Introduction
La presse, moyen de communication par excellence au xixe siècle, joue un rôle majeur dans la transmission des faits de l’actualité auprès de l’opinion publique. Autour des années 1870, les conflits imprègnent la réalité européenne. Les puissances étrangères s’affrontent et de virulents mouvements insurrectionnels surgissent tout particulièrement en France et en Espagne. En effet, après la guerre franco-prussienne, le gouvernement français chancelle avec la Commune de Paris, alors que le nouveau roi d’Espagne Amédée Ier est confronté dès son arrivée à Madrid en janvier 1871 au soulèvement armé et indépendantiste cubain ainsi qu’aux mouvements insurrectionnels républicains et carlistes dans la métropole. Le premier soulèvement armé des Cubains remettant en question le colonialisme espagnol se déroula précisément le dix octobre 1868 (Lamrani, 2021). L’Espagne, peu de temps après la révolution de septembre 1868, devient quant à elle le théâtre d’une nouvelle guerre carliste, qualifiée par l’historiographie de troisième guerre carliste. Le nombre de guerres carlistes est sujet à controverse entre les historiens. Pour certains historiens, la deuxième guerre carliste (1846-1849) ne peut être considérée comme telle, car les carlistes du Pays basque et de la Navarre étaient absents de ce conflit. De ce point de vue, la troisième guerre carliste serait en définitive la deuxième guerre carliste (Fontana, 2007 : 375).
Parallèlement, la presse se modernise grâce à l’amélioration des techniques d’impression. En Espagne, l’éditeur Abelardo de Carlos ambitionne de publier une revue qui soit à la hauteur des publications européennes, telles que Illustrated London News, L’Illustration, Le Monde Illustré, Illustrirte Zeitung et La Illustrazione Italiana, qui utilisent les arts graphiques et l’image pour traiter l’actualité. C’est ainsi que le 25 décembre 1869, La Ilustración Española y Americana succède à El Museo Universal. Les historiens de la presse espagnole soulignent la qualité des illustrations de la revue publiée jusqu’en 1921 ainsi que le rôle fondamental joué par son éditeur Abelardo de Carlos dans la première étape de sa diffusion en Espagne, en Europe et sur le continent américain. Dans le corpus de presse sélectionné, nous pouvons prendre connaissance, à partir de la première page de chaque numéro, des lieux où était diffusée la revue : dans un premier temps, elle est accessible dans l’Empire espagnol – métropole, Cuba, Puerto Rico et les Philippines – et dans certains pays étrangers, non identifiés clairement, puis elle devient accessible dans deux anciennes colonies de l’Empire, Le Mexique et le Río de la Plata.
Les souscripteurs de la revue illustrée, publiée environ à 2000 exemplaires à Madrid pour chaque tirage effectué en 1870 (Fuentes, Fernández Sebastián, 2010 : 134), correspondent indéniablement à une minorité de lettrés. Toutefois, d’après les études réalisées par les chercheurs s’intéressant à la question de la culture de l’écrit en Espagne (Infantes, López, Botrel, 2003 ; Botrel, 2015), la revue bénéficia certainement d’un public un peu plus large grâce à l’usage de la lecture à voix haute et à la présence des illustrations qui pouvaient être vues dans les bibliothèques publiques, les librairies ou encore dans les espaces privés. Jean-François Botrel insiste d’ailleurs sur le véritable pouvoir de l’image, plus précisément, des différentes illustrations imprimées dès la fin du XIXe siècle sur ceux qu’il considère être les nouveaux lecteurs analphabètes (Botrel, 2015 : 251-267). En effet, la majorité de la population espagnole ne sait ni lire ni écrire lorsque les illustrations font leur apparition dans la presse. Comme le précise Miguel Artola, le taux d’analphabétisme en Espagne en 1860 s’élève à 80 %, alors qu’en 1861 le taux n’atteint que 32 % en France et 30 à 33 % en Angleterre dès 1850 (Artola, 2001 : 80). Même si la revue n’a pu bénéficier d’une diffusion conséquente auprès du lectorat espagnol, contrairement à d’autres périodiques, ses dessins imprimés participent certainement à modifier la réception des faits de l’actualité en Espagne. À titre d’exemples, à Madrid en 1869 le périodique progressiste La Igualdad, imprime entre 15 000 et 36 000 exemplaires ; El Papelito, journal satirique carliste, publie en 1870 entre 25 000 et 30 000 exemplaires ; le périodique d’information La Correspondencia de España produit plus de 50 000 exemplaires en 1870 et 1872 (Fuentes, Fernández Sebastián, 2010 : 134). Dans cet article nous souhaitons nous intéresser tout particulièrement au regard porté par les dessinateurs sur la réalité du conflit carliste. Il nous semble pertinent d’étudier au regard des facteurs sociohistoriques l’évolution de la publication des dessins de la revue La Ilustración Española y Americana, qui traduisent la réalité de la troisième guerre carliste.
Pour apporter des réponses à cette problématique de départ, il nous semble indispensable dans un premier temps de nous arrêter sur deux éléments qui font figure de « points de départ » dans notre démarche de recherche : la présentation du contexte historique dans lequel prend racine la troisième guerre carliste et le bilan général auquel nous sommes parvenues après avoir pris connaissance de la totalité du corpus de presse sélectionné. Dans un deuxième temps, en nous appuyant sur le contexte politique de l’Espagne du Sexenio Democrático, nous tenterons d’éclairer les facteurs pouvant expliquer les périodes d’absence de représentations visuelles du conflit carliste dans la revue illustrée. Enfin, nous nous intéresserons à l’évolution graphique des illustrations et aux éléments du cotexte qui participent, à n’en pas douter, à orienter l’interprétation du lectorat.
Premiers constats sur l’évolution de la production iconographique illustrant la troisième guerre carliste (1869-1876)
Avant de préciser le corpus que nous avons décidé de retenir afin d’analyser le rôle et les enjeux de la production iconographique mettant en scène la troisième guerre carliste dans la revue illustrée La Ilustración Española y Americana, nous souhaitons revenir sur les origines et la manifestation de ce conflit en Espagne. La troisième guerre carliste prend incontestablement racine dans la crise de la succession dynastique à la Couronne de Ferdinand VII peu de temps avant la fin de son règne en septembre 1833, mais également dans la profonde crise politique traversée par le pays à la suite de la révolution de septembre, la Gloriosa, qui contraint la reine Isabelle II, fille de Ferdinand VII, à prendre la voie de l’exil vers la France en 1868. En 1833, pour contrecarrer l’ambition grandissante des apostoliques qui se reconnaissent dans la vision ultra-absolutiste prônée par le frère du monarque Ferdinand VII, l’infant Don Carlos, le couple royal décide de renouer avec la tradition dynastique castillane reposant sur la Ley de Partidas (Alphonse X Le Sage : 395) en promulguant la Pragmática Sanción. Ce décret contrairement à la Ley de Sucesión Fundamental de 1713, donne aux femmes le droit d’hériter de la Couronne. Par conséquent, le 20 juin 1833, les Cortes réunies établissent que la fille de Ferdinand VII et de Marie-Christine, l’infante Isabelle, devient l’unique héritière de la Couronne d’Espagne. Don Carlos, Carlos María Isidro de Borbón y Borbón, est ainsi officiellement exclu de la succession dynastique en Espagne en 1833.
Quelques mois auparavant, dès janvier 1833, les carlistes favorables à la monarchie absolue de Don Carlos – Carlos V d’après la généalogie carliste – commencent à prendre les armes en Catalogne, en Navarre et dans les provinces basques pour s’opposer à la politique du couple royal de plus en plus enclin à suivre l’orientation donnée par les libéraux modérés. Ces affrontements marquent le début de la première guerre carliste qui prend fin en septembre 1839. Un deuxième conflit oppose à nouveau les troupes carlistes aux troupes gouvernementales essentiellement en Catalogne entre 1846 et 1849. En 1845, à la suite de l’abdication de Carlos V en faveur de son fils Carlos Luis de Borbón y Braganza, c’est désormais en Carlos VI que les carlistes reconnaissent le successeur légitime à la Couronne d’Espagne. Comme le souligne l’historien Josep Fontana, la dynastie carliste, à la mort de Carlos VI en janvier 1861 aurait pu rester sans prétendant (Fontana, 2007 : 375-376). Néanmoins, la cause carliste ne resta pas vaine.
Après l’exil d’Isabelle II vers la France en 1868, tous les espoirs des apostoliques se tournent désormais vers le petit-fils du premier prétendant carliste : Carlos VII. Les carlistes, toujours présents en Espagne, mais aussi réfugiés à l’étranger, y voient la possibilité de reprendre les rênes du pouvoir. Après avoir obtenu l’abdication de son père, Carlos VII, fervent défenseur de la cause carliste et de son étendard « Dios, Patria, Fueros, Rey1 », devient le 3 octobre 1868 le nouveau prétendant légitime à la Couronne d’Espagne reconnu comme tel par l’ensemble des carlistes. Pendant la troisième guerre carliste, les carlistes défendent toujours « Dieu, la Patrie, le Roi », mais insistent également sur la défense des « Fueros », ces privilèges ancestraux dont bénéficient toujours en Espagne, après la mise en place des décrets de Nueva Planta sous Philippe V, les provinces basques et la Navarre (Marcos Gómez, 2004 : 18-19). Dès le début de la Gloriosa, Carlos VII tente de mettre en place un plan d’action en prenant contact avec les principaux chefs carlistes. En effet, bien que plusieurs historiens situent chronologiquement le début de la troisième guerre carliste au mois d’avril 1872 lorsque Carlos VII donne l’ordre depuis Genève de lancer une offensive armée à l’encontre de la monarchie d’Amédée Ier, il nous semble important de souligner le fait que les mouvements insurrectionnels carlistes commencent à apparaître dès le début de l’année 1869 en se propageant progressivement sur une grande partie du territoire espagnol. Comme le décrit précisément José Manuel Rodríguez Gómez, les premiers mouvements carlistes apparaissent dans la Mancha et en Andalousie, puis dans les provinces de Palencia, Burgos et León, surgissent également dans le Maestrazgo, en Catalogne et s’organisent rapidement dans le Pays basque et en Navarre (Rodríguez Gómez, 2004 : 21-43). Par ailleurs, l’anticléricalisme et l’anticatholicisme exacerbés qui caractérisent la révolution de septembre participent à alimenter dès le début les rangs des rebelles carlistes (Rodríguez Gómez, 2004 : 21).
L’éclairage des repères chronologiques nous semble incontournable au moment d’établir le corpus de presse nécessaire à l’élaboration de ce travail de recherche. Dans cet article, nous envisageons d’étudier les répercussions de la troisième guerre carliste dans sa totalité : depuis l’apparition au début de l’année 1869 des premiers mouvements insurrectionnels carlistes jusqu’à la défaite des partisans de Carlos VII à la fin du mois de février 1876. Par conséquent, nous avons fait le choix d’intégrer dans le corpus l’ensemble des numéros parus dès le début de la création de la revue illustrée en décembre 1869 jusqu’au premier numéro de mars 1876. Il est fort probable que ce numéro fasse écho à la fois au siège de la capitale carliste d’Estella par les troupes gouvernementales le 20 février 1876 et au départ en exil de Don Carlos vers la France le 28 février 1876. Ces deux événements mettent, en effet, un point final au conflit carliste. La revue illustrée est publiée tout d’abord deux fois par mois, puis tous les dix jours et acquiert enfin une périodicité hebdomadaire à partir de janvier 1872. Nous avons étudié l’ensemble des numéros de la revue publiés à partir du 25 décembre 1869 jusqu’au 8 mars 1876. Nous avons ainsi pu établir un corpus de 267 numéros composés la plupart du temps de 16 pages et proposant parfois des publications de 24 pages. L’ensemble des numéros du corpus de presse sélectionné est consultable en ligne sur la hemeroteca digital de la Biblioteca Nacional de España. Une fois constitué le corpus de presse, nous souhaitons désormais l’interroger. Les représentations iconographiques de ce corpus de presse témoignent-elles de façon constante de l’évolution de la troisième guerre carliste ?
Au moment d’effectuer les recherches, notre œil est immédiatement attiré par les nombreuses illustrations qui recouvrent pratiquement la moitié des pages de chaque numéro. Toujours dans le but d’étudier les représentations en images des mouvements insurrectionnels carlistes, nous procédons à un relevé méthodique des numéros, des pages et des éléments du cotexte qui accompagnent les illustrations faisant directement écho au conflit. Nous décidons également de préciser les numéros qui témoignent au contraire d’une absence d’illustrations de ces mêmes événements de l’actualité. Après avoir parcouru l’ensemble des 267 numéros, nous pouvons établir les premiers constats synthétisés dans le tableau ci-dessous :
Évolution de la production iconographique représentant la troisième guerre carliste entre 1869 et 1876 à partir du corpus sélectionné (267 numéros).
Étapes de l’évolution de la production iconographique | Régimes politiques | Nombre de numéros | Nombre de numéros illustrant le conflit carliste | Pourcentage des numéros illustrant le conflit carliste | Planches de dessins illustrant le conflit carliste |
Étape 1 : Le 25 décembre 1869-début mai 1872 | Monarchie constitutionnelle après promulgation de la Constitution de 1869 : Régence du général Serrano puis Monarchie d’Amédée Ier | 82 | 0 | 0 % | 0 |
Étape 2 : Début mai 1872-été 1872 | Monarchie constitutionnelle d’Amédée Ier | 12 | 10 | 83,3 % | 11 |
Étape 3 : juillet 1872-février 1873 | Monarchie constitutionnelle d’Amédée Ier | 27 | 3 | 11,1 % | 3 |
Étape 4 : février-décembre 1873 | République unitaire, puis République fédérale | 41 | 19 | 46,3 % | 19 |
Étape 5 : année 1874 | Dictature du général Serrano | 48 | 37 | 77 % | 62 |
Étape 6 : année 1875-mars 1876 | Monarchie constitutionnelle d’Alphonse XII de Bourbon (Constitution canoviste promulguée en juillet 1876). | 57 | 49 | 86 % | 95 |
Il nous semble pertinent de distinguer six étapes chronologiques pour analyser l’évolution de la production iconographique illustrant la troisième guerre carliste dans la revue espagnole. Ces six étapes, qui s’avèrent suivre de très près les périodes de changements de régime politiques entre 1869 et 1876, mettent en lumière soit une absence de représentation en images du conflit, soit une variation de la production des illustrations de guerre et, comme nous le verrons a posteriori, de leurs titres. Tout d’abord, nous constatons deux étapes révélatrices d’une absence de représentation illustrée des mouvements carlistes : la revue illustrée ne se fait l’écho à aucun moment des revendications carlistes s’exprimant sur une grande partie du territoire espagnol depuis le début de l’année 1869 (étape 1) et passe quasiment sous silence l’évolution du conflit à partir de l’été 1872 (étape 3). En revanche, nous pouvons observer qu’une fois la guerre déclarée officiellement par le prétendant Carlos VII, l’actualité carliste s’inscrit au centre des illustrations publiées dans la revue (étape 2). Avec l’avènement de la 1re République, la revue renoue avec la mise en images régulière du conflit opposant les carlistes aux troupes gouvernementales (étape 4). Puis, la production iconographique représentant la troisième guerre carliste s’intensifie sous la dictature du général Serrano (étape 5) et s’amplifie encore davantage sous le régime de la Restauration d’Alfonse XII de Bourbon, fils d’Isabelle II (étape 6). En effet, au-delà du pourcentage élevé (86 %) de numéros illustrant le conflit publiés par la revue sous la monarchie d’Alphonse XII, il est intéressant de noter que le nombre de pages (95), et par conséquent le nombre de dessins, est bien supérieur à l’ensemble des précédentes étapes. Comme nous l’étudierons dans la troisième partie de l’article, nous constatons qu’à partir de l’été 1873, l’actualité carliste peut être relatée à partir de plusieurs illustrations sur une seule planche. À partir de cette période, le nombre de dessins est supérieur au nombre de planches illustrées.
Mais alors, comment pouvons-nous expliquer une telle évolution de la mise en images d’un conflit qui n’a cessé de s’exprimer dans la péninsule Ibérique entre 1869 et 1876 ? Nous faisons le choix, pour des raisons chronologiques, de nous interroger tout d’abord sur les facteurs pouvant être à l’origine de l’absence de représentation visuelle du conflit carliste dans la revue, puis nous nous intéresserons à l’évolution sémantique des illustrations et de leurs cotextes dans le troisième volet de cet article.
Les absences de mise en images du conflit carliste entre 1869 et 1872
Nous venons de constater l’existence d’une variation de la production des illustrations traitant l’actualité du conflit carliste entre 1869 et 1876 dans La Ilustración Española y Americana. Dans ce travail de recherche reposant, en partie, sur une méthodologie de l’histoire culturelle, il nous semble fondamental de décrypter aussi bien l’évolution des représentations iconographiques que les silences exprimés à travers l’absence d’images. La citation de Georges Duby se référant en 1974 au travail de l’historien qui prend pour objet d’étude les représentations culturelles peut, selon nous, parfaitement s’adapter à l’étude du langage, comme à l’étude de l’image encore aujourd’hui :
Après avoir repéré tous ces indices, il convient d’abord de les réunir, afin de construire le système dans sa cohérence, dans son ordonnance formelle, à partir de toutes les traces qu’il a laissées. La plus grande attention doit être accordée à ce qui est tu. Car le danger serait ici, beaucoup plus grave que dans les recherches d’histoire économique, d’interpréter le silence comme une absence. Les omissions forment en effet un élément fondamental du discours idéologique : essentielle, leur signification doit être élucidée (Duby, 1974 : 152).
Le concept d’idéologie auquel se réfère l’historien dans l’expression « discours idéologique » est utilisé en histoire et dans différentes disciplines des sciences humaines. Ce concept peut sembler flou, complexe et ambigu. Nous envisageons de l’entendre comme Louis Althusser lorsqu’il écrit, d’après Georges Duby, que l’idéologie correspond à « un système (possédant sa logique et sa rigueur propres) de représentation (images, mythes, idées ou concepts selon les cas) doué d’une existence et d’un rôle historique au sein d’une société donnée » (Duby, 1974 : 149). Les périodes d’absence de représentations iconographiques de l’opposition carliste au sein de la revue illustrée sont-elles le résultat d’une idéologie particulière et de stratégies médiatiques visant à influencer l’opinion publique espagnole ? Dans quelle mesure les absences de représentation visuelle du conflit carliste pourraient-elles relever de l’interprétation des dessinateurs et de la responsabilité de l’éditeur Abelardo de Carlos ? Les silences observés peuvent-ils s’expliquer par d’autres facteurs ?
Dans le corpus étudié, deux étapes empêchent le lectorat de l’époque de s’informer via les dessins de presse des mouvements insurrectionnels carlistes. Concernant l’absence de représentations iconographiques des premiers soulèvements carlistes en Espagne dès 1869, nous pouvons proposer trois hypothèses. Tout d’abord, le silence observé dans la revue illustrée pourrait s’expliquer par une absence de prise de conscience de la part de l’éditeur, des journalistes et des dessinateurs de la réalité insurrectionnelle carliste qui se profilait autour de la capitale espagnole. Cette hypothèse est probable en sachant que le prétendant carliste ne parvient pas véritablement avant le mois de mai 1872 à coordonner le soulèvement carliste en Espagne et que bien souvent la Garde civile arrive à contenir au fur et à mesure les différentes formes d’agitation apparaissant dans le pays. Par ailleurs, force est de constater que le regard des dessinateurs de la revue est essentiellement tourné en 1870 et 1871 vers l’actualité conflictuelle d’un autre pays, la France. L’effervescente actualité du pays voisin marquée par la guerre franco-prussienne, puis par l’insurrection de la Commune de Paris, domine de façon manifeste les illustrations publiées dans la revue. L’actualité française et européenne aurait ainsi participé à évincer toute forme de représentation iconographique illustrant l’agitation carliste dans la revue espagnole à ses débuts.
À ces deux hypothèses pouvant expliquer l’absence de dessins évoquant les premiers mouvements carlistes, nous souhaitons en ajouter une troisième. Il se peut, au contraire, que l’éditeur de la revue Abelardo de Carlos ait fait le choix conscient de passer sous silence les premiers affrontements entre les rebelles et la Garde civile espagnole afin de préserver un lectorat espagnol marqué psychiquement par la violence inhérente aux nombreux conflits apparus tout au long du XIXe siècle en Espagne. Dans la métropole, avant l’apparition de la troisième guerre carliste, les Espagnols ont été confrontés dès le début du XIXe siècle à la violence de la Guerre d’Indépendance contre Napoléon Ier (1808-1814), puis des deux guerres carlistes, mais aussi des mouvements révolutionnaires à répétition (Pellistrandi, 2013 : 21-267). Les traumatismes engendrés par les récents conflits sont toujours présents dans l’inconscient des journalistes et dans l’inconscient collectif espagnol. Le concept d’inconscient collectif créé par le psychologue analytique Carl Gustav Jung autour des années 1920 serait d’après Jean Cazeneuve « comme un ensemble de dispositions innées qui orientent la pensée collective et structurent la pensée individuelle, et il puiserait ses origines dans une humanité lointaine » (Cazeneuve). Illustrer l’existence d’un nouveau conflit carliste en Espagne pourrait provoquer l’évocation – dans le sens de « survenance actuelle » selon Paul Ricœur – de souvenirs douloureux présents dans l’inconscient collectif espagnol. Paul Ricœur écrit « [e]ntendons par évocation la survenance actuelle d’un souvenir. C’est à celle-ci qu’Aristote réservait le terme mneme, désignant par anamnesis ce que nous appellerons plus loin recherche ou rappel. Et il caractérisait la mneme comme pathos, comme affection : il arrive que nous nous souvenions, de ceci ou de cela, en telle et telle occasion ; nous éprouvons alors un souvenir. C’est donc par opposition à la recherche [de souvenir] que l’évocation est une affection » (Ricœur, 2000 : 32). L’annonce d’une nouvelle guerre carliste pourrait ainsi participer à la reviviscence de ces souvenirs traumatisants. Omettre d’illustrer les divers soulèvements carlistes dans la revue, avant l’entrée en guerre officielle des deux factions, pourrait donc être une stratégie médiatique adoptée par son éditeur afin d’éviter de susciter la peur de voir resurgir une nouvelle guerre civile carliste chez le lectorat espagnol et par conséquent dans l’opinion publique.
Un élément nous permet d’approfondir notre analyse : il s’agit du premier numéro de la revue évoquant visuellement le soulèvement carliste avec la publication du portrait de Don Carlos de Borbón y Este le 1er mai 18722, soit deux semaines après avoir déclaré officiellement la guerre. Le portrait du prétendant carliste est accompagné d’un article dans lequel s’exprimerait, vraisemblablement, l’éditeur Abelardo de Carlos. Nous pouvons lire :
Fijas están las miradas de todos los españoles en esa lucha fratricida que acaba de inaugurarse en las provincias vasco-navarras ; don Carlos de Borbón y Este empeña la bandera de la legitimidad dinástica, llama a las armas y se lanza a la pelea. […] Ajeno es y será nuestro semanario a las contiendas de los partidos, extraño absolutamente a todo espíritu de bandería, más séanos permitido hacer votos por el restablecimiento de la tranquilidad pública3.
Les mouvements insurrectionnels carlistes sont pour la première fois représentés dans le discours journalistique de la revue et sont immédiatement identifiés sous les traits d’une « lutte fratricide ». Cette guerre civile devient incontestablement un sujet incontournable de l’actualité pour l’auteur de l’article à partir du moment où ce conflit acquiert une dimension officielle. Le soulèvement lancé depuis Genève par Carlos VII est, en effet, immédiatement suivi dans le Pays basque et en Navarre, puis dans un deuxième temps en Catalogne. L’intention de l’auteur est claire : la revue illustrée informera régulièrement le lectorat espagnol sur cette nouvelle guerre carliste. Cependant, elle s’éloignera de toute prise de position dans ce conflit, en préférant prôner le retour au calme en Espagne. Le 1er mai 1872, Abelardo de Carlos espère certainement que l’actualité belliqueuse de son pays ne sera que passagère et refuse d’attiser les tensions au sein de l’opinion publique. Pour aller au bout de la démarche d’investigation, il serait intéressant de comparer l’absence de représentations iconographiques des premiers mouvements insurrectionnels dans la revue illustrée avec les représentations du conflit carliste inhérentes aux autres périodiques publiés en Espagne – notamment la presse carliste et anticarliste – afin de vérifier si effectivement ce silence observé est une caractéristique de La Ilustración Española y Americana. Nous pourrions étudier les représentations du discours journalistique pour les journaux ne contenant pas d’illustrations. Il serait très intéressant d’étudier les représentations iconographiques de la revue satirique libérale et anticarliste La Flaca, publiée à Barcelone entre 1869 et 1871.
De plus, nous pouvons ajouter que l’absence de représentation iconographique des mouvements insurrectionnels au cours de la première étape identifiée ne peut en aucun cas trouver son origine dans la censure exercée par le pouvoir sur la presse. En effet, après la révolution de septembre 1868, la presse bénéficie d’une très grande liberté inscrite dans le texte constitutionnel de 1869 et tout particulièrement dans son article 17 (Marcuello Benedicto, 1999 : 82). Javier Francisco Fuentes et Javier Fernández Sebastián précisent d’ailleurs au sujet de la presse que « el triunfo de la revolución de septiembre supone el inicio de una época dorada de libertad irrestricta » (Fuentes, Fernández Sebastián, 2010 : 117)4. Par conséquent, le silence observé avant l’entrée en guerre officielle des carlistes résulterait des choix opérés par une équipe éditoriale davantage soucieuse de relater en images l’inquiétante actualité européenne que de dévoiler l’insurrection carliste grandissante en Espagne. Regarder l’altérité française et prussienne et par la même occasion, omettre de relater la réalité conflictuelle espagnole permet à l’éditeur Abelardo de Carlos dans un premier temps de rassurer l’opinion publique espagnole.
Essayons désormais d’analyser les facteurs pouvant être à l’origine d’une rupture dans la mise en images du conflit carliste à partir de l’été 1872, au cours de la troisième étape que nous avons pu identifier. Comment pouvons-nous expliquer la perte d’intérêt des dessinateurs pour le conflit carliste à partir du mois d’août 1872 ? En prenant connaissance de l’actualité retranscrite en images dans le corpus sélectionné, nous pouvons constater que le changement du traitement de l’information au cours de l’été 1872 apparaît peu de temps après l’attentat perpétré pendant la nuit du 18 juillet 1872 à l’encontre du couple royal : Amédée Ier et María Vittoria del Pozzo. La revue illustrée consacre d’ailleurs une double page à la tentative de régicide5. Par ailleurs, nous pouvons observer que la Ilustración Española y Americana partage désormais avec son lectorat essentiellement des illustrations mettant en scène la vie oisive, festive et ordinaire des Madrilènes, des Barcelonais et d’autres citadins espagnols. Sur l’ensemble des vingt numéros de la revue espagnole parus à partir de l’été 1872, uniquement trois pages font référence au conflit carliste. Un premier portrait de chef carliste est illustré dans le n° 28 publié le 24 juillet 1872, puis le n° 35 publié le 16 septembre dévoile une illustration d’une attaque carliste à Burgos, enfin le dernier numéro de l’année 1872, le n° 48 publié le 24 décembre 1872, fait paraître le portrait de deux chefs carlistes. Il existe manifestement un lien de cause à effet entre l’attentat du 18 juillet 1872 et la rupture observée dans la représentation iconographique du conflit carliste.
La liberté de presse vigoureusement défendue dans la Constitution de 1869 ne montrerait-elle pas des signes de faiblesse après l’attentat du couple royal en 1872 ? Un an auparavant, la liberté de presse continue pourtant d’être encouragée tout particulièrement par Sagasta qui fait adopter un décret favorisant la baisse des taxes sur la livraison des journaux (Fuentes, Fernández Sebastián, 2010 : 118). Néanmoins, l’attentat du 18 juillet met en exergue l’hostilité croissante ressentie à l’égard du monarque, toujours considéré majoritairement en Espagne comme un souverain étranger. Il est certain que l’autorité royale d’Amédée Ier est déjà bien fragilisée dès son arrivée à Madrid en 1871. Son principal soutien politique, le général Prim, est assassiné en décembre 1870. Les républicains-fédéralistes et les carlistes continuent d’exprimer avec virulence leurs revendications. Mais alors, la faible représentation visuelle du conflit carliste observée dans la revue illustrée après l’attentat est-elle due à Amédée Ier ou à son éditeur ?
Bien que la législation encourage la diffusion de la presse comme nous l’avons précisé, elle participe cependant à contrôler de près une certaine presse : celle pouvant compromettre l’ordre institutionnel. En effet, avant la monarchie d’Amédée Ier, le gouvernement du général Prim, déjà confronté à la persistance des mouvements remettant en question sa légitimité, décide d’adopter la Ley de Orden Público en 1870. Cette nouvelle loi promulguée peu de temps après le texte constitutionnel fait polémique à l’époque, car elle vient remettre en question l’un des principes mêmes de la révolution de septembre, celui de la liberté de presse. Comme le souligne Juan Ignacio Mercuello Benedicto, la nouvelle législation permet à l’autorité gouvernementale de suspendre les publications pouvant compromettre l’ordre public (Marcuello Benedicto, 1999 : 84). Le monarque aurait eu tout intérêt à mettre en application cette loi et à faire taire l’actualité carliste après l’attentat, néanmoins nous ne disposons aujourd’hui d’aucun élément nous permettant de vérifier si l’éditeur Abelardo de Carlos a pu recevoir une quelconque pression de la part des instances politiques. Il serait, à nouveau, pertinent de comparer le traitement de l’actualité opéré par La Ilustración Española y Americana avec celui d’autres organes de presse afin d’établir, ou non, si la faible représentation du conflit carliste à partir de l’été 1872 est une caractéristique propre à l’ensemble de la presse espagnole. De toute évidence, lorsque l’éditeur, de sa propre initiative ou fortement incité par le monarque, participe à rendre beaucoup moins visible le conflit carliste et à diffuser au contraire l’image d’une Espagne apaisée, il cherche indéniablement à amoindrir les tensions au sein de la population espagnole et à préserver le maintien de la monarchie. La revue renoue d’ailleurs, peu de temps après l’abdication du monarque, avec les représentations iconographiques de la troisième guerre carliste.
Une interprétation contextualisée des dessins traduisant le conflit carliste (1872-1876)
Environ cent cinquante ans nous séparent aujourd’hui de la troisième guerre carliste. Lorsque nous regardons les dessins de presse illustrant ce même conflit, nous sommes à la fois lecteurs, récepteurs et spectateurs de ces images. Or, pour André Gunthert, une image, par la non-hiérarchisation de l’information, favorise la simultanéité de la perception visuelle et peut, par conséquent, donner lieu à une grande marge d’interprétation, obligeant ainsi chaque spectateur à reconstruire le sens par ses propres moyens (Gunthert, 2017). Nous envisageons dans cette troisième partie, en tant que spectateur et chercheur en histoire culturelle, de proposer une interprétation des illustrations de guerre en nous arrêtant sur les créations iconographiques en tant que telles, sans oublier de resituer leur production dans le contexte politique et social de la période étudiée. Nous partageons en effet le point de vue de Laurent Gervereau qui estime que « l’image […] ne peut se cantonner à la reproduction : elle n’est pas seulement une transposition du réel, elle est aussi un réel intrinsèque avec ses propriétés et ses circuits » (Gervereau, 2004 : 9) ainsi que l’observation d’André Gunthert, pour qui « le rétablissement d’une objectivité de l’analyse passe donc par un déplacement de l’espace instable de l’interprétation vers celui des traces de la production et de la réception » (Gunthert, 2017). Par ailleurs, l’analyse des usages narratifs de l’image suppose de prendre en compte l’articulation des images avec les énoncés (Gunthert, 2017). Nous devrons, par conséquent, prêter une attention particulière aux titres qui accompagnent chaque illustration. Au-delà du regard porté par les dessinateurs sur le conflit qui les entourait, quels éléments ont pu intervenir directement dans le traitement de l’information par l’image et par le texte ? Dans quelle mesure la transposition du réel dans la revue illustrée est-elle influencée par son éditeur et par les différentes idéologies qui se sont exprimées pendant le Sexenio Democrático et le début de la Restauration ? Étant donné l’importance quantitative du nombre d’illustrations informant le lecteur de l’évolution du conflit carliste, nous ne prétendons pas pouvoir répondre de façon exhaustive à ces interrogations, mais nous souhaitons pouvoir retracer, à partir d’exemples précis, les points marquants de l’évolution sémantique des dessins qui illustrent la troisième guerre carliste au cours des quatre étapes chronologiques précédemment identifiées dans le tableau : la monarchie constitutionnelle d’Amédée Ier, la 1re République, la dictature du général Serrano et enfin le début de la Restauration d’Alfonse XII.
Sur l’ensemble des onze pages consacrées à la représentation iconographique du conflit carliste sous la monarchie d’Amédée Ier, nous avons sélectionné trois dessins représentatifs, par leur approche, des dessins de guerre publiés à cette période. Ces illustrations, comme la majorité des illustrations de guerre publiées en 1872, ont un point commun qui ne peut échapper à l’œil attentif du lecteur : elles témoignent de la « insurrección carlista »6, titre écrit en lettres capitales, accompagné d’un sous-titre précisant à chaque fois le lieu du soulèvement7 des partisans de Don Carlos ou bien des offensives conduites par les troupes monarchistes. Les dessinateurs et l’éditeur, vraisemblablement toujours soucieux de rassurer l’opinion publique espagnole, laissent entendre ainsi aux lecteurs de la revue que le Pays basque et la Navarre sont uniquement en prise directe avec un mouvement insurrectionnel. Les illustrations permettent aux lecteurs de la revue de suivre de façon régulière l’actualité du front nord, puis celle du front est. Dès le mois de mai 1872, les dessins mettent en exergue la victoire des troupes gouvernementales dans les provinces basques et navarraises.
Figure 1.
« Insurreción carlista - acción de Oroquieta, en la tarde del 4 de Mayo, cróquis remitido por don A.N. »
La Ilustración Española y Americana, n° 19, publié le 16 mai 1872. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Dans le n° 19, publié le 16 mai 18728, l’illustration témoigne avec réalisme de la puissance des troupes monarchistes face aux rebelles carlistes. Les troupes gouvernementales, facilement identifiables avec leur képi, dominent numériquement et spatialement la scène illustrée tandis qu’un petit groupe de carlistes est représenté en deuxième plan à gauche. La violence engendrée par l’assaut de l’armée régulière est dévoilée partiellement par la présence de quelques corps inertes. Cependant, l’œil du lecteur-spectateur est incontestablement attiré par la domination militaire qui se dégage des troupes gouvernementales armées de fusils Remington de 1871. En effet, comme le sous-titre l’indique, le dessin dont nous n’avons pas pu identifier précisément l’auteur dépeint une action décisive pour les troupes soutenant la monarchie d’Amédée Ier : l’action d’Oroquieta en Navarre. Le 4 mai 1872, face à l’avancée des troupes du général Moriones, les carlistes prirent effectivement la fuite (Rodríguez Gómez, 2004 : 35). Notons que l’arrière-plan de ce dessin permet de situer géographiquement la scène illustrée. Sur chaque dessin représentant le front nord, les Pyrénées font bien souvent figure de troisième protagoniste.
Figure 2.
« Insurreción carlista - Acción de Mañaría : cróquis de don Ricardo de Ojeda, testigo presencial ».
La Ilustración Española y Americana ,n° 22, publié le 8 juin 1872, Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Le relief montagneux fait partie intégrante du dessin illustrant la « insurreción carlista » et plus précisément l’action de Mañaría du 14 mai 1872 dans le n° 22, publié le 8 juin 18729. Les troupes gouvernementales continuent de poursuivre les carlistes jusqu’aux impressionnantes gorges de Mañaría, qui se situent entre Durango et Vitoria. Le dessinateur Ricardo de Ojeda, présenté en tant que « témoin présentiel » dans le cotexte, illustre la préparation des troupes gouvernementales juste avant le combat. L’armée régulière est à nouveau au centre du dessin. L’emphase est mise sur son organisation alors que le récepteur peut supposer que les carlistes, isolés dans le relief montagneux, sont susceptibles de répondre à l’offensive de façon beaucoup plus spontanée. Les troupes monarchistes enchaînent les victoires dans le Pays basque et en Navarre au mois de mai 1872. Le 24 mai le général Serrano signe à Amorebieta un accord avec les dirigeants carlistes et déclare l’amnistie générale en échange de la remise de leurs armes (Fontana, 2007 : 377).
Néanmoins, l’accord signé par Serrano n’a aucune valeur aux yeux du prétendant Don Carlos. L’État carliste est certes affaibli sur le front nord, mais les chefs carlistes catalans continuent de mener des initiatives, bien souvent, sans véritable coordination. La revue espagnole illustre également l’insurrection carliste du front est, notamment dans le n° 27 publié le 16 juillet 187210.
Figure 3.
« Insurreción carlista – Sorpresa de Reus por la partida de Francesch »
La Ilustración Española y Americana, n° 27, publié le 16 juillet 1872. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Ce dessin est l’œuvre d’un dessinateur incontournable et réputé dans la profession : José Luis Pellicer Feynié (Artigas I Candela, 2005). Ce dernier met en scène les carlistes catalans portant le béret, signe distinctif des carlistes, après avoir pris sous le commandement du chef carliste Juan Francesh la petite ville de Reus située en Catalogne. Sous le crayon de Pellicer, c’est l’expression des carlistes qui devient centrale et qui interpelle le lecteur. En effet, plusieurs carlistes paraissent voûtés et semblent par conséquent exténués après la bataille livrée contre l’armée régulière. Le dessin est effectué avec précision, mais accorde beaucoup moins d’importance aux détails du paysage que les deux précédentes illustrations observées. L’ambiance belliqueuse parvient à être rendue par la fumée qui s’échappe des bâtiments. Pellicer, dessinateur et correspondant de guerre, dessine avec efficacité et rapidité dans le but de faire parvenir au plus vite ses observations du conflit à l’éditeur et aux graveurs (Bastida de la Calle, 1989).
À partir de ces trois exemples, mais en parcourant également l’ensemble des illustrations publiées jusqu’au mois d’août 1872, nous constatons que les dessinateurs portent leur regard sur le début ou la fin des combats, mais ne mettent pas véritablement en exergue l’horreur de la guerre. Or, d’après Benoît Pellistrandi « les combats sont féroces. Les témoignages laissés par les combattants des deux camps évoquent le corps à corps à la baïonnette. Le caractère incontrôlable de certains guérilleros, à l’image du curé Manuel Ignacio Santa Cruz Loidi, provoque des situations locales traumatisantes » (Pellistrandi, 2013 : 161-162). La violence de la guerre est partiellement représentée, mais peut aussi être implicite et sous-entendue. Tel est le cas, lorsque la revue illustre le secours et l’aide humanitaire adressés aux blessés de la bataille d’Oroquieta11. Tout est mis en place dans la revue illustrée pour informer certes le lecteur des événements marquants de l’actualité carliste, néanmoins les choix opérés par les dessinateurs et l’éditeur participent à amoindrir la force de combat des carlistes et la virulence de la guerre. L’atténuation de la violence inhérente au conflit carliste à travers l’image et le cotexte semble ─ au même titre que l’absence de représentation iconographique des premiers mouvements insurrectionnels ─ être une autre stratégie médiatique adoptée par les dessinateurs et l’éditeur de la revue pour éviter de répandre un sentiment d’effroi au sein de l’opinion publique.
Comme nous l’avons souligné précédemment, la revue illustrée renoue véritablement avec la représentation visuelle du conflit carliste à partir de l’abdication d’Amédée Ier et de l’avènement de la 1re République qui eurent lieu le même jour, le 11 février 1873. Mais alors, constatons-nous une évolution du traitement de l’information dans la revue illustrée à partir de cette période caractérisée par une intensification des combats entre les carlistes et les troupes républicaines ? Nous pouvons observer que les illustrations jusqu’au mois de septembre 1873, continuent d’être majoritairement intitulées « insurrección carlista » ou bien sont accompagnées d’un titre faisant référence au lieu de l’offensive menée par les troupes républicaines ou par les carlistes. Néanmoins, les dessinateurs n’hésitent plus à dévoiler l’ampleur du combat armé entre les troupes opposées.
Figure 4.
« insurreción carlista – el combate de Monreal en la noche del 9 del corriente »
La Ilustración Española y Americana, n° 12, publié le 24 mars 1873. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
C’est notamment le cas du dessin de guerre réalisé par Pradilla et publié dans le n° 12 le 24 mars 187312. Cette illustration témoigne du combat de Monreal en Navarre du 9 mars 1873 et dévoile pour la première fois aux lecteurs de la revue une véritable scène d’affrontement belliqueux entre les carlistes et l’armée républicaine. Cette illustration n’est pas sans nous rappeler la construction du premier dessin que nous avons commenté et qui revenait sur l’action d’Oroquieta. En effet, l’armée régulière guidée par son général domine également le premier plan, néanmoins contrairement au premier dessin mentionné, le dessinateur s’attache à rendre visible la riposte armée des carlistes sur les deux derniers plans du dessin. L’agitation et le chaos, renforcés par la mise en mouvement des soldats et la présence de fumées émanant entre autres des armes à feu, règnent dans cette véritable scène de guerre. Par ailleurs, il nous semble légitime de penser que les dessinateurs ainsi que l’éditeur Abelardo de Carlos tentent de traiter les événements de l’actualité avec une certaine forme d’objectivité puisque les illustrations représentent aussi bien les victoires que les défaites des deux forces armées. Le dessin que nous venons de commenter met en évidence la victoire à venir des troupes républicaines alors qu’un autre dessin de guerre évoquera leur écrasante défaite à Eraul le 5 mai 187313. Sur le front nord, le général Dorregaray est désormais à la tête d’une puissante armée carliste.
À partir de l’été 1873, la revue illustrée innove et se modernise dans sa façon de traiter l’actualité en images. En effet, comme nous pouvons l’observer dans le n° 31 publié le 8 août 1873, l’actualité espagnole est relatée à travers cinq illustrations imprimées sur une seule planche14.
Figure 5.
« Sevilla – toma de una barricada en la plaza de San Francisco », « Estella – el cabo de voluntarios D. Celestino Garamendi preparado para incendiar el polvorín del fuerte », « insurreción carlista – ataque y defensa de Estella », « Igualada – Incendio del Ateneo de clase obrera por los carlistas », « El Marqués de Valdespina, jefe carlista ».
La Ilustración Española y Americana, n°31, publié le 8 août 1873. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Cette présentation, annonciatrice des futurs reportages de guerre, est inédite dans la revue La Ilustración Española y Americana. Parmi ces cinq illustrations, deux sont signées de la main du dessinateur Alejandro Ferrant et toutes évoquent la réalité des mouvements insurrectionnels auxquels est confrontée la République fédérale : l’insurrection cantonale et l’insurrection carliste. Elles témoignent tout particulièrement de la vivacité du conflit carliste sur le front nord, lorsqu’est illustrée l’offensive militaire des carlistes pour assiéger la ville d’Estella, mais décrit également l’emportement de ces derniers à l’égard d’un lieu symbolique de la cause ouvrière à Igualada, un village catalan. Les carlistes commencent à mener des offensives militaires contre les troupes républicaines à partir du mois de juillet 1873. Ils parviennent à assiéger la ville d’Estella, qui devient par conséquent la capitale carliste le 18 août 1873 (Rodríguez Gómez, 2004 : 81). Un autre changement est à noter dans la revue à partir du mois de septembre de la même année. Pour la première fois, dans le n° 34 paru le 8 septembre 187315, nous voyons apparaître non plus le titre « insurreción carlista » sous les dessins illustrant le conflit carliste, mais celui de « guerra civil »16.
Figure 6.
« Guerra Civil - una avanzada de tropas carlistas »
La Ilustración Española y Americana,n° 34 paru le 8 septembre 1873. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
L’équipe éditoriale, consciente certainement de l’affaiblissement militaire et politique des troupes gouvernementales face aux carlistes, informe désormais les lecteurs de l’existence d’un conflit opposant deux Espagne politiques et idéologiques. Après l’été 1873, une étape est franchie dans la communication de la revue illustrée à l’égard de son lectorat, comme si l’éditeur n’appréhendait plus de « dire » l’indicible : l’Espagne est bien confrontée à une nouvelle guerre civile. D’après l’historiographie, les guerres carlistes sont effectivement des « guerres civiles ». Par ailleurs, il est évident que sans le titre « guerra civil », le dessin réalisé par le peintre et dessinateur Balaca peut suggérer mais ne peut avérer l’existence même d’une guerre fratricide.
Au cours de l’année 1874, nous avons pu remarquer une augmentation significative du pourcentage de numéros publiés illustrant le conflit carliste (77 %). La représentation du conflit carliste décomposée en plusieurs illustrations ne cesse d’augmenter au fur et à mesure des publications. Nous constatons d’ailleurs que les dessinateurs deviennent de véritables correspondants de guerre à travers leurs dessins sur lesquels ils précisent, de plus en plus, des informations géographiques ou militaires.
Figure 7.
« Acontecimientos militares en el norte – apuntes remitidos por nuestro especial artista Sr. De Pellicer », « Llegada de nuestro artista al puente sobre la ría de Guriezo incendiado por la facción navarrete », « El General Primo de Rivera reconociendo las posiciones del enemigo », « Paso de la Escuadrilla de operaciones con rumbo a Portugalete (vista desde Onton) », « Avance de la división Primo de Rivera desde Onton a Somorrostro » .
La Ilustración Española y Americana,n°9 publié le 8 mars 1874. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Dans le n° 9 publié le 8 mars 187417, le dessinateur Pellicer illustre quatre scènes du conflit carliste sur le front nord sans oublier d’y annoter des indications facilitant une meilleure compréhension des événements par le lectorat, alors qu’à travers ses deux autres dessins de guerre18, nous pouvons percevoir la précision et la rapidité des gestes avec lesquels il réalisa les deux scènes.
Figure 8.
« Crónica ilustrada de la Guerra en el norte (por Pellicer) », « Primer campamento que se estableció en Somorrostro, en las cercanías de la Rigada », « La barraca de periodistas de la Rigada »
La Ilustración Española y Americana,n°°20, publié le 30 mai 1874.Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Les illustrateurs sur le front ont « el hábito de percibir “a primera vista ”, de un modo “impresionista” » (Ramírez, 1988 : 54)19. La date de création de ces dessins de guerre coïncide avec l’émergence de l’Impressionnisme en France. Par ailleurs, l’apparition d’un nouvel intitulé nous laisse penser qu’effectivement les dessinateurs, et tout particulièrement Pellicer, endossent le rôle de chroniqueur de guerre. À partir du n° 20 publié le 30 mars 1874, apparaît pour la première fois le titre « Crónica ilustrada de la guerra en el norte20 ».
Figure 9.
« Crónica ilustrada de la Guerra en el norte – apuntes remitidos por el Sr. Pellicer », « El duque de la Torre visitando las posiciones del ala derecha del ejército – batería en el cerro de las arenillas »
La Ilustración Española y Americana, n°13, publié le 30 mars 1874. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Cet intitulé apparaîtra douze fois en 1874 alors que l’intitulé « guerra civil » ne sera utilisé qu’une seule fois sur cette période. En définitive, le nouveau format proposant une série de petites illustrations sur l’actualité carliste, qui est apparu dès l’été 1873, devient un genre journalistique à part entière en mars 1874, car il reçoit par les professionnels de la revue une dénomination fixe, celle de « chronique illustrée de la guerre ». L’expression est intéressante, car elle combine un genre très ancien, celui de la chronique, avec un produit issu de son temps, l’illustration imprimée. À ses débuts, la chronique est à la croisée du genre littéraire et de l’historiographie. Apparue au Moyen-Âge, la chronique mettait en récit les différentes étapes de la vie des rois et s’adressait à un public (Gil González, 2004 : 26-27). « La chronique illustrée de la guerre » vise à relater visuellement les différents temps de l’évolution du conflit.
La revue illustrée informe très régulièrement des avancées des troupes gouvernementales et des ripostes carlistes sur les différents fronts. L’armée régulière et tout particulièrement El Ejército del Norte sont manifestement au centre des représentations iconographiques21. Cette intensification de la représentation du conflit carliste et surtout de l’armée régulière prend racine incontestablement dans la nature du régime au pouvoir en Espagne dès janvier 1874. En effet, dès le mois de juillet 1873, la République fédérale doit, comme les précédents régimes politiques, faire face à l’expression des différentes forces de l’opposition en Espagne. Le cantonalisme est réprimé à feu et à sang (Barón Fernández, 1998). Afin de maintenir le régime républicain dont le chef du pouvoir exécutif serait le général Serrano, le général Pavía se soulève contre le gouvernement de Castelar le 3 janvier 1874. Néanmoins, Serrano installe une véritable dictature dès son arrivée au pouvoir. Les garanties constitutionnelles sont par conséquent suspendues et la presse muselée (Fontana, 2007 : 403). Les mots prononcés par le nouveau président du gouvernement Zabala en 1874 sont révélateurs du régime mis en place et du contrôle exercé par la censure sur la presse : « se había agravado la censura de prensa, se hallaba la nación en estado de sitio, existían comisiones militares en las provincias para juzgar de los delitos de conspiración, no se podían publicar más noticias que las oficiales sobre la guerra » (Fontana, 2007 : 405)22. Par conséquent, il semble que la revue illustrée en 1874 ait fortement été influencée, dans le choix des représentations iconographiques imprimées, par l’idéologie au pouvoir et qu’elle ait ainsi participé à la propagande de la dictature mise en place par le général Serrano.
Après l’armée régulière, c’est au tour du nouveau roi Alphonse XII de Bourbon, arrivé au pouvoir après le pronunciamiento de Martínez Campos à Sagonte, de devenir une figure emblématique des dessins de guerre. En effet, au mois de février 1875, le nouveau roi incarne son rôle de chef des armées en se rendant directement sur le front nord pour donner des directives et insuffler de l’énergie aux troupes dont le moral faiblit au fil des batailles. La revue illustrée témoigne de l’implication du monarque sur le front nord, notamment à travers le dessin « S.M. el Rey en el Ejército del Norte23 ».
Figure 10.
« De Peralta a Tafalla: S. M. El Rey se adelanta galopando al Estado Mayor y Escolta – (Cróquis del Sr. Pellicer) ».
La Ilustración Española y Americana, n° 5, publié le 8 février 1875. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Force est de constater que dès le début de la Restauration, les images qui illustrent l’actualité carliste dominent amplement les représentations iconographiques de la revue. En effet, 86 % des numéros publiés illustrent le conflit carliste et le nombre de planches consacrées à l’illustration du conflit par numéro ne cesse d’augmenter. Parallèlement, le nombre de « chroniques illustrées de la guerre » progresse à cette période : nous avons pu comptabiliser en tout 44 pages illustrées intitulées ainsi.
Figure 11.
« Crónica ilustrada de la guerra – (dibujo del Sr. Pellicer) », « Navarra – acción de monte Esquinza, el 2 del actual: defensa en las trincheras ».
La Ilustración Española y Americana, n°22, publié le 15 juin 1875. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Les dessinateurs chroniqueurs continuent de représenter parfois une seule scène très détaillée et réaliste24, ou bien plusieurs scènes légendées proposant des arrêts sur images tout au long du conflit25.
Figure 12.
« Crónica ilustrada de la guerra – (cróquis del Sr. Pellicer) ».
La Ilustración Española y Americana, n°11, publié le 22 mars 1875. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Nous avons le sentiment que les dessinateurs se prennent de passion pour l’évolution du conflit carliste lorsqu’ils tiennent informé très régulièrement le lectorat à travers leurs chroniques illustrées. La Ilustración Española y Americana permet au lectorat de prendre acte de la fin du conflit sur le front est, en Catalogne et dans le Centre, puis dans un deuxième temps sur le front nord avec les trois illustrations au titre évocateur « últimas etapas de la Guerra Civil »26, dernière chronique illustrée de la troisième guerre carliste.
Figure 13.
« Últimas etapas de la Guerra Civil », « Ejército de la derecha – combate de Peña Plata: toma del alto del centinela por el batallón cazadores de Cataluña », « Ejército de la izquierda – presentación de carlistas a indulto al cuartel general, en Alsáua », « Ejército de la derecha ─ vista panorámica del campo donde se han librado las acciones de Santa Bárbara de Oteiza y Montejurra (Cróquis del natural por el Teniente Coronel de E. M. D. Luis Marenco) »
La Ilustración Española y Americana, n°9 publié le 08 mars 1876. Source : Bibliothèque nationale d’Espagne.
Conclusion
La Ilustración Española y Americana est à la fois un témoignage rare et un témoignage clé de la troisième guerre carliste (1869-1876). Alors que l’illustration imprimée fait tout juste son apparition dans la presse espagnole, les professionnels de la revue illustrée assistent à l’émergence d’une nouvelle guerre carliste qu’ils traduisent en images à partir de la déclaration de guerre officielle réalisée par Carlos VII en avril 1872. À l’issue de l’étude réalisée, nous pouvons conclure que plusieurs facteurs entrent en jeu dans la narration visuelle du conflit carliste. Les dessinateurs, observateurs premiers de la réalité belliqueuse, jouent un rôle essentiel dans la transposition du réel. Néanmoins, l’éditeur Abelardo de Carlos ─ influencé certainement par l’évolution du conflit en lui-même ─ a contribué à orienter la perception du conflit carliste au sein de la population espagnole. Nous pouvons observer plusieurs stratégies médiatiques qui résultent du choix opéré dans la sélection des images et de leur titre. Tout d’abord, la revue illustrée passe sous silence la réalité des premiers mouvements insurrectionnels carlistes, puis atténue l’horreur des combats. L’éditeur cherche à rassurer certainement l’opinion publique au sujet de cette insurrection carliste. Or, l’année 1873 s’annonce périlleuse pour les troupes républicaines. La revue illustrée change radicalement sa communication à l’égard du conflit carliste dans ses titres, « l’insurrection carliste » devient « la guerre civile », mais aussi dans sa forme, les illustrations deviennent de véritables « chroniques illustrées de la guerre ». Abelardo de Carlos souhaite certes informer ses lecteurs, mais il souhaite également donner de l’ampleur à sa revue. L’éditeur est également reconnu pour ses qualités de chef d’entreprise. Il ne semble plus redouter de parler ni d’illustrer cette nouvelle guerre civile. Il innove donc avec ses collaborateurs pour, au contraire, capter l’intérêt des lecteurs-spectateurs. Les nombreuses « chroniques illustrées de la guerre » devaient à la fois inquiéter et tenir en haleine les lecteurs. Entre mai 1872 et la fin du conflit, la revue illustrée traduit en images aussi bien les défaites que les victoires des deux Espagne en lutte. Elle fait preuve d’une certaine objectivité dans le traitement de l’information par l’image à l’exception de deux périodes : la fin de la monarchie d’Amédée Ier et la dictature du général Serrano. Un facteur historique, l’attentat subi par le couple royal en juillet 1872, et un facteur idéologique, la propagande mise en place par le dictateur Serrano, sont également intervenus dans la mise en images de ce véritable récit visuel de la troisième guerre carliste.