Si l’idée de « précurseur » suppose et autorise une lecture rétroactive d’un auteur et de son œuvre, on peut quand même remarquer que la position de Françoise d’Eaubonne, quand il s’agit d’économie serait davantage une « objection à la croissance » qu’une décroissance comme diminution de la production et de la consommation1. Quant à la seule décrue qu’elle envisage – mais dans les années 1970, l’influence du rapport Meadows et des thèses d’Ehrlich et de Commoner est inévitable – c’est celle de la population. Pour beaucoup de décroissants même néomalthusiens, c’est un argument périlleux et discutable : y a-t-il trop d’automobilistes ou d’automobiles ?
Là où Françoise d’Eaubonne est une précurseuse dont pourrait s’inspirer la décroissance, plutôt que dans un écoféminisme plus teinté de nécessitarisme que de volontarisme, c’est dans sa préfiguration d’un « féminisme de la reproduction sociale » : ce sont les activités auxquelles sont assignées les femmes qui constituent la véritable « infrastructure » d’une société, et pas la sphère de la production économique. « Le travail ménager, plate-forme invisible du travail producteur mâle » (Le féminisme ou la mort, p. 265). C’est un tel renversement d’un schéma commun au capitalisme et au socialisme – tous les deux productivistes – qui évite de réduire la décroissance à une critique seulement économique et l’élève à une dimension anthropologique – et humaniste – dont l’intuition a animé l’œuvre entière de Françoise d’Eaubonne.