Enseignement par simulation en santé : états des lieux, aspects éthiques et psychologiques

DOI : 10.52497/revue-cmh.624

Plan

Texte intégral

L’enseignement par simulation dans le domaine de la santé suscite un grand engouement. De multiples raisons, dont notamment les développements technologiques récents (informatique, réalité virtuelle...) y participent. Les autorités de santé s’y intéressent, notamment dans le cadre du maintien des compétences. Plusieurs études sont venues confirmer son efficacité dans l’absolu, sans toutefois formellement démonter sa supériorité sur les méthodes d’apprentissage plus traditionnelles, ou son impact sur la qualité des soins. Une fois de plus, les progrès des techno‑sciences dans ce domaine, méritent une réflexion pour une utilisation raisonnée.

I. Différents modes de simulation utilisables dans la formation en santé

A. Simulateur procédural

Depuis l’antiquité, que ce soit dans l’art de guérir ou celui de la guerre, l’homme a utilisé des outils d’apprentissage et d’entraînement basés sur la simulation. Un très grand nombre de simulateurs est actuellement disponible, permettant l’entraînement à des procédures plus ou moins sophistiquées : sutures, abords vasculaires, intubation, gestes chirurgicaux, etc… Il y a quelques années, la polémique autour de l’apprentissage des touchers pelviens par des étudiants en médecine sur des femmes anesthésiées, a motivé la généralisation de cet apprentissage sur des simulateurs pour les étudiants en médecine, avec le slogan « plus jamais la première fois sur un patient ». Mais il y aura toujours une première fois sur le patient, et si l’apprentissage sur simulateur procédural permet l’acquisition d’une certaine « gestuelle », il doit aussi s’accompagner de l’apprentissage du respect de la personne et des règles d’hygiène.

B. Mannequins haute fidélité

Ces simulateurs qui bénéficient des progrès technologiques de ces dix dernières années sont les fleurons de l’introduction des technosciences dans le domaine de l’éducation en santé (connexion Wifi, électronique sophistiquée, comportement plus ou moins physiologiques, voire intelligence artificielle...). Ils sont pilotés par un ordinateur et permettent de reproduire fidèlement de nombreuses situations, plus ou moins fréquentes et plus ou moins graves, la variation des paramètres vitaux en fonction de l’histoire naturelle du cas ou des interventions thérapeutiques des étudiants. Certains sont équipés de modules pharmacologiques sophistiqués leur permettant de « réagir » de façon autonome en fonction des interventions pharmacologiques. Ils peuvent s’intégrer dans des environnements médicaux reconstitués (salle d’urgence, bloc opératoire, box d’accouchement...).

C. Simulateurs en réalité virtuelle

Ces simulateurs très techniques eux aussi sont le plus souvent des simulateurs « procéduraux » sophistiqués qui permettent l’apprentissage de gestes complexes (fibroscopie, cœlio chirurgie...). Ils disposent de programmes de formation permettant à l’étudiant de s’auto-évaluer. Les étudiants peuvent s’entraîner à des gestes élémentaires, réaliser une procédure complètement, faire varier le niveau de difficulté de réalisation de telle ou telle procédure. Plus rares et moins évidents à utiliser et à intégrer dans un cursus de formation, sont les simulateurs plongeant l’apprenant dans un espace de réalité virtuelle en 3 dimensions.

D. « Serious games »

Ces simulateurs utilisent les mêmes principes que les jeux vidéo. L’interface est un écran et très rarement ils peuvent s’accompagner d’une simulation de gestes (ponctions vasculaires ou périnerveuses, exploration échographique, etc.). Ils permettent surtout d’enseigner et de tester des connaissances théoriques et des prises de décision.

E. Simulateurs « organiques »

Ces simulateurs complètent la panoplie d’outils de simulation, mais ne relèvent pas ou très peu de l’évolution des techno-sciences. Il s’agit de patients porteurs d’une pathologie chronique se prêtant à une simulation d’examen clinique, d’adultes sains, voire d’acteurs. Tous sont entraînés à interagir avec les étudiants de façon reproductible (standardisée). Ces multiples systèmes tendent à remplacer des modèles plus anciens (apprentissage sur un animal ou un cadavre) qui gardent encore quelques indications.

Les différents types de simulateurs sont complémentaires et ne correspondent pas à l’acquisition des mêmes compétences. Ils peuvent être utilisés simultanément ou séquentiellement.

II. Principes de la simulation

L’enseignement par simulation fait appel à plusieurs concepts éducatifs dynamiques de l’adulte. Les apprenants doivent être motivés et volontaires. L’acquisition de nouvelles connaissances doit reposer sur un socle de connaissances antérieures et une implication émotionnelle permettant si possible une appropriation déductive du nouveau savoir. L’apprentissage doit se faire dans un contexte environnemental et situationnel le plus authentique et réaliste possible, en lien avec les objectifs pédagogiques prédéfinis.

Le retour après séance (debriefing) est la phase essentielle d’une séance de simulation, qui est en fait bâtie pour introduire ce debriefing qui la suit directement. L’absence de debriefing obère gravement l’efficacité de la simulation. C’est un point capital de la qualité des séances, tant pour les enseignants, que pour les étudiants. Il peut s’appuyer sur des enregistrements audio-vidéo de la session. Il nécessite des enseignants spécialement entraînés, experts dans leur domaine, à même d’articuler les connaissances acquises en simulation avec les connaissances antérieures, y compris en sciences fondamentales et humaines, de favoriser la réflexion dans l’action, et de gérer la dynamique de groupe. Les simulateurs de plus en plus sophistiqués/réalistes, permettant l’acquisition et le maintien de connaissances/compétences, extrapolables à la vraie vie. L’impact didactique est mesurable, et les simulateurs sont utilisables pour l’évaluation. La simulation favorise le travail en équipe, dans une approche souvent multidisciplinaire.

III. Utilisation de la simulation en éducation médicale

Actuellement, l’enseignement par simulation a une grande popularité parmi les étudiants, les enseignants, et les institutions. Contrairement à l’enseignement « classique », la simulation mobilise des compétences cognitives, techniques, voire des aspects émotionnels. Cette multiplication des canaux d’informations renforce les apprentissages. Elle permet d’enseigner et d’évaluer d’autres aspects des compétences cliniques que l’aspect purement cognitif : communication, professionnalisme, travail en équipe. La simulation est un outil d’enseignement, et non une fin en soi. Les quelques études qui ont comparé simulation et méthodes traditionnelles n’ont pas montré de supériorité nette de la simulation. À l’inverse, quand la simulation a été intégrée dans un parcours de formation, les étudiants ayant bénéficié de la simulation s’avéraient plus performants.

La simulation est un outil de choix pour la formation multidisciplinaire et multi professionnelle. Cette formation, s’applique particulièrement à des situations telles que les urgences, le bloc opératoire, les services de soins intensifs ou de réanimation. La qualité du travail en équipe multidisciplinaire est directement corrélée à la qualité des soins. Les scenarios évaluent les facteurs humains et leur impact sur les décisions et le devenir des « patients ». Ils permettent d’identifier les lacunes habituellement observées : défaut de communication au sein de l’équipe, absence de leader, désorganisation de l’activité du groupe, décisions inadéquates. La simulation trouve donc tout naturellement sa place dans la formation continue et dans l’évaluation des pratiques professionnelles. C’est l’un des outils reconnus par la Haute Autorité de Santé pour le développement professionnel continu (DPC). Les limites de la simulation sont essentiellement représentées par les coûts de matériels et de ressources humaines. Les premiers peuvent être résolus par divers moyens : subventions, formations payantes, mise en commun de matériels.... Les personnels doivent être formés, leur formation entretenue, et doivent disposer de temps réservé. C’est actuellement le problème majeur des centres de simulations.

IV. Aspects éthiques et psychologiques de la pédagogie par simulation

À première vue, la simulation semble répondre à au moins deux questions de façon éthique : elle permet un meilleur apprentissage technique et comportemental dans le domaine de la santé et elle évite la réalisation de gestes sur des patients plus ou moins consentants ou avertis de l’inexpérience de l’opérateur. La réflexion est en fait beaucoup plus subtile et les relations qui peuvent exister entre l’éthique et la simulation sont nombreuses.

A. La simulation est-elle éthique ?

La simulation, ou pour le moins la répétition de gestes ou de situations avant leur réalisation sur de vrais patients, est aussi vieille que la médecine et personne ne pourrait reprocher à un étudiant ou à un praticien débutant une procédure de l’avoir, ne serait-ce que mentalement, répétée. La question est plus délicate lorsqu’on se pose les questions : avoir simulé un geste suffit-il à sa réalisation sur un patient ? Quelle expertise donne réellement la simulation d’un geste ou d’une situation par rapport à la « vraie vie » pour laquelle les réponses sont beaucoup plus complexes ? L’engouement pour la simulation est actuellement tel qu’il semble presque incongru et « non éthique » d’émettre un doute sur sa réelle utilité dans la formation des futurs professionnels de santé. Cependant, le prix du matériel et des infrastructures et le temps nécessaire à la formation justifient de se poser la question du bien-fondé de la simulation à « tout prix ». Une fois de plus, il est clair que la simulation ne pourra jamais se substituer à l’apprentissage guidé par compagnonnage sur l’être humain, notamment en chirurgie, mais on peut probablement accélérer cet apprentissage et en améliorer la gestuelle. Outre les problèmes techniques, la simulation permet aussi et surtout d’apprendre et d’étudier certains comportements individuels ou d’équipe, ce qui engendre de nouvelles questions éthiques.

B. Éthique des enseignants en simulation 

Le premier devoir éthique des enseignants en simulation est de se former et de ne pas faire n’importe quoi. Il est clair que la simulation cherchant à reproduire un contexte réel et donc émotionnel, dans certaines circonstances, une mauvaise gestion de la simulation pourrait avoir des effets dévastateurs sur le vécu des participants, voire provoquer de véritables traumatismes. Dans la simulation, l’apprenant étant directement impliqué dans l’enseignement, on lui demande d’agir en fonction de ses connaissances avec une analyse de ses actes et de son comportement en temps réel. Si cette action est particulièrement positive en terme pédagogique, elle peut être extrêmement intimidante, voir vécue comme humiliante par certains. Le rôle de l’enseignant est donc d’aider les participants à rendre l’épreuve de la simulation bien vécue. Une relation de confiance doit s’installer entre les participants et les enseignants qui ne doivent pas être, par leur attitude, des « pervers » cherchant à pousser le participant à la faute ou à la situation inextricable. Des questions simples comme : peut-on laisser mourir le patient mannequin si la thérapeutique n’était pas adaptée ou le choix incorrect ? La réponse est loin d’être unanime. Certains enseignants pensent que cette situation sera suffisamment forte pour que les stagiaires modifient leur pratique et que « la mort » du patient constitue une source de motivation. Pour les autres, il ne faut surtout pas laisser mourir le « patient », le stress et la confrontation à l’échec ne faisant pas partie des objectifs pédagogiques et l’impact psychologique peut être trop important. Une autre question qui peut se poser est : qui décide de la mort du mannequin ? Sur quels critères ? Cela renvoie à la notion de toute‑puissance du pilote du simulateur qui peut à volonté, aggraver ou améliorer les conditions en cas de mauvaise utilisation du simulateur. À aucun moment l’enseignant ne peut jouer le rôle de bourreau ou de Dieu. Dans le même ordre d’idée, il est strictement non éthique de pousser un scénario à son paroxysme et chercher à faire craquer les étudiants, voire en les trompant délibérément et en ne leur donnant pas tous les éléments de décision diagnostique ou thérapeutique. La salle de simulation ne doit pas devenir la salle de tous les dangers où tout se transforme en catastrophe. Le stress, la confrontation à un évènement grave ou l’échec ne sont pas nécessairement considérés par les apprenants comme des éléments de motivation, mais bien au contraire comme une source de découragement, une raison d’abandon, voire d’élaboration de comportement d’évitement.

Par ailleurs, les séances de simulation sont fréquemment filmées en vue du debriefing. Les enregistrements doivent être détruits après analyse et ne sauraient être utilisés sans l’accord des participants.

C. Éthique des participants

Le participant doit apprendre à travailler dans le respect du simulateur comme s’il s’agissait d’un patient réel. Il ne s’agit en aucun cas d’un mannequin à qui on pourrait faire subir toutes les tortures possibles et inimaginables.

D. Simulation de l’éthique

La simulation peut aussi être utilisée pour l’éducation et l’étude du comportement éthique des étudiants ou des professionnels placés dans des situations particulières, permettant ainsi d’analyser leur comportement. Il peut s’agir aussi bien de consultations d’annonce que de consultations tout court, de situations de refus de soins, voire de comportements d’étudiants (triche aux examens par exemple).

Conclusion

La simulation médicale est une pratique pédagogique en plein essor qui tend à devenir nécessaire et obligatoire dans tous les programmes de formation aux soins. La preuve de son absolue nécessité dans tous les domaines du soin doit encore en être faite et il ne serait pas éthique de considérer qu’un geste appris sur simulateur puisse être directement réalisé chez l’être humain sans passage par un compagnonnage. Il est particulièrement important de consacrer une réflexion d’ordre éthique sur la façon dont les objectifs pédagogiques peuvent être atteints au travers de la simulation.

Citer cet article

Référence électronique

Jean-Étienne BAZIN, « Enseignement par simulation en santé : états des lieux, aspects éthiques et psychologiques », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 15 | 2018, mis en ligne le 29 mai 2022, consulté le 18 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=624

Auteur

Jean-Étienne BAZIN

Professeur, Responsable du département de simulation, Faculté de Médecine de Clermont-Ferrand, co-directeur de l’Espace régional d’éthique Auvergne-Rhône-Alpes

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