L’étymologie nous le rappelle : les lieux de communication sont aussi ceux de la mise en commun, laquelle est plus ou moins difficile à mettre en œuvre, mais souvent nécessaire. Ainsi en est-il du voisinage. À la limite de plusieurs fonds, différentes attitudes peuvent coexister : la cordialité jusqu’à créer la richesse par cette frontière ; la détestation au point de créer une zone tampon où nul ne bénéficie d’aucun droit ; une attitude plus neutre permettant de fixer les droits de chacun dans cette zone. Le droit civil y est contraint d’organiser les relations, qu’elles soient de nature extracontractuelle1 ou relatives à la propriété2. Le voisinage constitue une illustration de cette impossibilité de faire comme si mon prochain n’avait aucune incidence dans le rapport d’exclusivité que j’entretiendrais avec un bien, et notamment, mais pas seulement, à ses frontières (un mur, un plafond, une cour ou encore un chemin d’accès).
Plus largement, la pensée occidentale a depuis longtemps réfléchi sur le sens de la propriété et a toujours été traversée par cette tension entre rapport exclusif ou rapport communautaire aux biens. Platon tirait ainsi de ses dialogues dans La République la nécessaire communauté des biens3. Aristote, critiquant l’approche idéaliste de son maître, défendait au contraire la propriété privée et exclusive, et notamment la propriété foncière dans La Politique4.
À Rome, la propriété n’est pas forcément un objet de réflexion idéologique, mais fait davantage l’objet d’une approche pragmatique en lien direct avec les difficultés soulevées par les conquêtes de l’empire5. On défend à l’origine en justice la propriété familiale (les res domesticae ac familiares), mais la notion va largement s’ouvrir à la propriété privée individuelle, notamment avec le concept de res in patrimonio (en opposition aux res extra commercium ou extra patrimonium). La propriété n’est pas en soi un droit sur la chose ou ne maîtrise de la chose. Elle est une réalité d’un rapport avec une chose6. Cette dernière caractéristique entraîne une méfiance à l’encontre de l’indivision, considérée progressivement comme un quasi-contrat, et qui reste une situation subie et anormale. Par opposition à la société, on la nomme communio incidens7, un commun que l’on subit, et plusieurs actions de bonne foi en partage existent. Cette analyse exclusiviste n’empêche pas une approche originale des frontières entre les fonds (chaque fonds étant isolé strictement de son voisin immédiat8), ni la nécessité de tenir compte de la coexistence entre fonds voisins et plus largement la possibilité de droits sur la chose d’autrui (Jura in re aliena9) qui sont des biens incorporels limitant le rapport exclusif du propriétaire sur son bien.
La civilisation chrétienne opérera également un choix entre propriété communautaire des premières églises10 et propriété individuelle qui sera justifié dès le Haut Moyen Âge grâce à l’autorité morale des écrits de Saint Augustin11. Un autre auteur chrétien souhaitera dépasser la tension entre approche communautaire et exclusiviste. Il s’agit de l’Aquinate au XIIIe siècle, qui, au sein de la Somme théologique12, énonce que la propriété (privée) n’est pas en soi contraire au droit naturel, mais s’y surajoute par une précision due à la raison humaine, chacun étant plus efficace dans le soin apporté à son propre bien que dans le soin apporté à des biens communs. L’indivision, et plus largement la propriété commune, est mal perçue dans son œuvre, car elle est source de conflits13. Cependant, l’usage privatif oblige le propriétaire, une fois ses besoins satisfaits par l’exploitation des utilités du bien, à en faire profiter les tiers, et notamment les plus nécessiteux. S’il est permis de se servir seul de la propriété, il faut agir comme si plusieurs étaient propriétaires en commun14.
Malgré cette tentative de synthèse, l’évolution des idées15 durant les siècles suivants, à compter de la querelle des Universaux16 en passant notamment par Locke et Rousseau et jusqu’à la Révolution française17, va davantage marquer les positions entre tenants de la propriété privée et exclusive et tenants d’une approche communautaire.
Au plan juridique la tension perdure également après la chute de l’Empire romain. Le droit coutumier qui se construit progressivement jusqu’au xiie siècle permet l’usage simultané des utilités de la chose et l’exploitation commune d’un bien par une entité communautaire18. La redécouverte du droit romain permet au contraire la justification de l’approche individuelle de la propriété, qui se traduit par une conception renouvelée des droits sur la chose. La propriété devient un droit réel au sens strict, pouvant se diviser en pouvoirs sur la chose19, cette conception culminant avec Bartole au xive siècle. Au sein d’une société rurale et de subsistance, l’usage collectif des biens fonciers sera cependant conservé par le biais des communaux, des servitudes collectives, des vaines pâtures, des droits de glanage. Ces droits à user des utilités de la chose se cumulent avec l’organisation féodale et la mise en place de terres serviles (tenures, censives, fief). Même l’alleu, terre libre échappant à l’organisation féodale de la propriété, peut alors être soumis aux droits reconnus à un lignage, une communauté familiale ou un village.
L’élaboration du Code civil, achevant la Révolution, semble trancher le débat des idées et des pratiques juridiques par le caractère individuel et exclusif de la propriété20, via les articles 544 et 815 du Code civil. Cette vision exercera une influence déterminante jusqu’à nos jours, malgré l’impact des doctrines sociales21 ou socialistes22, marxistes ou radicales aux xxe et xxie siècles. Néanmoins, ce déséquilibre technique en faveur de l’approche individuelle et exclusive de la propriété privée, contraire à la tension qui a parcouru toute la pensée juridique occidentale durant 2 500 ans, fait aujourd’hui l’objet de sérieuses critiques23.
Cela signifie-t-il pour autant que nous serions entrés dans une nouvelle ère communautaire en réaction à l’ère individualiste ? Loin s’en faut. En revanche, il semble pertinent d’affirmer que certaines solutions juridiques trouveraient une meilleure résolution par un changement de paradigme : à une propriété privée individuelle et exclusive, qui n’est qu’une qualité possible de la propriété privée, peut-être faut-il répondre par une propriété privée individuelle et exclusive de principe qui n’empêche pas certaines approches communautaires.
Alors que l’article 815 du Code civil rappelle de manière inlassable que « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué »24, force est de constater que la réalité juridique atténue largement le propos. Il va même jusqu’à sembler le contredire par le biais de situations d’indivisions forcées et perpétuelles où l’égoïsme du propriétaire du Code civil est remis en question, notamment dans la zone particulière qu’est la frontière entre des fonds voisins.
En conséquence, en cette période où le Code civil est progressivement réformé, il semble utile d’examiner si le droit français ne devrait pas davantage tenir compte de la nécessité d’approches communautaires en droit des biens. Nous examinerons d’abord la permanence de ces situations d’indivision forcée et perpétuelle, malgré les articles 544 et 815 du Code civil, avant d’envisager si elles ne pourraient pas devenir des pistes pour aider à la réforme du droit des biens français.
I. La permanence de situations d’indivision forcée et perpétuelle
Il convient de rechercher les raisons de la permanence de telles situations dans le système juridique français avant d’en étudier les conditions d’apparition.
A. La nécessité de l’indivision forcée et perpétuelle
Qui dit indivision forcée et perpétuelle dit non seulement contrariété à l’article 815 du Code civil, puisqu’il existe une contrainte à rester dans l’indivision, mais dit aussi contradiction avec l’approche absolutiste de l’article 544 du Code civil25. Un fort scepticisme sur la possibilité même de telles indivisions est donc de mise. L’article 714 du Code civil26 ne semble d’aucun secours : en effet, c’est bien l’absence même de propriété qui serait la cause efficiente de l’usage commun, ce qui est en contradiction avec l’idée d’indivision. Par ailleurs, la déformation du droit romain par le Code civil a entraîné progressivement l’idée selon laquelle l’indivisaire serait titulaire d’un droit sui generis27, un droit éventuel28, incompatible avec l’idée d’une propriété collective. Enfin, le droit français empêcherait l’idée d’une propriété collective du fait du caractère constitutionnel que prendrait le droit au partage, considéré comme un « principe supra-législatif »29.
En sens contraire, certains auteurs mettent pourtant en avant que l’indivision est une propriété collective30. Par ailleurs, il convient sans doute de relativiser la portée du droit au partage par le Conseil constitutionnel31. Et quand bien même l’indivision ne serait pas une propriété collective et qu’il existerait bien un droit supra-législatif au partage, la contradiction avec une approche communautaire n’est pas forcément évidente si l’on considère que, parfois, la conception communautaire peut avoir valeur de nécessité. Car, en réalité, l’indivision du Code civil ne fait que traduire une réalité déjà décrite par la pensée thomiste au XIIIe siècle : si, au-delà de toute propriété, l’usage des biens a en soi vocation à être commun à tous (article 714 du Code civil), la nature humaine impose une propriété privée, et par voie de conséquence la méfiance envers l’indivision. Cette conception s’impose notamment dans une civilisation où l’exploitation économique des utilités des biens est développée. Mais elle ne condamne pas nécessairement l’existence de situations particulières communautaires. Ainsi, même en considérant la propriété comme un droit réel, « le plus puissant, en ce qu’il permet d’appréhender toutes les utilités disponibles d’un bien »32 et le seul perpétuel au sens de l’article 544 du Code civil, force est de constater la nécessité de situations de communauté33 : la communauté conjugale, les biens de famille34 voire la société et demain, peut-être, la tontine35.
Cela impose sans doute de modifier notre approche du droit des biens à partir des avantages de la propriété privée et de la finalité de celle-ci, qui n’est pas purement juridique, mais aussi politique36 : le service des autres membres de la société en vue du Bien commun.
Dans cette optique renouvelée, l’article 815 du Code civil témoigne de la nécessaire supériorité de l’individualisation de la propriété privée sur sa communautarisation, tandis que l’article 544 du Code civil en tire la conséquence d’une jouissance individuelle du bien. Au fond, l’article 815 du Code civil apparaît comme la justification théorique des avantages de la propriété privée individuelle alors que l’article 544 en décrit certains de ses caractères qui, en principe37, en découlent. Ainsi, le droit français ne condamne pas le fait que ce droit au partage puisse connaître tempéraments ou exceptions.
Les tempéraments38 sont d’ailleurs connus39. C’est notamment l’évolution du régime de l’indivision, désormais codifié aux articles 821 et suivants, qui permet d’affirmer que : « L’ensemble des dispositions des articles 820 à 824 témoigne de ce que le législateur contemporain envisage l’état d’indivision avec moins de défaveur qu’autrefois »40. Mais plus encore, il existe des exceptions légitimes à l’article 815 du Code civil, lesquelles constituent au sein du principe de la propriété privée une adéquation nécessaire de la règle de droit au réel41.
B. Les critères matériels de l’indivision forcée et perpétuelle
Dès le XIXe siècle le droit français a pris conscience de l’existence nécessaire de situations d’indivision forcée et perpétuelle en matière immobilière, distinguant entre : « certaines copropriétés [qui] ont vocation à durer indéfiniment (copropriété par appartements, mitoyenneté), alors que d’autres sont précaires et obéissent au principe suivant lequel le partage peut être à tout moment requis (C. civ. art. 815) »42. Bien davantage, critiquant l’idée selon laquelle copropriété et indivision seraient de nature différente, car « l’indivision serait un état subi, dans lequel on se trouverait placée malgré soi, ou du moins sans l’avoir voulu, alors que la copropriété serait un état voulu », des auteurs énoncent que « l’idée [d’un droit au partage] est pourtant contredite par les textes comme par la jurisprudence »43.
Sans aller jusqu’à une condamnation du droit au partage, au moins est-il possible d’évoquer l’existence d’exceptions au droit au partage lorsque sont réunis, en matière immobilière, des éléments matériels communs. La lecture de la doctrine laisse entrevoir certains critères44 : il y aura souvent situation d’indivision forcée dans des zones45 sur lesquelles un rapport de jouissance exclusive est mis en œuvre, tandis qu’existe, à proximité directe, une autre zone sur laquelle est exercée un rapport de communauté. Cette zone faisant l’objet d’un régime de communauté, loin de remettre en cause les rapports d’exclusivité l’entourant, apparaît au contraire comme utile et nécessaire à leur exploitation46.
Force est alors de constater que cette zone peut être plus ou moins importante selon les situations47 : une cour, un chemin, un mur, un escalier, et pourquoi pas un sol commun dans une copropriété horizontale ou un plancher. Depuis longtemps, la Cour de cassation dégage ainsi l’idée d’une indivision forcée et perpétuelle de cours ou de chemins communs, servant à l’usage de plusieurs fonds voisins48. Plus encore, la copropriété a parfois49 pu être perçue comme laissant apparaître une indivision forcée et perpétuelle50, bien que la jurisprudence y ait semblé peu favorable51 et que la loi du 10 juillet 1965 ait finalement choisi la voie de la personnalité juridique pour établir un régime cohérent52. La mitoyenneté53 peut aussi relever de ce régime, si elle est perçue non pas comme la seule juxtaposition de deux propriétés exclusives, mais bien davantage comme la gestion d’une partie commune située à la limite de deux fonds.
Pour autant, l’existence d’une zone répondant à de tels critères matériels n’impose pas nécessairement l’apparition d’une indivision forcée et perpétuelle. C’est notamment la loi qui peut imposer une dérogation à la consécration d’une indivision forcée et perpétuelle qui devrait s’imposer. Les chemins et autres sentiers d’exploitation, alors qu’ils semblent réunir les critères susévoqués et étaient autrefois placés sous un régime d’indivision forcée et perpétuelle54, ne permettent pas en principe de caractériser une telle situation par dérogation légale. Ils relèvent sans doute, malgré une jurisprudence très méfiante, voire hostile, du régime des servitudes55. L’article L. 162-1 du Code rural et de la pêche maritime les définit comme « (…) ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l’absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l’usage en est commun à tous les intéressés. L’usage de ces chemins peut être interdit au public »56. Le chemin d’exploitation est intéressant en ce qu’il permet de constater que le droit de passage lui-même est commun à plusieurs du moment que ses conditions d’existence sont matériellement constatables, ces conditions étant très proches de celles de l’indivision forcée et perpétuelle. Plus encore, l’article L. 162-3 du Code rural précise : « Les chemins et sentiers d’exploitation ne peuvent être supprimés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s’en servir ». Ainsi, certaines règles du régime légal de l’indivision forcée et perpétuelle classique peuvent trouver à s’appliquer, car elles sont consubstantielles à la situation matérielle du chemin. Cela illustre bien que même cette dérogation légale à la consécration d’une indivision forcée et perpétuelle ne peut totalement éluder la réunion des critères de celle-ci dans son régime.
Une fois posée la légitimité de l’indivision forcée et perpétuelle et les conditions matérielles de son apparition, examinons désormais les leçons à en tirer.
II. Les leçons de l’indivision forcée et perpétuelle
L’indivision forcée et perpétuelle de biens immobiliers trouve une justification théorique et une assise matérielle. Demeure néanmoins la question de la cause efficiente ou motrice de cette situation juridique, laquelle soulève un débat doctrinal important. Il conviendra enfin de tirer les conséquences sur la nature propre de l’institution et d’éventuelles réformes du droit des biens tenant davantage compte de l’existence de biens communs.
A. Les outils juridiques de l’indivision forcée et perpétuelle
Bien avant la promulgation de la loi du 10 juillet 1965, la jurisprudence avait été contrainte d’interpréter largement l’ancien article 664 du Code civil relatif aux immeubles divisés par étages57 et mit en œuvre l’idée d’une indivision forcée et perpétuelle dans le cadre de la copropriété58. Cette solution pouvait être mise en parallèle avec les solutions légales relatives à la mitoyenneté dans le Code civil aux articles 653 et suivants, ou à l’affectation de biens à l’usage commun de plusieurs fonds59, lesquels, ayant une utilité commune aux fonds desservis et accessoires à l’usage privatif de ceux-ci, constituent l’exemple traditionnel d’indivision forcée et perpétuelle.
Mais constater l’existence d’indivisions forcées et perpétuelles ne répond néanmoins pas à la question des outils juridiques justifiant techniquement leur existence. Deux approches s’opposent.
D’un côté, une partie de la doctrine et la jurisprudence classique de la Cour de cassation refusent d’y voir le jeu de servitudes, lesquelles seraient incompatibles avec l’indivision60, mais bien le fruit d’une clause d’indivision perpétuelle61. En matière de mitoyenneté, la situation d’indivision forcée et perpétuelle s’expliquerait par l’existence d’une obligation réelle accessoire d’un droit réel, obligation en conséquence transmise à tous les propriétaires successifs du bien62. Dans d’autres cas, ce serait la nature des choses et leur destination qui expliqueraient le maintien d’une situation d’indivision sur ceux-ci. Chemins, ruelles, cours communes, canalisations d’eau, desserte63 obéiraient à un régime d’indivision forcée et perpétuelle, car leur utilité commune nécessiterait un tel usage64.
Une autre partie de la doctrine, contrariant une approche « bartolienne » de la propriété65, affirme au contraire que la servitude est le socle juridique des situations d’indivision forcée66, l’outil naturel qui permet l’organisation du régime juridique des situations d’indivision forcée et perpétuelle. Dans cette optique, « Tout droit réel consiste dans un rapport d’obligations de même nature »67. Elle repose sur une conception élargie du champ d’application des servitudes qui permettrait de définir des zones d’exclusivité et des zones de communauté permettant de régler de façon plus ou moins impérative des situations très variées. Pour reprendre l’exemple de la mitoyenneté, celle-ci se rattacherait alors aux servitudes, qu’elle apparaisse par convention ou par la loi. Mais il est possible d’aller encore plus loin. En effet, par un arrêt très ancien68, la Cour de cassation avait pu expliquer la copropriété par l’existence d’une clause d’indivision perpétuelle consacrant un engagement réel qualifiable de… servitude. Face à cette approche, les tenants d’une conception classique du droit des biens réaffirment qu’il ne peut exister de servitudes en matière de copropriété69, puisque le fonds serait le même. Ce à quoi leurs opposants répliquent qu’à aucun moment le législateur n’a posé la prohibition de servitudes entre des biens en copropriété. Les lots de copropriété, constitués de parties privatives, peuvent parfaitement être assimilés à des fonds70.
La compatibilité entre les solutions proposées apparaît impossible à mettre en œuvre. Entre justification des situations par la servitude ou par une clause d’indivision perpétuelle, il convient néanmoins d’observer qu’elles ne remettent pas en cause le principe même des indivisions forcées et perpétuelles en matière immobilière. C’est donc principalement dans son régime et non dans son existence que l’indivision forcée et perpétuelle pourrait faire l’objet d’un examen attentif lors d’une hypothétique, mais souhaitable réforme du droit français des biens.
B. L’apparition d’un régime de l’indivision forcée et perpétuelle ?
Le bien en état d’indivision forcée et perpétuelle n’est pas une survivance de l’Ancien Droit, mais bien une illustration d’un ancien adage parfois utilisé à tort et à travers selon lequel l’exception vient confirmer la règle. La règle, c’est que la propriété privée impose un droit au partage en cas d’indivision. Le tempérament, c’est le régime légal de la gestion des situations d’indivision, qui a largement évolué depuis 1804. L’exception, c’est qu’il existe des situations imposant une situation d’indivision forcée et perpétuelle du fait du contexte particulier dans lequel s’inscrit le bien concerné. L’indivision forcée est perpétuelle apparaît alors comme la situation juridique d’un nombre (conséquent) de biens immobiliers dont la doctrine et la jurisprudence éprouvent encore des difficultés à expliquer de manière unanime le champ d’application et le régime.
Il s’agit d’une situation juridique bien distincte de l’indivision classique de l’article 815 du Code civil, dont la caractéristique première est de consacrer un droit au partage. L’article 815 du Code civil n’est ainsi qu’une application du principe de l’appropriation privée individuelle et exclusive là où l’indivision forcée et perpétuelle ressort comme une véritable exception, nécessaire et circonscrite.
Alors que le projet de réforme du droit des biens a désormais dix années, force est de constater que les débats doctrinaux et la jurisprudence71 n’ont pas encore fait avancer la question des principes directeurs du droit des biens72. À ce titre, l’indivision forcée et perpétuelle peut apparaître comme l’un des chaînons manquants du droit des biens : au milieu de l’usage naturel commun des biens non encore appropriés (article 714), alors qu’est affirmé le principe de la propriété privée exclusive contre l’indivision (article 815), d’où découle en principe un droit absolu de jouir et de disposer (article 544), il convient de constater la nécessité de tempéraments (article 815, in fine), mais aussi l’existence d’exceptions au droit au partage (indivision forcée et perpétuelle).
Mais il ne s’agit que d’une première étape. Une clarification du régime applicable aux différentes situations d’indivision forcée et perpétuelle en matière immobilière apparaît possible, mais nécessite un choix clair dans l’approche générale de la propriété afin de connaître les enjeux de la matière et les règles applicables : celle-ci devra être perçue soit comme le droit réel par excellence dans une optique bartolienne classique, soit comme un rapport à un bien dans une optique reprenant l’optique initiale du droit romain.