Les pratiques des apiculteurs : Entre relations à la nature et perceptions des contextes

Beekeepers’ Practices: Between Relationships With Nature and Perception of Contexts

DOI : 10.52497/sociopoetiques.1978

Résumés

Ayant interviewé et visité les installations d’une petite quarantaine d’apiculteurs originaires de différents pays/régions d’Europe occidentale (Alsace, Belgique, Tyrol, Islande), on est frappé par la grande variété des pratiques qu’ils adoptent à l’égard des abeilles, que ce soit en matière de choix de la race, de traitement sanitaire, de nourrissage… des pratiques qui sont par ailleurs souvent habitées par des doutes, des hésitations, de la culpabilité, bref par ce qu’on appellera du trouble. Pour comprendre cette diversité et ce trouble, l’article explore d’une part les relations que les sujets entretiennent avec la nature (relevant tantôt de la domination, tantôt de l’accompagnement bienveillant, tantôt d’un souci de préservation d’une nature sauvage, tantôt encore de la participation au « tout » que constitue la nature) et d’autre part la manière dont ils perçoivent les contraintes contextuelles qui pèsent sur leur activité (en matière de climat, de biodiversité, d’état sanitaire des colonies ou encore de disponibilité d’espace pour les ruches).

Having interviewed and visited the facilities of about forty beekeepers from different countries/regions of Western Europe (Alsace, Belgium, Tyrol, Iceland), we are struck by the great variety of practices they adopt with regard to bees, whether in terms of choice of race, sanitary treatment, feeding… practices that are also often inhabited by doubts, hesitations, guilt, in short by what we call trouble. To understand this diversity and this trouble, the article explores, on the one hand, the relationship that the beekeepers construct with nature (domination, care, concern to preserve the wilderness, participation to nature as a whole system) and, on the other hand, the way they perceive the contextual constraints on their activity (in terms of climate, biodiversity, health of the hives or availability of space for the hives).

Index

Mots-clés

apiculteur, recherche empirique, diversité de pratiques apicoles, relations à la nature, perception des contextes

Keywords

beekeepers, field research, diversity of beekeeper’s practices, relations to nature, perception of contexts

Plan

Texte

Introduction

Notre contribution occupe une place spécifique dans ce numéro spécial : elle ne porte pas, comme les autres articles, sur des œuvres littéraires ou cinématographiques mettant en scène des apiculteurs, mais est consacrée à l’étude d’apiculteurs « réels ». Après avoir conduit, pendant une quinzaine d’années, diverses recherches portant sur les agricultures alternatives1, nous décidons en effet, en 2018, d’aborder la population des apiculteurs. Comme elle est à l’époque peu étudiée en sciences humaines, nous optons pour une approche qualitative et réalisons des entretiens et des visites d’exploitations auprès de trente-sept sujets, dans quatre pays/régions d’Europe occidentale : Alsace, Belgique, Tyrol et Islande. Ils ont en commun d’adopter des pratiques qui vont, selon eux, dans le sens du respect de l’abeille et de la colonie : pratiques en matière de choix de la race, de traitement sanitaire, de nourrissage, de comportement à l’égard de la vieille reine, d’essaimage ou encore de choix des emplacements des ruches. Ces justifications vont de pair, pour plusieurs d’entre eux, avec le choix de produire en bio ou en biodynamie.

Dès les premiers entretiens, un constat s’impose, celui de la diversité des pratiques. Alors que les interviewés affichent pourtant des préoccupations plus ou moins communes, leurs pratiques sont, de manière étonnante, extrêmement variées. Ainsi, en ce qui concerne le traitement du varroa, certains recourent à des médicaments allopathiques, d’autres à des médicaments homéopathiques, d’autres utilisent des procédés plus manuels comme le « piège à couvain mâle », d’autres encore laissent faire la nature. On peut ajouter la question du choix de la race, pour laquelle Dupré et ses collègues observent également un « éventail de pratiques2 », tout comme la question du renouvellement du cheptel, pour laquelle ils notent également une « diversité des pratiques3 ». Cette diversité va en outre de pair, pour certains sujets, avec des hésitations, des doutes, ou encore un sentiment de culpabilité : ce qu’on appellera, en suivant Dewey, du trouble4.

Cet article tente de comprendre cette diversité et ce trouble. Pour ce faire, on adopte la perspective proposée par Berger et Luckmann, selon laquelle la réalité est socialement construite5. Deux composantes de la « réalité » des apiculteurs apparaissent déterminantes : leurs relations à la nature d’une part et leurs perceptions des contextes régionaux, de l’autre.

Les relations à la nature sont appréhendées au moyen d’une grille mise au point à partir de la littérature historique, anthropologique et sociologique6. On distingue quatre relations : la domination, qu’on désigne aussi par l’expression « l’humain au-dessus de la nature » ; l’accompagnement bienfaisant soit « l’humain aux côtés de la nature » ; la préservation d’une nature dont l’homme est absent, soit « l’humain hors de la nature » ; l’insertion dans le système naturel, soit « l’humain dans la nature ».

Pour ce qui est de la perception des contextes, on se centre sur quatre dimensions mises en avant par les sujets et qui connaissent des spécificités importantes selon les pays/régions étudiés : les conditions météorologiques et climatiques, l’état de la biodiversité, les possibilités d’emplacements pour les ruches et l’état sanitaire des abeilles. On montre que ces dimensions sont généralement perçues par les interviewés comme des contraintes.

Enfin, on analyse comment les relations à la nature et les perceptions des contextes se combinent chez les sujets pour rendre compte de la diversité des pratiques et du trouble qui les habite.

L’article comprend quatre parties. Dans un premier temps, on expose les deux cadres théoriques ainsi que les méthodes : échantillonnage, collecte et traitement des données. Dans la deuxième section, on montre comment les relations à la nature donnent, en partie, leur sens aux pratiques concrètes. Dans un troisième temps, on fait de même pour les perceptions des contextes. Enfin, dans la quatrième section, on s’interroge sur la combinaison entre les deux constructions7.

Théories et méthodes

Théories : les constructions de la nature et des contextes régionaux

Les apiculteurs et leurs relations avec les abeilles ont donné lieu à plusieurs travaux d’anthropologues, datant d’il y a plusieurs dizaines d’années8, ainsi qu’à quelques textes contemporains9. En revanche, si on élargit aux autres animaux d’élevage, la littérature contemporaine devient beaucoup plus abondante avec d’une part, les travaux de sociologues, anthropologues, philosophes, portant sur les pratiques d’élevage actuelles10 et de l’autre, les travaux d’historiens et d’archéologues portant sur l’histoire longue de ces pratiques11. Nous nous référerons à la plupart de ces travaux tout au long de ce texte. Cependant, aucun d’entre eux ne fournit un cadre d’analyse adéquat pour traiter notre question de recherche12. Aussi faisons-nous le choix d’une perspective et d’un cadre d’analyse inédits.

En ce qui concerne la perspective d’analyse, le focus est dirigé vers les acteurs – en l’occurrence, les apiculteurs – et la manière dont ils donnent sens aux réalités qu’ils vivent. Nous rejoignons ainsi la perspective introduite par Berger et Luckmann lorsqu’ils parlent de construction sociale de la réalité, le travail du sociologue consistant alors à examiner les formes et les processus de cette construction de sens. Le fait d’être face à des pratiques multiples et marquées par le trouble nous invite toutefois à considérer que le sens n’est pas nécessairement unique et englobant, mais peut être diversifié, fragmenté13. Nous utiliserons donc systématiquement le pluriel, en parlant de constructions de la nature et des contextes ou, plus simplement de relations à la nature et de perceptions des contextes. Tels sont les deux volets de notre cadre d’analyse.

Les relations à la nature

On a identifié quatre relations à la nature14. La première, l’humain au-dessus de la nature, se perd dans la nuit des temps. Un jalon important de son développement est la révolution agricole, il y a environ 12 000 ans, lorsque l’homme a commencé à cultiver la terre et à domestiquer les animaux – moutons, chèvres, bœufs, porcs, chameaux… Il exerce désormais un contrôle sur les activités de l’animal, qu’il oriente vers des fins utilitaires : l’attelage, la traite, l’engraissement… Il décide également de manière discrétionnaire de sa mise à mort15. De telles pratiques reposent sur une séparation des humains et de la nature, les premiers étant dotés d’une « supériorité de valeur » par rapport à la seconde16. Légitimées par certains textes judéo-chrétiens, dont celui de la Genèse17 et par le développement, à la Renaissance, des sciences et des techniques, ces conceptions aboutissent, au xixe siècle, à la naissance de la zootechnie, ainsi qu’au développement des abattoirs industriels18, réalisant cette alliance de la « technique » et du « business »19.

Dans leurs analyses des pratiques d’éleveurs français (de bovins, porcs, poulets…), Ollivier et Van Tilbeurgh distinguent deux registres : « gestionnaire » et « empathique ». Le premier est proche de la première relation à la nature, décrite ci-dessus ; le second repose davantage sur une « coopération » entre « partenaires »20. Nous l’avons dénommé « l’humain aux côtés de la nature ». Les êtres vivants y sont appréhendés comme proches de l’homme et « à un même niveau ontologique » que celui-ci21. La relation n’est plus celle d’un sujet à un objet, mais acquiert une dimension intersubjective22 dans laquelle la sensibilité, les affects, les émotions trouvent leur place23. Cette seconde relation se développe, en occident, beaucoup plus tardivement que la première, suite à des interventions émanant de philosophes, juristes et autres activistes de la condition animale. On retiendra la figure de Saint-François d’Assises (1181-1226) qui cherche à « réaliser une démocratie de toutes les créatures de dieu »24, puis les textes de Voltaire (1694-1778) et Rousseau (1712-1778) qui plaident pour une compassion à l’égard des animaux et enfin, au cours du xxe siècle, la création dans différents pays des Sociétés protectrices des animaux25.

Au xixe siècle également, on assiste dans différents pays européens à des mouvements qui visent à protéger la nature sauvage26. Aux États-Unis, ils prennent la forme de la thématique populaire de wilderness27 qui se concrétise par la création, à partir de 1872, des parcs nationaux. La nature y est vue comme une réalité merveilleuse, fascinante, sublime, que l’activité humaine vient dégrader. Larrère et Larrère montrent que cette troisième conception, que l’on a qualifiée de « humain hors de la nature » repose sur le même dualisme que la première, l’humain au-dessus de la nature ; elle s’y oppose toutefois en ce qu’elle valorise, non pas l’action de l’homme, mais bien la nature elle-même28.

Alors que les trois premières relations posent que l’humain est séparé de la nature, la quatrième « efface le partage entre le naturel et le social »29. Darwin en est le précurseur, pour qui l’homme a « coévolué avec les autres êtres naturels »30. Cette relation à la nature connaît un développement spectaculaire au xxe siècle avec la pensée écologique et la conscience qu’elle porte que les humains sont « à la fois parties et acteurs du système global de la nature »31. Plus récemment, à partir des années 1980, l’agroécologie entend appliquer les principes de l’écologie à l’agriculture, en vue notamment de rendre celle-ci plus durable ; elle s’appuie sur des travaux d’experts portant sur les questions environnementales comme la réduction de la biodiversité ou les dérèglements climatiques32.

Ces quatre relations à la nature, dont notre description révèle les ancrages historiques souvent (très) anciens, sont résumées au tableau 1. Elles constituent le premier cadre d’analyse à partir duquel on tente, plus bas, de comprendre la diversité des pratiques apicoles et le trouble qui les habite.

Tableau 1. Les quatre relations à la nature

L’humain au-dessus de la nature L’humain aux côtés de la nature L’humain hors de la nature L’humain dans la nature
Type de relation et position détenue par l’humain hiérarchique ; humain en position haute horizontale ; humain en collaboration hiérarchique ; humain en position basse systémique ; inclusion
Registre du sujet impliqué dans la relation maîtrise rationnelle affectif fascination, mystique compréhension
Finalité de la relation Production satisfaction conjointe préservation durabilité
Institution exemplaire abattoir industriel protection des animaux réserve naturelle recherches sur la biodiversité

Les perceptions des contextes

Il est habituel, en sciences humaines, de délimiter les entités qu’on étudie, mais aussi de considérer que celles-ci interagissent avec des « environnements » ou « contextes »33. Partant de l’intuition que la perception des contextes pourrait aider à saisir le sens des pratiques apicoles, nous avons construit un échantillon théorique comprenant quatre régions qui présentent des contextes fortement contrastés34 sur les quatre critères suivants : les conditions climatiques et météorologiques, l’état de la biodiversité, la disponibilité des emplacements pour les ruches et l’état sanitaire des colonies. Pour les quatre régions, on étudie, à titre principal, la perception que les apiculteurs ont de ces composantes et, de manière plus accessoire, d’autres également évoquées par les sujets : composante commerciale, réglementaire, etc.

Méthodes : échantillonnage et collecte de l’information

Un échantillon diversifié du point de vue des régions

Un échantillon de 37 apiculteurs – soit 29 hommes, 7 femmes et un couple a ainsi été constitué dans quatre pays/régions, en utilisant la technique « boule de neige » : Alsace (13 sujets), Belgique (8 sujets, moitié francophones, moitié néerlandophones), Tyrol (7) et sud de l’Islande (9). Ils pratiquent comme amateurs pour environ deux cinquièmes d’entre eux (dont tous les Islandais et une majorité de Tyroliens), comme semi-professionnels pour un cinquième et comme professionnels pour deux cinquièmes (dont la majorité des Alsaciens). Ils possèdent entre 2 et 400 ruches, avec une médiane de 16 ruches. Dans leur grande majorité, ils travaillent seuls.

La pratique de l’apiculture diffère sensiblement dans les quatre régions retenues.

En Islande, l’apiculture est relativement récente, trente ans environ. Elle est le fait quasi exclusivement d’amateurs, estimés à une centaine, en majorité des femmes, qui élèvent entre deux et dix ruches. L’apiculture se pratique de manière « naturelle ». La réglementation est peu développée, à l’exception de la question de l’importation des abeilles et des reines : seule est autorisée l’importation en provenance de l’île proche d’Aland, dont on sait que les colonies ne sont pas atteintes par des maladies. La majorité des apiculteurs font partie de la seule organisation d’apiculteurs existant sur l’île, Byflug.

En Alsace, l’activité apicole est bien plus ancienne et plus développée. Les sources dont nous disposons recensent quelque 50 professionnels et 36 pluriactifs. Sur ces 86 apiculteurs, 22 ont le label bio. Ils élèvent de 100 à 500 ruches et sont en majorité des hommes. À côté de ces semi-professionnels, le nombre d’amateurs est estimé à 2600 (bio et non bio confondus). La réglementation est assez abondante, tant celle qui concerne le bio que l’apiculture en général.

En Belgique, les apiculteurs, toutes régions confondues, sont aux alentours de 6000, essentiellement des amateurs et des semi-professionnels, en majorité des hommes. La législation est relativement abondante et un riche tissu associatif existe.

Quant au Tyrol, il compte aux alentours de 3000 apiculteurs, essentiellement des amateurs et semi-professionnels, ainsi que majoritairement des hommes. Le nombre s’accroît constamment depuis quelques années. Un riche tissu associatif existe également et la législation est relativement peu développée.

Une collecte des données qui combine interview et observation

La collecte de l’information a consisté en un entretien semi-structuré (d’une durée moyenne d’une heure et demie) suivi d’une visite des installations. Les entretiens étaient menés, suivant la région, en français, néerlandais, anglais ou allemand.

L’analyse, menée à l’occasion de longues réunions de travail, consistait à tester et illustrer les hypothèses relatives aux relations à la nature et aux perceptions des contextes. En ce qui concerne les relations à la nature, on souhaitait déterminer, pour chaque sujet, si les différentes relations étaient présentes ou pas dans l’entretien et si une relation à la nature dominait les autres, soit que l’interviewé indique clairement cette dominance – par exemple, en déclarant : « j’ai une approche productiviste » –, soit que les propos renvoyant à une des relations soient sensiblement plus nombreux que ceux renvoyant à chacune des autres.

Les relations à la nature

Dans les quatre premiers paragraphes, on explore la diversité des pratiques en les rattachant successivement aux quatre relations à la nature. Dans le cinquième, on montre comment ces relations permettent de comprendre le trouble qui habite les pratiques.

L’humain au-dessus de la nature

Jean-Nicolas (Wallonie) estime faire partie des apiculteurs « dont l’objectif est la production de miel », qu’il oppose aux « apiculteurs qui ont une ou deux ruches et qui sont dans l’esprit, comment je vais dire, euh, nature. » Torbjorn (Islande) explique qu’il est un apiculteur semi-professionnel et se comporte de manière très « gestionnaire » dans tout ce qu’il fait : « Je travaille beaucoup, j’aime travailler et j’aime voir les résultats de mon travail […]. J’aime l’idée de rendre l’apiculture viable […], même si je n’ai pas besoin de l’argent que cette activité me rapporte, elle me donne une satisfaction. »

Cette volonté de maîtrise rationnelle à des fins de production rentable, typique de la relation de l’humain au-dessus de la nature, donne leur sens à des pratiques appartenant à divers domaines.

Ainsi, dans le domaine de la sélection de la race, Erik (Alsace) explique qu’il s’est doté d’un ensemble de critères, dont le plus important est que l’abeille « fasse du miel. Quelqu’un qui ne s’y connaît pas, il va dire : “oh ho, il veut faire du fric !” Mais en fait non, le critère c’est qu’elle fasse du miel. » Ceci rejoint les observations faites par Dupré et ses collègues35 qui ont observé également, dans leur échantillon d’apiculteurs français, que la productivité était pour certains un critère important de sélection de la race. En matière de contrôle des ruches, Erik (Alsace) estime que si on « fait de l’intensif, ça peut être choquant, mais non, nous on préfère faire un gros suivi » et, pour cela, disposer d’une « caisse à outils […] bien fournie ». Cet apiculteur a ainsi installé un système informatique qui contrôle à distance l’état de ses ruches sur un certain nombre de paramètres : poids, hygrométrie, etc. En matière de commercialisation, Torbjörn (Islande), qui insistait ci-dessus sur la viabilité de son activité, explique que : « [le miel est ici] un produit très rare, un aliment très spécial, dont le prix est pour cette raison très élevé. J’ai une très petite production, à peu près 100 kg, que je vends pour l’essentiel dans des pots de cette dimension (il montre un très petit pot, contenant 125 grammes de miel) pour 12 euros, c’est ridiculement cher ». Dans le registre du comportement à l’égard de la reine vieillissante, Martin (Wallonie) nous informe que « la vieille reine, je la tue. C’est l’approche barbare. C’est très bien ce que les autres font, mais moi, je les tue parce qu’à nouveau j’ai une approche productiviste. » Simon (Alsace) adopte des pratiques similaires, cette fois par rapport aux frelons qui s’attaquent à ses colonies. Il n’hésite pas à utiliser les « grands moyens » : « Il faut tuer les nids, c’est très méchant. Un collègue m’a prêté de gros néons ; j’ai mis ça sur mon pick-up à l’arrière ; je suis arrivé près du nid vers minuit ; j’ai allumé ça et le nid s’est vidé comme ça hein, ils ont été brûlés ».

Quelle place cette relation au-dessus de la nature occupe-t-elle dans l’échantillon ? Vingt-trois interviewés sur les trente-sept s’y réfèrent au moins une fois. Par ailleurs, chez neuf d’entre eux, les références à cette relation occupent ce qu’on a appelé plus haut (voir méthode) la position dominante.

L’humain aux côtés de la nature

Chez bon nombre d’interviewés, la relation aux abeilles et à la colonie est décrite en évoquant la proximité et/ou la symétrie. Raymond (Alsace), le plus âgé de nos interviewés (90 ans), fait le bilan de sa longue activité d’apiculteur : « moi et mes abeilles, c’est une belle rencontre, et ça depuis mon plus jeune âge. » Les affects ont ici toute leur place : affects positifs, comme chez Joseph (Autriche) : « c’est toujours un sentiment de bonheur » ; affects négatifs, chez François (Belgique) : « Quand une colonie meurt, c’est triste à pleurer, triste à pleurer. » Plusieurs interviewés font un parallèle entre la relation avec leurs abeilles et celle avec leurs enfants. Svala (Islande) explique qu’on éprouve dans les deux cas les mêmes préoccupations, les mêmes sentiments : « Avoir des abeilles, c’est comme avoir un enfant, vraiment c’est le cas. Se faire du souci si elles ont froid, ou faim […]. Se demander ce qu’on peut faire pour les aider, pour prendre soin d’elles ».

Quelles sont les pratiques qui traduisent cette manière de voir l’humain aux côtés de la nature ? Plusieurs apiculteurs parlent à leurs abeilles. Svala (Islande) « leur di[t] “bonjour” le matin et “bonne nuit” le soir ». François (Belgique)‚ s’adresse à ses abeilles en les appelant « mes sœurs », en référence, nous explique-t-il, à son patron, Saint-François d’Assises. Ces apiculteurs estiment par ailleurs qu’il faut intervenir le moins possible par rapport à la ruche : Bernadette (Belgique, F) affirme « vouloir le meilleur pour mes abeilles […] avoir du respect pour ce qu’elles font […]. Donc mes abeilles, laisse-les faire, tu ne peux pas interférer. » Le choix des emplacements, de la nourriture, des soins… est dicté par le bien-être des abeilles et de la colonie, rejoignant ainsi l’« éthique du care36 » : Sepple (Tyrol) a installé ses ruches très haut dans la montagne, où se trouvaient déjà les ruches de son père. Il s’y rend plusieurs fois par semaine, malgré la distance. Il a aménagé le lieu pour que les abeilles soient à l’abri du vent et du froid. Pour combattre le varroa, Bernadette (Belgique, F) « utilise des produits naturels, à base de thym ». D’autres, comme Pierre (Alsace) utilisent des procédés manuels, tels que le « piège à couvain mâle ». Dans les deux cas, c’est le bien-être animal qui est mis en avant comme justification.

Trente-et-un interviewés se réfèrent au moins une fois à cette relation aux côtés de la nature. Chez sept d’entre eux, elle occupe dans l’entretien la position dominante.

L’humain hors de la nature

C’est surtout la composante émerveillement, fascination face à l’abeille et à la ruche que l’on retrouve chez les interviewés. Alexis (Alsace) considère que : « L’abeille […], c’est une merveille […], c’est un insecte fascinant par son comportement. » Certains interviewés considèrent par ailleurs que l’abeille est supérieure à l’homme. C’est le cas de Veerle (F) et Luc (Flandre) qui, se référant au penseur autrichien Rudolph Steiner, parlent des différentes formes que prend cette supériorité, dont le fait que « les abeilles ne sont pas préoccupées par leur propre personne […] par leur “moi”, alors que nous-mêmes le sommes. » Torbjorn (Islande) parle plus spécifiquement de la reine, qu’il considère comme une « chose sacrée […] : comme la femme, elle est tellement supérieure à l’homme […]. Oui, la femme, comme la reine, sont des organismes supérieurs. » L’idée selon laquelle l’activité humaine vient dégrader la nature, typique également de cette relation à la nature, est moins présente dans l’échantillon. Relevons toutefois cette description faite par Kristbjorg (Islande, F) : « Quand je suis arrivée ici […] le terrain était juste un espace ouvert, sans verdure, il n’y avait rien, pas de nature. C’était réellement un terrain sale […]. Quand les abeilles sont arrivées, un ou deux ans après, tout a commencé à pousser. Les abeilles ont donc guéri la terre. »

Nous n’avons pas identifié de pratiques qui correspondent à cette troisième relation à la nature. Préserver intacte une nature sauvage, comme le voulaient les tenants de la wilderness, n’est-ce pas contradictoire avec toute pratique apicole et, plus largement, agricole ? Si la nature – en l’occurrence ici l’abeille et la ruche – est supérieure à l’humain, ne faut-il pas, à l’inverse, s’inspirer d’elle pour améliorer les rapports entre humains ? Telle est bien la démarche que mène François (Belgique) : il est spécialiste dans le domaine de la gestion des entreprises et « avec un ami, on est en train de travailler sur la possibilité d’écrire un article sur ce que les mécanismes de fonctionnement des colonies peuvent apprendre pour la vie d’une entreprise. »

Cette relation, l’humain hors de la nature, est présente chez vingt-et-un sujets. Elle est dominante chez deux d’entre eux, soit sensiblement moins fréquemment que les autres relations.

L’humain dans la nature

Cette relation à la nature se retrouve dans deux types de propos tenus par les interviewés : des propos plus macro sur la nature dans son ensemble et d’autres plus micro sur la ruche et son organisation.

Nombreux sont les interviewés qui insistent sur la place occupée par l’abeille dans le « tout » que constitue la nature. Pour Alexis (Alsace), « l’abeille, c’est une espèce de clé de voûte pour tout un système ». Et Antoine (Alsace) « [a] l’impression, avec [ses] abeilles de faire partie d’un tout, d’un écosystème, plus que de transposer des émotions humaines par rapport à l’animal. » On notera particulièrement la fin de la phrase, où l’interviewé marque clairement sa distance avec le schème aux côtés de la nature, exposé plus haut. Ces propos quelque peu abstraits sont complétés par d’autres déclarations qui laissent davantage de place à l’expérience sensible, ainsi chez Bernadette (Flandre, F) :

Lorsqu’on aime les abeilles, on s’en occupe pleinement. Et on s’occupe pleinement de la nature […]. Si tu vois telle chenille, tu te demandes de quel papillon elle provient. Et tu t’occupes aussi des oiseaux. Les abeilles sont ainsi une porte d’entrée pour la nature.

Cette prise en compte du « tout », plusieurs interviewés l’appliquent aussi à la ruche. Pour Torbjörn (Islande) : « Vous regardez les abeilles comme un organisme, comme un tout, non pas comme des abeilles prises individuellement […]. Vous les voyez comme une communauté d’abeilles. »

Si on passe à présent à l’examen des pratiques, plusieurs interviewés se réclament, comme Christophe (Alsace), d’une « éthique du respect de l’environnement ». Par rapport au microsystème de la ruche, on trouve le souci de limiter les interventions. Non plus, comme on l’a vu plus haut pour la relation de l’humain aux côtés de la nature, par souci du bien-être animal, mais plutôt pour respecter l’harmonie d’un ensemble. On trouve des propos similaires concernant la lutte contre le varroa, ou concernant le comportement à l’égard de la reine vieillissante. Sur ce dernier point, François (Belgique) explique :

Quand je me rends compte qu’une reine produit moins, je la mets dans une ruche plus petite […] avec une poignée d’abeilles. Donc, pour qu’elles partent en fièvre d’essaimage. La vieille reine suit sa vie et si elle meurt, c’est d’une mort naturelle. Et il y a un respect de l’activité de la colonie.

Sur la question du varroa, on notera ces propos très « darwiniens » tenus par Veerle (F) et Luc (Belgique) :

Mourir, ce n’est pas quelque chose de grave ; mourir c’est se renouveler […]. Le varroa est un parasite qui est venu d’Asie. Nos abeilles doivent construire un système de défense. Elles n’ont jamais eu l’occasion de faire cela par elles-mêmes […]. Ce sont les lois de la nature que les plus forts survivent.

Cette quatrième relation, l’humain dans la nature, est présente chez trente-deux sujets. Elle occupe une position dominante chez quinze d’entre eux, soit sensiblement plus que les trois autres relations.

Diversité interne et trouble

Au-delà de la question de la diversité des relations à la nature dans l’échantillon, à laquelle sont consacrés les quatre paragraphes précédents se pose, à un niveau plus micro, la question de savoir comment elles coexistent chez chacun des sujets. On peut parler ici d’une forte diversité dans la mesure où la plupart des interviewés se réfèrent à plusieurs relations à la nature. Le plus fréquemment, les sujets se réfèrent à trois relations à la nature – c’est le cas de vingt-quatre sujets sur les trente-sept – ; huit sujets se réfèrent aux quatre relations ; cinq sujets se réfèrent à deux relations ; aucun sujet ne s’inscrit dans une seule relation. Rappelons aussi que, chez la plupart des interviewés, une relation à la nature est clairement dominante – dans vingt-neuf cas, plus précisément – ; dans quatre cas, deux relations dominent et dans quatre cas également, on n’a pas pu repérer de relation qui domine les autres.

Ce constat de diversité interne conduit logiquement à la question du trouble, un terme qui désigne, chez Dewey, le décalage que le sujet peut ressentir entre ce qu’il a tenté de faire et ce qu’il a effectivement obtenu par son action. Le trouble peut se marquer par le fait qu’on est perturbé dans les actions à entreprendre (dimension conative) et/ou qu’on a des difficultés à comprendre ce qui se passe (dimension cognitive) et/ou qu’on éprouve des affects négatifs (dimension émotionnelle). Le trouble s’oppose à l’harmonie : lorsque le sujet expérimente une continuité entre ses intentions et les résultats de ses actions37.

Les relations à la nature permettent de comprendre les expériences de trouble. Une première hypothèse – une seconde sera avancée plus bas – est en effet que le trouble peut résulter de la coexistence, dans une même pratique, de plusieurs relations à la nature.

Du trouble accompagne notamment certaines pratiques à l’égard des reines. Martin (Wallonie, voir plus haut) qui déclare tuer les reines, ce qu’il rattache à son « approche productiviste », explique par ailleurs qu’il « [se sent] un peu coupable […]. Et puis je sais que pour la colonie ça génère un stress, ce n’est pas par gaieté de cœur que je le fais […]. C’est du sentiment, on a affaire à quelque chose par rapport à un être qu’on a élevé. Vous élevez une reine pour qu’elle vive, et puis vous la tuez, c’est euh, bon il faut le faire, il y a le côté professionnel parce que si une ruche crève en hiver, vous avez tout perdu. » Ici, c’est la coexistence entre la relation au-dessus de la nature et la relation aux côtés de la nature qui sous-tend la culpabilité du sujet. Du trouble apparaît également dans les pratiques à l’égard des nuisibles. Simon (Alsace, voir plus haut) utilise les « grands moyens » pour se débarrasser des frelons qui s’attaquent aux reines qu’il élève. Pourtant, il admet aussi que « le frelon a un rôle dans la nature, tout a un rôle dans la nature. Donc, je ne suis pas là non plus pour le décimer, mais il y a une grosse pression, c’est incroyable. » Ici, c’est la coexistence entre l’humain au-dessus de la nature et l’humain dans la nature qui sous-tend les regrets du sujet. Du trouble apparaît encore dans les pratiques de choix de la race, comme chez Vincent, qui utilise essentiellement la Buckfast : « [C’est une abeille] qui produit beaucoup, mais ce n’est pas l’abeille locale […]. C’est au détriment de la rusticité, si on veut ». Ici aussi, on trouve en présence d’une part l’humain au-dessus de la nature – avec le critère de productivité – et l’humain dans la nature – avec le critère de rusticité, que l’on peut entendre comme une forme de correspondance de la race au sous-système local.

Ces citations, ainsi que d’autres qui interviendront plus bas, illustrent les diverses dimensions du trouble, selon Dewey. La dimension émotionnelle tout d’abord, quand Martin (Alsace) parle des « sentiments » qu’il éprouve quand il tue une reine et précise qu’il ne le fait pas « par gaieté de cœur ». La dimension cognitive ensuite, dans un extrait que nous citerons plus largement ci-dessous, où Patrick (Alsace) « [se] pose vraiment des questions sur le devenir de [son] travail ». La dimension conative, quand les sujets éprouvent des difficultés à passer à l’action. On peut paraphraser ici Simon (Alsace) qui évoque la « grosse pression » qu’il a subie avant de se décider à se débarrasser des frelons : le trouble des apiculteurs tient en effet à des pressions contradictoires, chacune renvoyant à une relation spécifique à la nature. Une des relations – celle qu’on a qualifiée plus haut de dominante – l’emporte sur l’autre et marque, en définitive, l’action de son empreinte.

Les perceptions des contextes régionaux

Les perceptions des contextes régionaux constituent la seconde composante de la réalité, construite par les apiculteurs interviewés. Suivant les régions, les sujets pointent en effet telles ou telles caractéristiques du contexte, qui leur paraissent plus ou moins contraignantes. Elles se regroupent en quatre grandes catégories.

Une première catégorie de contraintes concerne les conditions météorologiques et climatiques. En Islande et en Alsace notamment, les interviewés soulignent les problèmes posés par le froid, l’humidité et les vents parfois violents. En Alsace également, plusieurs apiculteurs se plaignent de l’imprévisibilité du climat, qui présente des alternances de périodes de fortes sécheresses et d’autres, de pluies abondantes. On rejoint ainsi les observations faites par Dupré et ses collaborateurs38 sur les conséquences des aléas climatiques sur l’activité des apiculteurs.

Comment se comportent-ils face à ces contraintes ? Pour Patrick (Alsace) : « On est dans une région où l’apiculture devient de plus en plus difficile, très difficile […]. On a des aléas climatiques vraiment importants. On se pose un tas de questions techniques […]. La préoccupation majeure devient la rentabilité […]. Au départ c’était vraiment l’envie de donner aux abeilles les conditions de vie les plus favorables, le bien-être animal c’était vraiment ça […], mais aujourd’hui cet environnement n’est plus du tout favorable. » Les ruches de Bernadette (Belgique) sont souvent battues par des vents très forts. L’apicultrice est alors à la fois soucieuse et curieuse de voir comment ses abeilles réagissent, mais, dans le même temps, elle ne veut pas les perturber. Elle a donc fait installer par un menuisier des petites fenêtres, ce qui lui permet d’observer l’intérieur des ruches sans les ouvrir. Pour les mêmes raisons de vent fort, Runnar (Islande) a fait installer des petites caméras. Alexandre (Alsace), dont les ruches sont très exposées au froid durant l’hiver, fait des observations précises relatives à l’ensoleillement dont elles peuvent bénéficier :

En plein hiver même s’il fait moins 20, je sais que le soleil va toucher les ruches à 8 heures pile, le matin. Donc, même si j’ai des ruches glacées, la glace tombe au bout d’une heure, ça fond. Donc, c’est tout le temps calculer. Je ne vais pas faire souffrir mes abeilles, parce qu’ils en ont déjà assez hein […]. Il faut respecter le bien-être des abeilles.

Une deuxième catégorie de contraintes a trait à la réduction de la biodiversité liée à l’impact de l’agriculture industrielle et de l’urbanisation : emploi de pesticides (surtout en Alsace et en Belgique), usage de machines agricoles qui rendent la terre impropre à la floraison (surtout au Tyrol), perturbation des champs magnétiques (en Belgique).

Pour Joseph (Tyrol), « ce n’est pas tellement l’urbanisation qui fait problème. Bien sûr, il y a de plus en plus d’asphalte, c’est vrai. Mais le problème le plus important, ce sont les tracteurs très lourds et le fauchage précoce […]. Les tracteurs tassent le sol. De ce fait, la floraison intervient de plus en plus tard. » Georges (Belgique) se dit particulièrement préoccupé par l’impact des pesticides. Il nous montre les cartes qu’il a dessinées, où il repère notamment les espaces dédiés aux grandes cultures : « Que ce soit du colza, ou du maïs ou des betteraves, les graines sont enrobées de produits. Je relève ça chaque année. » Il est aussi sensible aux effets de la perturbation des champs magnétiques, due notamment aux GSM. Il pratique ce qu’il appelle l’électroculture : « Ça veut dire profiter de l’énergie cosmique pour favoriser la vie des plantes ». Il utilise un système d’aimants pour rétablir l’énergie en question : « Je les ai installés il y a deux mois, je verrai les résultats à la sortie de l’hiver. »

D’autres contraintes tiennent à la densité de l’occupation de l’espace – par les terres agricoles, les habitations, les routes… – et aux difficultés que les interviewés rencontrent pour trouver des emplacements pour leurs ruches. Ces contraintes sont soulignées dans les différentes régions, hormis l’Islande. Les apiculteurs adoptent à cet égard des pratiques variées.

Certains, comme Pierre (Alsace) disposent d’un terrain suffisamment spacieux pour y développer leur propre écosystème. Ils plantent des arbres et des plantes mellifères en tenant compte de la succession des floraisons. D’autres ont la chance de bénéficier de l’accueil d’un membre de leur famille, ou d’une connaissance, ou encore ont l’opportunité de placer leurs ruches dans un parc national. D’autres encore se résolvent à avoir des ruches distantes des unes des autres, mais limitent les déplacements liés à cette dispersion en adoptant des formes de surveillance à distance ; tel est le cas d’Erik (Alsace) et de son système de balances décrit plus haut.

Enfin des contraintes importantes tiennent à l’état sanitaire des abeilles : essentiellement la menace du varroa, mais aussi d’autres parasites, ainsi que des guêpes et frelons. Ceci est le cas pour toutes les régions, hormis l’Islande, où plusieurs interviewés soulignent les bienfaits de la réglementation stricte qui impose que les abeilles soient importées de la seule île d’Aland, où elles n’ont pas été contaminées par cet acarien. Dans les trois autres régions, les apiculteurs interviewés adoptent des pratiques assez variées.

Alexis (Alsace) explique que la gestion du parasite a mis à mal ses convictions écologiques et l’a conduit à se « déconvertir ». Les traitements bios et les complications qu’ils occasionnent « nuisent tellement à la rentabilité que maintenant je n’ai plus cette stratégie-là et je suis en conventionnel ». Il utilise désormais des produits allopathiques. Bernadette (Belgique, F) se situe, en la matière, du côté des apiculteurs « plus amis de la nature et des animaux […]. J’ai utilisé jusqu’à présent un produit de nettoyage de la ruche à base de thym, avec un peu d’acide formique dedans ; j’essaie aussi l’homéopathie ; j’essaie un peu tout. » Veerle (F) et Luc (Belgique), comme on l’a vu plus haut, ont choisi de laisser faire la nature et d’attendre que les abeilles « [construisent] un système de défense ».

On a d’emblée parlé de contraintes pour caractériser les rapports aux contextes. Ceux-ci sont en effet perçus la plupart de temps de manière négative. Quelques perceptions plus positives s’observent cependant : dans une minorité de cas, les interviewés soulignent davantage les opportunités qu’offrent les contextes, que les contraintes qu’ils imposent. Ainsi, Vincent (Alsace) souligne la variété des plantes mellifères auxquelles ses abeilles ont accès : « Ici, on a plusieurs miellées qui sont à portée de nous : l’acacia, le sapin, le châtaignier, la fleur, la forêt. Même si ce n’est pas régulier, on a quand même une année sur trois où ça passe bien. » Un autre exemple se trouve dans la manière positive dont les interviewés islandais apprécient les réglementations relatives à l’importation des abeilles (voir ci-dessus), ou encore la manière dont certains d’entre eux décrivent le marché du miel : un produit rare, qui se vend très cher (voir également ci-dessus).

Entre relations à la nature et perception des contextes

Les pratiques des apiculteurs interviewés trouvent donc leur sens d’une part en tant qu’elles renvoient à des relations différentes avec la nature (section 2), d’autre part, en tant qu’elles constituent des réponses aux contraintes spécifiques aux différents contextes régionaux (section 3). Comment ces deux constructions de la réalité se combinent-elles ?

Dans certains cas de figure, elles agissent dans la même direction, contribuant alors à donner un sens relativement unifié à l’expérience du sujet. Le terme d’harmonie, inverse de celui de trouble39 est d’application ici. Un exemple parmi beaucoup d’autres est celui d’Erla (Islande) qui note la présence, près de chez elle, de sources d’eau chaude très riches en minéraux, qui lui permettent de préparer une nourriture de qualité – elle mélange cette eau avec du sucre – ce qui « rend les abeilles fortes […] et très heureuses ». On observe ici une bonne correspondance entre sa perception du contexte – l’opportunité que présentent les sources d’eau chaude – et sa relation dominante à la nature, à savoir la relation aux côtés de la nature – son souci du bonheur de ses abeilles.

Parfois, les deux relations tirent dans des sens opposés. Que se produit-il alors ? Dans bon nombre de cas, la perception des contextes semble bien prendre le dessus sur la relation à la nature. C’est le cas présenté plus haut de Patrick (Alsace) : les aléas climatiques qu’il subit le font se préoccuper de plus en plus de « rentabilité », au détriment du « bien-être animal ». La contrainte climatique permet donc de comprendre l’évolution des pratiques de cet apiculteur, des pratiques qui transitent d’une relation dominante du type humain dans la nature, vers une relation dominante humain au-dessus de la nature.

On observe aussi bon nombre de cas inverses, où la relation à la nature prend le dessus sur la perception du contexte. Ainsi, face au problème du varroa, lorsque Bernadette (Belgique, F) déclare utiliser des procédés amis des animaux, c’est bien sa relation dominante à la nature – l’humain aux côtés de la nature – qui prend le pas sur sa perception du contexte sanitaire, et confère finalement son sens à la pratique en question. De même lorsque Luc et Veerle (F) (Belgique) déclarent laisser les abeilles « construire un système de défense », leur relation dominante à la nature – l’humain dans la nature – prend également le pas sur leur perception du contexte sanitaire et donne son sens à leur pratique. À vrai dire, ceci s’observe pour toutes les contraintes : elles ne déterminent pas des pratiques uniformes, mais s’accommodent de pratiques diverses, renvoyant aux diverses relations que les sujets entretiennent avec la nature.

Le fait que les relations à la nature, d’une part et les perceptions des contextes, de l’autre, tirent souvent dans des sens opposés offre en outre une seconde lecture de la question du trouble. Ainsi, Patrick (Alsace, voir plus haut) qui exprime dans les termes suivants le trouble qu’il vit, étant tiraillé entre d’une part, sa préoccupation du bien-être animal – qui renvoie à sa relation aux côtés de la nature – et de l’autre, l’impact des aléas climatiques – sa perception du contexte – : « Le problème est que c’est très déstabilisant parce que quand vous avez vécu pendant 25 ans selon un modèle et que ce modèle est totalement remis en cause, quid ? On se pose vraiment des questions sur le devenir de ce travail. » Comme on l’a noté plus haut, la dimension cognitive du trouble est ici particulièrement explicite. Luc et Veerle (F) (Flandre), sont tiraillés entre leur conception anthroposophique, qui renvoie à la relation « l’humain dans la nature » et leur perception de la menace du varroa pour la survie des colonies : « Nous laissons agir la nature, les plus forts survivent […]. À partir d’une certaine conception de l’âme, mourir n’est pas grave, mourir est un renouvellement […]. Mais quand je perds une colonie, je me sens très triste et je me pose la question de savoir si je fais bien. ». La « tristesse » illustre bien la dimension émotionnelle du trouble, tandis que la « question » que se pose l’interviewée illustre la dimension cognitive.

Conclusion

Il est courant, dès lors qu’il s’agit de rendre compte des pratiques agricoles, de les rapporter aux caractéristiques sociales des sujets, à leurs trajectoires, aux événements qu’ils ont vécus (Van Dam et Nizet, 2010 ; Lamine, 2017), bref à des facteurs biographiques. Une telle approche aurait pu être mise en œuvre pour rendre compte des relations que les apiculteurs entretiennent avec la nature et des perceptions qu’ils ont des contextes. Ainsi, plusieurs des citations faites dans l’article font apparaître une association entre le fait d’être (semi-) professionnel et une relation au-dessus de la nature. Et le matériel de recherche fait apparaître bien d’autres facteurs biographiques : le fait, pour certains apiculteurs amateurs, d’avoir arrêté toute activité professionnelle et de disposer de davantage de temps, le fait d’avoir vécu son enfance en contact étroit avec les abeilles ou d’autres animaux, le fait d’avoir connu de graves problèmes de santé, ou encore d’avoir perdu un être très proche, etc. Une telle piste de recherche n’a pourtant pas été poursuivie ici, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les divers facteurs révélés par le matériel de recherche apparaissent assez disparates, sans qu’on puisse les articuler en une hypothèse cohérente. Ensuite, les liens entre la plupart de ces facteurs et les variables mises en avant dans la recherche ne sont pas clairs : hormis le cas assez trivial du statut de (semi-)professionnel, la plupart des facteurs sont associés, suivant les sujets, à telle ou telle relation à la nature ou à telle ou telle perception du contexte. Enfin, la direction que prend la relation causale éventuelle peut, dans certains cas, poser problème : tel élément biographique est-il à l’origine de telle relation à la nature, de telle perception du contexte ou en est-il (également) la résultante ?

Plutôt que d’adopter une telle approche biographique, on a privilégié un cadre d’analyse plus macro, qui resitue les pratiques concrètes des apiculteurs dans l’espace large et le temps très long. Espace large : on examine comment les pratiques trouvent leur sens dans les manières dont les apiculteurs construisent les conditions climatiques, sanitaires, de biodiversité, de disponibilité d’espace, spécifiques aux régions très diversifiées dans lesquelles ils sont localisés. Temps très long : on explore comment ces pratiques se comprennent également à partir des relations à la nature, telles qu’elles se sont mises en place depuis des centaines d’années, voire des millénaires. Notons que cette dimension temporelle des relations à la nature n’est pas uniquement le fait de nos choix théoriques : elle est explicitement mentionnée par quelques interviewés, par exemple lorsqu’ils se réfèrent à telle figure marquante – comme Saint-François d’Assises – ou à telle thématique précise – le conflit entre les espèces animales, comme modalité de leur évolution, selon les vues de Darwin. Cette dimension du temps long tend d’ailleurs à prendre le pas sur la dimension spatiale. On rejoint ici le raisonnement qu’Althusser [1976] formule, certes à un tout autre niveau d’analyse, en parlant de « détermination en dernière instance » : les perceptions des contextes influencent, « déterminent » assurément les pratiques, mais, dans bon nombre de cas, cette « détermination » est elle-même modulée, « déterminée en dernière instance » par les relations à la nature. Cette imbrication complexe de l’espace large et du temps long nous semble ainsi rendre compte de la diversité et du trouble qui caractérisent les pratiques des apiculteurs.

L’éclairage que cet article porte sur les pratiques des apiculteurs reste bien entendu limité. Il mérite d’être enrichi par la lecture de l’ouvrage collectif que nous avons coordonné récemment sur le sujet40. Il aborde des thématiques très diverses telles que l’apprentissage du métier, la lutte contre les nuisibles, les émotions que vivent les apiculteurs ou encore leurs relations au sein des collectifs dans le cadre desquels ils échangent et collaborent. L’ouvrage traite également de la situation des apiculteurs dans des pays non européens, en Afrique, ou en Asie. Il implique des chercheurs de disciplines très variées : anthropologues, sociologues, historiens, géographes, psychologues ou encore juristes. Il complète donc très utilement les analyses du présent article.

1 Voir notamment : Denise Van Dam, Michel Streith, Jean Nizet, et Pierre M. Stassart, (dir.), Agroécologie. Entre pratiques et sciences sociales

2 Lucie Dupré, Agnès Fortier, et Pierre Alphandery, « “L’abeille qui convient” : sociologie des pratiques génétiques en apiculture » in Humains et

3 Agnès Fortier, Lucie Dupré, et Pierre Alphandery, « L’autonomie entre marché, rapport à la nature et production de soi. Approche sociologique des

4 John Dewey, Experience and Education, New York /Londres, Collier Books/ Collier Macmillan Publishers, [1938] 1963 ; Joris Thievenaz, « Rencontrer

5 Peter Berger et Thomas Luckmann, La Construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, « Individu et société », 2018 [En ligne] DOI : https:/

6 Jean Nizet et Séverine Lagneaux, « La diversité de l’expérience avec les animaux. Le cas de deux éleveurs de chèvres en Wallonie », in Humains et

7 Les auteurs remercient Étienne Leclercq pour sa lecture attentive du texte et pour ses remarques et suggestions.

8 Voir notamment Claude Lévi-Strauss, Mythologiques II, Du miel aux cendres, Paris, Plon, [1966] 2009 ; Denis Chevalier, L’Homme, le Porc, l’Abeille

9 Lucie Dupré, Agnès Fortier, et Pierre Alphandery, « “L’abeille qui convient” : sociologie des pratiques génétiques en apiculture » in Humains et

10 Jocelyne Porcher, Cochons d’or. L’industrie porcine en questions, Versailles, Éditions Quae, 2010 ; Frédéric Lenoir, Lettre ouverte aux animaux (

11 Yuval Noah Harari, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité, Paris, Albin Michel, 2015 ; Élisabeth Hardouin-Fugier, Le Coup fatal. Histoire de l’

12 Hormis le texte de Fortier et ses collaborateurs [2019] dont le sous-titre – « approche sociologique des pratiques apicoles » – indique l’

13 Danilo Martucelli, « Une sociologie phénoménologique quarante-cinq ans après », in La Construction sociale de la réalité, op. cit., p. 3-36.

14 Jean Nizet et Séverine Lagneaux, « La diversité de l’expérience avec les animaux. Le cas de deux éleveurs de chèvres en Wallonie », in Humains et

15 Elias Canetti, Masse et puissance, Paris, Gallimard, [1966] 1993 ; Raymond Pujol et Geneviève Carbone, « L’homme et l’animal », inHistoire des

16 Sébastien Mouret, Élever et tuer les animaux, Paris, Le Monde/PUF, « Partage du savoir », 2012.

17 Dominique Méda, « Faut-il réenchanter la nature pour la protéger », in Le Souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner, Cynthia Fleury et

18 Élisabeth Hardouin-Fugier, Le Coup fatal. Histoire de l’abattage animal, op. cit.

19 Jocelyne Porcher, Vivre avec les animaux. Une utopie pour le xxie siècle, Paris, La Découverte, 2014.

20 Carine Ollivier et Véronique Van Tilbeurgh, « Comprendre ou gérer l’animal d’élevage, une analyse interactionniste », in Humains et animaux dans

21 Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Sciences Humaines », 2005, p. 456.

22 Sébastien Mouret, Élever et tuer les animaux, op. cit.

23 Claire Lamine, La Fabrique sociale de l’écologisation de l’agriculture, Marseille, Les Éditions La Discussion, « Science, Nature et Environnement 

24 Dominique Méda, « Faut-il réenchanter la nature pour la protéger », in Le Souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner, Cynthia Fleury et

25 Élisabeth Hardouin-Fugier, Le Coup fatal. Histoire de l’abattage animal, op. cit.

26 Valérie Chansigaud, Les Combats pour la nature. De la protection de la nature au progrès social, Paris, Buchet-Chastel, « La Verte », 2018.

27 Catherine Larrère et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, Paris, La Découverte, 2015.

28 Catherine Larrère et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement, Paris, Flammarion, « Champs. Essais »

29 Catherine Larrère et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, op. cit., p. 6.

30 Ibid.

31 Jean-Paul Deléage, Histoire de l’écologie. Une science de l’homme et de la nature, Paris, La Découverte, 1991.

32 Pierre M. Stassart, Philippe V. Baret, Jean-Claude Grégoire, et. al., « L’agroécologie : trajectoire et potentiel. Pour une transition vers des

33 Jeffrey Pfeffer, Gerald R. Salancik, The External Context of Organizations. A Resource Dependance Perspective, New York, Harper & Row, 1978.

34 Martine Hlady Rispal, La méthode des cas. Application à la recherche en gestion, Bruxelles, De Boeck Université, « Perspectives Marketing », 2002.

35 Lucie Dupré, Agnès Fortier, et Pierre Alphandery, « “L’abeille qui convient” : sociologie des pratiques génétiques en apiculture » in Humains et

36 Denise Van Dam, 2019, « L’apiculteur, au cœur d’une éthique du care. Le cas de l’Alsace », inHumains et animaux dans les agricultures alternatives

37 John Dewey, Experience and Education, op. cit. ; Joris Thievenaz, « Rencontrer et susciter l’inattendu : une approche deweyenne de l’expérience »

38 Lucie Dupré, Agnès Fortier, et Pierre Alphandery, « “L’abeille qui convient” : sociologie des pratiques génétiques en apiculture » in Humains et

39 John Dewey, Experience and Education, op. cit. ; Joris Thievenaz, « Rencontrer et susciter l’inattendu : une approche deweyenne de l’expérience »

40 Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith, (dir.), Apiculteurs, nature et société, Dijon, Éducagri éditions, « Références », 2021.

Notes

1 Voir notamment : Denise Van Dam, Michel Streith, Jean Nizet, et Pierre M. Stassart, (dir.), Agroécologie. Entre pratiques et sciences sociales, Dijon, Éducagri éditions, « Références », 2012 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/edagri.vanda.2012.01 ; Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.), Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question, Dijon, Éducagri éditions, « Références », 2019 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/edagri.vanda.2019.01.

2 Lucie Dupré, Agnès Fortier, et Pierre Alphandery, « “L’abeille qui convient” : sociologie des pratiques génétiques en apiculture » in Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.), op. cit., p. 161-175 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/edagri.vanda.2019.01.0161.

3 Agnès Fortier, Lucie Dupré, et Pierre Alphandery, « L’autonomie entre marché, rapport à la nature et production de soi. Approche sociologique des pratiques apicoles », Développement durable et territoires, vol. 10, n° 2, 2019 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/developpementdurable.14580.

4 John Dewey, Experience and Education, New York /Londres, Collier Books/ Collier Macmillan Publishers, [1938] 1963 ; Joris Thievenaz, « Rencontrer et susciter l’inattendu : une approche deweyenne de l’expérience », Questions vives, no 27, 2017, p. 1-7 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/questionsvives.2060.

5 Peter Berger et Thomas Luckmann, La Construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, « Individu et société », 2018 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/arco.berge.2018.01.

6 Jean Nizet et Séverine Lagneaux, « La diversité de l’expérience avec les animaux. Le cas de deux éleveurs de chèvres en Wallonie », in Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.), op. cit., p. 39-52.

7 Les auteurs remercient Étienne Leclercq pour sa lecture attentive du texte et pour ses remarques et suggestions.

8 Voir notamment Claude Lévi-Strauss, Mythologiques II, Du miel aux cendres, Paris, Plon, [1966] 2009 ; Denis Chevalier, L’Homme, le Porc, l’Abeille et le Chien : la relation homme-animal dans le Haut-Diois, Paris, Institut d’Ethnologie, 1987.

9 Lucie Dupré, Agnès Fortier, et Pierre Alphandery, « “L’abeille qui convient” : sociologie des pratiques génétiques en apiculture » in Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.)., op. cit. ; Agnès Fortier, Lucie Dupré, et Pierre Alphandery, « L’autonomie entre marché, rapport à la nature et production de soi. Approche sociologique des pratiques apicoles », art. cit. ; Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.), Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question, op. cit.

10 Jocelyne Porcher, Cochons d’or. L’industrie porcine en questions, Versailles, Éditions Quae, 2010 ; Frédéric Lenoir, Lettre ouverte aux animaux (et à ceux qui les aiment), Paris, Fayard, 2017 ; Alain Finkielkraut (dir.), Des animaux et des hommes, Paris, Stock, 2018 ; Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.), Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question, op. cit.

11 Yuval Noah Harari, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité, Paris, Albin Michel, 2015 ; Élisabeth Hardouin-Fugier, Le Coup fatal. Histoire de l’abattage animal, Paris, Alma éditeur, 2017.

12 Hormis le texte de Fortier et ses collaborateurs [2019] dont le sous-titre – « approche sociologique des pratiques apicoles » – indique l’intention de construire un tel cadre. Nous l’avons découvert trop tardivement pour envisager de l’adopter, ou pour le mettre en débat.

13 Danilo Martucelli, « Une sociologie phénoménologique quarante-cinq ans après », in La Construction sociale de la réalité, op. cit., p. 3-36.

14 Jean Nizet et Séverine Lagneaux, « La diversité de l’expérience avec les animaux. Le cas de deux éleveurs de chèvres en Wallonie », in Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question, op. cit.

15 Elias Canetti, Masse et puissance, Paris, Gallimard, [1966] 1993 ; Raymond Pujol et Geneviève Carbone, « L’homme et l’animal », in Histoire des mœurs. Tome I. Les coordonnées de l’homme et la culture matérielle, Jean Poirier (dir.), Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1990, p. 1307-1388.

16 Sébastien Mouret, Élever et tuer les animaux, Paris, Le Monde/PUF, « Partage du savoir », 2012.

17 Dominique Méda, « Faut-il réenchanter la nature pour la protéger », in Le Souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner, Cynthia Fleury et Anne-Caroline Prévot (dir.), Paris, CNRS Éditions, 2017, p. 75-88.

18 Élisabeth Hardouin-Fugier, Le Coup fatal. Histoire de l’abattage animal, op. cit.

19 Jocelyne Porcher, Vivre avec les animaux. Une utopie pour le xxie siècle, Paris, La Découverte, 2014.

20 Carine Ollivier et Véronique Van Tilbeurgh, « Comprendre ou gérer l’animal d’élevage, une analyse interactionniste », in Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question, Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.), op. cit., p. 63.

21 Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Sciences Humaines », 2005, p. 456.

22 Sébastien Mouret, Élever et tuer les animaux, op. cit.

23 Claire Lamine, La Fabrique sociale de l’écologisation de l’agriculture, Marseille, Les Éditions La Discussion, « Science, Nature et Environnement », 2017.

24 Dominique Méda, « Faut-il réenchanter la nature pour la protéger », in Le Souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner, Cynthia Fleury et Anne-Caroline Prévot (dir.), op. cit., p. 81.

25 Élisabeth Hardouin-Fugier, Le Coup fatal. Histoire de l’abattage animal, op. cit.

26 Valérie Chansigaud, Les Combats pour la nature. De la protection de la nature au progrès social, Paris, Buchet-Chastel, « La Verte », 2018.

27 Catherine Larrère et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, Paris, La Découverte, 2015.

28 Catherine Larrère et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement, Paris, Flammarion, « Champs. Essais », 2022.

29 Catherine Larrère et Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature. Une enquête philosophique, op. cit., p. 6.

30 Ibid.

31 Jean-Paul Deléage, Histoire de l’écologie. Une science de l’homme et de la nature, Paris, La Découverte, 1991.

32 Pierre M. Stassart, Philippe V. Baret, Jean-Claude Grégoire, et. al., « L’agroécologie : trajectoire et potentiel. Pour une transition vers des systèmes alimentaires durables », in Agroécologie. Entre pratiques et sciences sociales Michel Streith, Jean Nizet, et Pierre M. Stassart, (dir.), op. cit., p. 25-51 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/edagri.vanda.2012.01.0025.

33 Jeffrey Pfeffer, Gerald R. Salancik, The External Context of Organizations. A Resource Dependance Perspective, New York, Harper & Row, 1978.

34 Martine Hlady Rispal, La méthode des cas. Application à la recherche en gestion, Bruxelles, De Boeck Université, « Perspectives Marketing », 2002.

35 Lucie Dupré, Agnès Fortier, et Pierre Alphandery, « “L’abeille qui convient” : sociologie des pratiques génétiques en apiculture » in Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.)., op. cit.

36 Denise Van Dam, 2019, « L’apiculteur, au cœur d’une éthique du care. Le cas de l’Alsace », in Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question, Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.), op. cit., p. 99-115 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/edagri.vanda.2019.01.0099.

37 John Dewey, Experience and Education, op. cit. ; Joris Thievenaz, « Rencontrer et susciter l’inattendu : une approche deweyenne de l’expérience », art. cit.

38 Lucie Dupré, Agnès Fortier, et Pierre Alphandery, « “L’abeille qui convient” : sociologie des pratiques génétiques en apiculture » in Humains et animaux dans les agricultures alternatives. La domination en question Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith (dir.)., op. cit.

39 John Dewey, Experience and Education, op. cit. ; Joris Thievenaz, « Rencontrer et susciter l’inattendu : une approche deweyenne de l’expérience », art. cit.

40 Denise Van Dam, Jean Nizet et Michel Streith, (dir.), Apiculteurs, nature et société, Dijon, Éducagri éditions, « Références », 2021.

Citer cet article

Référence électronique

Jean NIZET et Denise VAN DAM, « Les pratiques des apiculteurs : Entre relations à la nature et perceptions des contextes », Sociopoétiques [En ligne], 8 | 2023, mis en ligne le 08 novembre 2023, consulté le 28 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1978

Auteurs

Jean NIZET

Sociologue à l'Université de Namur et à l’Université catholique de Louvain

Denise VAN DAM

Sociologue à l’Université de Namur

Droits d'auteur

Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)