« À l’exemple des Abeilles » : Daniel Thaly poète-apiculteur

DOI : 10.52497/sociopoetiques.1940

Résumés

Cet article a pour dessein de faire connaître le poète antillais Daniel Thaly (1879-1950) qui cumule les fonctions de poète et d’apiculteur. Dans son recueil L’île et le voyage, Thaly consacre le Quatrième Chant à « La maison aux abeilles » : il y célèbre les insectes dont il s’occupe et qui lui enseignent de concert un art de vivre et un art poétique.
L’exemple de Thaly montre comment la pratique de l’apiculture informe la poésie, notamment en renouvelant le rapport de l’homme au paysage. L’apiculture et l’observation des abeilles entraînent également le poète à ériger ces insectes en modèles poétiques : le motif de l’abeille est fréquemment utilisé en poésie pour représenter la pratique de l’innutrition. En effet, telle l’abeille, le poète butine çà et là, et s’inspire de ses lectures, pour produire son miel, résultat poétique de ses influences. Le cas de Daniel Thaly est intéressant puisque nous traitons d’un poète francophone, dans une situation coloniale marquée par l’influence des littératures occidentales et par la force de l’assimilation. Thaly et la métaphore apiaire invitent à se pencher sur les notions d’imitation, d’innutrition et d’originalité dans le cadre de la colonisation antillaise. Le prisme de l’apiculture offre ici un nouveau regard sur une écriture trop longtemps recluse dans la catégorie des imitations serviles et stigmatisée, par la critique, en littérature régionaliste, exotique et doudouiste.

The purpose of this article is to introduce the West Indian poet Daniel Thaly (1879-1950), who was both a poet and a beekeeper. In his collection of poems L’île et le voyage, Thaly devotes the Fourth Chant to "La maison aux abeilles" (The house of bees), in which he celebrates the insects he cares for, which teach him both an art of living and an art of poetry.
Thaly’s example shows how the practice of beekeeping informs poetry, particularly by renewing man’s relationship with the landscape. Beekeeping and the observation of bees also led the poet to set up these insects as poetic models: the motif of the bee is frequently used in poetry to represent the practice of innutrition. Like the bee, the poet gleans inspiration from his readings to produce his own honey, the poetic result of his influences. The case of Daniel Thaly is an interesting one, since we are dealing with a French-speaking poet in a colonial situation marked by the influence of Western literature and the force of assimilation. Thaly and the apiary metaphor invite us to examine the notions of imitation, innutrition and originality in the context of West Indian colonisation. Here, the prism of beekeeping offers a fresh look at a form of writing that for too long has been relegated to the category of servile imitation and stigmatised by critics as regionalist, exotic and doudouist literature.

Index

Mots-clés

Thaly (Daniel), poésie francophone, post-abolitionnisme, apiculture, Martinique, Dominique, créole, littérature, régionalisme, paysage, imitation, cannibalisme littéraire

Keywords

Thaly (Daniel), francophone poetry, post-abolitionism, beekeeping, Martinique, Dominica, creole, literature, regionalism, landscape, imitation, literary cannibalism

Plan

Texte

En 1900, Daniel Thaly, poète antillais1, publie son premier recueil, intitulé Lucioles et cantharides2, laissant présager un intérêt certain pour l’entomologie. Or, le poète ne consacre qu’un poème aux lucioles évoquées dans le titre. Il faudra attendre 1911, et le recueil Chansons de mer et d’outre mer3, pour que Thaly s’intéresse davantage aux insectes de France métropolitaine, en leur dédiant une partie intitulée « Dans le petit monde des insectes ». Il se présente comme un observateur qui s’adresse, par le biais de la poésie, aux êtres vivants, les met en scène dans des saynètes de façon assez naïve. C’est dans le recueil L’Île et le voyage, publié en 1923, que le poète Daniel Thaly propose une nouvelle représentation des insectes, et en particulier des abeilles qui deviennent un élément poétique nouveau. Si les paysages et la nature sont très présents dans la poésie de Daniel Thaly, l’agriculture et l’agriculteur n’y apparaissent que très rarement. La présence de l’apiculture et de l’apiculteur est donc précieuse et intéressante à analyser pour deux raisons : elle constitue une rare occurrence de l’agriculture à l’échelle de l’œuvre de Thaly ; Daniel Thaly cumule les fonctions de poète et d’apiculteur, et cette pratique d’élevage informe sa poésie. La poésie des abeilles permet à Daniel Thaly de parler de lui-même, poète et apiculteur, et des îles antillaises dans lesquelles il vit et d’où il écrit.

Ce poète mulâtre est né en Dominique, a grandi en Martinique : il se partage entre ces deux îles voisines dans l’archipel des Petites Antilles. Thaly a fait ses études en France métropolitaine, à Toulouse, avant de retourner au pays natal et de s’occuper de ses abeilles. Dans son recueil L’Île et le voyage4 publié en 1923, Thaly consacre le Quatrième Chant à « La maison aux abeilles »5 : il y célèbre les insectes dont il s’occupe et qui lui enseignent de concert un art de vivre et un art poétique. Par sa double vocation de poète et d’apiculteur, Daniel Thaly s’inscrit dans le paysage dominicain en agissant sur lui par le biais de l’agriculture. Le poète est présenté comme impliqué dans le paysage opérant ainsi un renouvellement de l’écriture du paysage dominicain à partir du travail de l’apiculteur et de l’attention portée aux abeilles.

Notons que Thaly écrit dans un contexte post-abolitionniste (1833 en Dominique ; 1848 en Martinique), mais encore marqué par le colonialisme et la domination politique, culturelle de l’Occident. Le poète écrit donc entre deux colonies, l’une britannique, l’autre française ; il écrit également entre deux mondes et deux cultures puisqu’il se partage entre les Antilles et l’Occident, notamment la France où il a suivi ses études. Sa poésie marque ce déchirement entre plusieurs espaces et l’on peut le constater à l’échelle du recueil étudié, L’Île et le voyage, qui se présente comme une « Petite odyssée », composée de onze chants qui retracent les allers-retours du poète d’un bord à l’autre de l’Atlantique.

Au quatrième chant du recueil, « La Maison aux abeilles », le poète qui se peint en Ulysse semble enfin bénéficier d’un moment de sédentarité : installé dans sa maison en Dominique, il peut se livrer à l’apiculture. En même temps, ce retour à la terre et à l’agriculture entraîne un renouveau dans sa poésie devenue elle aussi sédentaire. Les poèmes étudiés dans cet article sont empruntés à cette section du recueil L’Île et le voyage, qui est marquée par la sédentarité et la pratique de l’apiculture, mais nous tâcherons de montrer que le motif apiaire revient par touches dans l’œuvre de Daniel Thaly. Nous nous intéresserons aux interactions entre ces deux vocations, apiculture et écriture, afin de montrer comment la pratique de l’apiculture informe l’écriture. Le titre de cet article est emprunté au premier poème de la section « La Maison aux abeilles » et retrace bien les interactions entre apiculture et écriture puisque le poète définit son écriture comme suivant « l’exemple des abeilles ».

Thaly reprend le motif littéraire des abeilles, métaphore du poète, dans un cadre naturel antillais, dans un contexte marqué par l’aliénation culturelle. Nous pourrons donc saisir l’originalité de la métaphore apiaire, déplacée aux Antilles, tropicalisée, ainsi que les problèmes que cette délocalisation soulève puisque le poète Thaly se peint à la fois en apiculteur et en abeille. Le motif poétique des abeilles permet ainsi une représentation originale du paysage dominicain habité par le poète, mais ouvre également la voie à des réflexions métatextuelles et intertextuelles, notamment à travers la métaphore du miel. Il s’agira d’aborder les différentes postures de Daniel Thaly, en apiculteur, en apiculteur poète et butineur pour enfin saisir que le prince des poètes antillais brille davantage en tant que poète qu’en tant qu’apiculteur.

La représentation du paysage d’après un poète-apiculteur 

Thaly présente le cas d’un poète, médecin, qui s’adonne à l’apiculture. Cette passion informe sa représentation du paysage : le poète se présente en connaisseur, spécialiste de l’espace dominicain. La dimension autobiographique de la poésie de Daniel Thaly permet d’identifier le « je » lyrique comme renvoyant à Thaly, mais aussi à dresser l’équation suivante :

Je = poète = apiculteur.

Le poète qui évoque les abeilles est lui-même apiculteur, et la peinture des abeilles s’effectue par le prisme des sens et du lyrisme de Daniel Thaly. L’apiculture nécessite une certaine connaissance de la flore et de la faune : cette attention nouvelle aux espèces endémiques, aux particularités locales fait de Thaly un poète régionaliste.

Apiculture et poésie régionaliste

Le régionalisme est un courant qui apparaît en France sous la Troisième République : il s’agit, en littérature, d’un mouvement qui inscrit l’écriture dans l’espace local, le terroir dont est issu l’auteur et qui célèbre ses particularités. Anne-Marie Thiesse définit ainsi ce mouvement :

Le mouvement régionaliste se manifeste comme révolte contre l’hégémonie parisienne et revalorisation de la vie culturelle et intellectuelle provinciale. Il rejoint en ce sens les divers courants politiques et idéologiques qui critiquent la centralisation excessive du pouvoir et des instances de décision […].
[…] Le régionalisme se veut défense et illustration […] des cultures régionales : réaction contre l’uniformisation culturelle qui s’accentue à cette époque (déclin des langues vernaculaires menacées par le français national ; indifférenciation géographique des modes de vie)6.

Le régionalisme atteint son paroxysme avec le Félibrige, association littéraire qui, en 1854, se donne pour visée de défendre et illustrer les particularités de la région provençale. Ses fondateurs, Mistral, Roumanil, Brunet, Aubanel, ont mis en valeur la langue et la culture provençale dans leurs œuvres et leurs manifestes. Daniel Thaly, qui a fait ses études de médecine à Toulouse, a fortement été influencé par cette école, et sa poétique en porte les traces.

Le mouvement fleurit aux Antilles au début du xxe siècle et témoigne des progrès de la scolarisation, mais aussi de la volonté des Antillais de revendiquer leurs particularités locales, notamment à partir de l’Exposition universelle de 1900. Le régionalisme aux Antilles s’oppose à la littérature coloniale puisqu’il revendique une peinture du paysage local à partir de l’intérieur, d’un regard local. C’est ce que Romuald Fonkoua explique :

Le regard porté sur la colonie par ceux qui en ont une connaissance véritable (et une certaine conscience) est aussi ce qui définit et légitime pour une grande part la « littérature régionaliste ».
À la différence de la littérature coloniale où l’idéologie n’était pas absente […], la littérature régionaliste se consacre à la défense et à l’illustration des qualités culturelles ou folkloriques – au sens noble – d’une région (les Antilles). À l’autonomie des îles qu’ils ne revendiquent nullement d’ailleurs, les écrivains régionalistes préféreront toujours la représentation des mœurs et de l’histoire locale, le charme du pays et la couleur des paysages qui les rattachent à leurs îles7.

Daniel Thaly s’inscrit dans ce mouvement régionaliste qui célèbre les particularités locales : ici il s’agira essentiellement des particularités de l’île de la Dominique dont il est natif et depuis laquelle il écrit les poèmes étudiés. Ce régionalisme est poussé par la pratique de l’apiculture qui conduit le poète à une meilleure connaissance du paysage local – en effet l’apiculture est une branche de l’agriculture et appelle à un savoir sur la nature, ici les arbres et plantes mellifères.

L’apiculture et la poésie : l’inscription dans le paysage

Les vers de Thaly traduisent cet apport de l’apiculture : le poète s’informe sur le paysage, au milieu des abeilles, aux conditions propices à la production du miel. Les considérations de l’apiculteur deviennent les sujets de prédilection du poète, ce qui implique à la fois une connaissance du paysage, des abeilles, mais aussi une certaine sensibilité voire un rapport sensuel à la nature environnante.

Ce regard presque scientifique relève des particularités de l’écriture régionaliste. Elle se manifeste par la peinture exacte de la flore locale, avec une volonté de réalisme et une poésie quasi encyclopédique. Thaly maîtrise en effet les éléments de la flore locale et célèbre sa richesse. Dans le poème suivant, « La Maison aux Abeilles », il évoque le milieu dans lequel évoluent les abeilles :

La Maison aux Abeilles

Dès l’aube au soir l’essaim ardent et régulier
Apporte à ma cour des messages.
Je sais quand « l’épineux » porte des fleurs d’argent
Et quand c’est le mois des orages.

Je sais que les pois doux sont pleins de « sucriers »
Et les flamboyants d’oiseaux-mouches
Et que les agoutis gambadent par milliers
Dans le sentier des vieilles souches.

Je sais que l’ortolan roucoule à la fraîcheur
Du courbaril près de la source
Et que l’étang où vient s’abreuver le chasseur
Mire les feux de la Grande Ourse.
[…]
Ce soir, on est au mois où l’amour met le nid
Comme un trophée au cœur des branches,
Et mes vers accouplés volent vers l’infini
Comme des vols d’aigrettes blanches8 !

Nous notons l’emploi de la première personne du singulier, qui érige Thaly en sujet lyrique, prisme de ce paysage. La présence des abeilles à la première strophe invite le poète à s’intéresser au paysage, ce sont elles qui donnent des informations sur la flore et la faune. Thaly fait sonner les noms locaux, ce qui relève également d’une attention portée aux espèces endémiques et aux dialectes antillais. Nous notons ainsi la présence des sucriers et oiseaux mouches (colibris), aigrettes, agoutis (rongeurs) qui rendent l’espace antillais identifiable. À cela s’ajoutent les éléments de la flore : « pois doux » (légume), courbaril (arbre), flamboyants (arbre phare des Antilles).

Ensuite, toujours dans le recueil L’Île et le voyage et la section dédiée aux abeilles, le poème « À une liane » témoigne encore de cette érudition du poète sur la flore et la faune locales. Nous pouvons procéder à un rapide relevé des termes scientifiques présentés en italiques dans le texte original :

À une liane

O liane étoilée et de fleurs et de fruits,
tu parfumes mes jours et parfumes mes nuits !
Tu suspends aux bras frais d’un tamarinier grêle
Les mille serpents verts de ta verte tonnelle.
Pour cueillir sur ta tige un rose charançon,
Un jeune oiseau des bois t’apporte sa chanson,
Tu vois voler vers toi dans les aubes merveilles
Soixante colibris et plus de mille abeilles.
Les bougainvilias9 et les longs quisqualis10
Ont moins que toi l’odeur adorable des lys.
Quand un orage court, te heurte et te chavire,
le vent du sud te fait chanter comme une lyre.
Lorsque le croissant brille et que la ville dort,
la luciole en toi pose un confetti d’or ;
Et c’est l’heure indolence où vibre en ton feuillage
Le chant de l’andolite11 et du grillon sauvage.
Ô campagne odorante, ô fille des forêts,
Grâce à toi, je peux voir la nature de près,
Sans cesse je retrouve en ton jeune feuillage
Le charme et les odeurs d’un lointain paysage ;
Et toujours étoilée et de fleurs et de fruits
Tu parfumes mes jours et parfumes mes nuits12.

Le recours aux noms savants marqués par l’italique et l’emprunt au latin marquent l’insertion des termes scientifiques dans la poésie : cela provoque un double effet, à la fois d’érudition et d’exotisme. Le poète ajoute une note dans l’édition originale pour donner des précisions sur l’andolite puisqu’il s’agirait d’un terme créole pour désigner l’anolis, une espèce de petits lézards que l’on trouve aux Antilles. Il convient néanmoins d’effectuer une réserve sur l’emploi des termes régionaux et exotiques : en Martinique, on appelle les abeilles mouches à miel, mouch-a-myèl, mais Thaly préfère à ce terme le nom métropolitain pour les désigner.

Le cas de figure d’un poète apiculteur permet donc une nouvelle application du régionalisme en poésie puisqu’elle resserre les liens entre l’écrivain et le paysage dans lequel il s’inscrit. Ainsi, Thaly adopte une position d’agriculteur, d’entomologiste ou d’ornithologiste s’inspirant de Virgile dans les Georgiques et notamment du quatrième chant de ce traité d’agriculture. Il cumule autant de savoirs qui lui permettent de célébrer l’espace local, la Dominique, suivant le courant régionaliste. Ce rapport de proximité à la nature mène à une relation d’échange avec celle-ci. En effet, le poète peut communiquer voire correspondre avec l’espace qui l’entoure grâce aux abeilles médiatrices.

Un rapport privilégié avec la nature : la communication

Thaly tire de ce regard nouveau induit par l’apiculture un rapport privilégié avec la nature : les abeilles sont présentées comme les messagères du poète, elles lui transmettent des informations sur la nature par le biais du produit réalisé par celles-ci. Les odeurs et le goût du miel sont autant de messages qui transmettent des informations sur la nature à la manière des correspondances baudelairiennes, empruntées à Swedenborg. Ainsi,

[…] Tout, forme, mouvement, nombre, couleur, parfum, dans le spirituel comme dans le naturel, est significatif, réciproque, converse, correspondant13.

Sur le modèle de la correspondance, les abeilles portent les messages, et le miel, par sa saveur et ses effluves, fait surgir des parfums, des informations sur les arbres et les oiseaux. Les connaissances sur la nature passent par le biais des sens du poète qui se doit alors d’être poreux au monde. Thaly tisse ce réseau de correspondances à travers la métaphore du miel et des odeurs qu’il exhale, notamment dans le poème « À l’exemple des abeilles » :

Je perçois grâce à vous les puissantes odeurs
Des grands arbres mirant leur ombrage aux fontaines,
Vous portez jusqu’à moi l’enivrement des fleurs
Et l’âme des beaux jours chante en vos ruches pleines14.

Dans ce poème très baudelairien, on note la correspondance entre les odeurs des arbres, leurs images et le chant de l’âme des beaux jours. Également, le poème « La maison aux abeilles » présente ces insectes comme des intermédiaires silencieux qui assurent la correspondance entre la nature et le poète :

La maison aux abeilles

Modeste est ma maison, mais fort je la chéris
Au doux feu des heures vermeilles !
Car elle communique avec les bois fleuris
par le fil d’or de ses abeilles.

Tel parfum qui flotta sur le morne15 embaumé
Et qui subit le sort des roses
Vit encor, souvenir adorable de mai,
Dans l’étui des cellules closes.

Tel nectar, diamant liquide dans la nuit
Ou rosée à perle tremblante
Dort maintenant, plus blond que le suc d’un beau fruit,
Au cœur chaud de la ruche ardente16.

Le début du poème marque ainsi l’échange entre le poète et la nature : celui-ci s’opère grâce à plusieurs intermédiaires qui sont les abeilles et le miel qu’elles produisent. Nous retrouvons ainsi le schéma suivant : le nectar de la nature est récolté par les abeilles – elles produisent le miel – le miel porte les secrets de la nature au poète – le poète les transmet au lecteur par ses vers. La polysémie du verbe « communiquer » (v.3), rapporté à la maison du poète, permet d’associer la proximité (permettre l’accès) avec l’échange (transmettre). La préposition « par » (v.4) érige les abeilles en médiatrices de cette communication : elles deviennent un fil d’or, à la manière du fil d’Arianne dans la mythologie gréco-latine. Ce fil d’or renvoie à la couleur des abeilles et métaphorise le lien entre le paysage et son habitant, le poète. Il semble que les abeilles récoltent le parfum du morne, la rosée, pour les conserver précieusement dans la ruche. Ainsi la ruche recèle les secrets du paysage, les éléments volatils sont figés dans le produit fini, le miel.

Pour identifier la teneur de cette communication, nous pouvons continuer l’analyse du poème :

Dès l’aube au soir l’essaim ardent et régulier
Apporte à ma cour des messages.
Je sais quand « l’épineux » porte des fleurs d’argent
Et quand c’est le mois des orages.

Je sais que les pois doux sont pleins de « sucriers »
Et les flamboyants d’oiseaux-mouches
Et que les agoutis gambadent par milliers
Dans le sentier des vieilles souches.

Je sais que l’ortolan roucoule à la fraîcheur
Du courbaril près de la source
Et que l’étang où vient s’abreuver le chasseur
Mire les feux de la Grande Ourse.

Je sais que la campagne est un vaste bouquet
De fleurs, d’odeurs et de musiques
Où le maigre coucou, de bosquet en bosquet,
Chasse les guêpes métalliques17.

La communication prend ici la forme de « messages » qui apportent au sujet poétique des savoirs sur la nature. Ici l’on comprend que l’odeur du miel informe le sujet poétique sur le milieu des abeilles. La connaissance des abeilles et du miel apporterait une connaissance du monde. L’anaphore en « je sais » dans ces quatre strophes permet une énumération de ces connaissances apportées par les odeurs que ramènent les abeilles en fin de journée. Dans la première strophe, les abeilles apportent des informations sur les saisons et les floraisons ; dans les deuxième et troisième strophes, ce sont des données sur les animaux peuplant la flore ; la quatrième strophe propose une synesthésie qui mêle odeurs, musiques, toucher métallique des guêpes. Les abeilles transmettent leur acuité dans la perception du monde, placée sous le signe de la sensualité puisque tous les sens sont convoqués pour transmettre au lecteur l’impression d’une expérience totale. Le miel semble contenir et préserver les instants fugaces de la nature comme le vol des oiseaux, la chasse du coucou. Il apparaît comme un nectar qui incarne l’essence de la nature. Thaly célèbre à la fois les ouvrières de cette communication mais aussi leur produit, le miel, qui porte toutes ces informations.

Ainsi, l’observation des abeilles nourrit le contenu de la poésie de Thaly : connaissance du paysage local, poésie à dimension scientifique sur la faune et la flore. La poésie régionaliste permise par la pratique de l’apiculture autorise le poète à renouer avec l’espace vécu, selon un nouveau mode de présence au monde, un rapport privilégié avec la nature placé sous le signe de la sensualité et de la communication. L’observation des abeilles informe également la pratique poétique de Thaly tout en procurant un double modèle au poète : les abeilles deviennent un modèle de travail ; le miel devient un modèle de produit fini.

« À l’exemple des abeilles » : l’analogie entre poésie et apiculture

Dans sa poésie, Thaly se présente comme en phase d’initiation : il observe la nature et en tire des leçons de sagesse et de poésie. L’apiculteur apparaît ici comme un poète en formation, qui s’inspire de l’apiculture pour nourrir sa poésie. Il érige les abeilles en modèle, notamment en reprenant l’idée traditionnelle selon laquelle les abeilles constituent un exemple de vie en communauté. Ce qui est plus intéressant, c’est la réflexion métatextuelle qu’apporte l’observation de la ruche : les abeilles constituent un modèle de production qui inspire une leçon de poésie à Thaly.

Les abeilles comme modèle pour l’homme

Thaly reprend tout d’abord un topos poétique qui est celui de la communauté des abeilles, érigée en modèle pour l’homme. En cela, il s’inscrit à nouveau dans la lignée des Géorgiques de Virgile et de toute une tradition littéraire.

Cette communauté est marquée par deux procédés : l’emploi du pluriel pour désigner les abeilles et le recours à un terme englobant :

Le réveil des ruches

L’aube à peine a teinté les collines vermeilles,
Qu’un gai bourdonnement s’élève du rucher.
Quel est l’arbuste en fleur au parfum de pêcher
Qui donne tant de joie au peuple des abeilles ?

Tout le jour, vibrera le généreux travail,
De la ruche à la fleur, de la fleur à la ruche ;
Jusqu’à l’heure où le soir plus vert qu’une perruche
Dorera de ses feux une mer de corail18. […]

Ici les ruches sont évoquées au pluriel dans le titre, mais au singulier dans le poème. Thaly utilise la métonymie : l’habitation pour ses habitants, la ruche pour les abeilles, puisque ce sont bien les abeilles qui s’animent au début de la journée et entrent en mouvement. Dans le corps du poème, les abeilles forment un peuple : le singulier ici permet de souligner la cohésion et l’humanisation de ces insectes. De ce peuple uni, émane un seul bourdonnement, les abeilles travaillent à l’unisson. De même, le travail est effectué avec une cohésion inouïe :

Vol d’abeilles

Mille quittent la ruche en projectiles d’or
Mille rentrent soudain en cascades vermeilles.
Tout le jour la maison entend vibrer l’effort
Vibrant et radieux des divines abeilles.

C’est d’une reine unique en la paix du rucher
Que sont nés les feux d’or de tant de travailleuses.
Et le cœur du poète est un divin archer
Qui lance sans compter les flèches merveilleuses19.

L’hyperbole qui procède par le pronom numéral « mille » renvoie à cette communauté qui agit de concert. L’on retrouve des procédés similaires déjà chez Virgile :

Omnibus una quies operum, labor omnibus unus20.
Toutes se reposent ensemble, toutes travaillent ensemble (notre traduction).

De plus, le groupe est évoqué au pluriel dans les verbes quitter et rentrer, il est mis en scène dans une anaphore qui signale une union parfaite si bien que l’essaim apparaît comme une vague, pris dans un seul mouvement. Les images de projectiles et de cascades témoignent du flux des abeilles à la sortie de la ruche.

La seconde leçon de vie que Thaly tire de l’observation des abeilles porte sur la mobilité et l’ancrage. Cette réflexion est intéressante car le recueil L’Île et le voyage relève de la poésie viatique et les différents chants retracent les mouvements du sujet lyrique d’un bord à l’autre de l’Atlantique. Le quatrième chant, dédié à l’apiculture, célèbre un moment privilégié pour le poète qui profite de son ancrage dans un lieu. Cependant, Thaly propose de s’intéresser aux abeilles qu’il place sous le signe de la mobilité. En effet il célèbre le mouvement inhérent à ce peuple qui quitte sa maison chaque matin pour un long voyage. Le poème « À l’exemple des abeilles » dispense cet enseignement tiré de l’observation des abeilles :

Séduits par votre exemple, ô peuple merveilleux,
Mes espoirs sont partis dans le vent qui les berce,
Mais rapporteront-ils à mon cœur anxieux
Le pollen du bonheur et le miel de l’ivresse ?

Quand un de vos essaims tournoie, ardent et nu,
Ayant abandonné le trésor des cellules,
Avant de se poser dans quelque arbre inconnu
De la grande forêt pleine de crépuscule,

Je rêve de quitter la paisible maison
Où j’ai mené des jours d’une existence sûre,
Pour aller je ne sais vers quel autre horizon
Affronter les périls d’une belle aventure21.

L’observation des abeilles déclenche la réflexion sur les pensées du poète, sur lui-même et son voyage. Cette porosité au monde extérieur permet à nouveau à Thaly de renouveler sa poésie, et d’effectuer un retour vers lui-même. Les termes « exemple » ou « séduction » érigent les abeilles en modèle et tissent l’analogie entre les abeilles et l’apiculteur.

Il est intéressant de saisir que dans la première strophe citée, le mouvement du retour est évoqué, tandis que dans la dernière, seul le départ vers « une belle aventure » est envisagé. Les abeilles, chaque matin, quittent le foyer pour y revenir le soir : elles présentent ainsi un mode de voyage pour Thaly. Ce poète est en effet marqué par le voyage et la nostalgie perpétuels : aux Antilles il pleure la France métropolitaine, à Paris, il pleure ses îles tropicales. Le poète, à l’échelle de son œuvre, s’inscrit dans la double lignée d’Ulysse et de du Bellay, chantant la nostalgie du lieu quitté et le déchirement causé par un retour difficile, pour Ulysse, impossible pour le poète des Regrets. Si le thème du retour n’est plus original chez Thaly, son association aux abeilles l’est davantage. Elles permettent d’introduire la possibilité d’un voyage heureux, qui rapporte « le pollen du bonheur et le miel de l’ivresse » et qui, de surcroit, se solde systématiquement d’un retour à la « paisible maison ». Nous noterons également l’écart entre la mobilité, la leçon tirée de l’observation des abeilles et la pratique du poète qui écrit dans un moment de sédentarité.

Nous avons pu observer que Thaly percevait chez les abeilles un modèle philosophique, un idéal de communauté et de rapport à l’espace sur le mode du retour heureux. Il tire de cette observation un modèle poétique également, puisque les abeilles industrieuses apparaissent comme une figure du poète qui travaille pour produire ses poèmes.

Du poème comme du miel : la capacité de condensation

Si le bourdonnement ou le chant des abeilles ne sont pas évoqués, il n’en demeure pas moins que ces insectes donnent une leçon de poésie à Thaly. Il voit dans le miel une métaphore du poème, produit fini, et qui contient les secrets de la nature.

Le poète prend pour modèle les abeilles dans leur rapport au paysage. C’est la capacité des abeilles à fixer le volatile dans un produit pérenne, fini, qui est source d’inspiration pour Thaly. La volonté d’écrire le passage du temps n’est pas ici révolutionnaire, mais l’on note que le poète, pour cette mission, s’inspire du travail des abeilles sur le paysage. De la même manière que les abeilles condensent les parfums, le vol des oiseaux, les floraisons… dans le miel qu’elles produisent, Thaly veut marquer le passage du temps, le fugace dans ses poèmes. Il l’explique le poème « Beaux Jours » qui se présente comme une leçon de poésie à partir de l’observation des abeilles :

Beaux jours

Mille parfums de fleurs annoncent que le miel
Sera bientôt porté vers les ruches ardentes ;
Et plus de cent essaims d’abeilles bourdonnantes
De leurs voyages d’or éblouissent le ciel.

Mon esprit, travaillez loin des sombres demeures,
Devant le beau visage étincelant des jours ;
Pour qu’en vers lumineux comme les rayons lourds,
Vous condensiez l’essence impalpable des heures22.

La première strophe porte sur les abeilles et le miel. L’hyperbole « mille parfums », en début de vers, contraste avec le singulier « le miel » en fin de vers, et témoigne de la condensation exceptionnelle effectuée par les abeilles. Elles transforment les parfums volatils en un produit matériel et doux.

La deuxième strophe s’ouvre sur le sujet lyrique qui s’adresse à son propre esprit et l’enjoint à travailler comme les abeilles pour « condense[r] l’essence impalpable des heures ». À partir de l’observation des abeilles et grâce à l’analogie entre l’apiculteur et ses abeilles, le poète tire une leçon de poésie. Ce résumé du travail de production des abeilles apparaît comme un modèle poétique. L’enjeu pour le poète est de marquer le temps (« les heures », « les jours), le résumer pour que le poème puisse le contenir tout entier. Le poème, comme le miel, doit unifier le divers, et condenser « mille » éléments en un produit unique.

À travers ce modèle de condensation et d’unification, Thaly retrouve Clément d’Alexandrie qui s’émerveille devant la capacité de concentration quasi mystique des abeilles et écrit :

πορεύθητι πρὸς τὴν μέλισσαν καὶ μάθε ὡς ἐργάτις ἐστί
καὶ αὐτὴ γὰρ πάντα τὸν λειμῶνα ἐπινεμομένη ἓν κηρίον γεννᾷ.

Va vers l’abeille et apprends de son ardeur au travail
Car l’abeille butine sur les fleurs de tout un pré pour n’en former qu’un seul miel23.

Clément d’Alexandrie entend prendre les abeilles comme modèle de fusion entre les philosophies et la foi chrétienne : il présente le travail de ces insectes comme un travail d’unification, de mélange, qui sert la foi catholique. Ce travail de mélange célébré chez les abeilles à des fins religieuses chez Clément est également loué par Thaly mais sur un mode poétique. Les abeilles peuvent condenser le temps, les jours, comme nous l’avons vu. La poésie de Thaly n’a pas cette dimension religieuse, mais s’émerveille de la nature qui n’apparaît pas comme Natura naturans. Le travail des abeilles est un travail poétique et non pas une opération religieuse. Ainsi le miel produit par ces messagères contient l’éphémère et le passage des saisons. Il résume le passage du temps, des odeurs. De ce fait, la réflexion sur le miel permet d’envisager le pouvoir évocateur de ce dernier, mais aussi de la poésie. Il s’agit en effet de marquer l’éphémère, de faire surgir le passé grâce aux sens. Le miel, tout comme la poésie peuvent rendre l’éphémère vivant aux yeux du lecteur ou du consommateur.

La communication avec la nature, permise par le miel, permet de saisir un réseau de correspondances et synesthésies empruntées bien sûr à Swedenborg et Baudelaire. Ainsi, sur le modèle de la correspondance baudelairienne, « les parfums, les couleurs et les sons se répondent »24 : les effluves du miel contiennent des informations sur les arbres et les oiseaux, qu’il s’agisse d’éléments visuels ou sonores. Le miel a une puissance évocatoire puisqu’il peut rendre actuel un souvenir par sa saveur : il devient ainsi un modèle poétique.

Thaly tisse ce réseau de correspondances à travers la métaphore du miel et des odeurs qu’il exhale. Ainsi, le poème, comme le miel, ayant condensé « l’essence impalpable des heures », pourra faire resurgir et actualiser un souvenir, à la manière des correspondances :

Le miel

De même que le vin évoque un coteau bleu,
L’odeur de ce beau miel fait revivre ta flore,
Campêche25 blond qu’on vit l’an dernier, à l’aurore,
Lourd de guêpes de cuivre et d’abeilles de feu26.

Ce poème permet de montrer la capacité de transformation des abeilles puisque le tableau du campêche de l’an dernier surgit grâce à l’odeur du miel. Le produit fini et sa force évocatoire font du miel un modèle pour le poème qui veut tisser un réseau de correspondances. Nous avons ici une correspondance entre le vin (goût et odeur) et le coteau (la couleur bleue), entre le miel et le campêche puisque l’odeur du miel fait surgir une vision (avec le verbe voir) à la fois marquée par les couleurs chaleureuses et le son des guêpes. Le poème fait surgir le coteau et le campêche sous les yeux du lecteur. L’emploi du présent dans les deux premiers vers permet de rendre vivant et saisissant le campêche du souvenir de l’an passé : la force de l’odeur permet de remobiliser le souvenir. Thaly file ainsi la métaphore apiaire, faisant du miel un modèle pour le poème, et de l’abeille un modèle poétique.

Une leçon de poétique à partir de l’apiculture

Enfin, l’observation des abeilles instille à Thaly un modèle d’écriture. En effet, dans le quatrième chant du recueil étudié, « La Maison aux abeilles », les poèmes descriptifs se mêlent à des réflexions métapoétiques. L’observation des abeilles informe la poétique de l’auteur et les poèmes mêlent leçons d’apiculture et leçons de poésie, comme on a pu le voir dans le poème « Beaux jours ». Thaly tisse le lien entre ces deux disciplines, si bien que l’apiculture devient une leçon de poésie. L’analogie entre apiculture et poésie est exprimée par exemple dans « Le rayon » :

Le rayon
Garde-toi d’enlever de la ruche qui dort
Le rayon non scellé par les abeilles d’or,
le miel operculé seul est un vrai trésor.

Il faut que ta pensée, ô poète, soit mûre,
Pour que dans un beau vers, son moule et sa parure,
Elle dure longtemps et se conserve pure27.

Chaque strophe de ce poème didactique concerne une pratique : l’apiculture d’abord, puis la poésie. Le poète s’adresse à lui-même en tant que « poète ». Il y aurait un dédoublement ontologique ici, quand l’apiculteur participe à la formation du poète. Les formules injonctives montrent bien que la métaphore sert une visée pédagogique et soulignent la nécessité de la maturation de la pensée. Contre l’empressement, la hâte, Thaly préfère l’attente, la réflexion… apprises grâce à l’apiculture.

Daniel Thaly se présente comme un apiculteur mais aussi comme un poète en formation. Cependant, il semble que l’approche de l’apiculture se fasse essentiellement par le biais de l’observation, laissant peu de place au travail même de l’apiculteur et par conséquent au travail du poète. Il semble que la porosité entre abeille et apiculteur pose problème pour la posture poétique de Daniel Thaly, qui se révèle appartenir davantage à l’ordre des poètes qu’à l’ordre des apiculteurs.

De l’apiculteur à l’abeille : les limites de la métaphore apiaire chez Daniel Thaly

Il s’agira ici d’étudier une autre posture, une autre métaphore, que Thaly construit à partir de de l’observation des abeilles et de son expérience vécue en Dominique. Il passe d’apiculteur à abeille qui butine, embrassant ainsi la métaphore apiaire tissée depuis l’Antiquité. En effet, le poète butine à plusieurs sources, s’inspire d’autres textes, pour produire son miel dans ces poèmes. Nous tâcherons d’appliquer cette image à Thaly pour voir dans quelle mesure il pratique l’art de butiner, avec quelle rigueur, quelles sont les limites de cette pratique. Nous en reviendrons à nous interroger sur la question de l’originalité de la création à partir de l’imitation et de l’innutrition.

« Daniel Thaly ou l’art de butiner28 » : l’apiculteur est fait abeille

Teresa Chevrolet29 identifie deux métaphores de l’abeille dans la tradition poétique : la métaphore grecque qui fait du miel une source d’inspiration (comme pour Pindare par exemple) ; la métaphore latine, qui ferait du poète une abeille qui butine à plusieurs sources avant de produire un miel nouveau. Nous nous pencherons sur cette deuxième image qui renvoie le poète à la pratique de l’imitation érudite de la Renaissance et de l’Humanisme puisque c’est de celle-ci que l’on rapprochera Daniel Thaly.

Le cas le plus canonique de l’abeille latine est celui de du Bellay au xvie siècle, qui assume, dans la Deffense et la préface de L’Olive, la nécessité de l’érudition et de l’imitation afin d’enrichir la langue et la poésie. Du Bellay s’inspire du Canzionere de Pétrarque, mais aussi de l’Antiquité gréco-latine, avec Pindare et Homère qu’il recommande d’imiter afin d’enrichir la langue française.

Toutesfois, d’autant quel’amplification de nostre Langue […] ne peut se faire sans doctrine et sans erudition, je veux bien avertir ceux qui aspirent à cette gloire, d’immiter les bons aucteurs Grecz et Romains, voyre bien Italiens, Hespagnolz et autres30 […].

Il va plus loin, en prônant l’innutrition dans la formule célèbre à propos des Romains :

Immitant les meilleurs aucteurs Grecz, se transformant en eux, les dévorant, et après les avoir bien digerez, les convertissant en sang et nourriture31 […].

Il s’agit d’imiter des modèles, de les assimiler et les ingérer afin d’enrichir la langue, et la poésie. L’image de la manducation renvoie bien à l’innutrition, définie par Émile Faguet dans Le Seizième siècle comme l’« inspiration inconsciente d’un artiste qui puise dans la culture dont il s’est imprégné32 ». Notons que chez du Bellay, l’imitation et l’innutrition se font à partir d’un hypotexte écrit dans une langue différente que celle du poète, le latin, le grec, l’italien ou encore l’espagnol.

La notion d’innutrition peut renvoyer, plus tard dans l’histoire littéraire, et selon la même image de la manducation, au cannibalisme dans la littérature francophone : il s’agit d’assimiler, d’ingérer l’hypotexte, la source, pour s’enrichir, pour devenir plus fort et produire ainsi une matière nouvelle. Elle a été développée par Oswald de Andrade, Manifesto Antropofago. Oswald de Andrade reprend ainsi en partie Hamlet de Shakespeare pour le subvertir dans un contexte colonial33.

En bon élève, Thaly a suivi une formation classique et s’inspire des modèles antiques, qu’il cite, imite ou dont il s’inspire sans les citer. Il multiplie les hypotextes et références et adopte ainsi ce modèle d’abeille qui butine. En effet, le critique Jack Corzani souligne cette présence massive de l’innutrition dans la poésie de Thaly. Il intitule une section de son étude dédiée à la littérature des Antilles Guyane : « Daniel Thaly ou l’art de butiner » et met l’accent sur la « perméabilité de Thaly » :

Toute son œuvre confirmera cette désarmante facilité, cette capacité étonnante à assimiler toutes les modes, tous les styles qui, durant un demi-siècle, se succèderont dans la littérature française34

Corzani fait le constat d’une poétique de l’imitation, basée sur une érudition notable. Le poète apiculteur est devenu une abeille qui butine à toutes les sources. Il est intéressant de voir que Corzani identifie cette pratique du butinage comme un choix poétique délibéré chez Thaly. Le problème que soulève Corzani est que les sources de Daniel Thaly soient essentiellement occidentales. Le poète antillais butine aux fleurs métropolitaines. Ce butinage se manifeste sous plusieurs formes, avec plus ou moins d’originalité.

L’imitation

Dans la préface de l’Olive35, du Bellay défend la pratique de l’imitation à la fois dans la forme et dans les thèmes hérités des Anciens. Thaly reprend ce trait, notamment par les formes classiques du sonnet ou encore des stances, dans une poésie extrêmement régulière : alexandrins, rimes embrassées, peu d’enjambements et de rejets. Le conservatisme de Thaly s’inscrit dans une volonté d’imitation des modèles classiques, comme si le poète voulait montrer sa capacité à produire des vers ciselés, réguliers, à la manière d’un exercice de style. Thaly en bon élève, semble enlisé dans son imitation et il rate les renouveaux poétiques de la fin du xixe siècle et notamment la pratique du vers libre ou du poème en prose.

Ensuite, les thèmes, nous l’avons vu, sont empruntés à une poésie occidentale parfois datée : la nostalgie, le motif du retour renvoient à toute une tradition poétique, de L’Odyssée aux Regrets de du Bellay.

L’imitation pure, quasi servile, connaît donc ses limites chez Daniel Thaly. Ces critiques sont formulées dès 1932 par la revue Légitime Défense, et notamment par le Martiniquais Étienne Léro, dans son article « Misère d’une poésie » :

Non content d’user d’une prosodie et d’une prosodie surannée, l’Antillais l’agrémentera d’un soupçon d’archaïsme : cela fait « vieille France ».
Une indigestion d’esprit français et d’humanités classiques nous a valu ces bavards et l’eau sédative de leur poésie, ces poètes de caricature dont je ne vous citerai que quelques noms : Vieux et Moravia en Haïti, Lara en Guadeloupe, Salavina, Duquesnay, Thaly, Marcel Achard en Martinique36.

L’imitation des modèles occidentaux par les poètes martiniquais conduirait ainsi à une poésie de la « décalcomanie ». Le poète martiniquais du tournant du xxe siècle, et Thaly en est l’exemple, ne ferait que reproduire les modèles occidentaux et manquerait par-là d’originalité. Cette posture critique voit dans l’imitation un exercice scolaire, un manque d’originalité voire une aliénation aux modèles littéraires occidentaux puisque Thaly ne parviendrait pas, selon un pan de la critique, à produire une poétique personnelle et martiniquaise.

La citation 

Une autre manifestation du butinage de Daniel Thaly est la pratique de la citation. On notera chez l’auteur une forte propension à citer d’autres auteurs dans ses recueils, notamment en épigraphes. À cela s’ajoutent les dédicaces à des hommes politiques mais aussi et surtout à des poètes à l’échelle des poèmes. Par ces procédés, Thaly identifie clairement ses sources, revendique une érudition, un patronage et se présente ainsi comme une abeille butineuse, fière de ses récoltes. L’on trouve des citations à l’ouverture des recueils, mais aussi des sections, comme dans L’Île et le voyage. En effet, le quatrième chant, « La Maison aux abeilles », est ouvert non pas par la voix de Thaly, mais par celle de Verlaine qui est cité : « Voici des bruits, des fleurs, des feuilles et des branches. » La mention de ce poète du xixe siècle permet à Thaly de se placer sous le patronage (forcé) du symbolisme : cette mention sert à la fois à faire montre de sa culture littéraire, mais aussi à exhiber le modèle poétique adopté dans cette section. Thaly est en effet victime de la « débauche épigraphique » évoquée par Genette, et qui témoigne de sa volonté de filiation et de reconnaissance par les pairs :

L’épigraphe est à elle seule un signal (qui se veut indice) de culture, un mot de passe d’intellectualité. En attendant d’hypothétiques comptes rendus dans les gazettes, prix littéraires et autres consécrations officielles, elle est un peu, déjà, le sacre de l’écrivain, qui par elle choisit ses pairs, et donc sa place au Panthéon37.

En choisissant un vers du poème « Green » pour ouvrir la section, Thaly la place dans la lignée d’un sonnet galant : la poésie des abeilles et du paysage est une poésie lyrique, sentimentale et amoureuse voire mielleuse… Il convient également de comparer l’intention poétique à l’origine du vers cité – le modèle de Verlaine, poésie symboliste moderne, qui fait jouer l’impair et les vers en prose – et la réalisation classique voire conservatrice de Thaly qui utilise l’alexandrin presque avec retenue.

De même, et sur un mode microstructural, le poème « L’arbre familier » dans Jardin des Tropiques, 1911, est dédié à Léon Dierx, comme pour appeler à un patronage de la part du Parnassien originaire de la Réunion :

L’arbre familier
À Léon Dierx

N’est-ce pas que cet arbre au faîte solennel
Qui balance en l’azur plus de quarante branches
Est un dieu des forêts qu’il serait criminel
D’abattre, éparpillant ses fleurs aux routes blanches.

Il ombrage mon toit et parfume mon seuil ;
Cache le miel doré d’une abeille sauvage ;
L’écho d’un long passé vibre dans son feuillage,
Je crois qu’il fut planté par un lointain aïeul.

Il est plus haut qu’un chêne et plus droit qu’un érable
Et tant que je vivrai sa tige vénérable
Offrira sa verdure aux colombes du ciel.

Et l’arbre séculaire a compris ma pensée
Et je vois quelquefois sa cime balancée
Me faire au crépuscule un geste fraternel.

Dierx n’est pas cité ici, mais mis en présence par la dédicace. La métaphore de l’arbre permet de célébrer le poète dédicataire ici, qui apparaît comme protecteur, solennel. Thaly se présente en héritier de cet « arbre poète » qui devient en fin de poème un frère. La forme de ce poème demeure très classique et ciselée : il s’agit d’un sonnet en rimes embrassées et en alexandrins, qui s’inscrit tout à fait dans l’esthétique du Parnasse. Cela est renforcé par l’absence de référentialité dans le poème puisque le lecteur ignore à quel arbre, quel jardin, quel pays, quel temps… le poème renvoie. La familiarité avec l’arbre échappe au lecteur. Les éléments naturels ici sont occidentaux (le chêne, l’érable) et non pas tropicaux, ce qui laisse à entendre que Thaly reprend les codes parnassiens mais ne dessine pas de lien avec les Antilles, avec le Tropique qui pourrait l’unir à son modèle réunionnais.

Thaly identifie, met en exergue ses modèles et se présente en abeille qui puise dans des sources essentiellement métropolitaines. Nous pouvons ici reprendre les critiques formulées à l’égard de ce poète et qui regrettent que la culture antillaise ne soit pas plus présente.

L’innutrition dans un cadre tropical

La pratique de l’innutrition est moins évidente à saisir car elle n’est pas marquée textuellement. On peut revenir sur ce que l’on a déjà abordé comme les Correspondances empruntées à Baudelaire, la proximité avec Virgile, le thème de la nostalgie exploité à la façon de du Bellay dans Les Regrets… Thaly fait montre d’un vaste corpus d’hypotextes qu’il a ingérés et dont il s’inspire. Il a donc bien ingéré la métaphore apiaire et a récolté les références littéraires et culturelles. Si l’imitation présente des limites, il semble que lorsque Thaly se met à distance d’une écriture scolaire et quand il cherche moins à mettre en exergue son érudition, il fasse montre de davantage d’originalité et de subtilité.

L’originalité de Thaly est de butiner des fleurs métropolitaines – Baudelaire, Verlaine, du Bellay… –, pour produire des vers que nous pourrions qualifier de « tropicaux » par leur inscription dans le paysage dominicain. Ainsi ce nouvel Ulysse pleure la métropole depuis une plage de sable blanc, peuplée de cocotiers et en compagnie de ses abeilles. Thaly ingère des hypotextes issus d’une autre aire géographique, la France métropolitaine, écrits en langue française, pour les restituer aux Antilles, dans un contexte francophone. L’innutrition est suivie d’une tropicalisation. On note donc une coprésence de deux cultures dans la poésie de Thaly, qui oscille entre modèles occidentaux et réalité tropicale. C’est ce que nous avons pu observer en première partie à travers la place faite au régionalisme dans la poésie.

Cette pratique poétique témoigne d’une forme d’aliénation à la culture occidentale, qui apparaît comme le modèle unique pour les auteurs antillais puisqu’ils n’ont accès qu’à ce modèle dans le système scolaire de la Troisième République. Il convient donc de garder à l’esprit que l’innutrition et l’imitation des modèles occidentaux peuvent s’expliquer par l’imposition du modèle occidental comme modèle unique dans les colonies françaises. Ainsi, Arlette Chemain-Degrange justifie la pratique de l’innutrition dans le cadre d’une littérature francophone, héritière du colonialisme et l’associe au cannibalisme tel que théorisé par Oswald de Andrade, Suzanne Césaire, Maryse Condé :

La littérature francophone entre deux traditions, l’une écrite et occidentale, l’autre orale et locale, n’est-elle pas condamnée à être cannibale de l’une ou de l’autre au sens où elle résulte d’une au moins double innutrition culturelle ? En tant que procédé d’écriture, elle absorbe et restitue38.

Le poète étudié s’inscrit bien dans ce procédé puisqu’il absorbe et restitue. Thaly parvient au comble de l’innutrition pour proposer une écriture plus originale par moments. Il s’émancipe de l’aliénation culturelle, notamment par l’ancrage dans le lieu tropical et dans la langue locale. Il butine les fleurs métropolitaines, mais produit un miel dominicain. Ces deux composantes de l’identité du poète qui le placent entre aliénation à la métropole et originalité locale sont condensées dans la poésie, qui, comme le miel, peut réunir le divers, unifier le disparate.

Si le poète se présente comme une abeille, la poésie révèle elle-même les limites des compétences de l’agriculteur Daniel Thaly. La question du travail de l’apiculteur se pose ici et place le sujet lyrique sous le signe de la passivité.

Butiner n’est pas travailler

Nous avons vu que le poète était un érudit, qui butinait de façon acharnée pour produire ses poèmes. Or, dans la poésie, le travail est placé sous silence, le produit est toujours déjà donné. À cela s’ajoute le fait que la poésie trahisse les limites du labeur de l’apiculteur si bien qu’apiculture et écriture apparaissent comme des loisirs. À l’abeille industrieuse, s’oppose alors la figure de l’apiculteur indolent.

Nous l’avons vu, la métaphore de l’abeille peut à la fois renvoyer à l’inspiration du poète sur le modèle de Pindare, mais aussi au travail du poète chez du Bellay. Thaly reprend l’abeille qui butine à plusieurs modèles, mais il passe sous silence le labeur – à la différence de du Bellay ou d’autres poètes de la Pléiade qui placent le labeur poétique au cœur de leurs poèmes.

Tout d’abord les notions d’imitation et d’originalité ont conduit à s’interroger sur le travail du poète. Les critiques, depuis les années 1930, reprochent à Daniel Thaly une copie servile, qui se substitue à la création littéraire. Thaly adopte la position d’abeille qui butine les références, mais la notion de travail fait l’objet d’une ellipse. L’image du butinage remplace le travail du poète, édulcore le labeur poétique. Si les poètes antiques peuvent être excusés de ne pas savoir que les abeilles transforment le nectar cueilli, Thaly fait délibérément le choix de ne pas montrer le travail ni de l’apiculteur ni du poète. Le poète ne se présente pas à l’étude, ne propose pas une poésie en cours d’élaboration, mais bien un résultat fini ; de même l’apiculteur n’est pas montré dans ses activités quotidiennes, mais plutôt au moment de la récolte, quand le produit est toujours déjà fini, transformé. C’est ce que l’on peut observer à travers la construction de la figure du sujet lyrique dans le recueil L’Île et le voyage mais aussi à l’échelle de l’œuvre de Thaly.

On peut lire, par exemple dans le recueil Chants de l’Atlantique et dans la section dédiée au « Charme de la Dominique » un retour sur la terre natale et la construction d’une analogie entre la poésie et l’apiculture :

Le Rucher en ville

Je n’ai pas un carré de terre et cependant
D’une haute terrasse où vibrent mes abeilles
– Au mois où ton balcon se couvre de corbeilles –
Je récolte le miel du trèfle et du chiendent.

Par les jours de chaleur où s’énerve le vent,
Mes beaux essaims s’en vont, alors que tu sommeilles,
Visiter les vergers, les jardins et les treilles
Et piller le nectar des palmiers du couvent.

Lorsque le temps est tiède elles vont aux montagnes
Et portent à la ruche à travers les campagnes
le pollen du manguier et du pois doux marron.

Grâce au père François, j’assiste à ces merveilles,
Et bientôt je pourrai t’envoyer un rayon
Du miel que chez autrui récoltent mes abeilles39.

On retrouve l’analogie entre le poème et le miel dans la dernière strophe puisque l’envoi du poème à la destinataire est concomitant avec l’envoi du miel, ce sont deux cadeaux offerts au « tu » présent dans le poème.

Dans ce poème, nous avons un rare cas d’action de l’apiculteur qui « récolte » le miel dans la première strophe. Dans le reste du sonnet, le sujet lyrique est placé sous le signe de l’observation passive : ce sont les abeilles qui deviennent sujets des verbes d’action. Finalement le sujet lyrique assume sa posture de spectateur dans le dernier tercet : « j’assiste ». Il apparaît ici qu’il y a un médiateur entre le sujet poétique qui se présentait comme apiculteur et le miel : le Père François. Le poète apiculteur apparaît en néophyte ici. L’emphase est davantage portée sur l’observation et le don final, si bien que l’on peut saisir ici une métaphore de l’écriture qui passerait par la porosité au monde, le fait d’« assiste[r] à ces merveilles » et ensuite de donner un rayon du miel. L’apiculture apparaît alors comme un loisir, qui nécessite des intermédiaires. Ce manque de sérieux apparaît dès le premier vers qui témoigne d’une fausse modestie : si Thaly écrit être dépossédé, en vérité, il appartient à une famille de propriétaires terriens, à l’élite de la bourgeoisie martiniquaise et dominicaine. Cette fausse modestie relèverait de la mise en scène de soi et permettrait de mettre en valeur la préciosité du cadeau offert à la femme aimée.

De plus, dans le cadre de l’apiculture, Thaly ne mentionne pas le travail de l’ouvrier : le procédé est toujours déjà terminé puisque la récolte fait l’objet d’une ellipse. Ce sont les abeilles qui travaillent et non pas l’apiculteur poète. En effet, si le miel comme produit fini est largement évoqué, si le labeur des abeilles est célébré, la récolte du miel par l’apiculteur ne fait pas l’objet d’un traitement poétique, comme si la mention du travail avilissait le poème. À cela s’ajoute le fait que les termes techniques de l’apiculture ou ceux liés à l’espèce précise des abeilles font défaut dans la poésie à l’échelle du recueil même. Il y a un flou autour de la réalité de ce travail. Si l’on trouve, suivant l’influence régionaliste, des précisions sur l’espace local, des noms scientifiques d’arbres ou de plantes, l’apiculture est évoquée avec un vague certain. On notera également que Thaly refuse le nom créole des abeilles, mouch-a-myèl, et lui préfère le terme métropolitain. Peut-être peut-on y voir l’influence des modèles métropolitains au niveau notamment de la langue employée, à moins que ce choix ne s’explique par la connotation péjorative du substantif « mouche ».

Le miel, comme le poème, apparaissent comme toujours déjà composés : le poète apiculteur observe la nature, butine et donne ensuite, quasi immédiatement ses vers, produit déjà fini et composé. La transposition de la pratique apiaire en littérature, le butinage, tend à euphémiser à nouveau le travail du poète et à l’apparenter à une forme d’oisiveté, de loisir. La métaphore de l’abeille permet de faire une ellipse sur le travail poétique, mais elle tend à peindre le poète à la fois en génie qui n’a pas besoin de travailler, ou en parasite qui lambine et profite du travail des autres. Nous notons à nouveau un contraste entre le modèle des abeilles construit par Thaly – les abeilles industrieuses – et son application – un poète qui se présente comme apathique et indolent.

Par cette ellipse Thaly édulcore le travail de l’apiculteur, propose une vision simpliste de la réalité en présentant une nature bienfaisante et prodigieuse. Il remobilise ainsi le mythe des Antilles heureuses et invite à s’interroger sur le labeur, à la fois de l’homme antillais, mais aussi du poète. Le travail du poète ici remplace celui de l’apiculteur.

Le mythe des Antilles heureuses : le miel pour édulcorer la réalité

Il convient, enfin, de souligner les limites de la poésie régionaliste et du traitement du paysage qu’elle propose. La métaphore de l’abeille telle qu’elle est traitée par Thaly pose problème dans une société post-esclavagiste encore en proie au colonialisme.

En effet, la peinture de la nature et de l’agriculture proposée par Thaly est idéalisée et non réaliste puisqu’elle passe sous silence les realia du travail agricole, du labeur et de la condition des ouvriers agricoles antillais ou métropolitains. Ce silence apparaît intenable ! Nous pouvons postuler que l’apiculture informe la poésie de Thaly au sens où elle opère une recréation du paysage, elle transforme le produit brut en poésie mielleuse. La poésie consiste en une édulcoration de la réalité. En ce sens, Daniel Thaly est davantage poète – au sens original de créateur – qu’apiculteur au travail dans son jardin.

Dans cette reconstruction de la réalité dominicaine, le travail poétique remplace le travail agricole et la mention des abeilles permet d’édulcorer la réalité. Le choix du terme « édulcorer » est ici important : il tend à la fois vers le fait de rajouter du sucre dans un médicament pour l’adoucir, mais aussi il renvoie à la culture de la canne à sucre et à la production de sucre aux Petites Antilles et donc aux ouvriers agricoles sur lesquels nous reviendrons plus tard. Ainsi la poésie mielleuse rend la réalité antillaise plus douce, plus acceptable.

À travers le traitement poétique du paysage et de l’apiculture, Thaly propose une vision édulcorée de la Dominique qui s’inscrit dans le mythe des Antilles heureuses, tel que l’explique Jack Corzani :

Les écrivains blancs créoles restés aux îles participent donc consciencieusement aux côtés des gens de couleur à l’élaboration du mythe des « Antilles heureuses » […]. Miraculeusement passées aux eaux lustrales de la poésie exotico-parnassienne ou exotico-symboliste, les îles, lavées à la fois de leur encombrante histoire et de leurs problèmes, prennent une allure de paradis baudelairien40.

En effet, la nature est ici présentée comme bienfaitrice, offrant gratuitement ses produits au poète qui n’a pas besoin de cultiver la terre pour profiter de ses ressources. L’apiculteur n’est pas présenté au travail mais plutôt dans une posture indolente, si bien que la vie aux Antilles est idéalisée et éloignée de la réalité.

Les recueils de Thaly que nous étudions sont publiés entre 1900 et 1928 et s’inscrivent dans une Histoire assez mouvementée. Pour comprendre cet écart entre la poésie de Thaly et la réalité, il convient de faire un retour rapide sur le tournant du xxe siècle, frappé par des catastrophes naturelles et des crises économiques et sucrières entraînant la mobilisation d’ouvriers agricoles. Les travailleurs dans les champs de canne, en Martinique, luttent pour une augmentation de leur salaire, mais essuient des revers assez violents. En janvier 1900, les ouvriers agricoles se mobilisent et font la grève, l’infanterie tire sur la foule des ouvriers faisant dix morts et douze blessés. En 1902, l’éruption de la montagne Pelée a causé la mort de plus de 30 000 personnes dans le nord de la Martinique, et détruit des habitations, des exploitations agricoles. Les survivants, les réfugiés ont affronté des conditions de vie difficiles puisqu’ils ont dû abandonner le Nord et tout reconstruire41

Ensuite, les guerres mondiales occasionnent des crises économiques, des crises du sucre, qui se répercutent sur la population, en proie à de graves pénuries comme l’explique Jean Crusol dans Les Îles à sucre :

Ainsi donc, vingt des trente années allant de 1914 à 1945 ont été essentiellement des années de guerre ou de crises économiques mondiales. En provoquant la rupture des échanges extérieurs des îles, cette période a favorisé la naissance des marchés intérieurs et d’un secteur de production endogène insulaire, plus ou moins important. […] La rupture entraîne de graves pénuries. On assiste dans les îles à des marches de la faim, des émeutes ouvrières, des révoltes paysannes. Ces troubles prennent une ampleur particulière à la fin des années 1930. Aucune île n’est épargnée42.

Cette réalité économique et historique est évacuée des recueils de Thaly, qui préfère présenter une nature idéale, bienfaisante, recréée par la poésie. L’agriculture apparaît comme un luxe, un loisir pour Thaly et non pas comme une profession, un métier alimentaire. Rappelons que Daniel Thaly est d’abord médecin, que la poésie et l’apiculture s’ajoutent à ses fonctions ; il est également issu d’un milieu privilégié, bourgeois, dans une société où les différences de classes sont fortement marquées.

Sa culture du miel consiste en un produit raffiné et non pas une denrée de première nécessité. Le plaisir associé au travail contraste avec les travailleurs de canne à sucre qui multiplient les grèves pour améliorer leurs conditions de vie. S’ajoute à cela le fait que Thaly évoque le miel plutôt que le sucre, et notamment le sucre de canne produit dans les Petites Antilles, produit d’exportation important. La récolte de la canne à sucre exige des conditions de vie et de travail très difficiles pour les ouvriers agricoles. En choisissant de parler du miel, Thaly ferme les yeux sur un fait local éminent. On note donc un fort écart entre une poésie régionaliste qui met en exergue la connaissance de la faune et de la flore, la volonté de représenter de façon réaliste le paysage antillais et une poésie coupée du réel de ses contemporains, des questions sociales et de l’histoire locale.

Tous ces éléments, ajoutés à une forme impeccable et très classique renvoient à l’esthétique du Parnasse, « plaquée sur un cadre antillais43. » En effet, le poète dans sa tour d’ivoire ou sa maison d’apiculture ne se mêle pas à la foule et célèbre les paysages tropicaux sans s’intéresser à la condition de ses compatriotes martiniquais ou dominicains. C’est en partie ce qu’un certain pan de la critique reproche au poète, et Jack Corzani a condamné à plusieurs reprises l’idéalisation du réel produite par Thaly. Corzani énonce trois griefs majeurs : la poésie de Thaly est essentiellement descriptive, elle propose un réel édulcoré, elle exclut « toute préoccupation humaine et sociale44 » et surtout les questions des nouveaux libres, des hommes et femmes noir·e·s, et de la difficulté de la condition ouvrière au tournant du siècle :

Pas de Nègres, bien qu’ils peuplent le paysage de son île, bien qu’ils travaillent sur ses propres plantations, bien qu’ils aient fait la richesse de sa famille, la fortune du Dr Hilaire Thaly en Dominique comme en Martinique. Comment leur sueur, la mauvaise conscience qu’ils concrétisent trouveraient-elles place dans cette Fête du luxe et de la distinction raffinée qu’est pour Thaly la poésie ? Ils restent en dehors de cet univers magique45.

Daniel Thaly, qui est un écrivain mulâtre, bénéficie de son statut de privilégié qui instille cette vision des Antilles heureuses dans sa poésie. Isolé dans sa maison aux abeilles, il adopte la position parnassienne par excellence et rejette les préoccupations sociales pour célébrer les paysages tropicaux à travers une vision édulcorée. Sa poésie mielleuse se veut à destination de la femme aimée, la poésie est d’abord amoureuse, elle ne s’ancre dans le réel que pour évoquer le quotidien de l’amant, poète et apiculteur.

Ainsi le travail poétique consiste en cette édulcoration du réel : en ajoutant du miel – objet poétique, élément métapoétique – sur le réel, Thaly semblerait le rendre acceptable. La douceur du miel ici se substitue à l’âpreté de la réalité antillaise de l’époque. La poésie est ainsi mielleuse par son thème et par le travail qu’elle effectue sur le réel. Thaly substitue alors au travail de l’ouvrier agricole celui du poète qui agit, lui aussi, sur le paysage pour produire des vers. Le miel apparaît comme un produit plus noble, plus doux, pour la bouche du poète, qui s’inscrit dans la lignée de Pindare, de Chénier et d’autres poètes lyriques. La métaphore de l’abeille provoque un désengagement de la part de Thaly, et implique un travail de reconstruction sur le paysage. L’apiculture, ainsi, justifie et entretient cet isolement du poète.

Conclusion

Le cas de Daniel Thaly permet de peindre la congruence entre poésie et apiculture de façon pragmatique et par une lecture biographique puisqu’il s’agit d’un poète apiculteur. Thaly, écrivant dans un cadre historique problématique car post-esclavagiste mais toujours en proie au colonialisme, soulève également les questions d’imitation et d’aliénation culturelle propres à cette aire géographique. Décrié par la critique et notamment par les signataires de la revue Légitime Défense qui le traitent de poète de la décalcomanie, Thaly est stigmatisé comme le poète de l’imitation servile dans la critique antillaise.

Les imaginaires de l’abeille et de l’apiculteur permettent cependant de souligner l’originalité de cet auteur. La métaphore de l’abeille et du miel met en exergue la place occupée par le modèle occidental dans la culture antillaise, mais aussi, et en même temps, elle montre les limites des critiques formulées à l’encontre de Thaly et de sa pratique de l’innutrition : à partir d’une poétique de l’imitation, le poète innove en tropicalisant les modèles occidentaux, en retravaillant le paysage sur un mode scientifique, régionaliste mais non réaliste.

Thaly reprend les codes de la métaphore apiaire issue de la tradition occidentale, mais il transpose la métaphore dans un lieu antillais, anglophone, francophone et créolophone. Ainsi la pratique de l’apiculture et la métaphore apiaire introduisent un renouveau dans le rapport du poète au paysage mais aussi à la pratique poétique elle-même. Le rapport au paysage permis par la pratique de l’apiculture informe la poésie de Thaly qui adopte une posture poétique ambivalente : il se situe à mi-chemin entre le poète parnassien dans sa tour d’ivoire et le poète qui habite le lieu. Le poète apiculteur se situerait donc dans ce rapport ambivalent au paysage, entre travail et observation, entre appartenance et distance au paysage, entre recréation littéraire et création poétique.

Les liens entre apiculture et poésie sont multiples chez Thaly. L’apiculture informe la poésie puisqu’elle permet l’ancrage du poète dans le lieu, ce qui produit une poésie régionaliste. Paradoxalement la pratique de l’apiculture conduit à l’observation du paysage, mais aussi à sa reconstruction, son édulcoration. Elle permet au poète à la fois de renouer avec le lieu qu’il habite, mais aussi de ménager une distance au réel. Le poète apiculteur apparaît alors comme une figure ambivalente, entre observation et travail, entre distance et ancrage, entre recréation et création. Thaly se situe ainsi entre l’abeille et l’apiculteur, mais surtout il exploite ces deux figures pour renouveler sa définition de la poésie mais aussi son écriture de l’exil. Ainsi quand il quitte la Dominique à la fin du quatrième chant, il part en poète, et laisse ses abeilles sur l’île :

Stances aux abeilles

Lorsque je partirai, mes petites amies,
 N’allez pas quitter le rucher ?
N’allez pas essaimer par-delà le clocher ?
Restez, vous charmerez les roses endormies46.

Il semble que le poète essaime, cherche ailleurs son ancrage, son inspiration, mais interdise aux abeilles de faire de même. On assiste à un retournement puisqu’il demande aux abeilles de s’ancrer dans un lieu quand lui-même ne peut pas le faire. Les abeilles incarnent à nouveau un modèle poétique puisque le charme peut être compris au sens étymologique de chant (carmina). Les abeilles profèrent alors un chant, un carmina, qui agit sur le paysage en charmant les fleurs sur un mode bucolique. Si les abeilles peuvent chanter le paysage habité, le poète se peint comme étant condamné à reprendre ses pérégrinations et à chanter l’exil et l’impossible ancrage.

1 Il convient de remercier la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage pour l’aide à la mobilité qui m’a été octroyée. Grâce à celle-ci, j’ai pu me

2 Daniel Thaly, Lucioles et Cantharides, Paris, Paul Ollendorff éditeur, 1900.

3 Daniel Thaly, Chansons de mer et d’outre-mer, Paris, Éditions de la Phalange, 1911.

4 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, Petite odyssée d’un Poète lointain, Paris, Le divan, 1923.

5 Comme Virgile qui consacre le quatrième livre des Géorgiques aux abeilles.

6 Anne-Marie Thiesse « La littérature régionaliste : Préhistoire de l’ethnologie française ? », Bulletin de l’Association française des

7 Romuald-Blaise Fonkoua, « Les écrivains antillais à Présence Africaine. Remarques sur le fonctionnement d’un champ littéraire », Présence Africaine

8 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 63.

9 Il s’agit ici des bougainvilliers qui fleurissent durant l’hivernage.

10 Quisqualis est le nom savant pour la plante « Caractère des hommes ». Cette plante fleurit toute l’année.

11 Note de l’auteur : « Andolite » (anolis) : petit lézard fort commun aux Antilles. Certaines espèces chantent par les belles nuits. »

12 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 61-62.

13 CharlesBaudelaire, Œuvres complètes, édition de Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, Section « Sur mes

14 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 60.

15 Petite montagne aux Antilles.

16 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 62.

17 Ibid., p. 63.

18 Ibid., p. 65.

19 Ibid., p. 64.

20 Les Géorgiques de Virgile, traduction française avec texte latin en regard, Virgile (0070 – 0019 av. J.-C.), traduction Jacques Delille, Édition

21 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 60.

22 Ibid., p. 68

23 Clément d’Alexandrie, Les Stromates, Stromate I, vi (notre traduction).

24 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, op. cit., p. 11.

25 Arbre tropical.

26 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit, p. 67.

27 Ibid., p. 66.

28 Nous empruntons ce titre à Jack Corzani, La littérature des Antilles Guyane françaises, Tome 2 : Exotisme et régionalisme, Fort-de-France

29 Teresa Chevrolet, « “Du Poète-abeille” : Tours et retours d’une métaphore entre Antiquité et modernité », in Le Retour du comparant, la métaphore

30 Joachim du Bellay, La Deffense et illustration de la langue Françoise, Édition critique publiée par Henri Chamard, Paris, Librairie Marcel Didier

31 Joachim du Bellay, op. cit., p. 42.

32 Émile Faguet, Le Seizième siècle, Paris, Société française d’imprimerie et de librairie, 1898.

33 Sur la notion de Cannibalisme littéraire, voir aussi Suzanne Césaire, Maryse Condé.

34 Jack Corzani, La littérature des Antilles Guyane françaises, Tome 2 : Exotisme et régionalisme, op. cit., p. 56.

35 Joachim du Bellay, L’Olive, texte établi avec notes et introduction par E. Calradini, Genève, Librairie Droz, 2002.

36 Étienne Léro, « Misère d’une poésie », Légitime Défense, numéro unique, préface de René Ménil, Paris, Éditions Jean Michel Place, 1932, p. 11 [En

37 Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, « collection Poétique », 1987, p. 163.

38 Arlette Chemain-Degrange, « Cannibalisme symbolique et écritures francophones : Christophe Colomb, Shakespeare, Tchicaya U. Tam’si, Labou Tansi »

39 Daniel Thaly, Chants de l’Atlantique, suivis de Sous le ciel des Antilles, Paris, la Muse française, Garnier éditeur, 1928, p. 121.

40 Jacques Corzani, Léon-François Hoffman, Marie-Lyne Piccione, Littératures francophones, II. Les Amériques, Haïti, Antilles-Guyane, Québec, Paris

41 Sur ce point, voir Joseph Lagrosilliere, La question de la Martinique, Paris, Éditions du mouvement socialiste, 1903.

42 Jean Crusol, Les Îles à sucre, de la colonisation à la mondialisation, Bécherel, Les Perséides, « Le Monde Atlantique », 2008, p. 326-327.

43 Régis Antoine, Les Écrivains français et les Antilles, des premiers Pères blancs aux surréalistes noirs, Paris, G.-P. Maisonneuse et Larose, 1978

44 Jack Corzani, De sel et d’azur, textes d’explication antillo-guyanais, Paris, Hachette « Antilles », 1969, p. 172

45 Jack Corzani, La littérature des Antilles Guyane françaises, Tome 2 : Exotisme et régionalisme, op. cit., p. 62.

46 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 71.

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VIRGILE, Les Géorgiques, traduction française de Jacques Delille avec texte latin en regard, Paris, Furne, 1832.

Notes

1 Il convient de remercier la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage pour l’aide à la mobilité qui m’a été octroyée. Grâce à celle-ci, j’ai pu me rendre en Martinique pour consulter les ouvrages de la bibliothèque Schœlcher et accéder aux textes que j’étudierai dans cet article.

2 Daniel Thaly, Lucioles et Cantharides, Paris, Paul Ollendorff éditeur, 1900.

3 Daniel Thaly, Chansons de mer et d’outre-mer, Paris, Éditions de la Phalange, 1911.

4 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, Petite odyssée d’un Poète lointain, Paris, Le divan, 1923.

5 Comme Virgile qui consacre le quatrième livre des Géorgiques aux abeilles.

6 Anne-Marie Thiesse « La littérature régionaliste : Préhistoire de l’ethnologie française ? », Bulletin de l’Association française des anthropologues, n° 12-13, 1983, p. 36-45, p. 38 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3406/jda.1983.1101.

7 Romuald-Blaise Fonkoua, « Les écrivains antillais à Présence Africaine. Remarques sur le fonctionnement d’un champ littéraire », Présence Africaine, no 175-176-177, 2007/1, p. 528-545 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/presa.175.0528.

8 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 63.

9 Il s’agit ici des bougainvilliers qui fleurissent durant l’hivernage.

10 Quisqualis est le nom savant pour la plante « Caractère des hommes ». Cette plante fleurit toute l’année.

11 Note de l’auteur : « Andolite » (anolis) : petit lézard fort commun aux Antilles. Certaines espèces chantent par les belles nuits. »

12 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 61-62.

13 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, édition de Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, Section « Sur mes contemporains : Victor Hugo », p. 133.

14 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 60.

15 Petite montagne aux Antilles.

16 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 62.

17 Ibid., p. 63.

18 Ibid., p. 65.

19 Ibid., p. 64.

20 Les Géorgiques de Virgile, traduction française avec texte latin en regard, Virgile (0070 – 0019 av. J.-C.), traduction Jacques Delille, Édition Furne, Paris, 1832, p. 178.

21 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 60.

22 Ibid., p. 68

23 Clément d’Alexandrie, Les Stromates, Stromate I, vi (notre traduction).

24 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, op. cit., p. 11.

25 Arbre tropical.

26 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit, p. 67.

27 Ibid., p. 66.

28 Nous empruntons ce titre à Jack Corzani, La littérature des Antilles Guyane françaises, Tome 2 : Exotisme et régionalisme, Fort-de-France, Desormeaux, 1978.

29 Teresa Chevrolet, « “Du Poète-abeille” : Tours et retours d’une métaphore entre Antiquité et modernité », in Le Retour du comparant, la métaphore à l’épreuve du temps littéraire, Xavier Bonnier et Ariane Ferry (dir), Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2019, p. 181-205.

30 Joachim du Bellay, La Deffense et illustration de la langue Françoise, Édition critique publiée par Henri Chamard, Paris, Librairie Marcel Didier, 1970, p. 104.

31 Joachim du Bellay, op. cit., p. 42.

32 Émile Faguet, Le Seizième siècle, Paris, Société française d’imprimerie et de librairie, 1898.

33 Sur la notion de Cannibalisme littéraire, voir aussi Suzanne Césaire, Maryse Condé.

34 Jack Corzani, La littérature des Antilles Guyane françaises, Tome 2 : Exotisme et régionalisme, op. cit., p. 56.

35 Joachim du Bellay, L’Olive, texte établi avec notes et introduction par E. Calradini, Genève, Librairie Droz, 2002.

36 Étienne Léro, « Misère d’une poésie », Légitime Défense, numéro unique, préface de René Ménil, Paris, Éditions Jean Michel Place, 1932, p. 11 [En ligne] URL : https://www.error.re/etc/201022-lero-misere-dune-poesie.pdf.

37 Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, « collection Poétique », 1987, p. 163.

38 Arlette Chemain-Degrange, « Cannibalisme symbolique et écritures francophones : Christophe Colomb, Shakespeare, Tchicaya U. Tam’si, Labou Tansi », in Nourritures et écritures, tome II, Littératures d’expression française, Marie-Hélène Cotoni (dir.), Nice, Université de Nice-Sophia Antipolis, « Publications de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines de Nice », 2000, p. 153.

39 Daniel Thaly, Chants de l’Atlantique, suivis de Sous le ciel des Antilles, Paris, la Muse française, Garnier éditeur, 1928, p. 121.

40 Jacques Corzani, Léon-François Hoffman, Marie-Lyne Piccione, Littératures francophones, II. Les Amériques, Haïti, Antilles-Guyane, Québec, Paris, Belin « Belin sup. », 1998, p. 106-107.

41 Sur ce point, voir Joseph Lagrosilliere, La question de la Martinique, Paris, Éditions du mouvement socialiste, 1903.

42 Jean Crusol, Les Îles à sucre, de la colonisation à la mondialisation, Bécherel, Les Perséides, « Le Monde Atlantique », 2008, p. 326-327.

43 Régis Antoine, Les Écrivains français et les Antilles, des premiers Pères blancs aux surréalistes noirs, Paris, G.-P. Maisonneuse et Larose, 1978, p. 317-318.

44 Jack Corzani, De sel et d’azur, textes d’explication antillo-guyanais, Paris, Hachette « Antilles », 1969, p. 172

45 Jack Corzani, La littérature des Antilles Guyane françaises, Tome 2 : Exotisme et régionalisme, op. cit., p. 62.

46 Daniel Thaly, L’Île et le voyage, op. cit., p. 71.

Citer cet article

Référence électronique

Marie LECROSNIER-WITTKOWSKY, « « À l’exemple des Abeilles » : Daniel Thaly poète-apiculteur », Sociopoétiques [En ligne], 8 | 2023, mis en ligne le 23 octobre 2023, consulté le 28 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1940

Auteur

Marie LECROSNIER-WITTKOWSKY

Sorbonne Université, CELLF

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