Un bien commun en vue du bien commun ?

Pour une tentative de réflexion sur la nature de la procédure civile

DOI : 10.52497/revue-cmh.222

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Texte intégral

« Dans les premières années du XXe siècle, les procéduriers français travaillaient encore principalement par exégèse du Code de procédure civile, cependant qu’en Allemagne et en Italie, les processualistes se livraient à d’importantes recherches théoriques marquées souvent par l’influence du droit public ».
J. Carbonnier, Droit civil – Introduction, 22e éd., Paris, PUF, Thémis, 1995, n° 191

« QUINTUS : Ceux qui enseignent autrement le droit enseignent moins les voies de la justice que celles de la chicane. – MARCUS : Non pas, Quintus, c’est plutôt l’ignorance que la science du droit qui fait la chicane. »
Cicéron, De legibus, I, 6.

Il n’est aucun manuel, aucun traité, aucun essai, aucun ouvrage de procédure qui expose la « nature » de la procédure civile. Tous, sauf les plus technicistes, rappellent que la procédure civile, que l’on fait entrer aisément dans le droit judiciaire privé avec cette incertitude récurrente de la dénomination des disciplines1, a pour finalité de pouvoir mettre en œuvre des droits substantiels. Gérard Cornu et Jean Foyer rappelaient même qu’il s’agissait de la « servante des autres lois » et qu’elle était donc « moins une espèce particulière de loi que la sanction de toutes les autres »2. On connaîtrait alors la cause finale de la procédure civile, c’est-à-dire pouvoir mettre en œuvre les droits du justiciable. Ce serait, de fait, limiter la procédure à des règles servant à soutenir d’autres règles.

Nombreux sont ceux qui font de la procédure civile un « droit sanctionnateur », puisqu’elle n’aurait pour objet que la seule réalisation en justice de droits subjectifs substantiels3. Une partie de la doctrine en ferait alors un droit sanctionnateur en ce sens qu’elle ne pourrait être un droit autonome, car n’existant qu’en vue de la réalisation d’un autre droit, en vue de la réalisation d’un droit qui lui serait supérieur4, « pour permettre aux droits substantiels de bien fonctionner »5. À ce titre, et notamment au regard de l’absence d’autonomie de la procédure par rapport aux droits substantiels, les auteurs ont tendance à faire de la procédure civile un droit second, sorte de cahier des charges techniques à réaliser pour entrevoir, enfin, la réalisation d’une norme supérieure6.

Cet extrait du manuel de Jacques Héron et Thierry Le Bars est particulièrement révélateur de cette conception de la procédure comme droit servant, comme droit second, voire secondaire :

Le droit judiciaire privé se trouve ainsi placé au service du droit substantiel, alors que les matières de droit substantiel trouvent leur justification juridique dans leur contenu même. Le droit des obligations n’est au service ni du droit de la famille ni du droit des sociétés, il n’a d’autre but que d’offrir aux sujets de droit une réglementation des obligations qui soit adaptée aux besoins de la société. Le droit judiciaire privé, lui, est institué pour permettre aux droits substantiels de bien fonctionner. […] Le droit judiciaire privé tend à l’application de la règle de droit substantiel et il doit s’y adapter7.

La finalité de la procédure civile serait limitée à la réalisation d’un droit qui lui serait supérieur, car substantiel, d’un droit par ailleurs normé. La procédure serait la norme régulant la norme supérieure, dans les cas où cette dernière n’aurait pas été mise en œuvre. La thèse n’est pas nouvelle, et les manuels du xixe siècle regorgent de cette idée8. Les lignes de Garsonnet sont un exemple typique de ce normativisme qui place la procédure au rang des droits seconds ou « adjectifs », pour reprendre la vision benthamienne9 :

Si le droit est un ensemble de préceptes qui s’imposent à la volonté de l’homme et qu’il soit, au besoin, contraint d’observer, il se divise nécessairement en deux parties : l’une qui commande ou qui défend, l’autre qui nous invite et, s’il le faut, nous force à respecter ces commandements ou ces défenses. Quelque nom qu’on donne à cette dernière – droit pratique, droit sanctionnateur ou lois adjectives – elle recherche les moyens de nous contraindre à l’observation des lois. […] Elle définit aussi et elle distingue les moyens qu’on a d’agir ou de se défendre devant eux […] et décrit les formes judiciaires qu’on a appelées ingénieusement « la sanction de la sanction », car c’est par elles qu’on obtient l’application du droit au jugement des procès, la reconnaissance du droit contesté et le maintien du droit violé. Tel est l’objet des lois de procédure […]. Les lois de procédure sont, avant tout, des lois de forme […], leur principal objet est de décrire la forme des actes judiciaires, d’en indiquer la succession et les effets, et d’en formuler la sanction10.

La procédure civile serait aussi un droit second, voire secondaire, non pas parce qu’il arriverait après la non-réalisation d’un droit substantiel pour permettre à ce dernier d’être, finalement, réalisé, mais en ce sens que ce serait une accumulation de formalités, de modalités, de règles processuelles, finalement plus proches de procédures propres à l’administration française que d’un droit substantiel qui lui serait bien plus noble.

On envisage d’ailleurs souvent la procédure comme « l’ensemble des formalités qui doivent être effectuées pour que le procès reçoive une solution »11. Or, dans ces définitions classiques, il semble que l’on insiste plus sur « l’ensemble des formalités », c’est-à-dire sur la cause formelle, que sur la cause finale : « pour que le procès reçoive une solution », pour reprendre une distinction aristotélicienne très classique. Et, de Pothier à Héron, en passant par Glasson12, Rogron13, Berriat-Saint-Prix14, Garsonnet ou Solus, tous masquent cette idée selon laquelle la solution, et donc la justice, est la fin de la procédure. Or, toute l’importance, et toute l’essence de la procédure résident bien dans ces derniers termes.

Il est bien trop facile, pour la doctrine processualiste contemporaine, d’user d’une finalité secondaire d’une part, puis d’omettre la finalité pour insister sur une forme aux apparences austères d’autre part. Dire, dans un premier temps, que la procédure civile a pour finalité de servir un droit substantiel, c’est faire du droit substantiel, normé, positif, la fin de la procédure. Et dire, dans un second temps, que la procédure est une succession de formalités, c’est la rendre stérile, ou du moins peu attirante et finalement trop technique. Il nous faut dépasser, enfin, l’approche de Pothier quand ce dernier écrivait :

La procédure est la forme dans laquelle on doit intenter les demandes en justice, y défendre, intervenir, instruire, juger, se pourvoir contre les jugements et les exécuter15.

Mais qu’est-ce donc, alors, que la procédure ? Et pourquoi évoquer cette dernière en abordant la notion de Bien commun ?

Nous verrons, tout d’abord, que la finalité de la procédure n’est pas la réalisation d’un droit substantiel, mais bien la réalisation d’un principe supérieur, quoi qu’en disent les plus positivistes, et qu’elle est, en ce sens, un moyen direct de participation au Bien commun en tant que moyen de la justice (I). Dans un second temps, nous évoquerons la tendance contemporaine non pas à la maîtrise de la procédure, mais à une démocratisation de cette dernière qui la détourne de sa finalité en en faisant un bien commun (II).

I. La procédure comme moyen du bien commun

Nous aborderons ici le fait que la procédure est avant tout un moyen d’établissement d’un équilibre pour permettre de rendre à chacun ce qui lui est dû (A), et ainsi de contribuer au Bien commun (B).

A. La procédure comme moyen de la Justice

Si les processualistes ont tendance à faire de la procédure l’outil d’un second droit qui, lui, serait substantiel en comparaison de cette procédure qui ne serait que technique, c’est avant tout, car ils considèrent que la procédure a besoin de ce droit substantiel pour exister, car elle viserait le rétablissement de ce dernier. Ce serait donc l’absence d’autonomie de la procédure qui en ferait un droit second. La procédure sans autre droit normé serait inexistante16.

Mais la procédure civile n’est pas un droit second à cause de son absence d’autonomie. Tout d’abord, il est fondamental de noter que l’absence d’autonomie n’est pas un critère d’infériorité d’un droit par rapport à un autre, tout simplement parce que sans procédure, les autres droits peuvent ne plus être des droits… les droits substantiels sont donc, eux aussi, non-autonomes en ce sens qu’ils ont besoin, en cas d’entrave à leur réalisation, de la procédure pour être mis en œuvre. Ils sont, mais ils sont jusqu’à ce qu’ils ne soient plus respectés. Eux aussi ne sont donc pas autonomes. En fait-on pour autant des droits seconds ?

À titre d’exemple, la justice privée, et plus particulièrement la vengeance privée essentiellement répandue dans les temps féodaux avant que ne soit promulguée l’ordonnance de Saint Louis en 1254, est une entrave à la mise en œuvre d’une procédure, et donc à la mise en œuvre de droits substantiels. De même, un divorce sans procédure de divorce n’a aucune existence réelle. Sans la procédure, le droit substantiel ne peut être rétabli. Ni l’un ni l’autre ne sont donc fondamentalement autonomes.

Le critère de l’autonomie mis en exergue par Loïc Cadiet et Emmanuel Jeuland n’est donc pas acceptable pour déterminer l’essence d’un droit sanctionnateur par rapport à un droit substantiel, et donc pour déterminer l’essence de la procédure civile17.

Afin de pouvoir déterminer la cause formelle de la procédure, sans doute serait-il pertinent de nous pencher sur sa finalité. Si le justiciable este, si l’instance est ouverte, c’est qu’est né, d’après lui, un déséquilibre dans sa relation avec autrui. Tout l’objet du litige repose sur ce déséquilibre, et le juge aura alors pour mission de rétablir cet équilibre, sorte de correcteur, de dikastès aristotélicien. Afin de rétablir cet équilibre, ou de constater que l’équilibre n’a pas été rompu, le juge s’appuiera sur la procédure et vérifiera qu’elle a bien été respectée par les parties. C’est en ayant comme visée la solution du litige, la justice établie (ou rétablie), et donc le juste, que le magistrat nous aide à définir la finalité de la procédure : la justice.

La finalité de la procédure est donc de rétablir l’équité qui n’aurait pas été respectée, de recréer l’équilibre social brisé, de faire œuvre de justice. La finalité de la procédure, au même titre que devraient l’être tous les droits substantiels « positivés » ou normés, c’est le juste.

La procédure civile n’a pas pour finalité de servir les droits substantiels. C’est, en réalité, une vision très positiviste de considérer que la finalité de la justice est la réalisation d’un droit préétabli, normé. La procédure civile a bien pour finalité la réalisation de la justice. On est là dans un dépassement de la simple technique mise au service d’un droit écrit qui lui serait supérieur, mise au service du droit des obligations, du droit de la famille ou du droit des sociétés citées initialement dans la reprise des propos des professeurs Héron et Le Bars. Si la finalité de la procédure civile est de mettre en œuvre un droit substantiel, la règle utilisée par le praticien n’est, en effet, qu’une technique, et le magistrat n’a plus qu’à être la bouche de la loi. En revanche, en considérant que la justice, c’est-à-dire l’institution judiciaire, a pour finalité la restitution à chacun de ce qui lui est dû, c’est-à-dire le juste (mais pourrait-on envisager que la finalité de la justice ne soit pas le juste ?), la finalité de la procédure civile n’est pas le droit substantiel qui a été bafoué, omis ou contesté, mais un droit supérieur à tous les droits substantiels : le juste.

Chose amusante, la finalité de la procédure, malgré tous les efforts de certains processualistes, se révèle, naturellement, dans leurs écrits : « pour que le procès reçoive une solution »18, « l’ensemble des règles relatives à la solution du litige par le juge »19, mieux encore « le droit à un bon juge »20. La finalité, c’est l’aboutissement, la réussite, non le rétablissement d’une norme. C’est d’ailleurs toute la signification du verbe procedo : aboutir, réussir.

La nature de la procédure civile, c’est de servir le Juste, et donc de contribuer à l’établissement de la paix sociale ; et en ce sens, elle est un des multiples outils, commun, car offert à tous les justiciables, de la construction du Bien commun.

B. Un moyen direct de participation au Bien commun

Réduire volontairement, et notamment à compter du courant exégétique du début du xixe siècle, la procédure à de la simple technique, c’était, de fait, occulter volontairement la finalité de cette dernière qui ne peut être que l’atteinte du juste ou le rétablissement du juste équilibre dans les rapports sociaux. Le légalisme, la légolâtrie, le normativisme ou le positivisme, peu importe le courant ou la forme qu’on lui donne, a négligé la finalité de la procédure en limitant cette finalité à la mise en œuvre judiciaire d’un droit substantiel. Mais il est clair que la procédure opère un dépassement du droit substantiel en ayant exactement la même finalité que lui, c’est-à-dire le juste. Pour quelles raisons avoir négligé autant la procédure ? Sans doute pour imposer la primauté des codes, la supériorité de la norme qui établit ces fameux « droits substantiels ». En faisant de ces droits substantiels la finalité du processus judiciaire, on éliminait la véritable finalité de ce processus, à savoir ce principe, ce transcendantal qu’est le juste. Ainsi Raymond Bordeaux analyse-t-il cette mise sous le boisseau :

Ce fut un malheur pour l’avancement de la procédure que les chercheurs, les amateurs d’origines, les jurisconsultes livrés aux abstractions de la science […] aient dédaigné l’étude des formes judiciaires. Leurs recherches eussent empêché l’avilissement de cette partie du droit et assuré ses progrès21.

Bien évidemment, le positiviste aguerri se détournera très facilement de la véritable finalité de la procédure puisque cela lui ferait admettre l’existence d’un ordre naturel et d’un droit naturel. C’est d’ailleurs tout ce qu’envisage Loïc Cadiet quand il écrit, sur la procédure, imposant à son lecteur l’inexistence du droit naturel ainsi qu’un présupposé non justifié du règne du seul positivisme :

La procédure est nécessaire à la solution des litiges, plus largement à la régulation des différends dans une société humaine digne de ce nom. Pour comprendre cette nécessité, il faut admettre que la société des hommes n’est pas un phénomène naturel, que le droit des hommes n’est pas un droit naturel qui distribuerait à chacun son lot individuel de prérogatives et que les conflits entre les hommes ne se règlent pas spontanément, comme par enchantement. Cette conception idéale, ou divine, du droit et de la justice ne vaut pas pour la communauté humaine. La société des hommes est un phénomène culturel ; le droit des hommes est une création sociale ; l’ordre juridique n’est pas un ordre trouvé, mais un ordre construit22.

La finalité de la procédure, pour un positiviste, n’est donc pas le juste, mais bien le respect de la norme préétablie. Nous l’aurons compris. Ce qui est déplorable, dans cette approche, c’est que l’on fait de la norme le cœur des relations sociales et des rapports entre les justiciables. Par voie de conséquence, le juge devient aussi la seule bouche de la loi, dont l’unique but est de « dire leurs droits » aux parties, et non plus de poser un acte juste. La conclusion de Loïc Cadiet est à l’image de son raisonnement précité :

L’acte du juge n’en demeure pas moins un acte juridictionnel devant obéir aux règles qui régissent les jugements, car, par cet acte, le juge dit leur droit aux parties en cause23.

Si la procédure n’est que le rétablissement de la norme préétablie, elle n’est, en effet qu’une formalité.

En revanche, dans l’optique de considérer la procédure comme un moyen du juste, il est bien évident qu’elle participe de la constitution du Bien commun. Ainsi la procédure ne doit-elle pas être entendue dans une stricte acception formaliste, mais bien comme une participation commune de deux parties opposées à une quête unique : celle du juste. Cette participation commune dépasse de loin le caractère réglementaire auquel on voudrait limiter la procédure. Jean Carbonnier l’exprimait déjà en ces termes :

Ce qui imprime son mouvement au procès civil typique, procès d’avoué autrefois, procès d’avocat aujourd’hui, c’est une pression immatérielle, impalpable, une sorte de persuasion collective que chacun des acteurs du scénario codifié a intériorisée à sa façon, où s’amalgament des devoirs de convenance, peut-être une déontologie professionnelle, peut-être encore une morale du jeu, un fair play sportif ou guerrier, je ne sais trop et pour couronner le tout cette éthique de la communication que les praticiens de chez nous ont su pratiquer bien avant que Jürgen Habermas ne l’ait enrichie d’une théorie24.

Pigeau aussi, dans sa Procédure civile des tribunaux de France, touchait du doigt cette participation de la procédure à un bien supérieur :

Le droit civil est donc composé de deux parties : la première comprend les lois qui règlent les rapports qu’ont les citoyens entre eux ; et c’est ce qu’on appelle proprement le Droit ; la seconde, les lois qui déterminent comment on réclamera le secours de l’autorité contre celui qui violera ces rapports, de quelle manière elle sera instruite de la vérité, commet elle décidera, et comment on fera exécuter sa décision ; c’est cette partie qu’on appelle Procédure. […] On sent aisément que c’est cette seconde partie qui donne la vie et le mouvement à la première. […] C’est donc par la Procédure que les lois communiquent leur secours aux opprimés qui les réclament […], c’est par elle que le dernier de l’État obtient justice […], c’est par elle, en un mot, que l’on oppose au despotisme une barrière qui l’empêche de renverser l’empire des lois. […] La Procédure a une même origine que le droit civil, et elle doit être considérée aussi avantageusement puisque sans elle ce droit ne serait rien25.

L’exemple de l’intérêt à agir est particulièrement probant de cette participation de la procédure à un Bien supérieur. En effet, si l’on connaît les dispositions de l’article 31 et de l’article 122 du Code de procédure civile qui soulignent la nécessité d’un intérêt à agir26, on observe aisément qu’elles ne sont pas une simple contrainte formaliste, mais bien que la finalité de ces dispositions est bien de deux ordres. Le premier est un bien social, à savoir éviter l’engorgement inutile des juridictions. Le second est la préservation de la nature de la justice. En effet, l’intérêt à agir ne s’appuie pas sur la seule volonté individuelle, c’est même le contraire de cela, car « l’intérêt » est la justification d’un équilibre rompu que le juge va devoir restaurer.

En ce sens, cette disposition de la procédure civile est fondamentalement naturelle : elle empêche le volontarisme de triompher, et elle met au cœur de la justice l’équilibre à restaurer. L’intérêt à agir n’est pas l’intérêt personnel ; il en est même l’extrême opposé puisqu’il a pour but de mettre fin à l’insécurité, aux violences, aux désordres qu’engendrerait le droit de se faire justice à soi-même27.

Par cette approche « finaliste », id est qui nous interroge non pas sur le contenu de la procédure civile, mais bien sur sa finalité, on observe qu’elle est participante de l’équilibre social28, du rééquilibrage effectué par le juge, et donc du Bien commun.

Il y a une inspiration, dans la procédure civile, qui dépasse de très loin le formalisme dans lequel on tente vainement de l’enfermer, une inspiration commune que rappelaient Solus et Perrot quand ils écrivaient que « la disposition de droit judiciaire est inspirée fondamentalement par des considérations d’intérêt général et supérieur du bon fonctionnement du service public qu’est l’administration de la justice »29. Bien plus que cela, en contribuant à l’œuvre de justice, la procédure civile « crée la confiance et le crédit en même temps qu’elle contribue à la paix »30 ; et quand l’on sait que la paix est la condition inéluctable du Bien commun31

Pour conclure ces premières réflexions, voici comment Jean Carbonnier qualifie la procédure civile, affirmant ainsi directement la participation de cette dernière à un Bien qui dépasse le cadre parfois aride du formalisme ou des juridictions : c’est une « civilité […] Aristote l’eût renvoyée à ce qu’il appelait la philia, l’amitié, la sociabilité »32.

Et s’il faut adjoindre à cela un élément purement positiviste, il suffit de se pencher sur l’article 440 du Code de procédure civile qui révèle parfaitement le fait que la procédure n’est pas une succession de règles et de chicanes, mais bien un moyen à la lumière d’apparaître : « lorsque la juridiction s’estime éclairée »33 !

II. La procédure appropriée : du bien commun aux biens communs

L’histoire de la procédure civile pourrait se résumer à un balancement persistant, une oscillation constante entre d’une part une volonté d’offrir à tous les justiciables un moyen d’accéder à la justice sans passer par la rigidité d’un formalisme finalement protecteur des libertés individuelles et de la société, sorte de démocratisation de la procédure, et d’autre part une affirmation des spécificités procédurales dans le but d’éviter un accaparement incontrôlé de la procédure et un retour à la vengeance privée. L’ambivalence réside donc dans cette contradiction : la procédure civile est un moyen donné au justiciable pour lui permettre d’obtenir une solution « juste » au litige (A), mais elle ne doit pas être entièrement confiée au justiciable par crainte de voir un moyen du Bien commun se transformer, en devenant un « bien commun à tous », en biens des justiciables (B). C’est pour cette raison qu’il est sans cesse nécessaire de rappeler que, si le procès est la chose des parties, la procédure civile, en tant que moyen du juste, n’est nullement propriété des parties, car elle appartient bien à la justice institutionnelle.

A. La démocratisation et la libéralisation de la procédure : d’un Bien commun aux biens communs

Le processus de démocratisation, et donc de « communautarisation » de la procédure civile n’est pas nouveau, et les processualistes des années 60 ou ceux des « cinq chantiers de la justice » n’ont rien inventé. Déjà, sous la République romaine, alors que sous la procédure dite des « actions de la loi » toutes les formules procédurales étaient connues des seuls pontifes et donc gardées secrètes – Ius civile reconditum in penetralibus pontificum34 – Cnaeus Flavius publia en 304 avant J.-C. un recueil contenant ces formules, imité quelques années après par le premier pontifex maximus plébéien Coruncanius qui, publiquement, se mit à expliquer les formules et la procédure civile aux citoyens romains35. Quelques siècles après, la Révolution française a été, elle aussi, un moyen de démocratisation de la procédure en favorisant l’oralité des débats, comme cela était déjà prévu dans l’ordonnance civile de 1667, et la liberté de la preuve36, même si l’on peut convenir, aujourd’hui, que la Révolution avait fini par détruire totalement la procédure civile37, notamment avec le décret du 3 brumaire an II qui, sous couvert d’imposer une justice rapide, peu coûteuse et ouverte à tous, avait entraîné des telles catastrophes judiciaires que l’on avait rétabli l’ordonnance de 1667 par décret du 18 fructidor an VII38. On avait finalement « dé-démocratisé » pour assurer des solutions justes…

La démocratisation de la procédure civile s’apparente à une décharge de l’office du juge, de ce juge « veilleur » et sanctionnateur comme le rappelle l’article 3 du CPC, et à un transfert de l’instance vers une justice hors le juge, hors le contrôle procédural, presque « hors la procédure ».

Les souhaits récurrents, doctrinaux ou praticiens, mais cependant minoritaires, d’une démocratisation de la procédure entraînent une liberté accrue du jeu existant entre les justiciables. Le développement d’une justice « hors la justice », d’une justice privée qui, même si elle reste, pour le moment, sous le possible contrôle du juge, tend à acquérir une forte indépendance, notamment à travers l’accroissement souhaité, et constaté, des modes alternatifs de règlements des litiges, entraîne aussi l’évincement de la procédure civile, de la conduite d’un litige, commun à tous les justiciables. Si le cadre est commun (médiation, transaction, arbitrages, procédure participative), le déroulement est privatisé, et perd donc cette dimension « commune ».

Les modifications actuelles, qu’il s’agisse de la réforme du 6 mai 201739 ou de celles à venir, tendent à voir disparaître la finalité de la procédure civile en remplaçant une finalité commune, celle d’un équilibre, d’une juste solution, par une finalité individuelle. On ne fait plus tendre le questionnement individuel d’une partie vers une finalité commune, le juste, et donc la paix sociale, mais vers l’assouvissement d’une passion personnelle.

Par quels moyens favorise-t-on la privatisation de la justice40, au motif contradictoire d’une démocratisation de cette dernière ? Trois moyens sont mis en œuvre : les modes alternatifs, la libéralisation économique de la justice, et la volonté de célérité, ce qui n’est pas sans rappeler les justifications de la mise en œuvre de la loi du 3 brumaire an II.

Concernant les modes alternatifs de règlement des litiges, on ne peut qu’observer qu’ils sont un moyen de démocratiser la procédure en ce que leur essence est de déjudiciariser le litige pour le laisser entre les mains des justiciables, peu importe, la place du juge qui, même s’il peut contrôler la force ou l’efficience de la solution issue du MARL, reste extérieure à ces MARL. L’absence du juge dans un cadre conflictuel témoigne de l’horizontalité de plus en plus prégnante de la justice particulière : on délaisse l’autorité judiciaire pour le « droit collaboratif ». Le développement de ces MARL n’est pas, en soi, une mauvaise chose. La difficulté réside dans le fait que l’on souhaite remplacer la justice institutionnelle de l’État par ces modes alternatifs, toujours dans une idée de nécessaire célérité41. La « démocratisation » visée par le développement des MARL est l’achèvement d’un moyen commun permettant de tendre au Bien commun, à savoir la justice publique, ce qui entraîne nécessairement l’éclatement de ce moyen commun en des moyens multiples, directement remis entre les mains des justiciables. En somme, il s’agit d’une démocratisation certaine qui casse l’unité sociale.

En prenant l’exemple de la procédure participative, on observe que cette déjudiciarisation, bien que souhaitée, n’est pas effective. Par exemple, si l’exécution de la convention formée est souhaitée, l’homologation du juge devient alors obligatoire. Ainsi, on ne décharge pas quantitativement le magistrat, mais on décharge qualitativement la Justice en retardant le recours au juge qui sera, presque toujours, sollicité. Enfin, le coût pour le justiciable n’est pas nécessairement restreint, car les parties doivent nécessairement être représentées par un avocat, que cela soit dans le cadre de la détermination de la convention de procédure participative, ou dans le cadre de l’homologation après dépôt de la requête. Les parties et les avocats sont donc dégagés du contrôle du juge, garant « commun » d’une procédure « commune ». Ils sont dès lors entièrement libres dans le maniement et la conduite de la procédure, devenue un bien de chacune des parties. Pourtant, d’illustres professeurs avaient prévenu le monde judiciaire quant aux dérives de pratiques extraprocessuelles, « afin que le bon fonctionnement de la justice ne soit pas laissé à la fantaisie des plaideurs »42.

On ne peut aussi détacher la simplification43 et la démocratisation de la procédure, celle-là même qui entraîne la disparité d’un bien qui était « commun », de la libéralisation et de l’individualisation de la justice. La tendance anglo-saxonne privatrice de la justice, cette même tendance qui pénètre le modèle français depuis les années 1960, fait de l’individu le cœur des préoccupations juridiques. Les décisions de la CEDH sont le parfait reflet de cette individualisation. Or, l’économie individuelle libérale, couplée à l’approche individualiste de la justice, s’oppose de facto à une conception unitaire de la société, à une démarche de recherche solidaire d’un Bien qui serait « commun » et non individuellement éclaté. L’impact de l’économie sur la procédure civile est, de fait, évident, car les moyens matériels de la mise en œuvre de la procédure ont – comme tout moyen matériel – un coût. Les propos de Nicolas Cayrol sont assez évocateurs de cela :

Un autre défi a été de prendre la mesure du poids des contraintes économiques et d’en tirer les conséquences. Le Code de procédure civile de 1975 est contemporain de la fin de la période appelée les « trente glorieuses ». Inévitablement, la procédure civile d’une société prospère allait devoir composer avec les conséquences de la crise économique. L’intendance de l’administration de la justice, au lieu de se contenter de suivre, aura tantôt ralenti, tantôt poussé la procédure. La doctrine aura ainsi été confrontée, par exemple, au phénomène du développement des procédures à juge unique, au mouvement de déjudiciarisation […], ou encore aux procès que suscite une économie basée sur une consommation de masse et le crédit44.

Enfin, on observe le culte de deux mouvements qui touchent actuellement la procédure civile : la célérité et la dématérialisation45. Et tout cela est présenté très progressivement par certains magistrats et par une partie de la doctrine, en mettant en exergue l’efficacité de la justice et la proximité dans l’unique but de « satisfaire le justiciable » en tant qu’individu. Nous sommes, là encore, bien loin du Bien commun puisque la finalité de la procédure ne serait pas, une nouvelle fois, la décision juste, mais la décision satisfaisante pour un tel, ou un tel46. D’après le premier président de la Cour de cassation Bertrand Louvel, l’essence de la justice est d’être « rapide, efficace et diligente » et son fonctionnement doit s’appuyer sur « l’efficacité, la responsabilité et la célérité »47. Sainte paraphrase, priez pour nous. En affirmant que la célérité est au cœur de la procédure, on omet de fait la finalité véritable de cette dernière. La célérité demeure certes l’essence d’un « 100 m », mais certainement pas de la procédure, faute de quoi, en poussant le raisonnement jusqu’au bout, la mise en état comme les débats s’avèrent contraires à l’œuvre de justice.

C’est d’ailleurs ce que rappelait, il y a bien longtemps, Édouard Bonnier, titulaire de la chaire de procédure civile de la faculté de droit de Paris en 1847 en ces termes :

C’est l’esprit de réaction exagérée contre la complication des formes qui a fait prendre en quelque sorte pour devise de la procédure cette règle souvent répétée par les auteurs : célérité dans la marche, économie dans les frais. Si c’était là le type absolu d’une bonne procédure, la justice grossière des peuples barbares serait la meilleure de toutes, car c’est évidemment la plus expéditive. S’attacher à cette règle, c’est prendre une qualité accessoire très-précieuse pour une donnée fondamentale. Quel est, en effet, le but de la procédure ? Ce but n’est autre que le but même du droit, dont la procédure est la mise en œuvre : arriver à la découverte de la vérité, constater les faits, puis faire justice, en appliquant la loi aux faits constatés. Ce qu’il faut donc se demander avant tout, c’est si l’on arrivera à la découverte de la vérité ; et si, pour arriver à cette découverte, on est obligé de suivre une marche assez compliquée, de faire des frais assez considérables, il faut s’y résigner sans hésiter, puisqu’après tout, la célérité, l’économie ne sont que des qualités accessoires au prix de la justice, but de toute procédure48.

Il en est de même pour le « tout dématérialisé ». Le sentiment de proximité dégagé par la dématérialisation – pour cet avocat qui n’a plus à passer sa journée dans un train, ou ce justiciable qui, de chez lui, pourra saisir une juridiction – n’est lié qu’à la réduction spatiale des distances. La proximité devient géographique, mais la procédure perd toute sa dimension humaine et sociale, c’est-à-dire sa véritable essence : participer à l’œuvre sociale, au Bien commun.

B. Les biens communs démocratiques : un retour « naturel » au Bien commun ?

Dans son manuel de procédure civile, Serge Guinchard souligne que le IIIe millénaire est marqué par un mouvement de démocratisation de la procédure, reprenant les termes qui lui sont chers de « démocratie procédurale »49. Pour justifier cette tendance, observation avec laquelle nous nous accordons parfaitement, le recteur Guinchard évoque l’émergence de nouveaux principes directeurs issus principalement du droit européen comme la loyauté, le dialogue ou encore la sacro-sainte célérité. Or, et l’auteur insiste sur ce point, il s’agit bien de principes « individuels », la loyauté étant « le respect de l’autre », le dialogue étant « l’écoute de l’autre », et la célérité une « proximité temporelle » entre des individus.

C’est exactement ce que souligne, une nouvelle fois, Nicolas Cayrol quand il écrit que :

La doctrine contemporaine a reçu en héritage des auteurs modernes une discipline scientifique nouvelle. […] Il s’agissait de faire du droit procédural comparé, en confrontant les procédures civile, pénale et administrative. C’est ainsi que parurent, au début des années 1970, les premiers polycopiés de droit processuel, compris comme le droit comparé des procédures. La doctrine contemporaine a poursuivi cette entreprise, mais elle l’a largement réinventée, dépassant la seule comparaison des procédures pour recherche les droits fondamentaux du procès ou une théorie générale du procès ou théorie générale de la procédure, comprise comme un type de rapport interhumain50.

Les réflexions doctrinales processualistes semblent donc enclines à favoriser une protection de l’individu au cours du procès, appuyées par de nouveaux principes directeurs qui sont mis en avant notamment par la CEDH : la loyauté, le droit à un procès équitable, l’égalité des armes, l’accès à la justice, etc. C’est donc en vue de protéger l’individu que l’on vient affirmer ces principes de la procédure civile. Ainsi, la procédure semble être un « bien commun » dont chaque justiciable, au regard de ses capacités et de son litige, peut faire usage. Pour ces auteurs, qui acceptent le rôle profondément humain et non uniquement formaliste de la procédure, la procédure est un moyen pour le justiciable d’être intégré à la démocratie, un moyen de s’opposer à l’arbitraire, une sorte de contrepouvoir permettant à chacun de faire valoir ses droits :

La procéduralisation du droit traduit le mouvement vers une démocratie procédurale. Le développement croissant et inéluctable du droit d’origine jurisprudentielle accroît l’importance de la procédure dans l’élaboration de ce droit. Il accroît ainsi le rôle du juge, acteur de la régulation des conflits et non plus seulement « bouche de la loi », mais aussi ce « changeur » entre l’hermétisme de la loi et le justiciable, changeur qui traduit en termes clairs ce qui est compliqué. Et, à l’inverse, l’accroissement des pouvoirs du juge dans l’élaboration de la norme accroît le besoin de garanties procédurales : la procédure est le contrepouvoir aux pouvoirs accrus du juge et au pouvoir de la justice51.

Si nous ne pouvons qu’approuver la tendance contemporaine qui vise à faire de la procédure un droit propre en vue de défendre l’équité au sein même du litige, nous nous accordons aussi nécessairement avec la très fine analyse du recteur Guinchard quand celui-ci évoque la part de la doctrine dans la procédure civile52 en scindant la doctrine processualiste en trois mouvements : les formalistes du xixe, les « jurislateurs » des années 1950-1980, et les contemporains tournés vers une doctrine processualiste humaniste. Mais nous ne pouvons donner aucun crédit à la conclusion de ses propos, ni même à son idée de « démocratie procédurale »53, notamment quand ce dernier affirme que la démocratisation de la procédure, ou la « démocratie procédurale » vient légitimer la procédure, considérant dès lors que, hors la démocratie, point de « justice procédurale ». Si la procédure tend à retrouver ce que le recteur Guinchard nomme les « principes structurants du droit processuel », à savoir la loyauté, le contradictoire et la célérité, ce n’est nullement au regard de la démocratie, mais bien de la tension inhérente à la justice, celle qui a pour finalité le juste. La considération politique semble vouloir justifier la démocratisation de la justice, mais il n’existe aucune corrélation entre justice procédurale et démocratie.

Sans le vouloir, la doctrine, les juges comme la CEDH, remettent au cœur de la procédure ce qu’elle est vraiment, c’est-à-dire un moyen commun, un bien commun, dont la finalité est le Bien commun de la Cité : « La procédure civile est une discipline profondément politique » qui intéresse « la vie de la Cité »54. On trouve même, dans l’ouvrage de Gérard Couchez et Xavier Lagarde, un rapprochement fait entre la procédure civile comme participant au « juste » et les principes directeurs du procès dégagés par la doctrine processualiste contemporaine. Le pas est presque franchi entre l’approche normative et l’approche jusnaturaliste classique, qu’ils touchent presque du doigt, quand ils écrivent :

L’application des règles de procédure est ce qui permet à l’institution judiciaire de rendre des décisions qui puissent être tenues pour justes par les justiciables [approche individualiste, mais non positiviste]. La procédure civile est en quelque sorte une actualisation de l’idée de Justice [approche jusnaturaliste classique]. Elle n’est pas un agrégat de formalités, elle est d’abord un agrégé de principes qui découlent pour l’essentiel du droit au procès équitable tel qu’il est consacré par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [approche jusnaturaliste moderne]55.

La loyauté, l’égalité des armes, le refus de l’arbitraire, le droit à un procès équitable ne sont finalement que des principes généraux, non nécessairement normatifs ou normés – pour le moment –, qui demeurent naturels et qui, parce qu’ils permettent l’équité, semblent être progressivement énoncés, retrouvés, au sein d’une discipline que l’on voulait purement technique et qui, au fond, demeure profondément humaine.

Pour conclure, quoique les quelques mots qui précèdent pourraient déjà servir de conclusion à ces quelques pistes de réflexion, nous ne citerons que trois auteurs qui, chacun différemment, viennent résumer à merveille cette idée que la procédure civile n’a qu’une seule finalité : le juste, et non le rétablissement de la norme.

Ainsi, Jean Carbonnier faisait de la procédure cet outil dont la finalité serait le « baiser de paix » entre les parties, une paix sociale dont on sait qu’elle est au cœur du Bien commun :

Cependant, les ethnologues pourraient, ici encore, avoir leur revanche si dans les procédures de l’avenir devait se développer ce qui est peut-être déjà perceptible en droit positif, une sorte d’acharnement, non pas thérapeutique, mais conciliatoire, réconciliatoire, unanimiste, qui voit le fin mot de la justice civile non plus dans un échange d’argumentations rationnelles et une pesée de ces argumentations, mais dans un échange de baisers de paix à tout prix. Reverrons-nous un jour les temps primitifs56 ?

Pierre Boncenne, au cœur des longs débats doctrinaux qui suivirent la codification napoléonienne, venait réaffirmer, face à un exégétisme teinté très fortement de positivisme, la supériorité de principes naturels face au formalisme prôné par le Code de procédure civile de 1806, celui-là même que l’on appelait le « code de procéduriers » :

La théorie de la procédure ne sera jamais bien comprise, si l’on n’aspire pas à se mettre en rapport avec l’esprit du législateur, si l’on ne visite pas les sources où il a puisé, et si l’on ne cherche pas à découvrir, sous l’enveloppe des formes, les principes de justice et de morale qui doivent éclairer la pratique elle-même, et lui faire perdre, en la relevant, son allure étroite et routinière57.

Terminons avec un intermédiaire, à mi-chemin temporel entre Carbonnier et Boncenne, qui nous rappelle que le « principe directeur » le plus essentiel n’est pas l’égalité des armes ou la loyauté des débats, mais bien un principe qui transcende toute la procédure civile, le « juste », qu’Henri Capitant appelle ici « l’idéal de justice » :

Le droit naturel est […] un principe directeur qui ne saurait être nié. C’est l’idéal de justice. Ce principe directeur ne dictera pas au législateur les solutions positives […], car c’est dans l’observation des faits […] que le législateur devra chercher les bases solides des lois qu’il promulguera. Mais c’est le droit naturel qui lui découvrira le but à atteindre, c’est lui qui donnera à son œuvre ce caractère d’unité, en l’absence duquel l’appareil législatif ne serait qu’une agglomération de règles sans liens entre elles58.

1 La procédure civile est-elle contenue dans le droit judiciaire privé ? Les voies d’exécution font-elles partie de la procédure civile ? Ou du droit

2 G. Cornu, J. Foyer, Procédure civile, Paris, PUF, 1998, p. 67.

3 L. Cadiet, « La sanction et le procès civil », Mélanges J. Héron, Paris, Lextenso, 2008, pp. 125-154.

4 L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Paris, LexisNexis, 2016, p. 5.

5 J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Paris, LGDJ, 2016, p. 20.

6 N. Cayrol, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, n° 93 : « Pour eux, la procédure était fondamentalement une technique. Il ne faut pas y voir des

7 J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 20.

8 On tempèrera nos propos à la lecture du manuel posthume de Boitard qui, même s’il affirme la nécessité d’un droit substantiel pour qu’existe la

9 Lois adjectives par opposition aux lois substantives. J. Bentham, Traités de législation civile et pénale, t. I, Paris, Bossange, Masson et Besson

10 E. Garsonnet, Traité théorique et pratique de procédure, t. II, Paris, Larose et Forcel, 1885, pp. 2-8.

11 J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, ibid.

12 E. Glasson, Précis théorique et pratique de procédure civile, t. I, Paris, Pichon, 1902, pp. 1-7 : « La plupart des droits sont à leur tour

13 J.– A. Rogron, Code de procédure civile expliqué, Paris, Videcoq, 1841, pp. 10-11 : « En observant les formes qu’elle prescrit, on s’avance vers

14 J. Berriat-Saint-Prix, Cours de procédure civile, t. I, Paris, Nève, 1821, pp. 1-2 : « Le mot procédure indique la série des actes qu’il faut

15 R.– J. Pothier, Traité de la procédure civile, in Œuvres posthumes, t. III, Orléans, Massot, 1778, p. 1.

16 E. Boitard, Leçons sur toutes les parties du Code de procédure civile, t. I, Paris, Cotillon, 1854, pp. 2-3 : « L’enseignement de la procédure a

17 L. Cadiet et E. Jeuland, Droit…, op. cit., p. 5.

18 J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, ibid.

19 L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 2.

20 S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, p. 3.

21 R. Bordeaux, Philosophie de la procédure civile, Évreux, Hérissey, 1857, p. 6.

22 L. Cadiet, « Procédure », in S. Rials et D. Alland, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, pp. 1216-1222.

23 L. Cadiet, « Procédure », in S. Rials et D. Alland, Dictionnaire de…, op. cit., p. 1217.

24 J. Carbonnier, « Regard d’ensemble sur la codification de la procédure civile », in R. Verdier, Jean Carbonnier. L’homme et l’œuvre, Paris, PUPN

25 E.– N. Pigeau, La procédure civile des tribunaux de France, t. I, Paris, Garnery, 1838, pp. 3-13.

26 Article 31 CPC : « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans

27 Voir. JCl. Procédure civile, fascicule 126-3 ; G. Wicker, « La légitimité de l’intérêt à agir », Mélanges en l’honneur d’Yves Serra, Paris, Dalloz

28 H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 14 : « Il faut bien reconnaître que certaines des règles du droit judiciaire privé

29 H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 25.

30 H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 14.

31 Saint Thomas d’Aquin, De regimine principum, (De regno ad regem Cypri), I, 2 : « Le bien et le salut d’une multitude assemblée en société sont

32 J. Carbonnier, « Regard d’ensemble sur la codification… », op. cit., p. 704.

33 Voir aussi E.-N. Pigeau, La procédureop. cit., p. 14 : « Pour obtenir justice, il faut la réclamer ; on doit ensuite instruire le juge de la

34 « Il [Flavius] dévoila au public les formules de jurisprudence qui étaient en réserve entre les mains des pontifes, comme au fond d’un sanctuaire 

35 R. Monier, Manuel élémentaire de droit romain, t. I, Paris, Domat Montchrestien, 1945, p. 37.

36 J.– L. Halpérin, « La visualisation des différentes procédures en Europe, XVIIIe-XXe siècle », Sociétés et représentations, n° 18, 2004, pp. 63-73

37 Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence, t. X, Paris, Lamy, 1805, pp. 433-434 : « Il résultat de

38 S. Dauchy, « La conception du procès civil dans le Code de procédure de 1806 », in L. Cadiet et G. Canivet (dir.), De la commémoration d’un code à

39 Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile.

40 L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 2 : « Cette “justice privée”, qui n’est pas une justice, est contraire à l’État de

41 Voir B. Louvel, « Pour l’unité de la procédure civile », 27 septembre 2017,

https://www.courdecassation.fr/publications_26/discours_tribunes_entretiens_2039/tribunes_8215/civile_bertrand_37723.html > et P. – L. Boyer, « Un

42 H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, op. cit., pp. 22-23.

43 Sur ce sujet, déjà avant la promulgation du Code de procédure civile, on s’interrogeait sur la simplification de la forme : « De toute part s’

44 N. Cayrol, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, n° 98.

45 F. Ferrand et P.-Y. Gautier, « Honneur et devoir de juger », D.2018.951 ; C. Jamin, « Douter avec Carbonnier », D.2018.713 ; P. – L. Boyer, « 

46 Commission européenne pour l’efficacité de la justice, L’accès à la justice en Europe, 2007, p. 21 : « La justice présente également la

47 B. Louvel, « Pour l’unité du tribunal », < www.courdecassation.fr/IMG///Tribune_Pour_l_unite_de_tribunal_.pdf >.

48 E. Bonnier, Éléments d’organisation judiciaire et de procédure civile, t. I, Paris, Joubert, 1847, pp. 324-325.

49 S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, op. cit., p. 16.

50 N. Cayrol, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, n° 102. J. Héron et T. Le Bars affirment tout le contraire quand ils écrivent : « C’est parce qu

51 S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, op. cit., p. 16.

52 Les propos du recteur Serge Guinchard ont fait l’objet d’une parution dans la Revue de droit d’Assas, n° 3, Lextenso, 2011, pp. 73 sq., repris 

53 S. Guinchard, « Vers une démocratie procédurale ? », Justices, n° 1, 1999, pp. 91 sq.

54 N. Cayrol, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, n° 102.

55 G. Couchez et X. Lagarde, Procédure civile, Paris, Sirey, 2014, p. 2.

56 J. Carbonnier, « Regard d’ensemble sur la codification de la procédure civile », op. cit.

57 P. Boncenne, Théorie de la procédure civile, t. I, Paris, Videcoq, 1837, p. 635.

58 H. Capitant, Introduction à l’étude du droit civil, Paris, Pedone, 1912, pp. 34-35.

Notes

1 La procédure civile est-elle contenue dans le droit judiciaire privé ? Les voies d’exécution font-elles partie de la procédure civile ? Ou du droit judiciaire privé ? Qu’est le droit processuel par rapport au droit judiciaire privé ? Peu importe ces débats sémantiques et qui relèvent finalement plus d’une glose stérile que d’une véritable réflexion sur le fond du droit. On lira, sur cette question de la dénomination des disciplines – et en particulier sur ce basculement opéré entre droit processuel, procédure civile et droit judiciaire privé – quelques lignes écrites par Henry Solus et Roger Perrot dans les premières pages de leur traité. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. I, Paris, Sirey, 1961, pp. 11-16.

2 G. Cornu, J. Foyer, Procédure civile, Paris, PUF, 1998, p. 67.

3 L. Cadiet, « La sanction et le procès civil », Mélanges J. Héron, Paris, Lextenso, 2008, pp. 125-154.

4 L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Paris, LexisNexis, 2016, p. 5.

5 J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Paris, LGDJ, 2016, p. 20.

6 N. Cayrol, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, n° 93 : « Pour eux, la procédure était fondamentalement une technique. Il ne faut pas y voir des esprits bornés, mais plutôt le résultat d’une conception fondamentale de la matière : pour eux, l’essentiel résidait dans le droit substantiel. Dans leur esprit, en faire autre chose qu’une technique aurait été lui conférer une dignité qu’elle n’a pas et aurait nécessairement retiré du prestige au droit substantiel. ».

7 J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 20.

8 On tempèrera nos propos à la lecture du manuel posthume de Boitard qui, même s’il affirme la nécessité d’un droit substantiel pour qu’existe la procédure (cf. infra), semble vouloir redorer la procédure en en faisant un véritable « droit » : « L’enseignement théorique des lois de la procédure trouve assez fréquemment à lutter contre les préjugés dangereux, à l’examen desquels je crois devoir consacrer quelques instants, afin de les combattre, ou plutôt, je l’espère, de les prévenir. À quelques-uns, en effet, la procédure civile apparaît hérissée de je ne sais quel renom d’aridité rebutante et d’une aspérité que nul effort ne peut vaincre. […] Si la procédure ne se rattachait pas, par des liens fréquents et intimes, à toute la matière du droit ; si elle devait s’isoler de l’étude des lois civiles, ou plutôt si l’étude de ces lois pouvait rester complète en se séparant d’elle ; si, en un mot, la procédure n’était autre chose que l’art des formules, le calcul des délais, l’habitude d’instrumenter, y chercher des principes, des théories, des systèmes, la soumettre à une analyse logique, à un enseignement rationnel, serait à la fois, je l’avoue, et la plus laborieuse et la plus stérile des tentatives. […] Détacher de la procédure l’étude des lois civiles ne serait, le plus souvent, qu’une spéculation vaine et sans but. […] Or déterminer, selon la nature de chaque cause, les principes de compétence qui la régissent […], signaler quelques vices à redresser, quelques abus à prévenir ; non, ce n’est pas là quoi qu’on en dise, nous condamner à une tâche ingrate et rebutante : c’est encore parler de droit. ». E. Boitard, Leçons de procédure civile, 11e éd., Paris, Cotillon, 1872, pp. 1-4.

9 Lois adjectives par opposition aux lois substantives. J. Bentham, Traités de législation civile et pénale, t. I, Paris, Bossange, Masson et Besson, 1802, pp. 149-150 : « 1res Lois substantives et 2des Lois adjectives. Ce dernier est le nom que je donnerais aux lois de procédure, afin de pouvoir désigner par un mot corrélatif les lois principales dont on a si souvent besoin de les distinguer. Les lois de procédure ne peuvent ni exister, ni même se concevoir sans ces autres lois qu’elles tendent à faire observer ».

10 E. Garsonnet, Traité théorique et pratique de procédure, t. II, Paris, Larose et Forcel, 1885, pp. 2-8.

11 J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, ibid.

12 E. Glasson, Précis théorique et pratique de procédure civile, t. I, Paris, Pichon, 1902, pp. 1-7 : « La plupart des droits sont à leur tour garantis par d’autres droits qu’on appelle souvent des actions et qui consistent dans la faculté de s’adresser aux tribunaux pour obtenir satisfaction […]. Il [les tribunaux civils] faut encore leur tracer les règles suivant lesquelles ils doivent instruire et juger les procès. C’est l’objet des lois de la procédure civile. […] Aussi, les lois de la procédure sont-elles avant tout des lois de forme. Il leur arrive même de préférer la forme au fond, mais il ne peut pas en être autrement : pour que ces lois soient observées, et il y va de l’intérêt de la justice, il faut qu’elles soient munies de sanction. ».

13 J.– A. Rogron, Code de procédure civile expliqué, Paris, Videcoq, 1841, pp. 10-11 : « En observant les formes qu’elle prescrit, on s’avance vers la décision d’une affaire. […] La procédure n’est autre chose que la forme à suivre pour obtenir justice ».

14 J. Berriat-Saint-Prix, Cours de procédure civile, t. I, Paris, Nève, 1821, pp. 1-2 : « Le mot procédure indique la série des actes qu’il faut faire pour parvenir à une décision. […] La procédure a pour objet et la décision des différends qui s’élèvent sur l’état des personnes ou sur les propriétés, et les précautions à prendre quelquefois, soit en conséquence de ces différends, soit afin de les prévenir. ».

15 R.– J. Pothier, Traité de la procédure civile, in Œuvres posthumes, t. III, Orléans, Massot, 1778, p. 1.

16 E. Boitard, Leçons sur toutes les parties du Code de procédure civile, t. I, Paris, Cotillon, 1854, pp. 2-3 : « L’enseignement de la procédure a dû marcher de front avec celui de toutes les autres branches du droit. […] Détacher de la procédure l’étude des lois civiles ne serait le plus souvent qu’une spéculation vaine et sans but. […] La procédure doit résoudre ces trois questions : elle a donc pour but de poser les règles de la compétence des tribunaux, de l’instruction du procès, et de l’exécution forcée des jugements. »

17 L. Cadiet et E. Jeuland, Droit…, op. cit., p. 5.

18 J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, ibid.

19 L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 2.

20 S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, p. 3.

21 R. Bordeaux, Philosophie de la procédure civile, Évreux, Hérissey, 1857, p. 6.

22 L. Cadiet, « Procédure », in S. Rials et D. Alland, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003, pp. 1216-1222.

23 L. Cadiet, « Procédure », in S. Rials et D. Alland, Dictionnaire de…, op. cit., p. 1217.

24 J. Carbonnier, « Regard d’ensemble sur la codification de la procédure civile », in R. Verdier, Jean Carbonnier. L’homme et l’œuvre, Paris, PUPN, 2012, pp. 703-705.

25 E.– N. Pigeau, La procédure civile des tribunaux de France, t. I, Paris, Garnery, 1838, pp. 3-13.

26 Article 31 CPC : « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ». Article 122 CPC : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. ».

27 Voir. JCl. Procédure civile, fascicule 126-3 ; G. Wicker, « La légitimité de l’intérêt à agir », Mélanges en l’honneur d’Yves Serra, Paris, Dalloz, 2007, pp. 455 sq.

28 H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 14 : « Il faut bien reconnaître que certaines des règles du droit judiciaire privé, notamment celles qui concernent l’organisation judiciaire, ainsi que certaines de celles qui sont relatives à la compétence, voire même à l’instruction du procès et au jugement, sont des règles de droit public : elles ont pour objet d’assurer le fonctionnement de l’administration de la justice qui est un service public et, à ce titre, incombe à l’État. ».

29 H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 25.

30 H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 14.

31 Saint Thomas d’Aquin, De regimine principum, (De regno ad regem Cypri), I, 2 : « Le bien et le salut d’une multitude assemblée en société sont dans la conservation de son unité, qu’on appelle paix ; si celle-ci disparaît, l’utilité de la vie sociale est abolie, bien plus, une multitude en dissension est insupportable à soi-même. Tel est donc le but auquel celui qui dirige la multitude doit le plus viser : procurer l’unité de la paix ».

32 J. Carbonnier, « Regard d’ensemble sur la codification… », op. cit., p. 704.

33 Voir aussi E.-N. Pigeau, La procédureop. cit., p. 14 : « Pour obtenir justice, il faut la réclamer ; on doit ensuite instruire le juge de la justice de sa prétention : lorsqu’il est éclairé, il doit décider. »

34 « Il [Flavius] dévoila au public les formules de jurisprudence qui étaient en réserve entre les mains des pontifes, comme au fond d’un sanctuaire ». Tite-Live, Histoire romaine, IX, 46-5, trad. M. Corpet-Verger et E. Pessonneaux, Histoire romaine de Tite-Live, t. II, Paris, Garnier, 1904.

35 R. Monier, Manuel élémentaire de droit romain, t. I, Paris, Domat Montchrestien, 1945, p. 37.

36 J.– L. Halpérin, « La visualisation des différentes procédures en Europe, XVIIIe-XXe siècle », Sociétés et représentations, n° 18, 2004, pp. 63-73 : « La Révolution française a posé le principe de l’oralité et de la liberté des preuves et que le Code de procédure civile, malgré ses imperfections, a été perçu comme un modèle libéral dans l’Europe du début du XIXe siècle. ».

37 Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence, t. X, Paris, Lamy, 1805, pp. 433-434 : « Il résultat de cette loi un grand inconvénient : c’est que les affaires de la plus haute importance se vidèrent comme simples affaires sommaires, sans aucune instruction, sur la simple lecture de l’exploit de demande, et qu’alors qu’il échappa à la sagacité des magistrats, même les plus équitables et les plus instruits, une multitude de décisions injustes, d’où suivit la ruine de beaucoup de personnes ; à joindre que cette première loi fut suivie d’une seconde qui ordonnait que tous les procès soient jugés dans les trois mois de leur naissance, sous des peines assez graves, et que, comme la justice alors était gratuite de toute manière, puisqu’il n’en coûtait que quelques assignats discrédités même pour l’expédition et l’enregistrement des jugements, les procès se multiplièrent tellement, que bientôt qu’il eût fallu les juger en masse, pour ne pas tomber en contravention. ».

38 S. Dauchy, « La conception du procès civil dans le Code de procédure de 1806 », in L. Cadiet et G. Canivet (dir.), De la commémoration d’un code à l’autre ∫ : 200 ans de procédure civile en France, Paris, Litec, 2006, pp. 77-89, 2006.

39 Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile.

40 L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 2 : « Cette “justice privée”, qui n’est pas une justice, est contraire à l’État de droit dans les sociétés démocratiques. ».

41 Voir B. Louvel, « Pour l’unité de la procédure civile », 27 septembre 2017,

https://www.courdecassation.fr/publications_26/discours_tribunes_entretiens_2039/tribunes_8215/civile_bertrand_37723.html > et P. – L. Boyer, « Un président ça trompe énormément », Gaz. Pal, n° 38, 2017, pp. 10 sq. : « Cela ne semble pas mauvais en soi, mais ce qui demeure inquiétant, c’est la volonté de remplacement de la justice institutionnelle de l’État par ces modes alternatifs. Et la justification de cette idée demeure toujours la nécessité de célérité, et même pire, celle du “délai raisonnable”. Peut-on véritablement faire une distinction entre célérité et délai raisonnable ? Bien évidemment ! La première est une disposition, le second une obligation. Il est parfaitement incohérent de justifier le besoin de célérité par l’obligation qu’a l’État français, sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de rendre la justice dans ce fameux “délai raisonnable”. Or la “raisonnabilité” de ce délai est inhérente au contenu de l’affaire, à la réalité du litige, et non à une conception normativiste qui fixerait, in abstracto, ce délai à 2, 3 ou 5 années. ».

42 H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, op. cit., pp. 22-23.

43 Sur ce sujet, déjà avant la promulgation du Code de procédure civile, on s’interrogeait sur la simplification de la forme : « De toute part s’élève un cri violent contre la complication des formes. Eh ! Sans doute, il faut que les formes soient simples ; mais, pour simplifier les formes, gardons‑nous bien de les détruire. ». Exposé des motifs du Code de procédure civile par M. Treilhard, cité dans J.-G. Locré, Esprit du Code de procédure civile, t. I, Paris, Didot, 1816, p. 3.

44 N. Cayrol, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, n° 98.

45 F. Ferrand et P.-Y. Gautier, « Honneur et devoir de juger », D.2018.951 ; C. Jamin, « Douter avec Carbonnier », D.2018.713 ; P. – L. Boyer, « Révoltez-vous. Libres (trop libres ?) propos sur le rapport Agostini-Molfessis », Lexbase Hebdo Édition privée, n° 735, 22 mars 2018 ; « L’Open data en marche : miroir de l’évolution sociétale », Lexbase Hebdo Édition profession, n° 259, 8 mars 2018 ; C. Otero et P. – L. Boyer (dir.), La dématérialisation du contentieux juridictionnel Rouen, PURH, coll. Les annales de Droit, 2018, 134 p., etc.

46 Commission européenne pour l’efficacité de la justice, L’accès à la justice en Europe, 2007, p. 21 : « La justice présente également la particularité d’avoir un intérêt privé, qui ne concerne que l’individu, et un intérêt public ou social, qui doit satisfaire la demande de la société dans son ensemble. Dans les deux cas, la satisfaction de l’individu est prise en compte, mais dans un cas (demande privée), est considéré ce qui ne concerne que lui, et dans l’autre (demande sociale), ce qu’il a en commun avec les autres individus. » ; Mission de recherche droit est justice, La prise en compte de la notion de qualité dans la mesure de la performance judiciaire, IRJS, Paris, 2015, pp. 31-32 : « Apprécier la satisfaction des justiciables revient à déterminer quel est le pourcentage de justiciables satisfait par le service public de la justice ».

47 B. Louvel, « Pour l’unité du tribunal », < www.courdecassation.fr/IMG///Tribune_Pour_l_unite_de_tribunal_.pdf >.

48 E. Bonnier, Éléments d’organisation judiciaire et de procédure civile, t. I, Paris, Joubert, 1847, pp. 324-325.

49 S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, op. cit., p. 16.

50 N. Cayrol, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, n° 102. J. Héron et T. Le Bars affirment tout le contraire quand ils écrivent : « C’est parce qu’il est un droit servant que le droit judiciaire privé présente un intérêt théorique ou intellectuel exceptionnel. À la différence des droits substantiels, en effet, son objet n’est pas directement constitué par les relations humaines. Il n’intervient qu’à un second degré, pour déterminer les règles de droit substantiel applicables dans tel ou tel litige et il lui faut ordonner tous ces éléments. En quelque sorte, le droit judiciaire privé est un droit portant sur le droit, ce qui lui confère une abstraction très remarquée. ». Pour eux, en conséquence, la procédure ne serait pas humaine et serait une abstraction… Sans commentaire. J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, op. cit., p. 24.

51 S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, op. cit., p. 16.

52 Les propos du recteur Serge Guinchard ont fait l’objet d’une parution dans la Revue de droit d’Assas, n° 3, Lextenso, 2011, pp. 73 sq., repris ensuite dans diverses conférences données à Poitiers (cercle Tiraqueau), ou encore à Toulouse (Académie de législation).

53 S. Guinchard, « Vers une démocratie procédurale ? », Justices, n° 1, 1999, pp. 91 sq.

54 N. Cayrol, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2017, n° 102.

55 G. Couchez et X. Lagarde, Procédure civile, Paris, Sirey, 2014, p. 2.

56 J. Carbonnier, « Regard d’ensemble sur la codification de la procédure civile », op. cit.

57 P. Boncenne, Théorie de la procédure civile, t. I, Paris, Videcoq, 1837, p. 635.

58 H. Capitant, Introduction à l’étude du droit civil, Paris, Pedone, 1912, pp. 34-35.

Citer cet article

Référence électronique

Pierre-Louis BOYER, « Un bien commun en vue du bien commun ? », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 19 | 2019, mis en ligne le 25 octobre 2021, consulté le 23 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=222

Auteur

Pierre-Louis BOYER

Maître de conférences HDR en histoire du droit et ancien avocat, CREDO – IODE Rennes I, Vice-doyen de la faculté de Droit, Université Catholique de l’Ouest Angers

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