Assistance Médicale à la Procréation

DOI : 10.52497/revue-cmh.601

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Texte intégral

L’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) est au cœur de nombreux débats éthiques, scientifiques et plus encore médiatiques. Les « progrès fantastiques de ces techniques » comme les présentent les médias, se heurtent pourtant à une réalité plus complexe à savoir une stagnation des résultats de la FIV (en transfert immédiat d’embryons) depuis 10 ans. Plus encore, aucun progrès n’a été fait pour les femmes âgées (> 38 ans) sauf en don d’ovocytes. Le seul progrès majeur est celui des techniques de congélation depuis 10 ans qui ont contribué à une certaine amélioration des résultats et ont ouvert quelques perspectives nouvelles et d’intérêt.

Car aujourd’hui, force est de constater que les évolutions se font :

  • Soit vers des techniques complexes et rares comme les manipulations génétiques des embryons (ou leur sélection) ou encore la greffe d’utérus ;
  • Soit vers l’adoption de méthodes plus sociétales que médicales comme la grossesse pour autrui, l’AMP pour les couples homosexuels ou la conservation sociétales des ovocytes.

I. Amélioration de la FIV (ou ICSI) via la congélation

Nous sommes passés de la congélation lente à la congélation ultrarapide (appelée aussi vitrification). La probabilité pour un embryon transféré immédiatement de donner un enfant est de l’ordre de 20 %. Avec les techniques de congélation classique utilisée jusqu’en 2010, le même embryon après congélation puis décongélation n’avait plus que 6 % de probabilité de donner un enfant. La vitrification a fait bondir cette chance à 20 %.

Ceci a eu 2 effets : d’une part une amélioration des résultats, d’autre part la réduction des grossesses multiples puisque, de ce fait, il n’y a pas d’intérêt à transférer plusieurs embryons à la fois que ce soit en frais ou en congelé. Dans un centre comme le nôtre, le taux de grossesse multiple a décru de 25 % en 2003 à 4 % en 2017 alors que la chance globale d’accouchement est passé de 26 à 29 % avec un bénéficie uniquement dû à ce processus de congélation ultrarapide des embryons.

Ceci représente un indéniable progrès, mais il n’en reste pas moins que le taux de succès moyen d’une FIV n’est que de 35 % avant 35 ans, de 20 % entre 35 et 40 ans, et de moins de 10 % au‑delà.

II. La préservation médicale de la fertilité

Depuis de nombreuses années, la conservation du sperme est pratiquée. Par contre la conservation des ovocytes n’était pas efficace jusqu’à l’avènement des techniques de vitrification.

Aujourd’hui, lorsqu’une femme jeune présente certaines pathologies susceptibles de la rendre stérile, il est possible de « préserver sa fertilité » par la congélation de ses ovocytes ou d’un fragment d’ovaire.

C’est le cas dans un certain nombre de pathologies cancéreuses (cancer du sein, lymphome, leucémie, ostéosarcome). Ceci est également possible dans des pathologies bénignes nécessitant des traitements de type chimiothérapie (lupus, sclérodermie …). Ceci peut également être appliqué dans des pathologies gynécologiques touchant l’ovaire et susceptibles de les endommager (kyste de l’ovaire, endométriose).

Le principe est la réalisation d’une stimulation de l’ovulation du type FIV avec congélation de tous les ovocytes obtenus. Ils pourront être réutilisés quelques années plus tard avec les techniques de FIV avec micro‑injections (ICSI).

Cette activité de conservation s’est fortement accentuée depuis 5 ans et c’est une excellente chose, même si l’on sait que le taux d’utilisation de ces gamètes congelés ne dépassera pas 20 %.

III. La préservation sociétale des ovocytes

Si la fertilité masculine reste stable jusqu’à un âge avancé, il n’en est pas de même pour la fertilité féminine qui chute avec l’âge de façon importante à partir de 32 ans.

Ainsi, le risque naturel d’infertilité d’une femme est de 3 à 4 % avant 30 ans, 10 à 15 % entre 31‑35 ans, de 20 à 25 % entre 35‑40 ans, de 30 à 40 % entre 40‑43 ans et de plus de 75 % après 43 ans.

Or l’évolution de notre société a conduit à des désirs de grossesse de plus en plus tardifs. L’âge moyen à la naissance du premier enfant a augmenté de façon majeure dans tous les pays développés pour s’établir à plus de 30 ans. Mais dans certaines catégories de la population et en particulier chez les femmes ayant suivi des études universitaires, il est souvent au‑dessus de 35 ans. Pour ces femmes le risque d’infertilité naturelle est fort. Il est dû au vieillissement des ovocytes et à la diminution naturelle de la réserve ovocytaire dans les ovaires.

D’où l’idée de préservation de la fertilité dans des conditions techniques analogues à celles appliquées en cas de pathologies cancéreuses. Le concept est de congeler des ovocytes à 30 ans pour pouvoir les utiliser à 40 ans ou plus en cas d’infertilité. La technique est au point et a déjà donné des résultats.

Juridiquement, la perception est très variable. Elle est interdite ou non autorisé dans certains pays (Allemagne, Suisse), autorisée dans d’autres (Espagne, Belgique). Elle ne fait l’objet d’aucune législation dans beaucoup de pays et en particulier aux USA. En France, elle est autorisée à condition de donner la moitié des ovocytes. Ceci fait l’objet d’un vif débat dans la cadre de la révision des lois de bioéthiques. Aux USA, les GAFA l’offrent à leurs employées. Le Collège national des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF) s’est prononcé pour son autorisation.

Pour les détracteurs de cette technique, les risques sont :

  • Le décalage générationnel puisque rien n’empêchera une femme de conserver des ovocytes à 30 ans et de les réutiliser à plus de 50 ans ;
  • La favorisation de la sous‑natalité car il existe un lien étroit entre le retard au premier enfant et la sous‑natalité qui frappe de nombreux pays occidentaux ;
  • Beaucoup de travail pour peu de demandes car beaucoup de femmes finiront par avoir des enfants naturellement ;
  • Une gestion complexe des banques d’ovocytes avec des risques de pertes plutôt que d’erreur d’attribution ;
  • Une assurance partielle (car il faut faire 3 ponctions de conservation pour avoir 80 % de chances d’être enceinte plus tard) ;
  • La possibilité de pression des « employeurs » pour retarder les grossesses ;
  • L’augmentation des familles monoparentales par l’utilisation de don de sperme lors de la décongélation des ovocytes ;
  • Et surtout la question de la non‑prise en charge financière par la société qui risque de priver les femmes les moins riches de cette « protection ».

Actuellement, cette technique ne suscite pourtant pas un engouement majeur dans les pays où elle est autorisée. Ce sont principalement les femmes seules de milieu socio-économiques très favorisés qui y ont recours vers l’âge de 35‑38 ans, ce qui est déjà trop tardif au vu des données médicales. Un récent sondage en France a montré que la plupart des femmes de 25 à 30 ans ne se sentent pas concernées par ceci. Cependant, l’expérience nous a montré que des évolutions brutales des pratiques sont toujours possibles, surtout dans le monde internet où les réseaux sociaux ont pris une importance considérable. Le titre d’une publication récente d’Ana Cobo était clair : « Pourquoi toutes les femmes devraient conserver leurs ovocytes ». Il faut tout de même préciser qu’elle dirige ce programme dans la société IVI qui est la plus grande structure d’AMP au monde avec des ramifications dans plus de 20 pays. A ce niveau, le business a pris le dessus sur la science.

IV. L’enfant parfait

A. L’enfant choisi

Tous les parents rêvent d’un enfant parfait.

Or 1 % des enfants qui naissent sont porteurs d’une anomalie génétique prévisible dans le cadre d’une maladie autosomique dominante ou d’une maladie liée à l’X.

Mais surtout 1 à 2 % des enfants qui naissent sont porteurs d’une anomalie génétique non prévisible par résurgence d’une maladie autosomique récessive.

La technique aujourd’hui permet de plus en plus d’éviter ce genre d’avatar puisque des tests sur l’embryon (2 à 5 jours après la fécondation) permettent de connaître son statut génétique. Ce sont les techniques dites de Diagnostic préimplantatoire (DPI) : lors d’une fécondation in vitro, une cellule de l’embryon est prélevée après 2 ou 3 jours. Des tests génétiques permettent de savoir s’il est porteur de la maladie (… ou d’autres ?).

Cette question est longtemps restée abstraite puisque la recherche ne pouvait se faire que sur une maladie connue du fait de cas familiaux. C’est d’ailleurs l’esprit de la loi en France. Mais les progrès en ingénierie génétique ont été tellement fulgurants qu’il est aujourd’hui facile de faire chez toute personne un dépistage systématique portant sur 500 à 1 000 des maladies génétiques le plus courantes. Il y a encore 20 ans ceci était impossible car cela aurait pris des mois et couté une fortune. Aujourd’hui, ceci est rentré en routine dans les centres de dons d’ovocytes espagnols ou américains et le coût est devenu dérisoire (de l’ordre de 1 000 euros). Il est donc certain que ce dépistage va s’étendre pour les couples avant de procréer pour éliminer au maximum les aléas de la nature. En cas de positivité comme par exemple la présence d’une mutation récessive chez la femme et l’homme, ceux-ci concevront via l’AMP avec DPI pour sélectionner les embryons non porteurs.

B. L’enfant corrigé

On peut imaginer que ces techniques ne débouchent que sur le diagnostic d’embryons anormaux. Peut‑on alors imaginer de « corriger » ces embryons ? Coup sur coup en 2017, une équipe américaine et une équipe chinoise ont réussi à modifier un gène dans un embryon humain. Et même s’il n’y a pas eu transfert, on perçoit que l’application de cette correction du génome est pour demain.

C. L’enfant amélioré

Nous venons de voir que la modification du génome d’un embryon est une technique imminente. Donc pourquoi ne pas aller plus loin en modifiant d’autres gènes comme la couleur des yeux ou des cheveux… Les chinois se sont lancés dans une vaste étude qui vise à déterminer les facteurs génétiques de l’intelligence en comparant le génome de 15 000 enfants surdoués à celui de 15 000 enfants normaux. Imaginons que cette étude débouche sur la mise en évidence de quelques gènes déterminants. La technique décrite précédemment pourra être utilisée pour ne modifier que cet aspect de l’embryon qui aura tout de ses parents avec une intelligence supérieure en plus. Pourra‑t‑on refuser un tel progrès ?

V. Grossesse pour autrui, greffe d’utérus ou utérus artificiel

A. La grossesse pour autrui (GPA)

C’est le fait de faire porter un enfant par une femme qui n’est pas la mère génétique de celui‑là, puis de donner cet enfant à la naissance. Globalement il existe trois grandes situations :

  • Les indications médicales correspondent aux cas où une patiente n’a pas ou plus d’utérus (absence congénitale d’utérus, hystérectomie pour cancer), ou un utérus non fonctionnel (fibromes récidivants) ou aux patientes qui présentent une pathologie générale interdisant une grossesse (cardiopathie majeure, lupus grave…) ;
  • Les GPA de convenance où une patiente veut un enfant sans être enceinte et confie cette tâche de portage à une autre par pure commodité ;
  • Enfin pour les couples homosexuels masculins, elle est la seule façon d’obtenir un enfant car l’adoption est de plus en plus rare et difficile.

Cette GPA suscite des débats éthiques très variables selon les pays voire les continents. Aux USA, au Canada, en Inde ou en Ukraine, cette pratique est banale à des tarifs d’ailleurs très différents. En Europe, elle est interdite dans pratiquement tous les pays hormis le Royaume Uni, qui l’admet uniquement dans certaines indications médicales et avec un contrôle très strict des pratiques. En France, une tentative conjointe et similaire à l’autorisation anglaise a échoué en 2011.

B. La greffe d’utérus

Elle apparaît comme une alternative pour les patientes n’ayant plus d’utérus ou un utérus non fonctionnel. L’équipe de Göteborg (Suède) a réussi cette prouesse qui a permis à 6 femmes sur 9 d’avoir un enfant alors qu’elles n’avaient plus d’utérus. Récemment, une autre naissance a eu lieu au Texas. Mais cette étude (et les autres tentatives dans d’autres pays) a montré la grande complexité de cette technique, son coût extravagant et enfin, qu’elle ne fonctionne vraiment que si l’utérus est donné par une donneuse vivante et non prélevé sur une donneuse en état de mort cérébrale comme c’est le cas dans les greffes de cœur, de poumon ou de foie… Dans la série suédoise, la donneuse était le plus souvent la mère. Ceci a entraîné une polémique sur le côté éthique : une mère peut‑elle donner son utérus à sa fille en prenant des risques pour elle‑même ?

En tous cas, même si cette technique a débouché sur de succès, il est évident que sa diffusion est très difficile à mettre en œuvre et ne fera pas face à la demande estimée à 500 cas par an en France. De plus, elle ne répond pas aux indications médicales de grossesses médicalement interdites, ni bien sûr aux demandes de convenance. En France, deux équipes (Limoges et l’hôpital FOCH à Suresnes) se sont officiellement lancées dans cette aventure mais à ce jour, elles n’ont pas encore réalisé de greffe. Cent autres équipes sont sur le point de commencer dans le monde.

C. L’utérus artificiel

Il y a une vingtaine d’années, une équipe japonaise a réussi à amener des embryons de brebis in vitro jusqu’à un équivalent humain de 2,5 mois. Incapables de passer ce cap, l’équipe a fini par abandonner. Très récemment, une équipe américaine a réussi à amener à terme des fœtus de brebis prélevés dans l’utérus vers l’âge de 4 mois. Il reste un gap de quelques semaines à combler. Nul doute que des équipes vont se lancer sur les pas d’Aldous Huxley et de son meilleur des mondes. L’utérus artificiel n’est pas pour demain, mais il existera certainement un jour et peut être plus vite qu’on ne le pense.

VI. Les enfants de l’AMP

Le vécu des enfants de l’AMP est souvent mis en avant par les détracteurs de toutes ces méthodes.

Pour les enfants issus des techniques classiques de FIV, elles sont suffisamment nombreuses et documentées pour conclure à l’absence d’impact physique ou psychologique.

Pour les enfants issus de don de sperme, d’ovocytes ou d’embryons, la question est plus complexe. Deux questions se posent qui sont souvent confondues et mal comprises : le secret et l’anonymat. Le secret est la révélation ou non à l’enfant de son origine par recours au don. L’anonymat est la révélation totale ou partielle de l’identité du donneur ou de la donneuse. Il est bien évident que si le secret a été gardé la question de la levée de l’anonymat ne se pose pas. Or, les enfants ont été maintenus dans le secret le plus souvent (50 % après don de sperme, 80 % après don d’ovocytes). Il est par contre évident que l’accessibilité grandissante des tests génétiques de parentalité rendra ce secret de plus en plus difficile à garder. En cas de levée du secret, la plupart des enfants n’éprouvent pas un désir particulier de rechercher cette paternité biologique surtout après un don d’ovocyte. Ceci se rencontre surtout dans les situations de conflits familiaux et en particulier à l’adolescence. La possibilité de lever l’anonymat est très variablement acceptée selon les pays, allant de l’interdiction totale (France) à la quasi‑obligation (Suède).

Pour les enfants nés dans les couples homosexuels féminins, les données sont peu nombreuses mais rassurantes.

Par contre nous n’avons à ce jour aucune donnée sur les enfants nés par GPA dans des couples homosexuels masculins.

VII. Considérations éthiques

L’évolution des techniques dans les années à venir sera telle que l’on peut imaginer des scénarios comme le suivant : une femme fera congeler ses ovocytes à 30 ans. À 55 ans, n’ayant toujours pas de conjoint elle optera pour une FIV avec don de sperme depuis un donneur soigneusement sélectionné sur le plan génétique. Au passage, quelques gènes améliorant le QI de l’enfant à venir seront rajoutés. L’embryon passera ensuite les 9 mois dans un utérus artificiel. Sa mère pourra lui rendre visite et lui parler pour permettre la relation mère‑enfant dont on dit qu’elle est très importante. Au bout de 9 mois, on brisera symboliquement le bocal pour fixer le jour de la naissance. Sublime et peut être pas si farfelu, si le dérèglement climatique est jugulé.

Toutes ces technologies visent à faire naître quelques enfants aussi parfaits que possible chez des couples en mal de procréation pour des raisons médicales ou sociétales.

Mais pendant ce temps‑là, la population mondiale augmente à une cadence infernale. Chaque jour, la population sur terre augmente de 250 000 personnes (l’équivalent de l’agglomération clermontoise), ce qui correspond à la naissance d’une ville de la taille de l’agglomération parisienne chaque jour. Et chaque année, ceci représente un surplus de 89 millions d’habitants. Cette augmentation se fait presque uniquement en Afrique, au Moyen‑Orient et dans le sous-continent indien (Inde, Bengladesh et Pakistan), dans les milieux socio-économiques les plus défavorisés. À tel point que l’UNESCO a lancé quelques alertes sur un risque de pénurie alimentaire dans un proche avenir.

Aussi peut‑on se poser la question de savoir s’il est logique, éthique et raisonnable que la recherche se focalise sur des pays à faible natalité volontaire, sur les classes les plus favorisées et pour régler des questions davantage sociétales que médicales.

Que dire enfin des aspects juridiques et règlementaires quand les différences sont aussi importantes d’un endroit à l’autre, encourageant de ce fait le tourisme médical.

Citer cet article

Référence électronique

Jean-Luc POULY, « Assistance Médicale à la Procréation », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 15 | 2018, mis en ligne le 02 mai 2022, consulté le 26 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=601

Auteur

Jean-Luc POULY

Professeur, Responsable clinicien du centre d’AMP du CHU de Clermont-Ferrand

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