Déplacements de supporters et protection de l’ordre public : les Stéphanois mis sur la touche

Note sous TA Clermont‑Ferrand, ord., 12 février 2022, Association D2S, n° 2200314

DOI : 10.52497/revue-cmh.1461

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Texte intégral

Le 28 mai 2022 s’est tenue la finale de la Ligue des Champions opposant le club anglais du Liverpool FC au club espagnol du Real Madrid. Ce qui devait être une fête s’est transformé en scènes de chaos : vols, agressions, billets falsifiés, portiques de sécurité escaladés par les supporters… À deux ans des Jeux Olympiques de Paris, ces troubles graves à l’ordre public ont fait le tour du monde. Les compétitions nationales ne sont pas en reste : les interdictions de déplacement des supporters se multiplient dans le milieu du football. Récemment, un arrêté ministériel a interdit le déplacement des supporters marseillais à Nice1. Interdire préalablement plutôt que de se préparer à réceptionner semble être le leitmotiv des autorités compétentes en matière de gestion de ces incidents.

L’ordonnance n° 2200314 du 12 février 2022 rendue par le tribunal administratif de Clermont‑Ferrand s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle en apportant des précisions au sujet de la restriction de déplacement des supporters en cas de risques de troubles graves à l’ordre public.

Les faits commencent à devenir habituels. Les clubs de football du Clermont Foot 63 et de l’Association Sportive de Saint‑Étienne devaient s’affronter pour le compte de la 24e journée du championnat de Ligue 1 de la saison 2021‑2022. En raison des risques induits par le déplacement des supporters stéphanois, le préfet du Puy‑de‑Dôme a pris un arrêté le 9 février 2022 visant à interdire à toute personne se prévalant de la qualité de supporter de l’AS Saint‑Étienne ou se comportant comme tel, à l’exception des personnes munies d’un billet ou d’une contremarque délivrée par le club Clermont Foot 63, de circuler ou stationner sur la voie publique dans un périmètre délimité autour du stade Gabriel‑Montpied, de 11 heures à 19 heures le dimanche 13 février 2022.

L’association de défense des supporters stéphanois saisit le juge des référés afin de demander la suspension de l’arrêté en question sur le fondement de l’article L. 521‑2 du Code de justice administrative. Par ce référé‑liberté, l’association évoque une atteinte grave à diverses libertés, à savoir celles d’aller et venir, d’association, de réunion mais aussi d’expression.

Il s’agissait alors de savoir si un arrêté préfectoral d’interdiction de déplacement de supporters dans un périmètre délimité autour d’un stade de football, justifié par des risques de troubles à l’ordre public, portait une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés des personnes visées.

Répondant par la négative, le juge des référés rappelle que :

L’existence d’une atteinte à l’ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu’elles visent dès lors que leur seule présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public.

Les réflexions induites par cette ordonnance ont une double portée. D’une part, l’analyse de cette décision donne à voir une affaire touchant le territoire clermontois et s’inscrit à ce titre dans la jurisprudence locale, objet de ce colloque. D’autre part, cette étude permettra une réflexion à plus grande échelle, tant la voie choisie par le juge ressemble aux décisions rendues sur des faits semblables sur le territoire national et, par là même, de s’interroger sur une éventuelle spécificité locale.

Aussi, cette affaire permet d’appréhender l’appréciation objective de la restriction de déplacement des supporters stéphanois (I) opérée par le juge des référés, tout en observant l’orthodoxie dont il fait preuve en suivant la jurisprudence du Conseil d’État dans la gestion des supporters (II).

I. Une appréciation objective de la restriction de déplacement des supporters stéphanois

Le juge des référés du tribunal administratif de Clermont‑Ferrand réalise une appréciation objective de la justification de l’arrêté. Il ne prend pas en compte le comportement des supporters visés par l’arrêté. Cependant, cela ne donne pas un blanc‑seing au représentant de l’État dans le département, car ce dernier doit circonscrire la restriction dans un cadre aussi bien spatial que temporel (A). Du reste, l’obligation de motivation d’une décision administrative restreignant les libertés impose de démontrer la présence de risques avérés d’une particulière gravité. Lorsque cette démonstration est faite, le régime préventif d’interdiction préalable de déplacement est souvent favorisé par le juge des référés (B).

A. Une restriction des libertés nécessairement bornée par un cadre spatio‑temporel

Dans un contexte de prolifération des arrêtés d’interdiction de déplacements collectifs de supporters, il convient d’appréhender la base légale de ces mesures par une étude du dispositif, et ce, afin de comprendre les critères d’appréciation de la proportionnalité des mesures prises à l’occasion du match opposant Clermont‑Ferrand à Saint‑Étienne.

Pour faire face aux débordements entourant les manifestations sportives, la loi n° 2011‑267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite « LOPPSI 2 » a créé les articles L. 332‑16‑1 et L. 332‑16‑2 du Code du sport2. Cette loi étoffe les moyens juridiques permettant d’assurer la sécurité de ces événements en agissant notamment sur le déplacement des supporters. Partant, un dispositif à double détente est mis en place. D’une part, le préfet peut restreindre la liberté d’aller et venir. D’autre part, le ministre de l’Intérieur peut interdire le déplacement des supporters. Un cumul des deux actions est même envisageable : il est possible de prendre un arrêté ministériel d’interdiction lorsque l’arrêté préfectoral de restriction est jugé comme étant une mesure insuffisante pour prévenir les risques de troubles graves à l’ordre public. Dans notre affaire, seul un arrêté préfectoral a été pris, et ce, sans avoir été complété par un arrêté ministériel. En pratique, l’utilisation de ces mesures était timide à ses balbutiements, mais s’est généralisée en quelques années. Entre les saisons 2011‑2012 et 2019‑2020, le nombre est passé de trois à soixante‑treize arrêtés. Cette augmentation de 2 333 % en moins de dix ans illustre parfaitement la banalisation de ces mécanismes.

L’article L. 332‑16‑2 du Code du sport concerne le représentant de l’État. Ses dispositions prévoient une obligation légale de limitations spatio‑temporelles tout en évitant les interdictions générales et absolues. En premier lieu, l’arrêté préfectoral du 9 février 2022 trace un périmètre en nommant expressément les voies publiques concernées. Cette première limitation permet ainsi d’éviter le contact entre les supporters à proximité du stade. En second lieu, la mesure est limitée dans le temps à une durée nécessaire et raisonnable laissée à l’appréciation du préfet. En l’espèce, la restriction s’applique à une plage horaire s’étalant de 11 heures à 19 heures pour un coup d’envoi prévu à 15 heures.

Les faits postérieurs à l’arrêté sont particulièrement intéressants et permettent d’apprécier l’efficacité de la mesure. Malgré celle‑ci, cent quarante membres du plus puissant groupe de supporters stéphanois se sont déplacés. Évitant les abords du stade, ils se sont rendus au centre‑ville de Clermont‑Ferrand le matin, puis vers le lieu de la rencontre. Raccompagnés par les forces de l’ordre, ils ont finalement été repoussés hors du périmètre et escortés jusqu’à leurs véhicules. Cette venue des supporters stéphanois a provoqué une rixe se terminant avec un blessé léger, ainsi que des dégradations de véhicules. Manifestement, l’arrêté n’a pas empêché le déplacement des supporters, d’autant plus que ces derniers ont pu se déporter vers le centre‑ville en emportant avec eux les troubles à l’ordre public vers des lieux dépourvus de forces de l’ordre.

Par conséquent, une conciliation devait être faite : empêcher le déplacement des supporters stéphanois sans formuler d’interdiction générale et absolue. Au vu de ces limites spatio‑temporelles, le juge des référés a donc estimé que l’arrêté préfectoral était conforme à la législation. En définitive, la compréhension pour ce dernier des spécificités locales est un réel atout pour appréhender ces déplacements qui nécessitent d’avoir une connaissance poussée des lieux ou des habitudes des supporters. Une critique peut néanmoins être formulée quant à l’efficacité réelle de l’arrêté au vu des troubles causés.

Par suite, cette ordonnance rappelle la nécessité de justifier l’arrêté par la présence de risques avérés d’une particulière gravité.

B. Un régime préventif favorisé en présence de faits avérés d’une particulière gravité

Comme le prévoit l’article 1er de la loi n° 79‑587 du 11 juillet 1979, dès lors que des mesures restreignent « l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police », une obligation de motivation de la décision administrative s’impose. Ainsi, diverses libertés sont invoquées par l’association de défense des supporters stéphanois. Ces derniers invoquent une « atteinte grave à la liberté d’aller et venir à une manifestation sportive » qui ne fait aucun doute, mais aussi à la liberté d’association, de réunion, la liberté d’expression, qui sont des libertés fondamentales3 au sens de l’article L. 521‑2 du Code de justice administrative.

Pour autant, toute atteinte à une ou plusieurs libertés n’est pas systématiquement illégale. Celle‑ci doit être justifiée et c’est pour cette raison que la mesure doit se fonder sur des risques ou des faits avérés. La loi exige de démontrer que la présence des supporters « est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public ». Or, l’arrêté le fait en s’appuyant sur des « troubles […] constatés depuis le début de la saison 2021‑2022 lors de matchs de Ligue 1 accueillant l’AS Saint‑Étienne en tant que visiteur ». Le juge des référés remarque que le préfet a notamment pris en compte la proximité géographique des deux villes, l’enjeu du match pour le classement, la présence de supporters ultras dans le département, mais également la menace terroriste. En outre, il est intéressant de constater que le juge clermontois tire des conséquences de faits passés dans des lieux extérieurs au territoire strictement local. En considération de ces événements passés et des enjeux, le tribunal administratif clermontois a considéré que les mesures restrictives de libertés étaient justifiées.

Par ailleurs, cette décision permet de porter un regard sur la spécificité de la solution à l’aune des autres décisions en la matière. L’analyse jurisprudentielle des affaires relatives aux interdictions de déplacement de supporters fait apparaître un rejet quasi‑systématique des recours formés par les associations, laissant même une impression d’application arithmétique. Sur les treize décisions4 rendues en la matière par le Conseil d’État lors des cinq dernières années, une seule suspension a été prononcée. À noter que cette unique suspension d’un arrêté était justifiée par le manque de détails dans la justification de la portée des interdictions, tant en ce qui concerne les risques de troubles graves pour l'ordre public que la proportionnalité des mesures prises5. La validation quasi‑systématique des arrêtés laisse penser que le juge opère un calcul relativement simple, presque algorithmique : selon lui, si une restriction spatio‑temporelle est posée et qu’il existe des risques de troubles graves pour l’ordre public, alors la demande de suspension de l’arrêté est rejetée. Ainsi, le juge donne presque toujours raison à l’administration. De manière très pragmatique, il préfère sûrement le mécontentement de quelques supporters, plutôt que de risquer de laisser passer des troubles en suspendant un arrêté préfectoral et être tenu pour responsable des débordements. À ce titre, une reprise par les médias de tels événements aurait à coup sûr des effets délétères sur l’image du juge, à l’instar des critiques formulées à l’encontre du ministre de l’Intérieur et des Outre‑mer, Gérald Darmanin, en raison des incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 en marge de la finale de la Ligue des Champions.

Au vu de ces circonstances, le juge des référés a considéré que la mesure était proportionnelle aux risques encourus. La décision est certes justifiée, mais la réflexion arithmétique laisse la casuistique en dehors du raisonnement du juge et renforce la prévisibilité des rejets. En conséquence, le tribunal administratif donne l’impression d’être une chambre d’enregistrement des arrêtés d’interdiction de déplacement des supporters. Néanmoins, faut‑il le blâmer pour cela, sachant qu’il ne fait qu’appliquer la jurisprudence du Conseil d’État ? Le juge clermontois n’a pas fait état d’une grande originalité en l’espèce, cette orthodoxie jurisprudentielle étant également l’occasion d’appréhender les lacunes dans la gestion des supporters en France.

II. Une jurisprudence orthodoxe dans la gestion des supporters

Bien que justifiée, une telle décision est‑elle pour autant satisfaisante ? Celle‑ci est appliquée depuis une dizaine d’années et semble vouée à s’inscrire dans la durée. Néanmoins, l’étude critique de cette solution fait apparaître des imperfections, voire des insuffisances. Dès lors, si une appréciation objective est dictée par une certaine orthodoxie jurisprudentielle (A), son incohérence et les défauts du régime législatif montrent la nécessité de faire évoluer la gestion des supporters ultras vers plus de libéralisme (B).

A. Une appréciation objective en manque de cohérence

L’analyse des ordonnances du Conseil d’État permet de relever que lors des cinq dernières années, huit décisions de rejet6 sur les douze constatées reprennent l’exigence d’une appréciation réalisée :

objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leurs déplacements que sur le lieu de la manifestation sportive.

Cette jurisprudence, combinée au dispositif législatif, perdure, mais trois points sont critiquables, surtout si elle a vocation à se prolonger.

D’abord, le considérant de principe est antinomique. Il est tiré de la jurisprudence du Conseil d’État7, dont il semble que l’appréciation « objective » interdise de prendre en compte le comportement des personnes que les interdictions visent. Cependant, le Code du sport précise que le préfet de police peut interdire la venue des supporters ou des personnes « se comportant comme tels ». D’un côté, la jurisprudence exige une appréciation objective sans tenir compte du comportement des supporters ; de l’autre, le législateur exige d’analyser le comportement des éventuels supporters. L’incertitude règne. Somme toute, il est d’autant plus compliqué d’effectuer un contrôle indépendant du comportement lorsque le passif des supporters, et donc leur comportement, est pris en compte pour interdire leur venue.

Ensuite, l’appréciation objective des troubles à l’ordre public devrait mener à une sanction objective, c’est‑à‑dire une sanction qui aurait dû viser les supporters des deux équipes en prononçant un match à huis clos. Or, la sanction prononcée ne remplit pas ce caractère d’objectivité, en ce qu’elle ne concerne que les supporters stéphanois. En outre, ces sanctions objectives font déjà partie de l’arsenal à disposition du juge, car elles ont été validées par le Conseil d’État dans une ordonnance portant sur la fermeture des débits de boissons en 20058. Par ailleurs, une appréciation objective ne devrait pas être aussi fréquente en matière de libertés fondamentales, car elle permet aux autorités compétentes de réduire les justifications des arrêtés. C’est ainsi qu’à la faveur de cette appréciation objective, l’arrêté mentionne les incidents commis par les supporters stéphanois, mais ne cite aucun contentieux récent opposant les deux camps.

Enfin, le dispositif à double détente, composé de l’arrêté préfectoral pouvant être doublé d’un arrêté ministériel lorsque le premier est insuffisant, est hautement critiquable. Ceci permet certes une cohérence aux niveaux déconcentré et central en appuyant une première décision, mais « présente une sécurité juridique plus grande en cas de recours9 », favorable à l’administration. En effet, les décisions ministérielle et préfectorale coexistent et la suspension de l’une est sans effet sur l’autre. De plus, dans la pratique, l’annulation de l’arrêté préfectoral s’effectue devant le tribunal administratif et l’annulation de l’arrêté ministériel devant le Conseil d’État10. L’Olympique de Marseille a d’ailleurs intenté un tel recours en joignant les deux procédures, mais sans trouver satisfaction11. Cette addition d’arrêtés a pour conséquence de limiter l’effectivité des recours de la part des supporters et présente un caractère restrictif à l’encontre des libertés.

Cette ordonnance constitue une jurisprudence qui n’est locale que par son implantation territoriale. Profondément ancré dans la ligne fixée par le Conseil d’État, ce mimétisme jurisprudentiel est une solution privilégiée par le juge lorsqu’il ne souhaite pas prendre de risques et reste donc logique en l’espèce. Cependant, ce considérant de principe interroge quant à sa cohérence et indispose les supporters. Un regard doit alors être porté vis‑à‑vis de la gestion globale des supporters qui en appelle à plus de libéralisme.

B. Une évolution pressante vers plus de libéralisme

Comme pour nombre d’autres affaires similaires, le juge des référés clermontois a appliqué la jurisprudence du Conseil d’État. Or la pérennisation de celle‑ci ne doit pas conduire à une léthargie réflexive. Il serait alors opportun de chercher des alternatives à ces mesures liberticides.

Le régime de l’interdiction préalable constitue le régime le plus illibéral. Probablement contre‑intuitif pour le profane, le régime répressif demeure moins liberticide que le régime préventif. En l’espèce, le Code du sport met en place un régime permettant une interdiction préalable de déplacement des supporters. Or son utilisation excessive, en dépit des mécanismes répressifs déjà mis à disposition des autorités, suscite de l’inquiétude. En effet, cet arsenal répressif comprend notamment l’interdiction administrative de stade qui peut être assortie d’une obligation de pointage12 ou la dissolution et la suspension des associations de supporters13. De plus, les sanctions pénales sont complémentaires aux sanctions administratives. Il peut s’agir de sanctions en cas de provocation à la haine ou à la violence14, blessures volontaires à l’encontre d’un joueur ou d’un autre supporter15 ou encore de violences contre les arbitres16. La répression est la voie qui peut et doit être privilégiée au détriment de l’interdiction préalable. Certes, permettre l’exercice des libertés constitue un risque, mais doit appeler une refonte de la gestion du phénomène du supportérisme ultra par l’utilisation combinée des mécanismes précités. Or, tant la jurisprudence que les politiques en la matière sont bien trop ancrées dans le temps pour envisager un changement à court terme. Pour le long terme, il serait opportun de responsabiliser chaque acteur du monde du football : la ligue, les clubs, les stades, le législateur, mais aussi et surtout les groupes de supporters. Il ne s’agit donc pas de s’opposer frontalement à ces mesures préventives, mais de ne les réserver qu’en dernier recours et non de les mettre en œuvre de façon excessive.

Par suite, en l’espèce, malgré l’orthodoxie précédemment évoquée, une divergence reste notable. En 2014, concernant l’interdiction de déplacement des supporters lensois à Bastia, le Conseil d’État s’est lancé à la recherche d’alternatives pour éviter les troubles à l’ordre public en sondant « d'autres mesures […] de nature à éviter la survenance de troubles graves à l'ordre public17 ». Cette entreprise fut vaine mais reste louable. L’ordonnance du tribunal administratif de Clermont‑Ferrand ne fait pas mention d’un tel effort, ce qui est regrettable. Cela s’explique sûrement par le fait que, de manière singulière, l’arrêté autorise les personnes munies d’un billet ou d’une contre‑marque délivrée par le club Clermont Foot 63 à se rendre au stade, ce qui représente déjà un effort des autorités administratives pour assouplir la mesure de restriction. Il prend également en compte la fermeture de la tribune visiteurs, rendant l’identification des supporters en déplacement plus difficile. Il s’agit donc d’un pis‑aller peu satisfaisant pour la plupart des supporters stéphanois et dans la continuité des mesures subjectives et préventives.

En définitive, cette décision locale et son manque d’originalité doivent mener à se poser des questions sur les conséquences de mesures aussi liberticides. Le juge clermontois se réfugie derrière une jurisprudence peu audacieuse, bien que compréhensible. Il ne veut pas être pointé du doigt pour son inaction en cas de troubles à l’ordre public, mais entretient une situation d’apparence satisfaisante. Pourtant, les conséquences sont aussi bien néfastes sportivement qu’économiquement, allant même jusqu’à la remise en cause du mouvement ultra en France18. De surcroît, les débordements au Stade de France lors de la finale de la Ligue des Champions entre le Real Madrid et le Liverpool FC ont montré que la réception de supporters internationaux est une difficulté encore mal appréhendée. À l’aube des Jeux Olympiques de Paris en 2024 et du déploiement du phénomène du supportérisme ultra dans d’autres sports ou d’autres domaines, comme les sports électroniques, il est plus que jamais nécessaire d’apprendre à gérer les flux de supporters au niveau national avant d’être tourné en ridicule à l’arrivée d’un public international. Il est indispensable d’apprendre à vivre avec ce phénomène plutôt que de cacher la poussière sous le tapis. Responsabiliser les acteurs du monde du football doit être le nouveau leitmotiv.

Les propos du commissaire du gouvernement Louis Corneille tenus en 1917 sont plus que jamais d’actualité à la lecture de cette ordonnance, de sa lignée jurisprudentielle et du cadre législatif. Dans ses conclusions sur l’arrêt « Baldy », il s’exprimait ainsi :

La liberté est la règle, la restriction de police l’exception19.

Il doit en rester ainsi. Gare aux libertés abandonnées car le temps finit par les emporter.

1 Arrêté n° IOMD2223983A du 25 août 2022 portant interdiction de déplacement des supporters du club de football de l’Olympique de Marseille lors de

2 L’article L. 332‑16‑1 du Code du sport concerne les mesures d’interdiction pouvant être prises par le ministre de l’Intérieur tandis que l’article 

3 Libertés fondamentales au sens de l’article L. 521‑2 du Code de justice administrative affectées par la mesure : liberté d’aller et venir (CE, ord.

4 Par ordre chronologique : CE, ord., 19 mai 2018, n° 420759 ; CE, ord., 22 novembre 2018, n° 425530 ; CE, ord., 16 mars 2019, n° 428893 ; CE, ord.

5 CE, ord., 18 janvier 2020, Association nationale des supporters, n° 437733.

6 Parmi les 13 décisions préalablement citées, 12 ont conduit à un rejet et 8 ont mobilisé le considérant de principe reprenant l’appréciation

7 V. par ex. CE, ord., 12 septembre 2014, Association « Red Tigers », n° 384405.

8 CE, ord., 23 mais 2014, Ministre de l’Intérieur c/ SARL Liau, n° 380376 : Le Conseil d’État a porté une appréciation objective des risques

9 Saïd Ould‑Yahia, « Institutions - Manifestations sportives - Restriction de déplacement des supporters : (I) un dispositif aux pouvoirs étendus »

10 CE, 30 décembre 2016, n° 395337 : Se prononçant à l’occasion d’un recours exercé par plusieurs associations de défense d’intérêts des supporters

11 CE, ord., 29 mars 2013, n° 367274 : Le Conseil d’État s’est estimé « incompétent pour connaître en premier ressort de la contestation de cet 

12 Art. L. 332‑16 Code du sport.

13 Art. L. 332‑18 Code du sport.

14 Art. L. 332‑6 Code du sport et art. 24 de la loi du 29 juillet 1881.

15 Art. 222‑11 Code pénal.

16 Art. L. 223‑2 Code du sport.

17 CE, ord., 12 septembre 2014, Association « Red Tigers », n° 384405.

18 Bérangère Ginhoux, « Est‑ce la fin du mouvement ultra en France ? », Mouvements, n° 78, 2014, p. 107.

19 Louis Corneille, conclusions sur l’arrêt CE, 10 août 1917, Baldy, n° 59855.

Notes

1 Arrêté n° IOMD2223983A du 25 août 2022 portant interdiction de déplacement des supporters du club de football de l’Olympique de Marseille lors de la rencontre du dimanche 28 août 2022 à 15h00 avec l’Olympique Gymnaste Club de Nice.

2 L’article L. 332‑16‑1 du Code du sport concerne les mesures d’interdiction pouvant être prises par le ministre de l’Intérieur tandis que l’article L. 332‑16‑2 du même Code concerne les mesures de restriction pouvant être prises par le préfet.

3 Libertés fondamentales au sens de l’article L. 521‑2 du Code de justice administrative affectées par la mesure : liberté d’aller et venir (CE, ord., 9 janvier 2001, Desperthes, n° 228928), liberté de réunion (CE, ord., 19 août 2002, Front national, Institut de formation des élus locaux, n° 249666), liberté d’expression (CE, 6 février 2015, Cne de Cournon‑d’Auvergne, n° 387726).

4 Par ordre chronologique : CE, ord., 19 mai 2018, n° 420759 ; CE, ord., 22 novembre 2018, n° 425530 ; CE, ord., 16 mars 2019, n° 428893 ; CE, ord., 2 mai 2019, n° 430339 ; CE, ord., 18 janvier 2020, n° 437733 ; CE, ord., 28 août 2020, n° 443387 ; CE, ord., 28 septembre 2020, n° 428897 ; CE, ord., 14 juillet 2021, n° 454527 ; CE, ord., 4 décembre 2021, n° 459088 ; CE, ord., 8 décembre 2021, n° 459183 ; CE, ord., 22 décembre 2022, n° 458593 ; CE, ord., 9 février 2023, n° 471184 ; CE, ord., 20 avril 2023, n° 473418.

5 CE, ord., 18 janvier 2020, Association nationale des supporters, n° 437733.

6 Parmi les 13 décisions préalablement citées, 12 ont conduit à un rejet et 8 ont mobilisé le considérant de principe reprenant l’appréciation objective, à savoir, par ordre chronologique : CE, ord., 19 mai 2018, n° 420759 ; CE, ord., 22 novembre 2018, n° 425530 ; CE, ord., 16 mars 2019, n° 428893 ; CE, ord., 2 mai 2019, n° 430339 ; CE, ord., 4 décembre 2021, n° 459088 ; CE, ord., 22 décembre 2022, n° 458593 ; CE, ord., 9 février 2023, n° 471184 ; CE, ord., 20 avril 2023, n° 473418.

7 V. par ex. CE, ord., 12 septembre 2014, Association « Red Tigers », n° 384405.

8 CE, ord., 23 mais 2014, Ministre de l’Intérieur c/ SARL Liau, n° 380376 : Le Conseil d’État a porté une appréciation objective des risques entourant les soirées d’une boîte de nuit. Il suspend l’arrêté du préfet du Gard en tant que la fermeture de l’établissement excède une durée de trois semaines. La sanction est objective en ce qu’elle doit être prise indépendamment du comportement des gérants mais plutôt en fonction des personnes fréquentant l’établissement. Appliquée aux supporters, cette jurisprudence aurait dû conduire à interdire également l’accès au stade aux supporters clermontois et donc de prononcer un match à huis clos.

9 Saïd Ould‑Yahia, « Institutions - Manifestations sportives - Restriction de déplacement des supporters : (I) un dispositif aux pouvoirs étendus », Jurisport, n° 136, 2013, p. 37.

10 CE, 30 décembre 2016, n° 395337 : Se prononçant à l’occasion d’un recours exercé par plusieurs associations de défense d’intérêts des supporters, le Conseil d’État admet implicitement sa compétence en premier et dernier ressort pour se prononcer sur un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté du ministre de l’Intérieur portant interdiction de déplacement de supporters.

11 CE, ord., 29 mars 2013, n° 367274 : Le Conseil d’État s’est estimé « incompétent pour connaître en premier ressort de la contestation de cet arrêté ».

12 Art. L. 332‑16 Code du sport.

13 Art. L. 332‑18 Code du sport.

14 Art. L. 332‑6 Code du sport et art. 24 de la loi du 29 juillet 1881.

15 Art. 222‑11 Code pénal.

16 Art. L. 223‑2 Code du sport.

17 CE, ord., 12 septembre 2014, Association « Red Tigers », n° 384405.

18 Bérangère Ginhoux, « Est‑ce la fin du mouvement ultra en France ? », Mouvements, n° 78, 2014, p. 107.

19 Louis Corneille, conclusions sur l’arrêt CE, 10 août 1917, Baldy, n° 59855.

Citer cet article

Référence électronique

Teva BENAGES, « Déplacements de supporters et protection de l’ordre public : les Stéphanois mis sur la touche », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 26 | 2023, mis en ligne le 20 juillet 2023, consulté le 01 mai 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=1461

Auteur

Teva BENAGES

doctorant contractuel en droit public, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de L’Hospital UR 4232, F‑63000 Clermont‑Ferrand, France

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