I. Introduction
Évoquer l’œuvre de Michel de L’Hospital n’est pas un hasard en ce lieu. Plusieurs raisons ont présidé à ce choix pour cette conférence du Collège de droit de l’Université Clermont Auvergne.
Ses liens avec l’Auvergne
Michel de L’Hospital (orthographié de l’Hôpital au xviie siècle) est le régional de l’étape, aux côtés d’autres grands noms de la doctrine historique que tous les étudiants de la faculté de droit de Clermont‑Ferrand connaissent : Jean Domat (Jurisconsulte du xviie siècle, né à Clermont en 1625, auteur des Lois civiles), Daniel‑Charles Trudaine (Intendant d’Auvergne en 1730), Étienne Bartin (Professeur de droit international privé, né à Chauriat en 1860), Guillaume‑Michel Chabrol (Jurisconsulte, avocat du roi et auteur des Coutumes générales et locales de la province d'Auvergne en 1786). Le grand amphithéâtre de la faculté de droit de Clermont‑Ferrand porte son nom. Le 500e anniversaire de la naissance de Michel de L’Hospital avait d’ailleurs donné lieu à un important colloque organisé par la Faculté de droit de Clermont‑Ferrand à la cour d’appel de Riom1.
L’Auvergne s’honore de l’avoir vu naître2.
La variété de son œuvre
Juriste, humaniste, son œuvre est complète : doctrinale, législative et littéraire.
La réflexion en droit positif peut se nourrir très utilement de lectures historiques datant de plus de cinq siècles
Sa contribution aux modes alternatifs de règlement des différends est significative. C’est une matière que j’enseigne en quatrième année depuis 1993. Michel de L’Hospital contribue au mouvement d’inversion du modèle régalien du système judiciaire qui place le juge étatique en première ligne, pour ne pas dire au cœur de la machine de règlement des litiges. Le Traité de réformation de la justice est classiquement considéré comme son œuvre doctrinale centrale même si, et nous y reviendrons, sa paternité en est douteuse. C’est la raison pour laquelle je vous présenterai son œuvre globale et sa contribution à la construction du droit.
II. Qui était Michel de L’Hospital ?
Michel de L’Hospital, fils de Jean de L’Hospital et de Marie de La Guiole, est né entre 1504 et 1506 au château de Chaptuzat, à côté d’Aigueperse, en Auvergne3. Peut-être en 1506, selon le calendrier auvergnat, mais aussi selon les déductions de Jean‑Marie‑Louis Coupé, qui publia des écrits sur l’œuvre de Michel de L’Hospital en 17784. Son père était le médecin de la Comtesse de Montpensier, Dauphine d’Auvergne5.
Il quitte la région en 1518 pour effectuer ses études à Toulouse, puis en Italie à partir de 1524. Il y rejoint son père, en exil forcé en raison de sa proximité avec le Connétable de Bourbon, qui avait trahi François 1er. Étudiant en droit, en littérature et en poésie à l’université de Padoue, il devient auditeur à la Rote à Rome en 1532, puis revient en France en 1533, avec le soutien du cardinal de Grammont. Il exerce alors comme avocat.
En 1537, il fait la connaissance de Marie Morin, dame d’honneur de Catherine de Médicis, qu’il épouse quelques mois plus tard. À cette occasion, il reçoit en dot une charge de conseiller clerc au Parlement de Paris où il entame une carrière de magistrat.
Nommé ambassadeur au Concile de Trente lors de sa seconde réunion à Bologne en 15476, il demande son rappel dans les mois qui suivent et réintègre le Parlement de Paris, confronté dans son quotidien au sujet de la vénalité des charges, qu’il tient pour injuste et source de dysfonctionnements du système judiciaire. Un paradoxe pour quelqu’un qui a commencé sa carrière de conseiller au Parlement de Paris grâce à son mariage…
Il est nommé chancelier privé (Chancelier du Berry) de Marguerite de France en 15507, rapprochés par leur passion commune, à savoir la pratique du latin, alors « langue des savants ».
Après avoir rejoint la Chambre des comptes en 1553, en tant que maître des requêtes, puis intendant du roi, il acquiert en 1555 la charge de premier président de la Chambre des comptes de Paris. Il soutient le recrutement de Jacques Cujas à l’université de Bourges en 1555.
Juriste de grande qualité et humaniste reconnu, il est appelé par Catherine de Médicis en mai 1560 pour conduire une politique de réconciliation entre les catholiques et les protestants. Nommé Chancelier de France le 2 juillet 1560, il a aussi la garde des Sceaux de France, en charge de l’administration de la justice du royaume de France8. Il conserve sa charge de Chancelier pendant treize ans, au service de François II9, puis de Charles IX, mais ne l’exerce véritablement que pendant huit ans.
En effet, dès le début de sa charge, il se heurte à une résistance du parlement de Paris qui s’oppose souvent aux textes qu’il propose. Nombreux sont ceux qui ne sont enregistrés que tardivement par le parlement. Michel de L’Hospital affirme par ailleurs son autorité contre les Guise, qui exercent leur influence au sein du conseil de régence de François II, par exemple, en refusant de signer l’arrêt de condamnation à mort du Prince de Condé, rendu le 26 novembre 156010.
François II meurt le 5 décembre 1560. Charles IX, alors âgé de dix ans, succède à son frère sur le trône de France. Michel de L’Hospital cherche à s’en faire un allié dans son œuvre de pacification des rapports entre les églises. Mais il rencontre très rapidement une opposition de Catherine de Médicis, qui cherche désormais à atteindre sa réputation pour le décrédibiliser aux yeux du roi.
Le massacre de Vassy (1er mars 1562) marque le début de la première guerre de religion, mais aussi la perte d’influence de Michel de L’Hospital. Il est temporairement écarté de sa charge à cette époque. Pour Coupé, c’est lui qui a pris la décision de se mettre en retrait quelques mois, « dégoûté de ne pouvoir corriger son siècle11 ». De fait, il a été exclu du Conseil du roi par les catholiques, Guise en tête12, en raison de son opposition à leurs velléités guerrières. Il réintègre le conseil en février 1563.
De 1560 à 1568, il mène de front la tentative de pacification des relations entre les catholiques et les protestants et la réforme du système judiciaire du royaume, mais ses rapports avec les conseillers du roi se dégradent. Vers la fin de l’année 1567, le duc de Guise exerce une influence majeure sur le Conseil du roi, contrôlé par les catholiques et dont la ligne politique ne convient plus à Michel de L’Hospital, alors que la guerre de religion vient de reprendre. Les Sceaux de France lui sont retirés le 24 mai 1568, date de sa mise en retrait de la vie publique, pour motif de santé13.
Désavoué par Catherine de Médicis, il se retire dans son château de Vignay en juin 1568, où il se consacre à la gestion de son domaine, loin des agitations des guerres de religion, tout en exerçant une forme d’influence en faveur de la pacification. En 1560, il avait acheté le domaine de Vignay à Champmotteux (dans l’actuel département de l’Essonne), ce qui lui valut le titre de seigneur de Vignay.
Mais un événement majeur vient marquer la fin de sa vie : le massacre de la Saint‑Barthélémy, perpétré sur ordre du Conseil du roi dans la nuit du 23 au 24 août 1572, et conséquence indirecte du mariage de Marguerite de Valois et d’Henri de Navarre, futur roi de France. L’interdiction du culte protestant, l’obligation faite aux réformés de se convertir, qui suivent ces évènements, constituent un véritable échec pour Michel de L’Hospital.
Quelque temps plus tard, il adresse à Charles IX l'acte de démission de sa charge de Chancelier, confirmée au début du mois de février 157314.
Dans les semaines qui suivent, il dicte son testament à son petit‑fils, Michel Hurault de L’Hospital, et meurt (de chagrin, dit‑on) le 13 mars 1573 au Château de Bellesbat (Essonne), chez sa fille Madeleine.
Il est inhumé de nuit dans l'église Sainte‑Madeleine de Champmotteux où l'on peut encore voir sa sépulture qui porte une épitaphe à l’image de l’homme : « Michael L’Hospital excessit e rebus humanis die XIII a martii anno domini M DLXXIII [Traduction : Michel de L’Hospital sortit des embarras de la vie le 25 mars 1573] ».
Château de Vignay Champmotteux, gravure d’Ambroise Tardieu, 1824, collection Paul Allorge (1858‑1918).
III. La réformation de la justice : l’œuvre légistique
Deux combats guident la vie de Michel de L’Hospital : celui qu’il mène au nom de la liberté de conscience religieuse, qui se traduit notamment par l’adoption de l’édit de Saint‑Germain de janvier 1562 et celui qu’il porte au nom du respect de l’égalité face au juge. J’ai choisi de consacrer mon propos d’aujourd’hui à quelques éléments de l'œuvre légistique de Michel de L’Hospital en matière de réformation du système judiciaire15, mais disons tout de même quelques mots de l'édit de Saint‑Germain, « édit de la tolérance ».
L’édit de Saint‑Germain
Il permet aux protestants d’exercer leur culte sous certaines conditions (à l’extérieur des villes) et de tenir des assemblées dans des lieux non publics. Favorable aux protestants, il est promulgué sous l’influence de Michel de L’Hospital et de Théodore de Bèze afin de faciliter la réconciliation entre les catholiques et l’Église réformée. Le roi le signe 17 janvier 1562. Cependant, le Parlement de Paris refuse de l’enregistrer tout de suite. La résistance du Parlement, alimentée par un soutien de Catherine de Médicis, est à son paroxysme. Il faut plusieurs semaines de débats avant que l’édit ne soit enregistré le 6 mars 1562, dans le contexte du démarrage de la première guerre de religion (massacre de Wassy, perpétré par les troupes du Duc de Guise le 1er mars 1562).
Ce qui est peut-être le plus marquant, c’est le relief que prennent aujourd’hui les propos que Michel de L’Hospital avait tenus lors de la présentation du texte au parlement de Paris, dans sa harangue du 3 janvier 1562. Michel de L’Hospital y défend sa conception de la citoyenneté et de la liberté de culte :
Le roy ne veut point que vous entriez en dispute quelle opinion est la meilleure car il n’est pas ici question de constituenda Religione, sed de constituenda Republica. Et plusieurs peuvent estre Cives, qui non erunt Christiani. Mesmes un excommunié ne laisse pas d’estre citoyen. Et peut‑on vivre en repos avec ceux qui sont de diverses opinions, comme nous voyons en une famille, où ceux qui sont des catholiques ne laissent pas de vivre en paix et aimer ceux de la religion nouvelle16.
Carmina
On ne peut pas non plus passer sous silence la production poétique et épistolaire du Chancelier, qui écrira des poèmes en latin de 1543 jusqu’à sa mort. Ses manuscrits, conservés par son ami Guy du Faur de Pibrac, furent publiés une première fois en 158517. Réunis avec une partie de sa correspondance privée et de ses discours, ils ont fait l’objet d’une nouvelle publication en 1732 chez un éditeur d’Amsterdam, connue sous le titre Carmina18. On en trouve une première version traduite en français, dans l’ouvrage de Coupé19 que l’auteur avait réalisée à la suite d’un séjour à Vignay à l’automne 1777. Ces écrits, touchant à des thèmes extrêmement variés, mais reflétant la pensée politique de Michel de L’Hospital, ont fait l’objet d’une étude approfondie par des chercheurs de l’université de Neufchatel qui les qualifient de « fines poésies néo‑latines qui réagissent à l’actualité tout en réfléchissant à des questions philosophiques, politiques et religieuses fondamentales20 ».
Testament de Michel de L’Hospital
Il ne faut oublier le testament de Michel de L’Hospital, considéré comme une œuvre à part entière21 et duquel il ressort clairement un sentiment de rejet des religions, qu’il avait tant essayé de réconcilier :
Quant à mes funérailles et sépulture, que les chrétiens n’ont pas en grande estime, j’en laisse à ma femme et à mes domestiques d’en faire ce qu’ils voudront.
Il y lègue, aux plus grands soins de son gendre, ses livres de droit civil, afin qu’ils soient transmis à l’un de ses petits‑fils pour qu’ils soient parachevés22.
Concentrons-nous sur la production législative de Michel de L’Hospital consacrée à l’organisation et à l'administration du système judiciaire (pour la période courant de juillet 1560 à mai 1568)23, pour la période correspondant à sa charge de Garde des Sceaux. Je vous propose une sélection d’une petite quinzaine de textes importants auxquels il a contribué sur ces questions24.
Édits de Fontainebleau de juillet 1560
Au nombre de cinq, ils sont relatifs à l’exercice en personne des offices, à l’exécution des arrêts, à l’exécution des sentences arbitrales, au règlement des différends entre marchands et à l’arbitrage en matière successorale (enregistrés au parlement de Paris le 5 août 1560)25. Michel de L’Hospital y prononcera un long discours de présentation26.
Ordonnance générale issue des états généraux réunis à Orléans
Datée de janvier 1561, elle est enregistrée par le parlement de Paris le 13 septembre 1561. Les états généraux sont convoqués à Orléans en décembre 1560, à la demande de Michel de L'Hospital, les derniers s’étant tenus en 1484 à Tours sous le règne de Charles VIII. Le Chancelier ouvre les débats par une longue et importante harangue prononcée le 13 décembre 156027. À l’occasion de la troisième séance des états généraux, le 31 janvier 1561, Michel de L’Hospital reprend la parole lors d’une nouvelle harangue au cours de laquelle il expose, notamment, sa stratégie de réduction du nombre d’offices28. Cette ordonnance, considérée comme formant un corps de lois constitutionnelles, comporte quatre séries de dispositions consacrées au clergé (art. 1 à 29), au système judiciaire (art. 30 à 104), aux universités (art. 105) et aux seigneurs (art. 106 à 150). Elle fera l’objet de modifications ou de précisions par une ordonnance de janvier 1563 « sur la justice et la police du royaume, additionnelle à celle d’Orléans29 », par une Déclaration ampliative de l’édit sur la justice du mois de janvier 1563, du 9 août 156430, puis par une déclaration du 10 juillet 156631 faisant suite à des remontrances du parlement de Paris.
L’assemblée des trois estats tenus à Orléans au mois de janvier 1561, gravure de Jacques Tortorel, 1970, Bibliothèque Nationale de France.
Édits de Fontainebleau d’avril 1561
Le premier, du 16 avril 1561, interdit aux officiers de justice de s'entremettre dans les affaires des seigneurs inférieurs et de révéler les secrets des affaires jugées par les cours souveraines (15 avril 1561). Le second, relatif à la transaction est enregistré par le parlement de Paris le 18 mai 156332. Il y est notamment question des recours contre les transactions.
Édit de Saint‑Germain sur la question des cumuls des postulations et de plaidoirie
Il y est question de lutte contre le phénomène d'augmentation du nombre de procureurs (août 1561)33.
Déclaration du roi (9 février 1562)
Elle vise à supprimer un certain nombre d’offices de notaires du Châtelet de Paris, restés vacants34.
Édits de Paris de novembre 1563
Le premier crée « la juridiction des juges et consuls de Paris et règle leur compétence » (enregistré par le parlement de Paris le 18 janvier 1564)35. C’est la naissance des juridictions spécialisées en matière commerciale, qui deviendront plus tard les tribunaux de commerce36. Cet édit fera l’objet d’une déclaration ampliative à Bordeaux en avril 1565 sur la question de la compétence de la juridiction consulaire37. Un second, intitulé « pour l’abréviation des procès » (enregistré au parlement de Paris le 13 novembre 156338), crée le mécanisme de la consignation obligatoire préalable au procès. Il sera suivi de deux déclarations ampliatives pour en préciser les effets, le 1er janvier 1563 et le 3 mai 156439. Il sera abrogé en avril 1568.
Ordonnance de Moulins « sur la réforme de la justice » de février 156640
Il s’agit d’un texte majeur qui a largement influencé la construction du droit processuel. Mais c’est avant tout un acte politique fort qui visait à restaurer l’ordre et le bon fonctionnement des institutions judiciaires du royaume. Les présidents des parlements et la cour s'installent à Moulins à partir de décembre 1565 pour travailler à l’élaboration d’une réforme en profondeur du système judiciaire.
L’ordonnance, mal reçue par les conseillers du parlement de Paris, a été suivie de déclarations ampliatives du roi pour faire suite aux remontrances exprimées par le parlement de Paris41, en particulier sur le sujet de l’entrée en vigueur d’un certain nombre de dispositions du texte de Moulins.
Ainsi que nous l’avons dit précédemment, Michel de L’Hospital est en difficulté à partir de septembre 1567. La deuxième guerre de religion divise le royaume et les catholiques contrôlent le Conseil du roi. La législation qui suit ne reflète pas la pensée de Michel de L’Hospital et peut difficilement lui être attribuée, même si elle a été conçue alors qu’il était encore Garde des Sceaux :
- Tout d’abord, deux textes relatifs à la vénalité des offices : une ordonnance de Paris du 12 novembre 1567 sur la vente des offices de magistrature42 et une déclaration permettant aux officiers du parlement de Paris de céder leur office en payant le tiers denier43 ;
- Ensuite, une déclaration du 8 avril 1568 qui « ordonne la reprise des procès tant civils que criminels commencés avant et pendant les troubles44 ». Ce texte sera le dernier enregistré par le parlement de Paris sous la mandature de Michel de L’Hospital, le 22 mai 1568, soit deux jours avant sa « démission ». On peut certainement trouver ici l’un des éléments déclencheurs du départ de De L’Hospital, très attaché au respect des droits du justiciable qu’il estimait devoir ne pas être jugé en cas d’absence. De nombreux procès avaient été suspendus depuis le début des guerres de religion en raison de l’exil de protestants poussés à quitter le royaume de France pour fuir la répression. La reprise des procès en leur absence ne pouvait certainement pas être acceptée par Michel de L’Hospital.
IV. Le Traité de réformation de la justice
Origines et paternité du Traité
Le Traité de réformation de la justice, attribué à Michel de L’Hospital, a fait l’objet d’une première édition d’imprimerie en 1825 dans une compilation réalisée par Pierre‑Joseph‑Spiridion Dufey45, avocat et historien, qui indique qu’il a découvert deux exemplaires manuscrits du Traité de la réformation, par monsieur le chancelier L’Hospital, dans les archives de la bibliothèque Royale46 et ayant pour origine le fonds du chancelier Séguier, petit‑fils de Pierre Séguier (1504‑1580), ami de De L’Hospital, président au parlement de Paris et dont les origines familiales se situent dans l’Allier.
De nombreux indices permettent de considérer que le texte manuscrit du Traité de réformation de la justice n'est pas totalement de la main de Michel de L’Hospital. Il s’agirait plus d’une mise en ordre de l’œuvre du chancelier, opérée par Eustache de Refuge (1564‑1617), certainement sur la base d’une documentation qui lui aurait été transmise par son père, Jean de Refuge (1527‑1580), conseiller au Parlement de Paris de 1563 à 1580. Taillandier remet d’ailleurs en cause la paternité du Traité de réformation de la justice47 pour l’attribuer à de Refuge, même si « ce traité renferme d’excellents préceptes que L’Hospital n’aurait pas désavoués48 ». Les indices sont nombreux. En voici quelques‑uns, dont des références historiques à des faits postérieurs au décès de Michel de L’Hospital :
- Le Traité est suivi d’un document intitulé « Mémoires d’État de monsieur le Chancelier L’Hospital, mis en ordre par M. de Refuge49 » ;
- Erreur dans le texte qui parle de Charles IX, roi de France de 1560 à 1574 : « après Charles IX, nous n’avons point vu d’amendement » (évoquant la réforme des offices des magistrats)50 ;
- « On a, la présente année (1608) vu des massacres faits en plein jour sur le Pont Neuf51… » ;
- En page 75 du tome 2, référence est faite à l’édit de Blois de 1588, intervenu quinze ans après la mort de Michel de L’Hospital52.
On doit en déduire que la version finale du Traité est une compilation réalisée par de Refuge à partir des notes, des harangues et des mémoires de Michel de L’Hospital, et révisés par de Refuge. Mais qu’importe, l’ensemble paraissant conforme à la pensée du chancelier.
Structure de l’œuvre
Le Traité de réformation de la justice (2 tomes) comporte six parties, auxquelles de Refuge en a ajouté une septième. Il est suivi d’une reproduction partielle des mémoires d’État de Michel de L’Hospital et d’un Essai sur l’état de la législation et des institutions judiciaires de la France au xvie siècle, rédigé par Dufey.
- Tome 1
- Première partie, « De la dignité, pouvoir et autorité de la justice, et du bonheur qu’elle apporte en ung estat » (pages 3 à 50)
- Deuxième partie, sans sommaire (pages 53 à 112)
- Troisième partie, « L’injustice feut la cause de la décadence et bouleversement de l’empire romain » (pages 115 à 217)
- Quatrième partie, « De l’ancienne dignité, grandeur et majesté de la justice en France, à laquelle comme à la plus nette et plus entière on avait recours de tous les coings de la chrestienté » (pages 221 à 406)
- Tome 2
- Cinquième partie, sans sommaire (pages 3 à 93)
- Sixième partie, « Moyens et remèdes pour reigler et réformer la justice » (pages 97 à 279)
- Septième partie, « Sommaire des matières restantes et résultantes de la réformation de la justice » (pages 283 à 316), rédigée par de Refuge53
- « Mémoires d’état de Michel de L’Hospital. De l’établissement du conseil d’état, et des qualités et du nombre des conseillers » (pages 320 à 329), mis en ordre par M. de Refuge, mais que Dufey attribue en intégralité à de Refuge54
- « Essai sur l’état de la législation et des institutions judiciaires de la France au xvie siècle » (pages 333 à 377), rédigé par Dufey.
Le Traité de réformation de la justice correspond à un essai socio‑politique qui permet de comprendre le cheminement de la pensée de Michel de L’Hospital. Très attaché à la restauration d’un ordre moral (« L’homme juste se maintient avec ordre, reigle et police55 ») qu’il considère comme perdu depuis le milieu du xive siècle, il emprunte à l’histoire (Platon, Aristote, Plutarque) de nombreuses références sur les échecs des systèmes politiques, parfois imputables aux orientations formulées par les conseils des dirigeants56. On ne peut s’empêcher ici de faire le lien avec les mauvaises relations que Michel de L’Hospital a entretenues avec le Conseil de régence de Louis XI, et à partir desquelles sont construites les propositions de réformation du Conseil d’État57.
Il affirme cette exigence de rigueur morale à de très nombreuses reprises, insistant sur le fait que les monarques et les juges devaient être exemplaires dans leurs comportements afin de rendre confiance à leurs sujets (« Le premier office des roys et des juges est de faire justice58 »), garantir la réparation des préjudices occasionnés au peuple, citant ici en exemple Philippe Auguste et Philippe le Bel59, tout en leur assurant une égalité de traitement devant le juge. Il fera de la lutte contre l’abus et le déni de justice un élément majeur de ses réformes, considérant que l’exigence de grandeur de la justice passait par un système politique fondé sur l’égalité devant la loi, prenant en exemple sur la République de Venise60. Ainsi, l’édit d’Orléans de 1561 imposera aux procureurs du roi la mise en œuvre de l’action publique sans attendre que des victimes ne se manifestent61. Plus tard, l’ordonnance de Moulins de 1566 sanctionnera les juges refusant d’appliquer les textes et mettra à leur charge les dommages‑intérêts dus aux parties en cas d’inaction en matière pénale62.
La restauration de cet ordre moral doit aussi se traduire par une politique de bannissement des armes63, tout en armant les bourgeois et artisans afin d’assurer la sécurité publique64, de l’alcool chez les jeunes65 et de la mise en place de ce que l’on appellerait aujourd’hui des juridictions pénales de proximité pour la répression des injures et violences du quotidien66.
L’argent occupe une place importante dans la pensée de Michel de L’Hospital, argent qu’il considère comme étant la principale source du déclin des sociétés, citant en exemple le déclin de l’empire romain sous les règnes de Tibère et de Caligula67. C’est particulièrement sur le sujet de la vénalité des charges et des offices de judicature qu’il concentre ses projets de réforme, considérant que la monétisation des fonctions juridictionnelles par Louis XII, et généralisée par François 1er sur suggestion du chancelier Duprat en 1520, avaient mené à la concussion des juges68 et qu’il fallait renoncer à la vénalité des charges, source d’injustices, tout en en réduisant le nombre69. L’ordonnance d’Orléans de 1561 actera le principe de la suppression des offices surnuméraires70, afin de revenir au nombre d’offices de l’époque de Louis XII, mais ne sera pas suivie des faits. Dans le même ordre d’idées, Michel de L’Hospital s’attaqua à la pratique des épices, rétributions que les parties devaient verser aux juges, qui furent supprimées par l’ordonnance d’Orléans (articles 42, 44, 57 et 132).
Le chancelier s’intéresse aussi à l’augmentation et à l’excessive longueur des procès71, ainsi qu’aux dysfonctionnements du système judiciaire organisé autour des parlements et des cours souveraines. Michel de L’Hospital rêvait d’un retour à l’« Ancienne France » (première partie du xive siècle, c'est‑à‑dire avant la création des parlements), où il y avait peu de procès72. Il tient pour responsables les juges, les avocats, mais aussi les universités, qui fournissent des argumentaires alimentant le procès73. Dans une harangue prononcée au parlement de Paris le 7 septembre 1560, il dénoncera les abus de l’ordre judiciaire, causés par l’obscurité de la loi et le défaut de vertu des magistrats74. C’est dans ce contexte que Michel de L’Hospital proposera toute une série de mesures visant à restreindre la compétence matérielle des juridictions royales, s’inspirant des anciennes pratiques, à l’instar de ce qui se faisait au sujet des relations entre marchands, dont les contentieux étaient réglés entre les marchands eux‑mêmes, avec l’intervention d’un tiers75 :
Le désir que nous avons de faire vivre en paix et repos nos subjects, nous fait penser tous les jours nouveaux moyens, comme nous puissions empescher la naissance des procez, ou aussitost qu'ils sont meuz les esteindre.
C’est la création des juridictions consulaires pour le règlement des contentieux entre marchands (édit de Fontainebleau d’août 156076 ; édit de Paris créant la juridiction des juges et consuls de Paris77 « pour le bien public et abréger les procès »), notamment sur l’organisation de la juridiction consulaire ; les juges sont élus par une assemblée de marchands et les greffiers sont choisis par les juges. Ils ont une compétence exclusive pour traiter des différends relatifs aux ventes de marchandises78. C’est aussi la consécration de la transaction et de l’arbitrage : mesures visant à étendre le domaine de l’arbitrage à la matière successorale ou à organiser l’exécution des sentences arbitrales (édits de Fontainebleau de 156079 et article 83 de l’ordonnance de Moulins de 1566, confirmant l’arbitrage80), sécuriser les transactions par l’exclusion des recours sauf dol ou violence (édit de Fontainebleau de 156381).
Michel de L’Hospital proposera par ailleurs une réforme du statut des juges, tant au sujet des conditions d’accès à la judicature que sur la question des obligations professionnelles. Il propose de réserver l’accès aux offices sous condition d’âge, renvoyant aux suggestions d’Aristote, qui estimait qu’on ne devait pouvoir accéder à ces fonctions avant l'âge de trente‑cinq ans82. C’est l’Ordonnance de Moulins qui fixera les conditions d’accès aux fonctions de conseiller du parlement (âge minimum de vingt‑cinq ans, conditions de compétences et de connaissance de la jurisprudence, examen, prestation de serment)83, les offices devant être exercés en personne84 et les juges étant tenus de respecter le secret professionnel85.
Le Traité de réformation de la justice, de manière plus générale, propose des mesures de moralisation de la vie publique, des professions de santé (médecins et apothicaires)86, des avocats87, mais aussi de protection des consommateurs. Michel de L’Hospital souhaite ainsi proposer une politique d’harmonisation des systèmes de poids et mesures88, qui sera mise en œuvre par l’ordonnance d’Orléans de 156189.
La septième partie du Traité (« Sommaire des matières restantes et résultantes de la réformation de la justice », pages 283 à 316), comme on l’a déjà dit, n’est pas de la main de Michel de L’Hospital, mais de celle de De Refuge90. Elle consiste en une trentaine de propositions qui touchent à divers sujets, nombre d’entre elles ayant fait l’objet de dispositions, les plus importantes se retrouvant dans l’ordonnance d’Orléans de 1561 (droit de la preuve, droit processuel, exécution des décisions judiciaires, protection du consommateur et des créanciers, droit de la concurrence, réglementation des activités professionnelles, urbanisme, réforme des universités, comptabilité publique...), édit de Paris de 1563 sur l’abréviation des procès instaurant une consignation obligatoire et préalable à l’instance judiciaire (exprimée en un pourcentage de la somme en jeu : 1/2 % de 0 à 25 livres et 1 % au‑delà, avec un montant maximum de 5 livres) et complété par une déclaration du 1er janvier 1563 (sanction de nullité pour défaut de consignation), ordonnance de Paris de janvier 1563 (droit processuel, organisation judiciaire, réglementation de la profession bancaire), déclaration de Roussillon de 1564 sur le formalisme de l’acte introductif d’instance, ordonnance de Moulins (publicité et force obligatoire des édits et ordonnances, compétences juridictionnelles, voies d'exécution, donations et testaments, droit processuel...). Et nous pourrions encore longuement développer les nombreux apports légistiques de Michel de L’Hospital.