Introduction
Le xxie siècle est celui de l’émergence de la mondialisation. La mondialisation est un terme abstrait qui est devenu un cliché plutôt qu’une idée au contenu substantiel1. La plupart du temps, elle est considérée comme un concept économique avec des connotations juridiques significatives2. Alors que le processus de mondialisation intègre de plus en plus d’aspects économiques, les lois nationales des États devraient être de plus en plus sensibles à cet aspect. Dans cette configuration, l’harmonisation est nécessaire.
Du latin harmonia, l’harmonisation désigne « un simple rapprochement entre deux ou plusieurs systèmes juridiques afin d’en réduire ou d’en supprimer certaines contradictions3 ». En effet, l’harmonisation consiste à créer des réglementations ou conditions de fond pour avoir des produits identiques ou de même nature, par l’adoption de principes communs de droit. Le résultat de ce phénomène est la réduction des différences entre les législations nationales. Cependant, on peut justifier l’harmonisation des lois par la nécessité de surmonter les obstacles de compétences et d’externalités, et ce afin de faciliter le commerce international4.
Dans l’histoire de l’harmonisation du commerce international, la colonisation est une forme particulière d’harmonisation qui s’est faite par le processus de copie. Dans ce processus, les rédacteurs des différents pays examinent les lois d’autres pays et cherchent à les mettre en œuvre dans leurs pays en copiant la législation étrangère. Ceci dit, ils cherchent à améliorer ce qu’ils prennent du droit étranger en y apportant des modifications. Autrement dit, le législateur est libre de faire toutes les modifications qu’il jugera utiles à l’harmonie5.
« La copie n’est pas une solution adéquate pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, la loi de ce pays ou des pays peut elle-même nécessiter une réforme. Deuxièmement, la copie de la loi d’un autre pays se traduit par une absence de participation au processus de rédaction législative. En copiant la loi d’un autre pays, il y aura aussi la copie inutile des compromis des groupes politiques, financiers, et les intérêts qui ont abouti à l’adoption de cette loi6 ». En revanche, l’avantage évident de ce processus est que, parmi les lois existantes, le législateur a la capacité de choisir la loi qui lui semble la meilleure.
En nous recentrant sur le contexte de notre étude, les pays du Golfe7, nous nous rendons compte que l’histoire de la colonisation et l’harmonisation par le processus de copie ont été bien suivies dans ces pays, et encore aujourd’hui les effets de ladite harmonisation se voient facilement dans leurs systèmes juridiques.
Le mouvement de codification au Moyen-Orient a été commencé au milieu du xixe siècle, et a gagné en amplitude pendant le siècle suivant8. Au xixe siècle, quand l’Empire ottoman a décidé de moderniser les institutions juridiques et de faciliter le commerce extérieur9, il a adopté très largement, en 1850, le Code de commerce français. Cet emprunt s’est étendu au droit pénal (1858), au droit maritime (1864), aux procédures commerciales (1860), civiles (1880) et criminelles (1881). Ces Codes étaient présentés comme un simple règlement afin de compléter la Chari’a. Suite à un désaccord entre le droit codifié (les Codes français) et le droit non codifié (le droit musulman), les juristes ottomans ont décidé de codifier le droit musulman. Le « medjellé » était l’apport de cette codification. Ce qui fait l’importance de ce texte, c’est qu’il est « la première codification officielle dans l’histoire de l’Islam » et « le premier Code original d’un État musulman de forme moderne avec un contenu exclusivement religieux ». Il a été constitué de 16 livres10 et s’appliquait à l’ensemble de l’Empire sauf l’Égypte. Pour répondre à tout ce qui concernait les rapports juridiques qui n’étaient pas présents dans le medjellé, il fallait chercher dans les livres du fiqh pour trouver des règles applicables11.
Après la chute de l’Empire ottoman vient une période d’expansion du colonialisme au Moyen-Orient. L’application du droit des pays colonisateurs par les pays colonisés fut l’un des apports fondamentaux du colonialisme. Par exemple, à cette époque, la Jordanie appliquait le medjellé mais aussi la Common Law. « L’article 46 du Palestine Order in Council reconnaissait, en effet, la Common Law et l’équité comme sources subsidiaires du droit. Les tribunaux ont interprété ce texte de façon extensive, recourant au droit anglais chaque fois que ni le droit ottoman ni les pratiques locales ne donnaient de solution formelle12 ». La même situation a existé en Irak et dans les Émirats arabes unis.
Suite à la nationalisation et l’indépendance, les pays du Moyen-Orient ont senti la nécessité d’une réforme juridique. Malgré leur connaissance du système de la Common Law, ils ont voté pour un droit écrit (le droit français). Concernant les raisons de l’acceptation d’un tel droit, nous pensons que la pérennité de la Common Law exigeait une ancienneté juridique très solide avec des jurisprudences convergentes en matière d’obligations, qui n’était pas envisageable dans des pays qui n’ont pas eu ne serait-ce qu’un système juridique. De surcroît, le modèle de Code civil égyptien (C.c.Eg.) a joué un rôle fondamental dans l’unification des pays arabes. Ce Code a été établi en 1948 et s’est inspiré du Code civil français ainsi que du droit musulman. Sanhouri, son fondateur, a toujours déclaré être inspiré par les principes islamiques. Le succès du Code civil égyptien se résume à la synthèse réussie entre le droit musulman et le droit occidental, ce qui justifie son prestige dans tous les pays du Golfe13.
Il faut mentionner que chaque État, dans le Code qu’il a adopté, a considéré « une appréciation différente de la place du droit islamique, d’une part, et celle des coutumes locales, d’autre part14 ». Toutefois, les pays du Golfe qui étaient sous l’influence de la Common Law ont toujours maintenu leur fidélité, malgré l’acquisition d’un Code civil. Cette attitude, qui n’est pas nouvelle dans la région, pourrait engendrer le problème de la convergence des systèmes juridiques, d’autant que nous pouvons distinguer trois familles du droit dans certains pays : le droit musulman, la Common law et le droit Romano germanique. L’exemple du Dubaï International Finance Center illustre bien comment une partie d’un pays musulman, qui a un Code civil, se gère par la Common Law.
En 2004, suite à une modification de la Constitution des Émirats arabes unis, une base a été créée pour établir des zones de libre finance dans l’ensemble de pays. L’une des zones a été établie à Dubaï : « le Dubaï International Financial Center » (ci-après DIFC). Le DIFC était un effort en vue de créer un environnement économique et développer le commerce dans les Émirats arabes unis. Cependant, le DIFC est exempté des lois civiles et commerciales, et des règlements des Émirats arabes unis par un décret gouvernemental. En effet, le DIFC a son propre cadre juridique en matières civile et commerciale, qui est fondé sur la Common Law plutôt que sur le Code civil applicable dans le reste de Dubaï. Les tribunaux du DIFC ont compétence exclusive pour les litiges civils et commerciaux découlant de, ou liés à, des contrats exécutés ou conclus au sein du DIFC, et les différends liés à des incidents survenus au sein du DIFC. Les juges sont des spécialistes en droit commercial et en arbitrage. Ce sont également des juges de l’ancien tribunal de commerce et de la Cour d’appel d’Angleterre, ou encore d’autres juges et arbitres expérimentés. Le résultat, c’est que le DIFC est régi par un système juridique qui est à la fois accessible et familier aux juristes de la Common Law15.
L’histoire juridique des pays du Golfe réclame la nécessité d’une réforme juridique et une modification des institutions juridictionnelles. L’absence d’une base juridique solide, les effets de la colonisation et la nécessité d’intégration dans le marché mondial pour ces pays exportateurs de pétrole ne pourront se résoudre qu’avec l’option de l’harmonisation. L’harmonisation via des principes généraux du droit est une solution qui pourrait moderniser et apporter la réforme nécessaire aux différents systèmes juridiques en les rapprochant par leurs similitudes. Dans ce but, nous allons étudier dans un premier temps, la nature et les caractères des principes généraux du droit (I) et dans un deuxième temps, nous analyserons ces principes en droit musulman. (II)
I. Les principes généraux du droit : la clé d’harmonisation
Lorsque nous parlons des mots « principe » et « général », nous sommes en face de termes qui ne sont pas juridiques par nature, mais seulement par la détermination des poseurs de normes juridiques16. Les principes généraux du droit sont des normes supérieures qui se trouvent, avec un contenu similaire, dans tous les ordres juridiques. « En les voyant fonctionner dans le temps et dans l’espace du droit, ces principes apparaissent comme un concept référentiel17 ». Certains juristes occidentaux vont plus loin et déclarent que les principes généraux constituent « une clef de voûte en ce qu’ils dénomment les idées capitales socialement vivantes18 ».
L’importance des principes généraux se résume à leur capacité à générer l’élaboration de nouvelles solutions. « Du point de vue de la théorie générale du droit », écrit Emmanuel Gaillard, c’est en effet la spécialisation même des principes généraux qui constitue « un mécanisme de création du droit prétorien, qui, dans la philosophie positiviste ambiante, puise les sources de ses innovations les plus audacieuses dans les solutions incontestées du droit positif ».
La capacité d’avoir potentiellement un grand nombre des solutions qu’exige la pratique, permet aux juristes internationaux de les présenter en tant qu’un seul et même instrument d’harmonisation entre les systèmes juridiques. « Toute forme de rapprochement, de coordination, voire d’unification se réaliserait bien mieux par l’intermédiaire des principes généraux que par le biais de conventions internationales codifiant de manière détaillée des règles de droit matériel », dit Sélim Jahel. Il ajoute : « Les principaux textes unificateurs élaborés à ce jour, comme la Convention de Vienne sur la vente internationale des marchandises, les Principes du droit européen du contrat, les Principes Unidroit se sont éloignés de cette méthode et ont été constitués avec des règles techniques précises qui n’ont qu’un lointain rapport avec les principes19 ».
Certes, les principes généraux du droit sont découverts dans l’ordre interne des États, mais tous les juristes ne sont pas d’accord sur l’existence de tels principes. Pour René Rodiere, la catégorie des principes généraux n’existe pas en droit privé20 ; Marielle de Bechillon qui a consacré sa thèse aux principes généraux nie l’existence desdits principes dans cette branche du droit. D’après l’auteur, les principes généraux se rattachent à l’une ou l’autre des sources classiques du droit, et par conséquent, ils ne sont pas susceptibles d’être considérés comme des sources informelles21.
En revanche, au niveau international, les principes généraux sont la source autonome du droit. La première partie de l’article 38 du statut de la cour de justice déclare :
La cour, dont la mission est de régler conformément au droit international, les différends qui lui sont soumis, applique :
A) Les conventions internationales…
B) La coutume…
C) Les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées22.
Enfin, d’autres institutions judiciaires telles que « la Cour de justice des communautés européennes, ou la Cour européenne des droits de l’homme n’ont pas hésité à puiser dans le droit des États membres, ou à trouver dans les traités constitutifs, des principes généraux de droit23 ».
En matière d’arbitrage, « ce sont essentiellement les principes généraux qui constituent l’instrument de construction normative à la disposition des arbitres du commerce international24 ». Non seulement les parties peuvent choisir la lex mercatoria comme loi applicable au fond du litige, mais les arbitres peuvent y recourir également pour résoudre le litige. Le nombre d’arrêts dans lesquels l’arbitre se réfère aux principes généraux témoigne de l’importance de cette source indépendante du droit25.
A. L’histoire et la définition
En 533 de l’ère chrétienne, l’empereur Justinianus Primus a promulgué à Constantinople un ouvrage du nom d’Institutions. Cet ouvrage a été rédigé par trois jurisconsultes qui avaient été chargés par l’empereur de développer les premiers principes du droit. Selon cet ouvrage « les préceptes du droit se réduisent à trois principaux : vivre honnêtement, ne léser personne, rendre à chacun ce qui lui appartient. Le premier ne s’applique qu’aux devoirs imparfaits, c’est-à-dire aux devoirs de délicatesse, de bienfaisance, de charité. Les deux derniers, au contraire, s’appliquent aux devoirs parfaits, c’est-à-dire à ceux produisant à la fois une obligation pour l’un et un droit pour l’autre26 ».
Bien que ces principes aient été empruntés à des Codes occidentaux ainsi qu’orientaux, la définition des principes généraux du droit n’est pas facile. Le mot « principe » n’éveille dans l’esprit que des représentations assez confuses, et comme Jean Boulanger le souligne, « les principes empruntent une partie de leur majesté au mystère qui les entoure ».
Dans le dictionnaire Robert, nous trouvons deux définitions pour le mot « principe » : « la proposition première, posée et non déduite » et « la règle d’action s’appuyant sur un jugement de valeur et constituant un modèle ou un but ». La première signification distingue un principe d’une règle, et la deuxième met l’accent sur la valeur de principe.
Si, dans un sens courant, le mot « principe » présente des significations telles que : celui qui est premier (en cas pluriel), les éléments fondamentaux, les règles de base, etc., en droit aussi, « les principes constituent le fondement des différents ordres juridiques à qui ils confèrent leur cohérence et leur finalité27 ». En vérité, « ils sont des éléments de l’ordre juridique positif28 ». Mais il ne faut pas oublier que dans le domaine du droit, une règle se distingue d’un principe.
Une règle juridique est générale en ce qu’elle est établie pour un nombre indéterminé d’actes ou de faits, mais, sous un certain rapport, elle est spéciale, en ce qu’elle ne régit que tels actes ou tels faits ; elle est édictée en vue d’une situation juridique déterminée. Un principe, au contraire, est général en ce qu’il comporte une série indéfinie d’applications29.
Concernant l’adjectif « général », il faut dire que « la généralité ajoute l’idée d’extension. Il en résulte que le principe général est, au sens strict, le principe qui a une vocation propre à l’étendue30 ». Pour être plus précis, il faut mentionner qu’un principe général a trois caractères :
- un caractère permanent : le principe peut être très ancien et même peut avoir traversé les siècles ;
- un caractère général : la généralité consiste en la diversité des branches du droit où un même principe peut se rencontrer et être utilisé. Par exemple, les principes comme la bonne foi, l’équité, et l’égalité se trouvent dans toutes les branches de droit ;
- un caractère péremptoire : « l’invocation d’un principe intervient toujours sur le ton de l’oracle, et le comble de l’incantation est atteint lorsque le juge appelle à la rescousse les principes généraux d’une matière en se gardant bien, et pour cause, de préciser lesquels31 ».
Avant d’aller plus loin quant au caractère des principes généraux, il apparaît important de les définir correctement. Cependant, « les principes généraux du droit sont des normes induites de règles préexistantes dotées d’une certaine généralité qui autorise de nouvelles déductions32 ».
B. Les principes généraux du droit : dénominateurs communs
Les principes généraux en tant que « positions premières » se trouvent dans toutes les législations. Certains principes sont propres à des ordres nationaux, alors que d’autres sont propres à l’ordre international. Il existe des principes qui sont communs entre l’ordre juridique international et les différents ordres nationaux. Ces principes, qui établissent un rapport matériel entre les différents ordres en déterminant leur « fonds commun », sont les principes généraux du droit33. Les principes tels que la bonne foi, l’équité, l’égalité trouvent leur fondement dans les droits national et international. De plus, ils sont énoncés dans des instruments conventionnels34.
Le caractère universel des principes généraux est incarné dans leur nature même. « Ils sont des principes que la conviction juridique des États civilisés considère comme devant nécessairement faire partie de tout ordre juridique35 » ou plus simplement, parce qu’ils sont imposés par la nécessité inhérente à tout système juridique. L’atteinte à un aspect universel nécessite de suivre certaines étapes, dont, écrit Charles De Visscher, « un double processus, d’abstraction d’abord, de généralisation ensuite, qui dépouillant les règles du droit interne des particularités dont les a revêtues une élaboration beaucoup plus poussée, permet, par un effet de synthèse, de les ramener à leurs aspects les plus généraux et seuls vraiment universalisables ». Il ajoute :
Ce qui est décisif n’est pas la similitude des institutions ou des règles, mais le principe sous-jacent qui leur est commun et qui les explique36.
L’universalité des principes généraux souligne le caractère identique de ces normes supérieures. Ils sont identiques, car fondés sur les similitudes. Comme le dit Sobhi Mahmassani :
Les ressemblances dans les principes généraux qu’on trouve entre les différents peuples ne tiennent pas nécessairement, au fait qu’il ait pu exister des rapports et des échanges entre eux, elles s’expliquent surtout par cette idée que ces principes expriment une vérité unique qui s’impose à la raison37.
Pour le professeur Weil, « la notion même de principes généraux du droit étant en définitive fondée sur une similitude entre des solutions juridiques dépouillées de leurs particularités non essentielles, une telle similitude apparaîtra d’autant mieux que l’on aura fait abstraction de plus de modalités techniques pour s’en tenir à un essentiel de plus en plus désincarné38 ».
Le mot « désincarné » présente un second aspect des principes généraux, celui d’être en mesure de « se transférer d’un ordre juridique à un d’autre, ainsi du droit interne au droit international ou inversement39 ». Le caractère « transitoire ou récessif » de ces principes joue un rôle essentiel dans l’enrichissement des systèmes juridiques. En effet, l’échange des principes généraux entre les systèmes juridiques qui se produit à un niveau plus élevé que l’ordre normatif permet de faciliter l’apport de nouvelles normes juridiques dans un système40. C’est la raison pour laquelle les systèmes juridiques qui ne sont pas suffisamment développés sont encouragés à réaliser ce procédé de formation du droit qui leur permet d’emprunter à d’autres systèmes juridiques.
« Le droit des contrats, selon M. Rousseau, est l’un des domaines dans lesquels le recours aux principes généraux du droit s’est révélé depuis longtemps41 ». Si aujourd’hui le principe de bonne foi est une norme éminente en droit français et est considéré comme la base fondamentale du droit des contrats, on le croyait définitivement stabilisé depuis le droit romain, du moins depuis le Code civil42.
La portée étendue des principes généraux permet « d’étendre au maximum le domaine du droit judiciairement applicable43 ». En cas d’absence de règle de droit ou de lacune du droit dans des domaines nouveaux, la capacité « supplétive » de ces principes permet d’alimenter des règles nouvelles. C’est la raison pour laquelle, Jean Boulanger voyait deux fondements à l’application des principes généraux. D’une part, « un principe sert tout d’abord à légitimer l’application analogique d’un texte, et l’on sait combien l’analogie est précieuse pour le juriste ». D’autre part, il « sert encore à élaborer la solution, lorsque la règle légale vient à manquer44 ».
Il ne faut pas oublier que les principes généraux ne se limitent pas à ceux qui sont écrits, ils « connotent des idées capitales et ont vocation, même en l’absence de texte qui les déclare ou les reconnaisse, à être formalisés par les différents détenteurs d’un pouvoir juridictionnel45 ».
Certains juristes reconnaissent aux principes généraux un caractère philosophique. Alors que d’autres leur attribuent une coloration morale. La question de savoir si les principes généraux ont un caractère moral ou juridique a été longuement débattue46. C’est la raison pour laquelle, selon certains auteurs, il n’existe pas une, mais deux catégories de principes. D’après Motulsky, nous avons d’une part des principes généraux techniques, qui sont rattachés aux règles posées, et d’autre part les principes philosophiques qui relèvent du droit positif. Dans le même sens, mais en d’autres termes, Philippe Jestaz distingue des principes axiologiques, lesquels ont un caractère moralisateur, des principes rationalisateurs, plus techniques et dotés d’un caractère plus rationnel47. Il ne faut pas oublier que dans chaque catégorie, les deux caractères, axiologique et rationnel, sont présents, mais à des niveaux variables l’un par rapport à l’autre48.
Si les principes rationalisateurs sont l’œuvre de la doctrine, les principes axiologiques, au contraire, présentent un caractère moral que l’on reconnaît être des principes « naturels, inaliénables et sacrés ». Concernant leur importance, Ripert dit : « le positivisme juridique ne peut nous donner complète satisfaction, puisqu’il n’explique pas le respect de la règle de droit par le sentiment même du droit ». Et l’auteur de conclure que « pour prendre une plus claire conscience du fondement du droit, il faut pénétrer dans un monde moral où la discussion scientifique n’est plus de mise ».
Si l’attachement des principes généraux à la morale n’est pas vraiment toléré dans les systèmes laïcs, les principes se rattachent à l’idée de la personne humaine. Et puisque l’Homme est « un seul qui aura réussi à conquérir une audience suffisante », les principes deviennent des valeurs. Par conséquent, l’adjectif « moral » est remplacé par celui de « philosophique49 ». Comme le dit Rivero : « il y a à la racine de tout système de droit, une conception de l’homme et du monde… C’est à ce fond éthique que se rattachent les principes généraux ». « Il s’ensuit donc que de tels principes impliquent un certain nombre de postulats qui préexistent au juge, et que ce dernier affirme sans que pour autant il les puise du fond de règles dont il est à l’origine50 ». Nous pouvons conclure que la distinction entre les principes juridiques et moraux reste cantonnée au stade de la théorie. En pratique, le juge et l’arbitre sont conscients de la fragilité de cette distinction et n’hésitent pas, en cas de nécessité, à lier la morale et le droit.
II. Les principes généraux du droit en Islam
Les principes généraux qui sont les piliers fondamentaux de chaque système juridique sont connus en droit musulman sous le nom de qawaed kuliyat. Le mot qaidah (pluriel : qawaed) en arabe se traduit par différents sens : la fondation, la permanence et la stabilité. Pour Manavi, qaidah est : celui qui s’installe sur toutes choses et assure la stabilité des constructions. Mais littérairement, qaidah est une règle ou une norme. Cependant, les qawaed kuliyat sont les normes globales.
Les qawaed kuliyat peuvent se définir comme « des règles à portée générale qui s’appliquent à toutes les questions partielles qui s’y rattachent51 ». La définition de Sélim Jahel se rapproche de cette dernière :
Un principe général est une sorte de norme-cadre, comme on parle de contrat-cadre, caractérisée par un niveau très élevé d’abstraction et de généralisation, n’ayant pas vocation à être directement appliquée par le juge, mais s’appliquant à travers les règles particulières qui en découlent52 ».
Il faut mentionner que dans certains ouvrages arabes les auteurs utilisaient le mot usul (racines) comme le synonyme de principes. Cependant, il faut faire attention de ne pas confondre les qawaed kuliyat avec des termes similaires comme usul al fiqh53.
S’agissant de l’importance des qawaed kuliyat, Mustapha Al-Zarka dit :
IIs reflètent de manière admirable les règles courantes, en éclairent lumineusement le sens et ouvrent de larges perspectives à leur développement… Sans les qawaed kuliyat, ces règles se seraient effritées en solutions éparses et parcellaires, faute de critères pour les amarrer aux idées auxquelles elles se rattachent et permettre par‑là même de dégager pour chaque groupe de règles les fondements et les finalités qui les unissent54.
En posant un regard historique sur le droit musulman, nous constatons que les qawaed kuliyat sont apparus tardivement dans ce système juridique55. À partir du xie siècle, nous sommes les témoins de l’apparition de ces qawaed dans les ouvrages musulmans. La fermeture de la porte de l’ijtihad, ainsi que l’interdiction des fuqaha de toutes sortes d’innovations, ont conduit ces derniers vers des principes généraux du droit. Autrement dit, la fermeture de la porte de l’ijtihad, qui se traduit par l’achèvement de la formation du droit musulman, a attribué une nouvelle tâche aux fuqaha. Au lieu d’inventer de nouvelles règles, ils ont été obligés d’analyser des phénomènes juridiques selon les règles qui avaient été établies précédemment. Par ailleurs, la nécessité d’établir de nouvelles règles renforçait le rôle des qawaed kuliyat. Le caractère inductif desdits principes permettait aux fuqaha de servir à l’élaboration de solutions nouvelles, et par la suite au développement du droit musulman. Ces principes trouvent leurs racines dans la Chari’a. Les principes comme l’enrichissement sans cause, la force obligatoire du contrat, la bonne foi… se trouvent directement soit dans un hadith, soit dans un verset du Coran. C’est pourquoi, pour Mustapha Al-Zarka, les qawaed kuliyat « sont induits des textes de la Chari’a, des racines fondamentales du fiqh, des règles courantes du droit classique de considérations rationnelles56 ».
L’apparition tardive des qawaed kuliyat ne nie pas leur reconnaissance par le droit musulman. Dès le xie siècle, ces principes ont été connus par les fuqaha. Par exemple, à cette époque, l’école chaféite connaissait quatre principes fondamentaux : « l’usage a valeur de règle, le doute ne doit pas détruire la conviction déjà faite, l’extrême difficulté appelle la facilitation, le dommage doit être intégralement réparé ». Il faut mentionner qu’en droit musulman, le XIe siècle est connu pour la reconnaissance des principes généraux, par contre, la codification et la publication légale de ces normes ne se réalisent qu’à l’époque ottomane.
Comme nous l’avons souligné plus haut, les années 1286-1876 hégires57 sont considérées comme les années florissantes du droit musulman. La codification du medjellé comme premier Code musulman, a étendu de plus en plus la portée du droit musulman. Concernant les qawaed kuliyat, il faut souligner que ces normes ont retenu toute l’attention des rédacteurs du medjellé : composé de 99 articles, le titre préliminaire décrit les principes les plus connus du fiqh. Les principes généraux codifiés par le medjellé sont les principes connus par l’école hanafite. C’est la raison pour laquelle de nombreux principes connus par les autres écoles ne s’y trouvent pas. Ces principes sont très courts. Ils ne dépassent pas quelques mots. Par exemple, la darar wala dirar (ni dommage ni endommagement) explique que « la victime d’un dommage ne doit pas se faire justice à elle-même ». Ou encore, al tabeh tabeh (ce qui suit suit) qui signifie « l’accessoire suit le principal ».
Certes, le droit musulman en tant que système juridique connaît les principes généraux du droit, mais tous les principes n’ont pas été reconnus par le droit musulman classique. C’est au cours des siècles, et par l’impact des différents systèmes juridiques, que les fuqaha s’enrichissent desdits principes. Un bon exemple serait l’abus de droit. Même si la racine de ce mécanisme se trouve dans le Coran, il n’était jamais dans les ouvrages du fiqh58. On peut mentionner également la résolution judiciaire pour cause d’inexécution du contrat qui n’a jamais été admis par le droit musulman classique59. Si, aujourd’hui, les législations modernes des pays musulmans connaissent ladite pratique, c’est grâce à l’influence du droit français sur la codification de ces pays60. Le même scénario est envisageable pour la révision pour imprévision. Ce mécanisme a été inspiré par les Codes contemporains des pays musulmans, de la jurisprudence allemande et suisse, ainsi que le Code des obligations polonaises (C.o.Po.) et le Code civil italien (C.c.Ita). En effet, au moment de la rédaction du Code civil égyptien, Sanhouri, son fondateur, s’est inspiré de cette pratique. Par la suite, les autres Codes de la région ont suivi61.
L’absence des principes de résolution pour l’inexécution et l’imprévision dans les ouvrages de fiqh pourra s’expliquer par l’importance du principe de la force obligatoire du contrat. En réalité, afin de ne pas porter atteinte à ce dernier, les fuqaha ont évité d’insérer ces deux principes dans le fiqh.
Les exemples mentionnés illustrent comment les différentes branches du droit s’influencent les unes les autres, et comment le droit musulman est ouvert à l’acquisition des nouvelles pratiques par l’influence des autres systèmes. Comme dit Jean Chevallier :
Lors donc, qu’on souligne l’affinité de beaucoup de règles du projet (du Code égyptien) avec les traditions du droit musulman : abus du droit, imprévision, responsabilité délictuelle des incapables, d’autres encore, j’y vois la preuve que le droit musulman peut se rencontrer avec les législations modernes, non l’indice que ces règles ont été empruntées au droit musulman. La conformité de ces règles avec les traditions musulmanes a pu être la raison qui les a fait choisir. Leur source n’est pas le droit musulman, mais la législation étrangère à laquelle elles ont été pour cette raison empruntées avec la formule qui les exprime dans cette législation. J’en conclus que le projet de Code civil égyptien révisé a pour source le droit comparé et non le droit musulman comme on pourrait l’attendre de l’ouvrage d’un disciple de M. Lambert qui, pour l’établissement de cette œuvre, demanda la collaboration de son maître62.
Aujourd’hui, les qawaed kuliyat sont connus en droit positif des pays arabo-musulmans. Les Codes civils de ces pays reconnaissent les principes généraux du droit en tant que source de droit. Autrement dit, le juge, dans ces pays, pourra « à défaut d’une disposition législative applicable, statuer d’après les principes du droit musulman, et à son défaut, suivant le droit naturel et les règles de l’équité63 ».
Il est évident qu’en matière contractuelle, le principe de la liberté contractuelle et celui de la force obligatoire du contrat sont considérés comme le noyau dur des principes généraux du droit. C’est là qu’on trouve le plus de similitudes et d’échanges juridiques entre les familles du droit. Nous allons voir par la suite comment la liberté contractuelle et la force obligatoire du contrat sont envisagées en droit musulman.
A. L’autonomie de la volonté et liberté contractuelle64
Il est dit du droit musulman qu’il ne connaît pas la théorie générale du contrat65. Cet argument est fondé sur la méthode de développement du système des contrats islamiques selon lequel une série des contrats est énumérée suivant un ordre abstrait. Ces contrats nommés sont assez nombreux et variés et les auteurs musulmans consacrent un livre à l’étude de chacun d’eux.
La question soulevée ici est de savoir si la liste des contrats nominatifs du fiqh est limitative. Est-ce que l’individu peut conclure des contrats qui ne figurent pas dans le fiqh ? Peut-il créer des situations juridiques que n’ont pas été prévues par le fiqh ? Autrement dit, où est la place de l’autonomie de la volonté en droit musulman ? Les avis des fuqaha, à ce sujet, sont partagés entre deux thèses différentes : une thèse restrictive et l’autre libérale.
Selon une théorie traditionnelle, puisque la liste des contrats normatifs est limitée dans le fiqh et le contenu des actes juridiques déjà fixé par la Chari’a, le rôle de la volonté de l’individu se limite à faire naître l’acte juridique. Par conséquent, il ne peut ni introduire de nouveaux contrats, ni modifier les effets du celui-ci. Pour les juristes de l’école Zaharite qui soutiennent cette thèse « la volonté des parties fait naître réellement l’acte juridique (aqd), mais c’est la Chari’a qui organise les effets et les conséquences de cet acte. C’est pourquoi les fuqaha disent que les actes ont été dotés par la Chari’a de leurs effets et conséquences et de leur objet. Ils veulent dire, par-là, que la relation entre l’acte lui-même et ses conséquences, en considérant l’acte comme la cause et les conséquences comme l’effet de la cause, n’est pas une relation (fondée) sur la nature des choses et la logique, comme elle le serait si la cause existant, l’effet devait s’ensuivre nécessairement, mais que c’est la Chari’a qui a établi cette relation entre les deux66 ».
Les défenseurs de cette thèse s’appuient sur deux hadiths. Le premier rapporte une déclaration qu’aurait faite le Prophète en présence d’Aïcha, à propos d’une affranchie sur laquelle Aïcha prétendait pouvoir exercer un droit patronal bien que n’étant pas l’auteur de l’affranchissement. Le Prophète se leva au milieu des fidèles, loua Dieu puis ajouta :
À quoi songent les hommes qui stipulent les conditions qui ne figurent point dans le livre de Dieu ? Toute stipulation qui ne figure pas dans ce livre est nulle67.
Dans d’autres circonstances, le Prophète aurait dit à Aïcha : « Si quelqu’un fait un acte que nous ne lui avons pas ordonné, cet acte est rejeté ». Ibn-Hazem Ezzahiry, commentant ce hadith, écrit :
En vertu de ce texte, est nul tout acte qu’une personne conclut et par lequel elle s’oblige à moins qu’il ne s’agisse d’une obligation personnelle ou réelle qu’un texte ou un ijma établit68.
À l’opposé de cette théorie, il existe une thèse libérale et plus favorable à la liberté contractuelle, qui confirme le principe de la liberté des parties dans les actes juridiques conforme à l’esprit de la Chari’a. Selon les hanbalites, tout ce qui n’a pas été expressément interdit par la Chari’a est autorisé. Comme dit Ibn Qayyim Al-Gauziya, l’auteur hanbalite :
Le principe est la validité pour tout contrat et toute transaction s’il n’y a pas de texte de loi l’annulant ou l’interdisant.
Il faut mentionner que la notion de la liberté contractuelle selon les malékites est très voisine de celle des hanbalites, et presque aussi libérale que celle-ci. Le fondement de leur théorie se trouve dans les versets coraniques comme : « Ô vous qui croyez soyez fidèles à vos engagements69 », « Soyez fidèles au pacte de Dieu, vous qui l’avez conclu, ne videz point les serments que vous avez faits solennellement70 », « Remplissez vos engagements, car des engagements on en demandera compte71… », ou encore un hadith selon lequel le Prophète aurait dit : « Les croyants ont leurs clauses, sauf une clause qui rend licite quelque chose d’illicite, ou rend illicite quelque chose licite72 ».
Aujourd’hui la thèse traditionnelle est totalement abandonnée et les auteurs contemporains défendent l’existence du principe de la liberté contractuelle en droit musulman. Comme l’écrit Ibn Taymiya : « La règle dans les contrats est la volonté des parties et leurs résultats (des contrats), sont ceux qu’ont voulus les parties73… ». Il ne faut pas oublier que « la liberté contractuelle n’est pas sans limites. Un contrat ne doit pas être contraire à l’ordre public, et sans doute, faut-il tenir compte en l’occurrence des règles impératives d’ordre religieux et moral qu’impose la Chari’a74 ». Chehata confirme que « tout accord de volonté est efficace pourvu qu’il ne déroge pas aux principes établis par la Chari’a75 ».
Les Codes contemporains des pays musulmans confirment la manière dont ces pays sont unanimes sur l’existence du principe de liberté contractuelle. L’article 126 du Code civil fédéral des Émirats arabes unis prévoit qu’un contrat peut contenir divers incidents et, en général, « tout autre chose qui n’est pas interdite par une disposition de la loi et n’est pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ». Similaire, le principe est confirmé par le Code de commerce de Bahreïn. L’article 2 de cette loi stipule :
Il s’applique pour les questions commerciales qui les deux parties contractantes ont convenu à condition que cette convention ne soit pas contraire aux dispositions législatives obligatoires.
B. La force obligatoire du contrat
La force obligatoire du contrat est un asl (racine) fondamental en droit musulman qui découle directement des versets coraniques. Les versets comme : « Ô croyants, soyez fidèles à vos engagements » ou « Ô vous qui croyez, conformez-vous à vos contrats » ou « Soyez fidèles au pacte de Dieu vous qui l’avez conclu, ne videz point les serments que vous avez faits solennellement76 », tous insistent sur la nécessité de respecter les engagements par les croyants. C’est pourquoi, en droit musulman, le lien contractuel ne peut se révoquer que par une dissolution contractuelle. Nous verrons par la suite que dans certaines mesures, la résiliation unilatérale d’un contrat est aussi envisageable.
La dissolution contractuelle se présente par un nouvel accord, dans le cas où les parties s’entendent à révoquer le contrat. Ce mutuus dissensus qui s’appelle iqala en droit musulman, est une convention nouvelle. C’est la raison pour laquelle, dans l’iqala « la propriété de la chose vendue ne sera pas considérée comme transférée au vendeur et la chose sera réputée n’avoir jamais cessé de lui appartenir77 ».
Comme nous l’avons souligné, le contrat peut être résolu par la volonté unilatérale des parties. Le khiyar al-chart, le khiyar al-a’yb et le khiyar ar-ru’yat sont des cas dans lesquels l’un des contractants pourrait procéder à la résolution du lien contractuel sans l’accord de l’autre partie.
Le khiyar al-chart ou l’option de stipulation qui équivaut à la condition suspensive en droit français78, est une clause par laquelle l’une ou les deux parties se réservent le droit de la résolution ou la conformation du contrat dans un délai déterminé. Tandis que, pour les hanafites et chaféites, ce délai est de trois jours, les autres écoles ne sont pas d’accord sur cette limite79.
Le fondement de cette option est un hadith selon lequel, à la réponse d’un commerçant qui se plaignait d’être souvent victime de ventes lésionnaires, le Prophète aurait dit :
Si tu vends ou achètes, déclare, au moment de la vente, sans te tromper : je me réserve l’option de trois jours80.
Certes, cette clause heurte le principe de la force obligatoire du contrat, mais un contrat juste nécessite que les parties soient assurées de leur consentement et, comme le souligne Sélim Jahel :
Un ultime délai de réflexion, même en aval du contrat, peut être un auxiliaire utile à la protection de la volonté en permettant au contractant de revenir sur un consentement qu’il juge avoir hâtivement donné. Il est d’ailleurs possible que la traversée par le contrat de cette période probatoire en accroisse la solidité : un contractant bénéficiaire d’un khiyar al-chart et qui n’en a pas fait usage dans le délai requis pourra plus difficilement établir que sa volonté a été surprise. L’on gagne ainsi sur deux registres : le consentement est mieux protégé, la sécurité contractuelle est renforcée81.
Mis à part l’article 300 du medjellé qui prévoit : « on peut valablement stipuler dans une vente la condition que, dans un délai fixé, l’une ou l’autre des parties contractantes ou toutes les deux à la fois, auront le choix de résoudre ou de le rendre obligatoire en le confirmant », le khiyar al-chart a été repris dans tous les Codes civils contemporains des pays du Golfe. L’article 218 (1) du Code civil fédéral des Émirats arabes unis précise :
Lorsque le contrat contient une condition qu’une partie peut résilier sans le consentement mutuel de son contractant, ou à un ordre du tribunal, le contrat ne sera pas obligatoire pour l’une ou l’autre des parties. Chaque partie peut alors agir unilatéralement à la résiliation du contrat lorsque ce n’est pas obligatoire pour lui, ou quand il a réservé une option en sa faveur.
De même, la réservation de l’option de stipulation peut être faite, par l’une des parties, à l’avance ou à la suite de contrat, en faveur de lui-même ou de tiers82.
Le khiyar al-a’yb ou an-naqîsat (l’option pour vice) est « la faculté donnée à l’acheteur dans une vente, mais également à toute personne qui acquiert à titre onéreux la propriété d’un bien de résoudre le contrat si elle découvre que la chose acquise recèle un vice qui en diminue la valeur83 ». Le fondement de cette option se trouve dans trois hadiths, selon le premier, le Prophète aurait dit : « Il n’est pas permis à un musulman de vendre à son frère une chose qui comprend un vice à moins de lui signaler », ou encore : « Celui qui nous trompe n’est pas des nôtres ». Il existe un troisième hadith qui est connu par les fuqaha en matière du dol :
Ne liez pas les mamelles de la chamelle. En se faisant, le lait de chamelle s’accumule et l’acheteur éventuel serait induit en erreur sur son débit de lait. Celui qui achètera (la bête musarra) aura le choix entre deux solutions : garder la bête ou la rendre avec une mesure de dattes84.
Aujourd’hui, cette option se trouve dans la plupart des Codes civils des pays de la région de Golfe. Par exemple, les articles 237 à 242 du Code civil des Émirats arabes unis sont consacrés au khiyar al-a’yb.
Le khiyar ar-ru’yat ou l’option de vue est « la faculté accordée à l’acquéreur ou au locataire d’une chose non encore présente au moment de la signature du contrat, de confirmer ou de résoudre ledit contrat après examen de la chose qui en est l’objet85 ». Cette option est fondée sur un hadith selon lequel, le Prophète aurait dit : « Ne vendez pas ce que vous n’avez pas ». Il existe un d’autre hadith selon lequel, le Prophète aurait dit : « Celui qui achète une chose sans l’avoir vue a une option au moment où il la voit86 ». Comme les autres options, ce khiyar a été introduit dans les Codes des pays du Golfe. À titre d’exemple, les articles 517 à 523 du Code civil irakien, 226 à 230 du Code civil des Émirats arabes unis et 465 du Code civil koweïtien parlent du khiyar ar-ru’yat. Le point intéressant est que, non seulement le Code civil koweïtien présente cette option, mais également le Code de commerce de ce pays dans l’article 376 parle du khiyar ar-ru’yat.
Conclusion
En ce xxie siècle dont une caractéristique éminente est de vivre dans un « village global », le phénomène de globalisation confronte les législations du monde entier à une véritable question : comment édicter de nouvelles lois, ou modifier celles qui existent, pour être certaines de leur efficacité ? Autrement dit, la mondialisation dans le secteur de l’économie demande une plus grande cohérence internationale d’un point de vue légal, et évidemment une unification du droit national et supranational de commerce87.
L’atteinte de cet objectif ne se réalisera qu’en encourageant le développement d’une culture juridique commune à travers du monde. C’est la raison pour laquelle il faut soutenir la notion de « partage des cultures » en créant des occasions d’échange et de transfert d’expérience commune. Cette insistance est susceptible d’attirer une attention accrue vers les solutions alternatives qui peuvent être déjà utilisées pour des problèmes couramment rencontrés. À cet égard, la création d’un Code international des contrats par le biais des principes généraux du droit entre la Common Law, le Civil Law et le droit musulman est une solution qui permettra d’harmoniser les systèmes juridiques.
Les principes généraux du droit, qui sont des principes communs aux systèmes juridiques des différents États du monde, ont la capacité d’unifier le droit. Ils « ne sont donc pas le fruit d’une simple addition ni même d’une moyenne des solutions adoptées par les différents systèmes juridiques, notamment nationaux : c’est seulement une fois dégagées de leurs modalités techniques, tenues pour contingentes, et ramenées aux aspects fondamentaux qui en constituent en quelque sorte l’âme, que ces solutions se trouvent exhaussées au rang de principes généraux de droit et sont alors susceptibles de transfert d’un ordre juridique à un d’autre88 ».
L’histoire des systèmes juridiques nous explique comment les différents systèmes s’influencent l’un l’autre et comment ils se renforcent. Au temps de l’Empire romain, la loi de Moïse, qui constitue le fondement du christianisme et de l’islam, a influencé le Civil Law, qui a à son tour davantage influencé la Common Law. Par ailleurs, le christianisme, par la loi de Moïse et au-delà de lui-même, a influencé le Civil Law et la Common Law. Par conséquent, le droit musulman et le Civil Law ont un dénominateur commun par le droit romain, qui à son tour a été influencé par la loi de Moïse et le, plus grand encore, héritage judéo‑chrétien qui est à la base du droit musulman89.
Plus ancienne que l’Empire romain, l’histoire juridique fournit des preuves archéologiques de la loi de préhellénistique grecque, les Sumériens, les Babyloniens, les Assyriens, les Hittites et les Égyptiens. Les juristes ont analysé des papyrus égyptiens, des inscriptions grecques, des tablettes d’argile cunéiformes et des cylindres mésopotamiens. Ils ont examiné la loi et les Codes, dans leurs langues originales telles que celles du roi babylonien Hammourabi, l’antique loi grecque de la ville de Gortyne en Crète, la loi de la ville de la métropole hellénistique d’Alexandrie, et enfin le droit en Asie. Ce que ces juristes ont conclu établit la base du droit international comparatif. Ils ont découvert des parallèles indéniables entre ces systèmes juridiques. Ces parallèles ne pouvaient pas être expliqués comme étant dérivés l’un de l’autre. La conséquence de ceci est que, pour toute situation économique et sociale donnée, il y a un nombre limité de formules juridiques, et ces formules se produisent dans des systèmes juridiques différents selon le contexte et le stade de développement culturel90.
Partant de l’influence historique des systèmes juridiques, les travaux juridiques renforcent la faisabilité de la création d’un Code international en matière contractuelle. Le meilleur témoin est le Code de SANHOURI. La philosophie de ce Code est centrée sur la question de l’unité. En effet, l’influence des partisans91 d’un « droit commun législatif » centré sur l’idée de rapprochement des peuples a renforcé la théorie de l’unité législative du monde arabe. Ladite unité devait commencer par l’Égypte et par le biais de l’unité de Code civil. Les trois sources principales du Code de Sanhouri étaient : le droit comparé, la jurisprudence égyptienne et le droit musulman. Les sources de droit comparé utilisées étaient vastes. On se référait aux codifications latines, germaniques, ainsi qu’aux codifications indépendantes92. Il semblait que le moyen le plus adéquat pour avoir un Code mixte à cette époque était le talfiq, c’est-à-dire la synthèse entre des solutions de la Chari’a et les Codes européens. C’est la raison pour laquelle ce Code est connu comme un « placage » de normes européennes et du droit musulman93.
Si les réalités juridiques et historiques attestent de la création d’un Code mixte entre le Civil Law et le droit musulman, on peut en déduire la possibilité de la création d’un Code mondial. Retirer des principes généraux de ces familles de droit afin d’avoir un Code international est une solution pour la convergence des droits nationaux lorsque les systèmes juridiques proposent des solutions différentes à un problème particulier, ou encore quand il n’y a aucune règle ou solution à un problème.