1980 étaient des témoignages de survivant·e·s, celles de Nacha Vollenweider et Jorge González prennent la forme de témoignages de seconde génération, à la fois au sens où les auteur·rice·s-narrateur·rice·s se mettent en scène comme appartenant à une génération postérieure, et au sens où la reconstitution de l’événement précisément situé est plus globalement troquée contre l’écriture d’un continuum socio-géographico-historique. La position de témoin adoptée est aussi bien celle d’un·e observateur·rice et d’un·e rapporteur·rice que celle d’un objet-témoin, au double sens de synthèse située et de relai dans une séquence dynamique qui déborde leur propre situation. Le tissage de ces réseaux est favorisé par la mise en scène d’une posture de déplacé·e·s qui accroît les capillarités, construit un point de vue et confine au développement d’une poétique politique du déplacement.

En cela, les démarches de Nacha Vollenweider et Jorge González renouent avec l’investissement politique de la bande dessinée des années 1960 et 1970 – un investissement que la dictature avait freiné. En tant que telle, bien sûr, comme « coup aux livres », mais aussi en tant qu’elle marquait un tournant conservateur (qui excédait très largement l’Argentine), qui se donnait et donnerait à voir dans la vogue d’une sémiologie acritique de la bande dessinée, sous certains aspects lisible comme une prémisse aux fandoms26 des années 1990 qui, marqués par la brutalité de la rupture dictatoriale autant que par la « grammaticalité27 » des discours sur la bande dessinée, participeraient de la perpétuation du mythe d’un âge d’or passé de la bande dessinée et des figures de maestros à imiter. Les œuvres de Vollenweider et González renouent, donc, avec cette bande dessinée politiquement investie et en actualisent à différents égards le projet. Elles le reprennent, pour ainsi dire, là où il a été laissé : au moment de la dictature. Par le temps long de l’autofiction, elles sondent les silences qui se sont réinstallés dans la bande dessinée. Elles les font apparaître comme découlant paradoxalement – entre autres choses – de la mémoire : de ce qui dans le « devoir de mémoire » conduit moins au « Nunca más » qu’au gel d’images fantômes envahissantes. Les discours militants des années 1960 et 1970 déjà, et leurs incarnations dans la bande dessinée tendaient à faire du monolithe des luttes anti-impérialistes et marxistes un argument d’éviction de paroles estimées moins urgentes – celles de luttes féministes et homosexuelles, notamment. En ce sens également, les récits de soi de Vollenweider et González actualisent une histoire de la bande dessinée politiquement investie : ancrés dans le temps extrabiographique de l’histoire du pays autant que dans le passé récent de leur genèse, ils sont des récits de subjectivation en tant qu’auteur·rice·s, des récits sondant les images et pratiques dont il·elle·s héritent en tant que dessinateur·rice·s.

Cette démarche s’inscrit dans un mouvement plus large, et grandissant, de réinvestissement politique de la bande dessinée par les récits de soi, sous des formes qui sont moins celles du journal ou du témoignage au sens classique du terme que des auto-analyses – pour reprendre le terme qu’Éribon emprunte à Bourdieu – (on pensera, par exemple, à l’entreprise transféministe de récit de soi en réseau menée depuis 2008 par le collectif Chicks on Comics). En somme, ce qui apparaît dans Notes de bas de page et La Flamme en même temps qu’une réflexion sur le Soi à travers l’extrabiographique, c’est une réflexion sur le Je auteur·rice de bande dessinée à la faveur de sa mise en relation avec des questions extragénériques.

1 Traduction de l’autrice de l’article. Citation originale : « territorio privilegiado del escapismo ».

2 Traduction de l’autrice de l’article. Citation originale : « la dimensión de lo aventurable ».

3 Traduction de l’autrice de l’article. Citation originale : « golpe a los libros ».

4 Traduction : « Bandes dessinées pour survivants ».

5 NDT : citation originale : « a un tiempo la tradición, la democracia y el testimonio del horror: la patria ».

6 NDT : citation originale : « revalorización de la primera persona y [de] la reivindicación de una dimensión subjetiva en la narración de los hechos

7 Ci-après, les références aux deux œuvres analysées seront indiquées entre parenthèses par leurs initiales suivies du numéro de page. Les

8 Au sujet de ce personnage, voir Diario del colonizador Enrique Vollenweider (Gori, 1958).

9 Traduction : « Le Russe ».

10 Les textes du débat ont ensuite été relus par les deux chercheur·euse·s. Informations tirées d’échanges informels avec l’auteur.

11 Traduction : « Le petit Russe ».

12 Traduction : « Le lieu de l’aventure ».

13 Traduction de l’autrice. Citation originale : « veracidad », « verosimilitud ».

14 Traduction de l’autrice. Citation originale : « la calle Corrientes ».

15 NDT : citation originale : « en la tira siguiente […] un patrullero que lo lleve preso ».

16 NDT : citation originale : « su referente [era] la realidad cruda, la historia nacional, el paisaje, todo un mundo que no [había] sido nombrado

17 NDT : citation originale : « inclu[ía][su] insignificancia y [los] coloc[aba] en una periferia desde la cual la Aventura e incluso la Historia

18 NDT : citation originale : « más allá de nuestro olvido ».

19 Traduction : « Argentine 78 ».

20 NDT : citation originale : « [e]l porteño quiere ídolos, de cualquier ralea, que polaricen su sensibilidad, ídolos ante quienes deponerse

21 Traduction : « Lieu de mémoire ».

22 C’est par le costumbrismo, ou humour de mœurs, qu’a débuté l’histoire de la bande dessinée argentine au tournant du xxe siècle.

23 Traduction de l’autrice : « Le monde fut et restera un ramassis d’ignominies, je le sais… /en cinq cent six comme en deux-mille, il y a toujours

24 Traduction : « kiosques ».

25 Traduction : « nous sommes très discrets !!! ».

26 Littéralement : domaine des fans. En bande dessinée, le terme désigne un lectorat restreint (par opposition aux « masses »), caractérisé par la

27 J’emprunte à dessein le terme à l’introduction de Bourdieu au premier chapitre de Ce que parler veut dire (Bourdieu, 1982 : 13-20), la « rigueur

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Notes

1 Traduction de l’autrice de l’article. Citation originale : « territorio privilegiado del escapismo ».

2 Traduction de l’autrice de l’article. Citation originale : « la dimensión de lo aventurable ».

3 Traduction de l’autrice de l’article. Citation originale : « golpe a los libros ».

4 Traduction : « Bandes dessinées pour survivants ».

5 NDT : citation originale : « a un tiempo la tradición, la democracia y el testimonio del horror: la patria ».

6 NDT : citation originale : « revalorización de la primera persona y [de] la reivindicación de una dimensión subjetiva en la narración de los hechos históricos ».

7 Ci-après, les références aux deux œuvres analysées seront indiquées entre parenthèses par leurs initiales suivies du numéro de page. Les changements de bulles dans les paroles citées seront marqués, quand il y aura lieu, par une barre oblique.

8 Au sujet de ce personnage, voir Diario del colonizador Enrique Vollenweider (Gori, 1958).

9 Traduction : « Le Russe ».

10 Les textes du débat ont ensuite été relus par les deux chercheur·euse·s. Informations tirées d’échanges informels avec l’auteur.

11 Traduction : « Le petit Russe ».

12 Traduction : « Le lieu de l’aventure ».

13 Traduction de l’autrice. Citation originale : « veracidad », « verosimilitud ».

14 Traduction de l’autrice. Citation originale : « la calle Corrientes ».

15 NDT : citation originale : « en la tira siguiente […] un patrullero que lo lleve preso ».

16 NDT : citation originale : « su referente [era] la realidad cruda, la historia nacional, el paisaje, todo un mundo que no [había] sido nombrado todavía, una realidad sin tocar ».

17 NDT : citation originale : « inclu[ía] [su] insignificancia y [los] coloc[aba] en una periferia desde la cual la Aventura e incluso la Historia parec[ían] resolverse en espectáculo ».

18 NDT : citation originale : « más allá de nuestro olvido ».

19 Traduction : « Argentine 78 ».

20 NDT : citation originale : « [e]l porteño quiere ídolos, de cualquier ralea, que polaricen su sensibilidad, ídolos ante quienes deponerse totalmente, fervorosamente. Será “hincha” de un team de fútbol, cuyos jugadores no conoce en persona y de cuyo elenco de socios puede no formar parte. Discutirá por él. Se trompeará por él ».

21 Traduction : « Lieu de mémoire ».

22 C’est par le costumbrismo, ou humour de mœurs, qu’a débuté l’histoire de la bande dessinée argentine au tournant du xxe siècle.

23 Traduction de l’autrice : « Le monde fut et restera un ramassis d’ignominies, je le sais… /en cinq cent six comme en deux-mille, il y a toujours eu des voleurs, des machiavéliques et des escrocs, des gens heureux et des aigris, du vrai et du toc… /nous vivons plongés dans le désordre et croupissons dans la même boue… ». Les barres correspondent aux changements de bulles.

24 Traduction : « kiosques ».

25 Traduction : « nous sommes très discrets !!! ».

26 Littéralement : domaine des fans. En bande dessinée, le terme désigne un lectorat restreint (par opposition aux « masses »), caractérisé par la pratique de la collection et par la revendication jalouse d’une érudition. Dans les années 1990, la relégation dans des boutiques spécialisées des bandes dessinées, autrefois distribuées dans kiosques à journaux, accentue le phénomène.

27 J’emprunte à dessein le terme à l’introduction de Bourdieu au premier chapitre de Ce que parler veut dire (Bourdieu, 1982 : 13-20), la « rigueur formelle » de la « linguistique moderne » qui « masqu[e] le décollage sémantique » pouvant servir de modèle pour penser certaines formes de la sémiotique de la bande dessinée qui s’est développée à partir des années 1960.

Illustrations

Figure 1.

Figure 1.

© Vollenweider / iLatina

Figure 2.

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© Vollenweider/iLatina

Figure 3.

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© Vollenweider / iLatina

Figure 4.

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© Vollenweider/iLatina

Figure 5.

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© Vollenweider / iLatina

Citer cet article

Référence électronique

Marie LORINQUER-HERVÉ, « Mémoires historiques. Le récit de soi extrabiographique dans Notes de bas de page et La Flamme », K@iros [En ligne], 6 | 2022, mis en ligne le 10 octobre 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/kairos/index.php?id=708

Auteur

Marie LORINQUER-HERVÉ

Doctorante en études hispaniques et hispano-américaines au sein du laboratoire AMERIBER de l’Université Bordeaux Montaigne et ATER à l’Universite Bordeaux Montaigne.

Droits d'auteur

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