Sociopoétique

DOI : 10.52497/sociopoetiques.640

Plan

Texte

Nous considérons la sociopoétique moins comme une méthode que comme un champ d’analyse qui, nourri d’une culture des représentations sociales comme avant-texte, permet de saisir combien celui-ci participe de la création littéraire et d’une poétique.

Il s’agit moins de sociocritique, toujours plus ou moins victime d’une conception du reflet, que d’une poétique au sens étymologique du terme, qui prend en compte les représentations sociales comme éléments dynamiques de la création littéraire. Il s’agit d’analyser la manière dont les représentations et l’imaginaire social informent le texte dans son écriture même.

Définir les représentations sociales nous fait penser à la définition de l’eau. Qu’est-ce que l’eau ? Il y avait une fois deux jeunes poissons et un vieux. Tout en nageant le vieux salue les jeunes : « Bonjour les jeunes, comment est l’eau aujourd’hui ? » Les deux poissons nagent encore un bout de temps tout en se regardant mutuellement et finissent par s’exclamer : « Mais Bon Dieu, qu’est-ce que c’est que cette eau dont il parle ? » Il en est ainsi des représentations sociales. C’est un milieu dans lequel nous vivons (et par lequel nous vivons, car elles nous sont indispensables) et dans lequel nous baignons tant que nous finissons par ne pas en avoir conscience. Autrement dit, les réalités les plus importantes et les plus évidentes sont souvent celles qu’il est le plus difficile de voir et dont il est le plus difficile de parler.

Les représentations sociales sont la base de notre vie psychique. Elles englobent aussi bien des concepts (le beau, le bien, le vrai), des objets physiques (un animal, des arbres, un marteau, etc.) ou des objets sociaux (vêtements, savoir-vivre, danse, etc.), des catégories sociales ou professionnelles (professeur, psychanalyste, paysan), etc.

Pierre Mannoni écrit fort justement que l’un des principaux problèmes qui se posent est de connaître quelles sont les limites des représentations sociales : leurs contours mais aussi l’étendue du champ social concerné, les référents culturels évoqués explicitement ou implicitement, les mécanismes intrapsychiques conscients et inconscients impliqués, les pratiques sociales et les processus psychologiques à l’œuvre, les cadres institutionnels ou simplement sociaux intéressés. Bref, les représentations sociales sont présentes dans la vie mentale des individus aussi bien que des groupes et sont constitutives de la pensée.

Pour les psychosociologues contemporains, les études se font à partir de questionnaires, d’enquêtes, d’interviews, ou de sondages pour analyser par exemple les représentations sociales de la psychanalyse ou de la maladie. Pour nous littéraires qui travaillons essentiellement sur le passé, ces méthodes d’investigation sont inappropriées. Les représentations sociales impliquent une interdisciplinarité essentielle, car elles relèvent aussi bien de l’histoire que de la psychologie, de la sociologie, de l’anthropologie, de l’ethnologie, de l’imagologie, des sciences des religions, de la linguistique ou de l’histoire de l’art. Aussi, pour cerner le champ d’une représentation sociale – par exemple les représentations des interactions concernant la communication (la politesse) à une époque donnée –, on doit rassembler un ensemble de données où se donnent à lire ces représentations : dans l’histoire des mentalités, dans l’iconographie, et d’abord dans un ensemble de textes, qu’il s’agisse de journaux, de traités, de romans, de lettres, d’autobiographies et de mémoires, afin de pouvoir dessiner l’état des représentations sociales de l’objet à étudier. Évidemment les méthodes d’investigation sont différentes suivant le matériau abordé, mais la finalité reste la même1.

Dans un second temps, une fois le champ des représentations sociales mis en place (bien entendu l’exhaustivité ne peut être complète, d’autant que les représentations sociales ne sont ni homogènes, ni sans contradictions), on s’intéresse à la manière dont l’auteur perçoit et juge la société. Autrement dit, on voit comment il exprime et met en scène ces représentations, d’une part parce qu’il les partage pleinement. Premier cas. Il s’agit alors de voir comment il les construit esthétiquement par l’objet littéraire.

D’autre part, deuxième cas, on voit comment il en est pour partie conscient et comment il en prend pour partie distance (ou encore s’oppose totalement à celles-ci) et crée à partir de cela son œuvre. Cela dit, l’écart esthétique provocateur, dans l’exemple des avant-gardes par exemple, témoigne que l’effet ne peut exister que s’il entre encore en résonance avec les représentations sociales de l’époque – une œuvre totalement indépendante et sans lien aux représentations non seulement n’est pas concevable, mais l’idée même en serait absurde.

La finalité de la perspective sociopoétique à partir des représentations sociales est bien une véritable poétique.

Un bon exemple de cette démarche pourrait être la réécriture des contes traditionnels à l’époque contemporaine. Tout un arrière-fond culturel d’imageries et de sagesse populaire plus ou moins mythologisées affirme la croyance en la justice du Monde et veut que Cendrillon et la Vertu soient récompensées, Barbe-Bleue et le crime punis, le Père Noël un évaluateur et rémunérateur exact de la sagesse et de la méchanceté. Le renversement qui fait du Père Noël une ordure témoigne du changement des représentations quant à la justice d’un monde où les valeurs sont mises à mal. Les écrivains créent ainsi des récits en opposition aux représentations collectives traditionnelles et à partir de celles-ci2.

C’est ainsi que nous l’entendons – création à partir des représentations sociales –, à la différence de ceux qui ne s’intéressent qu’à la réception. Ce champ qui paraît au premier abord plus vaste ne peut cependant pas faire l’économie des représentations sociales. D’ailleurs ces approches loin de s’opposer, sont complémentaires. Pour notre part, nous mettons l’accent prioritairement sur les représentations sociales, bien trop ignorées (les notions d’idéologie, préjugés, stéréotypes3, sens commun, mentalité collective ayant refoulé trop longtemps la catégorie bien plus vaste et importante de la « représentation » à laquelle ils appartiennent).

Sociopoétique et écriture des interactions sociales

Il nous semble fécond d’opérer une lecture des textes littéraires à la lumière de ces représentations qui articulent, structurent et donnent sens au texte. Il s’agit moins de sociocritique, toujours plus ou moins victime d’une conception du reflet et qui cherche dans le texte une image de faits de société, que d’une poétique, au sens étymologique du terme, qui prend en compte les représentations sociales comme éléments dynamiques de la création littéraire.

Une recherche concernant l’écriture des interactions sociales s’intéresse par exemple à ce genre littéraire longtemps fort négligé que sont les traités de savoir-vivre. Nous avions entrepris dans un cadre européen une histoire des représentations de la communication à travers les traités de savoir-vivre. Cette notion d’histoire des représentations fait partie de l’histoire des mentalités et pose naturellement un certain nombre de problèmes épistémologiques et méthodologiques.

L’analyse des représentations de la communication est un travail sur l’imaginaire social, prenant en compte le contenu explicite et implicite des traités de savoir-vivre. Ces derniers sont d’une part le reflet et la systématisation des pratiques sociales existantes, mais d’autre part leur idéalisation (notamment grâce à des systèmes métaphoriques, par exemple astronomiques, théâtraux, etc.). Dans la mise en scène des rapports sociaux, il faut également prendre en compte les représentations implicites de la nature humaine et ce qu’elles présupposent en considérant par exemple le travail de Norbert Elias sur l’agressivité et le refoulement, la civilisation des mœurs, ou encore les travaux de Pierre Bourdieu sur la distinction. S’attacher à une histoire des représentations présuppose qu’il existe une histoire de l’imaginaire social, champ plus vaste que celui défini par la notion classique d’idéologie.

Historiquement, Émile Durkheim définissait les représentations sociales comme une classe très générale des phénomènes psychiques et sociaux comprenant la science, l’idéologie, le mythe, etc. Elles démarquaient l’aspect individuel de l’aspect social et parallèlement le versant perceptif du versant intellectuel du fonctionnement collectif. Penser, c’était subsumer le variable sous le permanent, l’individuel sous le social ainsi qu’il l’écrit dans les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912)4.

À cet égard le mythe joue un rôle intéressant, un rôle de représentation, puisqu’il met en scène une explication du monde par le biais d’un discours/représentation symbolique expliquant les phénomènes tant naturels que sociaux auxquels il donne une origine, un fondement et une légitimité. Les procédés comme la personnification, l’allégorie, etc., sont à des degrés divers des représentations puisqu’ils rendent sensibles un réel structuré ainsi que le montre Lévi Strauss dans les Structures élémentaires de la parenté. Le mythe a un rôle de régulation du comportement et des communications dans les sociétés dites primitives. Ceci nous amène à concevoir dans la représentation non seulement un versant cognitif, mais également un versant conatif, c’est-à-dire que la représentation comporte une double-face : connaissance et action. Elle détermine nos pratiques. Ce dernier élément est évidemment particulièrement important dans le processus de création de l’écriture où la dynamique des représentations débouche sur la poétique.

Le recours au mythe (comme il apparaît à la fin du Cortegiano de Castiglione) est certes dans la civilisation occidentale un dernier recours, l’ultime représentation lorsque la représentation rationnelle vient à faire manque ou qu’un indicible et indiscernable se manifeste. Mais il apparaît souvent comme obstacle, allant à l’encontre d’approches plus différenciées. Cette différentiation semble apparaître également dans la distribution au sein du corps social de ceux qui ont pour fonction de participer à la création des représentations. Alors que la pensée mythique est collective et représentée par un personnage religieux qui n’en est que le dépositaire, dans nos sociétés occidentales la création des représentations sociales est assumée par de nombreuses personnes aux statuts hétérogènes : philosophes, professeurs, hommes de lettres ou de science, etc. Le mythe se donne comme science « totale ». Dans nos sociétés au contraire nous avons des systèmes très hétérogènes et souvent contradictoires : politiques, religieux, philosophiques, artistiques, etc. Aussi avons-nous à faire à des représentations.

Petite histoire des représentations sociales

Durkheim avait introduit la notion de représentation collective, en liaison avec celle de conscience collective. Cette notion de conscience collective se réfère à l’existence de contenus d’origine sociale dans le psychisme des individus, des représentations d’origine collective, commune à tous les membres du groupe. Pour lui, « les premiers systèmes de représentation que l’homme s’est fait du monde et de lui-même sont d’origine religieuse5. » Il distingue les représentations collectives des représentations individuelles :

La société […] a ses caractères propres qu’on ne retrouve pas, ou qu’on ne retrouve pas sous la même forme, dans le reste de l’univers. Les représentations qui l’expriment ont donc un tout autre contenu que les représentations purement individuelles et l’on peut être assuré par avance que les premières ajoutent quelque chose aux secondes6.

Ce concept est donc apparu en sociologie, mais sa théorie s’est élaborée en psychologie sociale avec Serge Moscovici. Durkheim considère les représentations collectives de façon analogue aux catégories purement logiques et invariantes de l’esprit. Pour Moscovici, les représentations sociales sont dans une position particulière, entre le concept ayant pour but d’abstraire le sens réel et l’image reproduisant le réel de manière concrète7.

Cette notion de représentation sociale avait été quasiment oubliée pendant un demi-siècle avant que les historiens des mentalités ne lui redonnent sa place en abordant l’histoire des attitudes reposant sur des représentations collectives, de la famille, de l’enfant (Ariès8), de la mort (Ariès9, Vovelle10). Pour Vovelle « il s’agissait de comprendre, au-delà des conditionnements et des rapports qui régissent la vie des hommes, l’image qu’ils s’en font, l’activité créatrice qu’ils y appliquent en termes d’imaginaire, d’émotions et d’affects11 ». Ces historiens (également Foucault pour la folie, Elias pour les mœurs) s’intéressent à des champs divers : représentations de la prostitution pour Alain Corbin12, du propre et du sale pour Georges Vigarello13, de l’apparence vestimentaire pour Daniel Roche14. Il s’agit donc ici d’objets socialement construits :

La nouvelle histoire s’attaque aux mots, aux images et symboles, ambitionne de reconstruire les pratiques culturelles en termes de réception, d’invention et de luttes de représentations (Vovelle).

Serge Moscovici, en 1961, dans son ouvrage La psychanalyse, son image et son public15, remet en avant le concept de représentation sociale. Moscovici intitule son premier chapitre : « La représentation sociale, un concept perdu ». La recherche de Moscovici met en relief deux processus qui rendent compte de la façon dont le social transforme une connaissance en représentation et dont cette représentation transforme le social. Son objet de recherche est la psychanalyse en tant que porteuse d’un savoir sur les représentations. Il s’attache à montrer « comment une nouvelle théorie est diffusée dans une culture donnée, et elle est transformée au cours de ce processus et comment elle change à son tour la vision que les gens ont d’eux-mêmes et du monde dans lequel ils vivent ». L’aspect dynamique des représentations sociales est mis en valeur : par exemple pour s’approprier une nouvelle connaissance, la psychanalyse, les individus construisent une représentation de celle-ci en retenant la majorité des notions de base tout en occultant certaines.

À la suite de cela, de nombreux chercheurs se sont intéressés aux représentations sociales des psychosociologues : ainsi Claudine Herzlich a étudié les représentations de la santé et de la maladie16. Elle s’interroge sur le sens attribué à la maladie, à la santé, au corps et aux représentations sociales qui constituent l’interprétation collective de la maladie. De même, Denise Jodelet (1984) a étudié les représentations sociales du corps humain17. Elle montre que le corps est perçu comme signifiant du sujet, comme une métaphore de l’histoire de chacun et également représente le lieu du conflit entre société et individu. Sont aussi pris en compte les travaux des anthropologues tels que François Laplantine18, ceux des sociologues comme Pierre Bourdieu ou encore des historiens de l’histoire des mentalités (Ariès, Duby, etc.).

La représentation se situe dans un contexte actif. Il n’y a pas de coupure donnée entre un univers extérieur et l’univers intérieur de l’individu ou du groupe. Sujet et objet ne sont pas foncièrement hétérogènes dans leur champ commun. La représentation est en ce sens une action interne au sujet d’un univers par rapport auquel elle se situe. Et cette action de représentation a dans sa démarche cognitive et normative une finalité organisatrice qui vise à donner sens au comportement, à l’intégrer dans un réseau de relations où il est lié à son objet.

En tant que phénomènes, les représentations sociales se présentent donc sous des formes variées, plus ou moins complexes : images qui condensent un ensemble de significations, systèmes de référence qui nous permettent d’interpréter ou de donner sens, catégories qui servent à classer les circonstances, théories qui permettent de statuer… bref, une activité mentale permettant aux individus et aux groupes de fixer leur position par rapport à des situations, et une mise en place de l’aménagement des normes. L’interface du psychologique et du social est donc à prendre en compte dans le contexte concret où sont situés individus et groupes, dans les cadres d’appréhension que donnent le bagage culturel, le système de valeurs culturelles et dans les codes, valeurs, idéologies liés aux positions ou appartenances sociales spécifiques.

Les représentations sociales forgent les évidences de notre réalité consensuelle. Elles sont à la fois produit et processus d’une élaboration psychologique et sociale du réel. Elles sont des modalités de pensées pratiques, orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l’environnement, social, matériel et idéel. En tant que telles, elles présentent des caractères spécifiques sur le plan de l’organisation des contenus, des opérations mentales et de sa logique.

Le terme de « représentation » (repraesentare, rendre présent (Vorstellung) renvoie au contenu concret de la pensée, comme une image. La représentation est ce par quoi un objet est présent à l’esprit. C’est une perception, une image mentale dont le contenu se rapporte à un objet, à une situation, à une scène du monde dans lequel vit le sujet. D’après la définition de la représentation sociale de Denise Jodelet :

C’est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social19.

Il nous semble donc important de prendre en considération les analyses faites par les psychosociologues des représentations sociales. Pour eux la représentation sociale se définit par trois grandes caractéristiques :

  • 1. Un savoir social

Selon D. Jodelet, « Le concept de représentation sociale désigne une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, (dont les contenus manifestent l’opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués.) Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale20. » On la désigne également comme un « savoir naïf », ou un savoir « naturel ». Cette forme de connaissance se distingue de la connaissance scientifique21. Cette connaissance est socialement élaborée et partagée, car elle se constitue à partir de nos expériences, mais aussi des informations, savoirs, modèles de pensée que nous recevons et transmettons par la tradition, l’éducation et la communication sociale.

  • 2. Un objectif pratique

Elle a une visée pratique d’organisation, de maîtrise de l’environnement (matériel, social, idéel), d’orientation des conduites et des communications, d’explication.

  • 3. La construction d’une réalité commune

Les représentations sociales en tant que systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres orientent et organisent les conduites et les communications sociales. Elles concourent à l’établissement d’une vision de la réalité commune à un ensemble social (groupe, classe, etc.) ou culturel. Comme la représentation théâtrale, la représentation sociale comporte un caractère signifiant. Elle n’est pas simple reproduction, mais interprétation et donc construction. Cela veut dire qu’elle comporte dans la communication une part d’autonomie, de création individuelle ou collective par rapport à l’objet dont il est question.

Elle a un caractère autonome et créatif et elle influence les attitudes et les comportements. C. Herzlich a bien montré comment les représentations de la maladie – destructrice ou libératrice – induisent des comportements (refus des soins et de recours au médecin ; rupture avec les contraintes sociales, enrichissement sur le plan personnel, lorsque la maladie est vécue sur le mode d’une libération, etc.).

Il existe donc une part importante d’activité dans la construction et de reconstruction dans l’acte de représentation. La représentation construit la réalité sociale. Pour Abric22, « toute réalité est représentée, c’est-à-dire appropriée par l’individu ou le groupe, reconstruite dans son système cognitif, intégrée dans son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l’environne. »

Le marquage social des contenus ou des processus de représentations est à référer aux conditions et aux contextes dans lesquels émergent les représentations, aux communications par lesquelles elles circulent, aux fonctions qu’elles servent dans l’interaction avec le monde et les autres. Le fonctionnement de la représentation sociale a deux fonctions importantes que Maisonneuve et Moscovici ont, entre autres, bien soulignées : l’objectivation et l’ancrage.

L’objectivation : le social dans la représentation

L’objectivation est le processus qui donne une texture matérielle aux idées, c’est-à-dire qu’elle met en image des notions abstraites, fait correspondre des choses aux mots.

Objectiver, c’est résorber un excès de significations en les matérialisant23.

L’objectivation rend concret ce qui est abstrait, transforme un concept en image ou en un noyau figuratif24.

Le processus d’objectivation permet aux gens de s’approprier et d’intégrer des phénomènes ou des savoirs complexes. Il comporte trois phases :

  • 1. Sélection et décontextualisation des éléments de la théorie : Il s’agit du tri des informations en fonction de critères culturels et surtout normatifs, ce qui exclut une partie des éléments. On ne retient que ce qui est en concordance avec notre système de valeurs.
  • 2. Formation d’un modèle ou noyau figuratif : les informations retenues s’organisent en un noyau « simple, concret, imagé et cohérent avec la culture et les normes sociales ambiantes. » Les concepts théoriques retenus sont appréhendés par un ensemble imagé et cohérent qui permet de les saisir individuellement et dans leurs relations.
  • 3. Naturalisation des éléments : elle consiste à faire correspondre ces éléments d’une théorie à des éléments de la réalité. C’est une tendance à doter de réalité un schéma conceptuel. C’est un modèle figuratif qui a tendance à concrétiser. On attribue des propriétés ou des caractères aux éléments d’une théorie. Par exemple, à propos de la représentation des éléments de la psychanalyse, Jodelet cite cet exemple : « L’inconscient est inquiet » ; « les complexes sont agressifs ».

Le noyau figuratif prend un statut d’évidence et devient la réalité même pour le groupe considéré. C’est autour de lui que se construit l’ensemble de la représentation sociale.

L’ancrage : la représentation dans le social

C’est « l’enracinement social de la représentation et de son objet25 ». C’est donc l’insertion au sein d’une pensée déjà constituée. Ce processus permet d’incorporer quelque chose qui ne nous est pas familier, de le mettre dans un cadre de référence déjà connu pour pouvoir l’interpréter. Ainsi, par exemple, la psychanalyse est associée à certaines catégories : aux riches, aux artistes, aux femmes, aux faibles. Le processus d’ancrage dans sa perspective la plus instrumentale équivaut à une attribution de fonctionnalité ; la psychanalyse se voit attribuer des usages, une efficacité…

Ce processus comporte plusieurs aspects :

1. Le sens : l’objet représenté est investi d’une signification par le groupe concerné par la représentation. À travers le sens, c’est son identité sociale et culturelle qui s’exprime. Par exemple, la psychanalyse peut être envisagée comme l’attribut de certains groupes (les riches, les intellectuels…) ou être perçue comme un emblème représentant la sexualité ou une vie sexuelle libérée. Ceci dépend du système de valeurs et d’idées auquel le groupe adhère et quel sens veut lui donner ce groupe.

2. L’utilité : « les éléments de la représentation ne font pas qu’exprimer des rapports sociaux mais contribuent à les constituer26 ». La représentation sert de guide pour comprendre la réalité. Le langage commun qui se crée entre les individus et les groupes à partir d’une représentation sociale partagée leur permet de communiquer entre eux. Le système de référence ainsi élaboré exerce à son tour une influence sur les phénomènes sociaux.

3. L’enracinement dans le système de pensée préexistant. La représentation rencontre un déjà-pensé, latent ou manifeste. Pour intégrer de nouvelles données, les individus ou les membres d’un groupe les classent et les rangent dans des cadres de pensée socialement établis. L’incorporation sociale de la nouveauté peut être aidée par le caractère créateur, autonome de la représentation sociale.

En résumé, « le processus d’ancrage, situé dans une relation dialectique avec l’objectivation, articule les trois fonctions de base de la représentation : fonction cognitive d’intégration de la nouveauté, fonction d’interprétation de la réalité, fonction d’orientation des conduites et des rapports sociaux27 ».

Représentations littéraires des interactions sociales

Dans le cas des analyses des représentations du savoir-vivre, l’intérêt des thèses de Norbert Elias a d’abord été de mettre l’accent sur quelques théories du comportement. Mais ses limites viennent du fait que l’objet d’étude, très concret, s’il apporte beaucoup d’éléments à sa thèse du refoulement et de la mise à distance, reste encore trop simplifié au regard de l’énorme complexité culturelle des ouvrages sur la politesse. Elias néglige ce faisant toute l’élaboration théorique dont le poids est énorme, en ne prenant absolument pas en considération les héritages socioculturels croisés et complexes (ainsi la tradition antique est-elle tenue pour une part négligeable voire inexistante, alors qu’elle va être aux xvie et xviie siècles d’une importance considérable, sans parler de l’héritage chrétien ou autres).

La thèse d’Elias, comme perspective historique, considère le refoulement dans l’idée sous-jacente d’une rationalité de l’histoire (que celle-ci soit avènement de la Raison ou d’un refoulement progressif). Ceci amène à négliger le fait qu’il y a dans l’histoire des rationalités et que celles-ci sont parfois différentes, voire contradictoires. L’évolution n’est ni linéaire ni progressive. Nous avons été ainsi amenés à prendre en compte la notion de modèles, de ces modèles sociaux de comportement que sont l’hidalgo, le courtisan, l’honnête homme, le gentleman, le philosophe, le dandy. Nous avons pu réfléchir sur les sens, fonctions et représentations de ces modélisations à l’intérieur du corpus des traités de savoir-vivre. La constitution de ces modèles, leur statut, leur fonctionnement et leur rôle méritent en effet une analyse attentive dans le domaine de l’étude des représentations.

Pour cela, il a fallu établir d’abord la bibliographie des traités de savoir-vivre en Europe, dresser ensuite un état des traditions nationales en étudiant l’histoire de ces cultures de la politesse, ce que nous avons fait pour la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, la Roumanie, la Norvège, les pays de l’Est (Pologne, pays tchèques et slovaques), etc. Nous avons alors écrit une histoire des traités de savoir-vivre en Europe, en nous attachant aux moments forts et significatifs de celle-ci. Ce travail a été suivi de recherches plus thématiques sur l’honnête homme, le dandy, le goût, les femmes, la conversation, le savoir mourir, l’étiquette, la convivialité, les manières de table, les espaces de la civilité. Il s’agit d’études des représentations et, vu la dimension européenne de la recherche, une approche imagologique nous intéressait également : le grand colloque L’Europe des politesses et le caractère des nations. Regards croisés, organisé au Sénat en 1995 a permis d’explorer également les regards portés par les uns et les autres sur le comportement social, les « bonnes manières » de leurs voisins au cours de l’histoire, ainsi que sur les images des caractères dits nationaux. Bien évidemment, les problèmes liés à l’imagologie, aux stéréotypes, aux préjugés, aux systèmes de valorisations implicites et explicites de soi-même et de l’autre dans le cadre de l’interculturalité, et les problèmes fondamentaux de méthode ont été abordés. En outre, ce travail a permis l’établissement d’éditions critiques importantes : celle de Moncrif, de Courtin, des traductions de Castiglione, Giovanni della Casa et Knigge en français28.

La connaissance de ce champ de représentations des interactions sociales sous l’angle de l’histoire des civilités nous amène à une relecture de certains textes littéraires, non comme reflet, mais comme mise en mouvement, en pratique créatrice des représentations. Ces travaux ont permis d’inscrire la création poétique dans le champ des représentations sociales, qu’il s’agisse du Misanthrope, de la conversation, du grotesque, etc.

Quittant le domaine des strictes civilités, nous avons étendu le champ de nos recherches à d’autres interactions sociales comme la danse, la promenade ou encore l’hospitalité en passant par de nombreux textes littéraires d’Homère à Kadaré, car l’hospitalité est une interaction fondamentale qui gère la relation à l’autre, à l’altérité, à l’étranger, l’extérieur et l’intérieur, le territoire et la face, l’accueil, le départ, le voyage, le contenu et le contenant, un certain nombre de fantasmes et de désirs29.

Notre deuxième exemple sera consacré à la danse. Le volume Sociopoétique de la danse30 s’était donné pour finalité de considérer cet espace de la rencontre sociale qu’est la danse et qui a un statut historique comparable à celui de la conversation. Il n’est que de voir chez un Balzac, par exemple, comment il permet d’adopter une position d’observateur. Montcornet voit le bal sans y participer : « comme le roi de la fête, il trouvait dans ce tableau mouvant une vue complète du monde31 ». Avec Balzac, il me semble que l’on voit rarement les danseurs dans leur exercice ; quant à la musique, l’écrivain est presque toujours muet sur ce point. En revanche, l’apparence vestimentaire joue un rôle de premier plan. Le vêtement de bal est en proportion du caractère solennel de la fête. Il est le signe du pouvoir, pouvoir social d’un monde, du monde, en représentation. Mais le pouvoir social est aussi un pouvoir érotique et le caractère séducteur de l’habit importe, comme on le voit dans Le Bal de Sceaux32. Balzac, mais aussi les auteurs de physiologies, procèdent un peu en ethnologues de la vie contemporaine33. C’est à partir des représentations que l’on peut suivre les procédés poétiques qui en sont issus et voir comment les représentations organisent, structurent et dynamisent le champ de la création littéraire.

Pour reprendre l’exemple du bal, on sait combien celui-ci est du point de vue narratif un lieu de rencontre ; il donne au hasard ses chances de rencontres et d’intrigues. Dans Ferragus (et dans d’autres textes balzaciens), l’intrigue court de bal en bal. C’est là que des rencontres décisives ont lieu. C’est là que la stratégie sociale s’exerce. « Ces grands bals étaient toujours des occasions saisies par de riches familles pour y produire leurs héritiers34 ». C’est là que l’on est introduit dans la société (et l’on sait que le dernier bal de Mme Beauséant a cette fonction pour Delphine de Nucingen). Ainsi le bal au xixe siècle, de Balzac à Zola en passant par Flaubert, Maupassant, Hugo, etc., est un espace d’interaction sociale au cœur même de la création romanesque. La connaissance historique et sociologique du phénomène (la fameuse « dansomania » qui saisit la capitale) est fondamentale (voir Paris au bal), mais plus importantes les représentations qui en ont été élaborées et qui sont la matière même de l’écriture35.

Nous poursuivons actuellement une sociopoétique du textile qui s’intéresse aux représentations sociales et poétiques du vêtement36. Nous y montrons comment les représentations sociales constituent la réalité sociale, comment elles sont production de cette réalité et comment à partir d’elles la création littéraire inscrit le jeu fictionnel.

Les différentes sociopoétiques

Depuis une vingtaine d’années et plus récemment, un certain nombre de travaux, articles ou thèses s’intitulent « sociopoétique ». Je voudrais en faire un rapide examen afin de mieux examiner les représentations qui sont faites autour d’un concept qui pour beaucoup reste flou et insuffisamment défini…

Il y a d’abord ceux qui utilisent le terme « socio-poétique » (avec trait d’union) pour signifier simplement (et seulement dans le titre) qu’il s’agit d’une approche faisant place à des données sociologiques. On a ainsi une socio-poétique du roman courtois, ou encore un ouvrage de Sihem Sidaoui intitulé : « Pour une approche socio-poétique du roman contemporain : la figure du sujet dans la narration entre le champ littéraire français et le champ littéraire tunisien francophone dans les années 1990-200037 ».

Adilson Meneses da Paz a présenté en 2004 un mémoire à l’Université du Québec sur « Le rapport aux savoirs chez les adolescents en situation de risque, une étude socio-poétique ». L’auteur étudiant la culture des adolescents de classes populaires à l’école, développe une pratique de recherche inspirée de la sociopoétique, où les adolescents constitués en groupe-chercheur participent comme acteurs de l’investigation qui les concerne. La technique sociopoétique des lieux géo-mythiques, qui favorise la métaphorisation du rapport des jeunes gens au savoir, et les analyses – collectives et individuelles – qu’elle suscite, tant de la part des acteurs que du chercheur, permet de problématiser le vécu adolescent à l’école et dans d’autres lieux d’apprentissage. De fait il s’agit d’une étude concernant le rapport au savoir tel que Bernard Charlot l’entend. La socio-poétique ici est entendue comme sociologie s’appuyant sur les discours des acteurs (adolescents et chercheurs). La référence principale dans cette thèse écrite en brésilien est Jacques Gauthier, auteur d’une Sociopoétique comme rencontre des arts, de la science et de la démocratie (1999), de plusieurs articles publiés à Rio de Janeiro et d’un ouvrage collectif : Uma pesquisa sociopoética en 2001. Jacques Gauthier, auteur de « La sociopoétique : dispositif d’inclusion des cultures orales en sciences humaines et sociales38 », est aussi le grand modèle de la thèse de Maria Geovanda Batista, Les multiples relations entre le jeu, le corps et le territoire : les pratiques socio-poétiques et socio-culturelles de Pataxo, soutenue en 2004 conjointement à l’Université du Québec au Chicoutimi et à l’université de Bahia au Brésil. Là encore, la « sociopoétique » est une étude de sociologie interculturelle à partir de la notion de jeu chez les Indiens Pataxo.

De fait, initiée par la thèse de Iraci dos Santos en 1997, la sociopoétique serait née au Brésil dans les années 1990 dans le cadre de projets pédagogiques visant l’exploration des sens, des émotions, des gestes pour promouvoir l’activité artistique, le soin, l’éducation, le développement spirituel, humain et politique. Je ne m’attarde pas sur cette notion, qui n’a évidemment que peu de choses à voir avec la littérature.

Au Québec ont aussi été développées quelques perspectives de sociopoétique. Ainsi en 1993 a été faite une demande de subvention « jeune équipe » pour un programme de recherche portant sur une « sociopoétique de l’épistolaire : les années trente au Québec ». Ce projet se situait à la croisée de deux secteurs du domaine de la critique littéraire francophone : les recherches sur l’épistolaire et la théorie du discours social. Consacré à l’étude d’un corpus de correspondances écrites au Québec dans la décennie qui suit la Grande Crise de 1929, il se donnait pour objectif la constitution d’une sociopoétique de l’épistolaire qui sache à la fois prendre en compte la socialité de la lettre et les spécificités de son écriture. Il s’agissait de conjuguer l’étude immanente d’un corpus donné (les caractéristiques formelles) et sa lecture sociale (axiologique et idéologique). Mais il ne semble pas à notre connaissance que le projet ait été mené à terme.

En 1996, Nicole L. Richardson écrit une thèse à l’Université d’Ottawa : « Du lecteur réel au lecteur fictif : essai de sociopoétique des quatre premiers romans de Gérard Bessette ». Il s’agit d’une étude de réception dans la lignée d’Alain Viala, qui commence par une sociologie de la lecture puis envisage les différents statuts du lecteur dans le texte39). La conclusion pour Richardson est que la sociopoétique rend compte à la fois d’une sociologie et d’une poétique de la lecture. En 1999, Isabelle Lemire propose un mémoire à Laval : L’évolution de la figure du lecteur dans Le ciel de Québec de Jacques Ferron. Étude sociopoétique ». Par « sociopoétique », l’auteur entend à la fois une étude de la genèse d’une œuvre et une étude de réception. L’étude sociopoétique pose la complémentarité de l’approche sociologique et des méthodes structuralistes d’analyse du texte, elle permet d’envisager la relation entre le texte et son contexte d’émergence. L’élaboration de l’étude sociopoétique provient d’une combinaison entre poétique formelle et sociologie historique. Est entendue par là une poétique visant un examen des genres et des formes, « qui s’inscrive dans une réflexion sur ses variations en fonction de variations sociales ; une poétique qui, parce qu’elle est variable et que ces variations se discernent selon des états différents de la société, soit identifiée non comme une quête d’“universaux”, mais bien comme une variable sociale. » (Alain Viala). L’auteure s’appuie sur la théorie du discours social de Marc Angenot (Un état du discours social, 1989), la pertinence d’une sociopoétique reposant sur le concept de la socialité des textes. Définie sur deux plans interactifs, la sociopoétique sollicite une analyse macrostructurelle et microstructurelle. La première, plus globale, concerne la valeur sociale des genres et des formes ; la seconde, à l’échelon des structures particulières du texte, porte sur la construction des effets esthétiques et idéologiques liés à cette valeur sociale des formes, les divers états de la poétique correspondant aux divers états de société.

Frédéric Quenneville-Labelle a écrit un mémoire à l’Université Laval en 2014 : Madeleine à La Revue moderne : une approche sociopoétique (1919-1923). Il s’agit d’étudier les multiples pseudonymes qui ont permis à Madeleine (de son vrai nom Anne-Marie Gleason-Huguenin) de préserver la posture d’écrivaine qu’elle s’est construite dans le champ des lettres canadiennes françaises, d’où les références à Jérôme Meizoz pour la question de la posture, à Alain Viala pour la réception et surtout à Chantal Savoie dans « Pour une sociopoétique historique des pratiques littéraires des femmes » (dans Anthony Glinoer [dir.], Texte : Sociocritique, n° 45/46, 2009). La sociopoétique alors est conçue comme l’étude des relations de posture et de réception.

C’est avant tout dans la perspective de la réception qu’Alain Viala, depuis l’étude sur Le Clézio, entend la sociopoétique. Les études de réception (depuis que Jauss a mis celle-ci à la mode) ne peuvent en effet se passer d’un plus ou moins de sociopoétique. J’en veux pour preuve deux thèses. D’abord celle d’Étienne Sarkany, Forme, socialité et processus d’information. L’exemple du récit court à l’aube du xxe siècle. Sociopoétique du récit court moderne. Atelier Thèses Lille III, 1982 ; ensuite, celle de Junga Shin, Du Racine galant au Racine classique : essai de sociopoétique de la réception de Racine au xviie et au xviiie siècle, 1659-1763 (Presses universitaires du Septentrion, 2001 – 492 pages).

Plus largement, dans Approches de la réception (PUF, 1993), Alain Viala définissait l’objet de la sociopoétique comme la corrélation entre les faits de société et les concrétisations historiques de la poétique chez tel ou tel écrivain. Soucieux de cerner au plus près le passage du monde référentiel en texte, il distinguait quatre prismes40 (la langue, le champ littéraire, le système des genres, l’auteur), auxquels J. Meizoz en ajoute d’autres (le marché, les lecteurs, le support du texte et la transtextualité au sens où l’entend Gérard Genette). Le texte littéraire est ainsi envisagé simultanément dans l’optique de la production et dans celle de la réception. Son étude veut échapper au déterminisme des théories du « reflet ». Les possibles formels et génériques que le champ littéraire propose au « créateur » gagnent en outre, précise l’auteur, à être rapportés à l’ensemble des discours (le « discours social », pour reprendre la formule de Marc Angenot).

À tous égards, la littérature constitue un discours social. Discours à la société car elle n’existe, socialement parlant, qu’à partir du moment où elle est lue ; discours sur la société, car elle en met en jeu, même quand elle n’en parle pas, des valeurs, des schèmes culturels, des modes de représentation ; discours dans la société car elle y fonctionne toujours, au moins, comme un discriminant. Mais un discours singulier, puisqu’à la fois il participe du fonds commun linguistique et se distingue, par la série des marques qui permettent qu’il soit (ou non) qualifié de « littéraire », des autres actualisations verbales.

D’une manière générale, la démarche, loin de simplement observer ce qui serait l’inscription du social dans le texte, joue sur les médiations, les représentations, les postures. Ainsi, l’objet à étudier réside dans les médiations qui constituent les systèmes de relations entre la littérature et les autres praxis sociales : autrement dit, les effets de prisme. Le champ littéraire constitue la médiation fondamentale. À condition, comme l’a souligné Pierre Bourdieu, d’entendre ce terme et de définir ce concept dans toute leur rigueur, et de ne pas les réduire à un équivalent des idées traditionnelles de « contexte social » ou de « milieu littéraire » ; à condition de l’entendre comme l’espace social relativement autonome formé par l’ensemble des agents, œuvres et phénomènes de la praxis littérature, dont les structures se définissent par le système des forces qui y sont agissantes et par leurs conflits.

Pour Bourdieu, les champs sont des espaces sociaux dans lesquels se trouvent situés les agents qui contribuent à produire les œuvres culturelles. Ceci à la différence d’un Howard Becker, auquel il reproche d’aligner une somme d’agents individuels liés par de simples relations d’interaction ou de coopération, évocation purement descriptive et énumérative au lieu d’étudier les relations objectives qui sont constitutives du champ. Pour Bourdieu il s’agit d’un champ de forces, un réseau de relations objectives de domination ou de subordination. Aussi s’agit-il pour lui de situer le champ littéraire au sein du champ du pouvoir, d’analyser la structure interne du champ littéraire et les positions dominantes et les habitus des occupants de ces positions. L’analyse des formes de détermination externe explique la position de l’écrivain.

Cette perspective a suscité un certain nombre de nuances, de réserves et de critiques qui ont été résumées par J. Meizoz41 :

  • tout d’abord, l’universalité du modèle, qui est problématique parce qu’il a été élaboré à partir du seul cas français42 ;
  • ensuite, l’excès déterministe et l’insuffisante prise en compte du discours justificatif des écrivains et de leur identité ou de leur psyché43 ;
  • le fait de réduire les œuvres à une « stratégie sociale » de l’écrivain44 ;
  • le « dominocentrisme » incontrôlé de la théorie est vivement critiqué parce qu’il reconduit les jugements dominants concernant les grands auteurs et les genres majeurs sur la littérature, ce qui conduit à une méconnaissance des auteurs et genres dits « mineurs » dans les corpus de recherche45.
  • Enfin, Bourdieu ne propose guère d’analyses dans le détail du texte. Le close reading et la micro-analyse sont cependant très nécessaires à l’investigation sociologique et sociopoétique.

Aussi la sociopoétique d’Alain Viala46 propose-t-elle un protocole d’étude plus détaillé que celui de Bourdieu dont elle s’inspire. La sociopoétique d’Alain Viala a pour prémisse que la littérature est un « discours » qui relève d’« effets d’institution » :

Sociopoétique, c’est le terme qui m’a paru le plus adéquat pour cette discipline et que j’ai pu proposer comme tel (Les institutions de la vie littéraire en France au xviie siècle, op. cit., p. 67).

Sont considérés en priorité les genres comme codes sociaux, le pacte de lecture, pacte de sociabilité et horizon d’attente.

C’est dans cette perspective large que s’inscrit l’ouvrage de Valérie Stiénon, consacré aux Physiologies parisiennes de la première moitié du xixe siècle. Elle situe ce petit genre éditorial et contextuel dans l’espace des possibles formels de la Monarchie de Juillet, en conciliant démarche poéticienne et étude du médium. Plusieurs caractéristiques récurrentes fédèrent ces textes sur le plan générique : le développement d’une fiction d’actualité, la structure taxinomique, le projet éditorial sériel, la composante réflexive et l’usage du stéréotype. L’étude des modes de diffusion culturelle met ensuite en perspective les nombreuses représentations d’un lectorat associé au type traité, d’une figure d’éditeur en entrepreneur impérieux et d’un illustrateur en interlocuteur fictif. C’est une étude intéressante à laquelle on peut seulement reprocher le fait que le terme « sociopoétique » n’apparaisse que dans le titre et ne soit nullement défini ni réfléchi dans le cours de l’ouvrage. Il est regrettable de voir que le terme sociopoétique sert d’accroche simplement parce qu’il est à la mode. Si l’emploi du terme est légitime dans le cas de Valérie Stiénon, car son ouvrage répond bien à un tel type d’analyse (dans le sens de Viala), il n’en est pas de même de certains autres. Je citerai comme exemple la revue brésilienne Sociopoética, fondée par le professeur Sébastien Joachim à la suite de nos interventions à l’Université de Récife, qui, au cours de ses numéros, a totalement perdu les perspectives d’origine pour ne plus être qu’une revue interdisciplinaire d’études culturelles. Aussi devons-nous être très attentifs dans la présente revue (en ligne) à bien expliciter le sens donné au terme de « sociopoétique » et à bien respecter la spécificité de l’approche sociopoétique.

On pourrait citer l’ouvrage tout récent de Marie-Odile André, Pour une sociopoétique du vieillissement littéraire. Figures du vieil escargot (Éditions Honoré Champion, Paris, 2015) où la perspective sociopoétique adoptée est propre à articuler entre elles les différentes dimensions impliquées par les notions d’âge et de vieillissement littéraires, tout en articulant le biographique, le social et le poétique dans la lignée de Viala et de Meizoz. Il est par ailleurs frappant de voir que les Nineteenth–Century French Studies ont ouvert récemment une rubrique « Sociopoétique » pour rendre compte de certains ouvrages. Actualité encourageante pour la poursuite de nos investigations face à ceux pour qui la sociopoétique serait un concept flou, voire inexistant ! La résistance de certains est due au manque de familiarité à des approches transdisciplinaires que la sociopoétique nécessite bien évidemment.

Sociopoétique des mythes

La sociopoétique envisage le mythe dans une perspective surtout historique et pas seulement comme fond culturel. Le mythe n’est pas en effet une structure stable, mais au contraire consiste en une série de variations, de tensions entre des éléments stables et des éléments qui varient sans cesse, qui se métamorphosent et sont modifiés. Une sociopoétique du mythe prend en considération non seulement cet ancrage, mais veut étudier comment dans une idéologie donnée, dans une époque donnée, dans un milieu sociopolitique spécifique, dans un ensemble de représentations sociales et culturelles, un mythe vient à reparaître, continuer à vivre, se réécrire et s’activer.

L’essai, certes polémique, mais tonique de Jean-Louis Siran, L’illusion mythique47, met l’accent sur le fait que le mythe n’existe pas comme tel, qu’il n’y a que des histoires racontées chacune différemment. J’en retiens l’idée fondamentale pour nous que le mythe est lié à son énonciation : c’est ce qui est raconté à un moment donné, dans des circonstances données. Or prendre en considération les positions de l’énonciation, c’est à la fois tenir compte des représentations sociales et également de la poétique – au sens fort – du mythe, de l’énonciation comme phénomène littéraire. Un mythe n’existe pas en essence, c’est une histoire, un schème repris sans cesse différemment, pour rendre le réel intelligible et lui donner un sens. La sociopoétique se donne ainsi pour objet d’études la manière dont les représentations sociales (prises au sens large) d’une époque articulent, génèrent et structurent le mythe. Cette articulation du lieu de l’énonciation et de la mise en forme du mythe nous semble importante, et c’est un champ d’études qui nous a occupé jusqu’en 2006 au Centre de Recherche sur les Littératures Modernes et Contemporaines (CRLMC), et depuis au CELIS. À titre d’exemple je citerai les travaux réalisés autour des mythes de Psyché, d’Écho, avec Véronique Gély, de Judas avec Bertrand Westphal, de Marie-Madeleine par moi-même, de Caïn avec Véronique Léonard, du Minotaure avec Catherine d’Humières, de Mélusine, de Barbe-Bleue, des contes des frères Grimm, etc.

Cette recherche ne comprend pas seulement une perspective diachronique, elle s’enrichit d’analyses synchroniques qui examinent le statut d’un système mythique à une époque donnée comme nous l’avions suggéré avec les études sur les mythes de la décadence et avec ceux de l’Avant-garde.

Interactions et représentations sociales

L’ouvrage que j’ai publié il y a quinze ans sous le titre de Sociopoétique de la promenade48 aborde quelques aspects de la sociopoétique qui me semblent importants, même si je n’ai pas à l’époque développé l’aspect théorique de la sociopoétique. Je partais du constat anthropologique que la déambulation est d’abord un fait culturel, un phénomène social et c’est dans cette perspective que j’ai analysé les représentations de la promenade comme mode d’interaction sociale et comme type de rencontre avec l’autre.

La promenade n’est pas le voyage, qui suppose un parcours important, avec ses fatigues, ses grandes aventures, ses découvertes de mondes autres, avec ses finalités propres. La promenade se distingue par l’apparente absence de finalité, elle reste dans une sphère limitée, celle de l’environnement immédiat. Comme pratique sociale, la promenade n’est pas seulement mondaine, elle est aussi expérience d’une rencontre d’un sujet social et d’un milieu. Que le sujet soit conscient ou non de son appartenance à la société n’est pas essentiel, car tout nous y renvoie : son mode de perception, son système de valeurs, sa sensibilité, sa manière de s’approprier l’espace, ses façons de regarder, de marcher, de parler, de choisir son itinéraire, etc. Qu’il soit immergé dans la foule ou qu’il soit livré à la solitude, c’est toujours d’un rapport de l’homme à son humanité qu’il est question. Quant au milieu, il peut être tout aussi bien un groupe social qu’un paysage dont on sait bien qu’il est également construction sociale, culturelle et historique. Le dialogue du solitaire dans une nature déserte nous parle du rapport de l’homme avec ses semblables, à commencer par le plus proche, lui-même, mais en liaison étroite avec les représentations qui sont les siennes de la société et de ce qu’il appelle nature.

Nous avons montré comment la promenade est d’abord une forme élevée du dialogue et de la conversation. Comment elle représente une oralité opposée à la position assise du scribe, depuis Platon à Montaigne ; comment elle est la forme d’une relation sociale paradigme de mondanité avec ses règles, ses temps et ses rites. Différents aspects de la promenade conversation ont été abordés pour montrer comment une telle pratique sociale anime et structure la création narrative (par exemple dans les Égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon fils où trois promenades structurent le roman). Une autre forme de promenade, loin de rechercher la compagnie des hommes, la fuit. Autre manière de prendre position face à la société, soit dans la retraite, soit dans la contemplation solitaire ou la rêverie. La fin du xviiie siècle marque un tournant décisif, avec non seulement la démocratisation d’une pratique oisive distinctive de l’aristocratie, mais également l’établissement de nouveaux rapports entre nature et société. Le promeneur revendique une liberté nouvelle face aux mœurs de l’Ancien Régime, la promenade devenant l’exercice d’un sujet libre, désintéressé, dont la subjectivité est constructrice de ses paysages.

Je passe sur toutes les représentations inhérentes à cette activité : mémoire, souvenir, histoire – de Pétrarque à Stendhal ou encore l’attitude critique que le jeu de l’écart permet de jeter sur ses semblables comme chez Robert Walser, pour ne retenir que deux points importants : la représentation de la société aristocratique chez Rousseau lors de la fâcheuse rencontre du promeneur solitaire avec le gros chien danois (dans le chapitre consacré à Rousseau et les représentations “nature-société”) et d’autre part la promenade dans la nature des romantiques allemands avec tout ce qu’elle présuppose de représentations politiques et sociales.

Ce sont là des perspectives de lecture loin de tout dogmatisme ou esprit de système que propose la sociopoétique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’accumule les exemples qui sont autant de perspectives de recherche et qui pourraient peut-être être suggestifs et donner, je l’espère, quelques idées de nouvelles lectures et recherche dans les différents champs.

On pourrait également, par exemple, étudier le théâtre de Feydeau pour voir justement comment la farce joue sur la transgression des représentations sociales. Les dernières pièces de Feydeau jouent sur les dévoilements de l’intimité et elle n’est pas belle, l’intimité du couple dans l’imagination des contemporains ! Aussi faut-il voir comment l’écrivain traite ces représentations des interactions conjugales pour en faire un objet comique. On voit que c’est en les subvertissant et en exposant publiquement sur la scène, au grand jour, qu’il expose ce qui devrait rester caché, enfoui dans le secret de l’intimité.

Le corps est ce dont on est censé ne pas parler. Tous les manuels de savoir-vivre excluent de la conversation honnête les références au corps, à cette intimité corporelle qui est de la sphère strictement privée et qui ne doit pas être dévoilée en raison de son inconvenance. On se souvient de l’aphorisme que Balzac notait déjà dans sa Physiologie du mariage :

L’homme qui entre dans le cabinet de toilette de sa femme est un philosophe ou un imbécile49.

Suivant Caroline Crépiat50, on pourra noter qu’« en cette période fin de siècle, l’hygiénisme, doctrine bannissant le malpropre de la vue, de l’ouïe et de l’odorat de la société, est relayé par un hygiénisme thérapeutique : il s’agit d’être propre à l’intérieur. Se purger devient une préoccupation hebdomadaire : eaux purgatives, telles Sedlitz ou Hunyadi-Janos, pastilles, tisanes, clystères et canules, sont d’usage et promettent de retrouver un “teint frais et rose”, une “santé parfaite”, un sentiment d’Idéal51 ». Feydeau en fait l’un des thèmes de sa célèbre pièce, représentée en 1910, On purge bébé. Ce vaudeville dépeint de manière caricaturale certaines questions de la société de l’époque quant à l’exposition publique de l’intimité domestique et de son fonctionnement.

La pièce commence par l’interruption de la bonne (« C’est Madame qui demande Monsieur ») qui interrompt Monsieur dans son « travail », travail qui est de chercher l’emplacement des îles Hébrides pour répondre à une question de son fils. À la différence des maîtres d’hôtel des comédies plus anciennes qui n’ignorent rien de la vie de leurs maîtres (comme dans Chat en poche, etc.), la bonne n’est guère au courant de ce qui se passe à l’intérieur de la famille. « Madame s’habille toute seule et se coiffe elle-même. Elle s’enferme à double tour dans son cabinet de toilette, et c’est à peine si j’ai le droit d’y entrer », se plaint Célestine, la femme de chambre du roman de Mirbeau (Journal d’une femme de chambre). Rose, quant à elle, semble même ignorer la profession de son maître porcelainier. La bonne, autrefois mêlée à la famille, est rejetée au xixe siècle dans ces chambres de bonne au dernier étage. La vie familiale bourgeoise isole et rejette les bonnes hors de son intimité. Rose (déjà ce nom sans aucun doute de connivence52) a un nom bien significatif dans cette pièce qui ne sent pas la rose. La petite bonne provinciale totalement ignorante (et tenue ainsi dans son ignorance faute d’une éducation possible – d’ailleurs on ne s’empresse guère de lui expliquer ce que sont les Hébrides) a pour rôle principal dans la pièce, d’annoncer les visiteurs. Sa fonction est sociale, en ce sens qu’elle se doit d’appartenir à un ménage bourgeois. Ce rôle de représentation est assez visible quand on apprend que « c’est Madame qui range », qui met de l’ordre et même s’occupe de vider son seau, alors que c’est normalement aux domestiques que cette tâche est dévolue, au point que le surnom donné aux domestiques était « videurs de pots de chambre53 ». Julie évoque son éducation bourgeoise qui fut de faire d’elle une femme d’intérieur et une bonne ménagère, apprenant à tout faire par elle-même et à ne compter que sur elle, « parce qu’on ne sait jamais, dans la vie, si on aura toujours des gens pour vous servir ». Ce qui n’est pas sans embarrasser son mari qui se demande, puisque c’est Madame qui range son cabinet de toilette, pourquoi il paye une bonne. Et de fait on aperçoit alors la fonction de représentation qu’occupe la bonne dans le ménage petit-bourgeois des Follavoine, puisque Julie veut tout faire par elle-même, redoutant que la tierce personne n’ébrèche et ne casse tout ! Le plus comique dans ce milieu de parvenu (le mot est lâché) est que toute l’attitude de Julie contredit les dispositions de sa bonne éducation de femme d’intérieur, puisqu’elle se promène comme une souillon à onze heures du matin avec son peignoir sale, ses bigoudis et ses bas qui traînent sur ses talons !

Le personnage de la bonne est très intéressant, bien que ce soit un personnage secondaire d’apparence inconsistante. Elle intervient cependant de façon exemplaire pour signifier l’incongruité du comportement de ses employeurs comme dans Feu la mère de Madame, où la bonne Annette est malmenée, tirée plusieurs fois du lit en pleine nuit, faisant ressortir l’inconséquence de ses maîtres de la manière la plus comique. Sans doute le questionnement dans On purge bébé sur la question des îles Hébrides est-il une source comique pour montrer son ignorance de la géographie (sans parler du fait que sa soi-disant bêtise met en relief celle de son patron comme de sa femme qui vont chercher dans le dictionnaire ces îles aux lettres les plus inadéquates). Mais le fait que Follavoine interroge la servante montre non seulement que dans son propre manque de culture il va chercher une réponse jusque dans la domesticité, mais également qu’il se place involontairement à son niveau tout en ne respectant pas la hiérarchie normale entre employée et maître54.

C’est dans d’autres interventions de la bonne que nous est donné à voir ce que Anne Martin-Fugier note dans l’introduction de son ouvrage, à savoir le respect fondamental des bonnes aux codes bourgeois :

Elles se montrent même pointilleuses sur le respect de ces codes, veillent à ce que la répartition des codes sociaux soit respectée, et apparaissent ainsi comme le plus sûr garant de l’ordre établi (p. 11, voir aussi p. 211).

Et elle ajoute que c’est ce qui fonde leur légitimité. En posant à sa bonne la question des Hébrides, Follavoine rompt la répartition des rôles sociaux. Mais plus encore, la bonne fera remarquer que Julie tout comme son mari transgressent les bonnes manières bourgeoises, l’une en promenant son seau d’eaux sales, l’autre en ayant à la main un pot de chambre. Rose ne manque pas de faire remarquer l’incongruité de la place de ces objets dans la maison et dans les mains de Follavoine qui a la réponse savoureuse et exemplaire dans la manière de déplacer les signifiants, en disant que le pot de chambre qu’il tient à la main, non pas de manière distraite, mais sérieuse, est « un article d’équipement militaire ». Tout comme dans les Bijoux de la Castafiore relu par Michel Serres, le quiproquo sur les signifiants est une source d’égarement. Chacun attribue au signifié un sens différent : Rose ne sait pas où sont les Hébrides, parce que c’est Madame qui range, ni ce qu’est de la terre entourée d’eau sinon de la boue. À la réponse de Follavoine que les Hébrides sont des îles et que pour cette raison elles ne sont pas dans l’appartement, l’analphabétisme obstiné de la servante lui attire la délicieuse réplique que puisque c’est dehors elle ne les a pas vues, étant depuis peu à Paris. Nul doute que le mauvais fonctionnement de la relation signifiant signifié témoigne du fait que la constipation est générale. D’ailleurs le père dans son ignorance et ne sachant que répondre à Bébé ira même jusqu’à lui dire que « Les Hébrides, c’est pas pour les enfants ! »

Le jeu comique réside dans la mise en relief de représentations sociales contemporaines en ce qui concerne les relations conjugales, mais aussi dans les représentations du corps, des aspects de l’intimité, des problèmes hygiénistes, de l’éducation des enfants terribles, du rejet de l’autorité, tout en dévoilant les dessous de la culture parentale. À Follavoine qui est militaire son fils déclare que pour échapper au service, il ira en Belgique ! La critique sous-jacente de l’armée vivant dans le confort et à laquelle on veut offrir des pots de chambre en porcelaine incassable ou encore de la politique, car les Hébrides ont fait l’objet d’une querelle avec l’Angleterre, témoigne d’un jeu constant avec les représentations qui sont exposées, mises à mal et source de comique. Bien entendu une approche sociopoétique d’une farce beaucoup plus profonde et riche qu’on ne le suppose au premier abord exige non seulement que les éléments de référence soient analysés, mais également le public auquel la pièce s’adresse dans son horizon d’attente. Par exemple le rythme quasi hystérique régit actions et réactions des personnages, comme si le foyer conjugal, source de vives et perpétuelles tensions, témoignait de la difficulté du vivre ensemble. L’agressivité constante de l’épouse génère de multiples double-bind à propos d’une mère pour l’une qui est aussi belle-mère pour l’autre. Follavoine dit que c’est la même chose, mais pour Julie les signifiants sont différents : « J’ai dit “ma mère” ; eh ! bien, c’est “ma mère”. Inutile de me corriger pour me dire : “ma belle-mère” ». Aussi, alors que Follavoine cherche à arrondir les angles, le portrait qui est fait de l’épouse est assez proche de celui de l’hystérique tel que le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales de 1889 l’a défini : « une hystérique, en l’espace de vingt-quatre heures est successivement triste, calme, douce, tranquille, irascible, etc. […] enfer perpétuel pour le pauvre homme qui est perpétuellement traité d’égoïste ou de bourreau, suivant qu’il s’occupe ou non de la maladie de sa femme, qu’il la plaint ou la secoue, qu’il abonde dans son sens ou la contredit… Ceci pour dire que le mariage n’est pas une thérapeutique de l’hystérie55 ». L’hystérie est à l’époque quelque chose de fort actuel et présent dans les consciences.

L’intérêt d’un tel exemple réside dans le fait que se mêlent étroitement représentations sociales et représentation individuelle, la dimension collective d’une part et la dimension individuelle propre à l’auteur qui traverse et vit à l’époque la crise conjugale. L’articulation du psychologique et des représentations sociales (ce qui constitue le domaine de la psychologie sociale) permet de comprendre en profondeur la création poétique de Feydeau.

À travers ce rapide parcours qui emprunte à nos travaux comme aux travaux des autres, au fil de ces quelques réflexions pour donner à penser la sociopoétique, nous espérons avoir montré que celle-ci permet une relecture qui peut être féconde de certains textes replacés dans le contexte des représentations sociales. Comment lire le Misanthrope de Molière en ignorant les représentations de l’époque concernant les interactions sociales, le problème de l’authenticité, de la sincérité ou de l’artificialité de la politesse, idées qui ont fait l’objet de multiples traités et qui nourrissent les réflexions des courtisans, de la cour et de la ville ? Castiglione, Guazzo, Della Casa, Gracian, n’ont cessé de redire chacun à leur manière l’art de feindre honnêtement ou plus ou moins honnêtement, suivant les cas, comme le montrait le traité de Torquato Accetto, De la dissimulation honnête (1641). Molière joue génialement sur les représentations sociales de l’époque en construisant un type de discours qui en reprend certaines pour en faire l’objet de sa poétique comique en les malmenant.

1 Sur le recueil de contenus, voir Pascal Molinier, Patrick Rateau et Valérie Cohen-Scali(dir.), Les représentations sociales. Pratique des études

2 Voir A. Montandon, « Nouveaux enfants, nouveaux ogres ». Congrès Acfas 2012, Montréal (à paraître).

3 Sur les préjugés, on lira Critique et légitimité du préjugé (xviiie -xxe siècles) (éd. Ruth Amossy et Michel Delon), Bruxelles, Éditions de l’

4 Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Le livre de poche, 1991, p. 627.

5 Émile Durkheim, op. cit.

6 Ibid.

7 Willem Doise et Augusto Palmonari (dir.), Textes de Base en psychologie. L’étude des représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986, p

8 Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960. Il montre que la catégorie de l’« enfance » n’est apparue

9 Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1975.

10 Michel Vovelle, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.

11 Michel Vovelle, cité par Pierre Mannoni, Les représentations sociales, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1998.

12 Alain Corbin, Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (xixe siècle), Paris, Flammarion, « Champs », 1982 (1re éd. 1978).

13 Georges Vigarello, Le Propre et le Sale : L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, « L’univers historique », 1987.

14 Daniel Roche, La Culture des apparences : essai sur l’histoire du vêtement aux xviie et xviiie siècles, Paris, Fayard, 1989, 550 p.

15 Serge Moscovici, La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF, 1961.

16 Claudine Herzlich, Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, Mouton, 1969 ; également « Représentations sociales de la santé

17 Denise Jodelet, « Systèmes de représentations sociales du corps et groupes sociaux », rapport de fin de recherche, Cordes, 1980 ; et« 

18 François Laplantine, Anthropologie de la maladie : étude ethnologique des systèmes de représentations étiologiques et thérapeutiques dans la

19 Denise Jodelet (dir.), Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989, p. 36.

20 Denise Jodelet, « Représentation sociale : phénomènes, concept et théories », in S. Moscovici (dir.), Psychologie sociale, Paris, PUF, 1997.

21 Denise Jodelet (dir.), Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989, p. 36.

22 Jean-Claude Abric, Pratiques sociales et représentations, sous la direction de J-C Abric, Paris, PUF, 1994, 2e édition, 1997.

23 Serge Moscovici, cité par Jodelet, in Psychologie sociale, op. cit., p. 371.

24 Willem Doise et Augusto Palmonari (dir.), Textes de Base en psychologie. L’étude des Représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986

25 Serge Moscovici, cité par Jodelet, in Psychologie sociale, op. cit., p. 371

26 Ibid., p. 372.

27 Id.

28 Voir dans la bibliographie les ouvrages publiéssous la direction d’Alain Montandon concernant l’Histoire des traités de savoir-vivre en Europe.

29 Voir dans la bibliographie les ouvrages dirigés par A. Montandon concernant l’hospitalité et ses représentations sociales.

30 Sociopoétique de la danse, Paris, Éditions Anthropos, 1998, 564 p.

31 Balzac, La paix du ménage, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 118.

32 « D’un seul coup d’œil Mlle de Fontaine remarqua la finesse de son linge, la fraîcheur de ses gants de chevreau évidemment pris chez le bon faiseur

33 Voir sur ce point Paris au Bal. Treize physiologies sur la danse, Paris, Honoré Champion. 2000, 494 p.

34 La Paix du ménage, Pléiade, II, p. 97.

35 Écrire la danse, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 1999, 286 p.

36 Sont déjà parus Tissus et vêtements chez les écrivains au xixe siècle. Sociopoétique du textile, Paris, Honoré Champion, 2015, 484 p ;

37 Sihem Sidaoui, « Pour une approche socio-poétique du roman contemporain : la figure du sujet dans la narration entre le champ littéraire français

38 Voir Les faces cachées de l’interculturel De la rencontre des porteurs de culture, Paris, L’Harmattan, 2010.

39 L’approche est classique et l’on peut rappeler que dès 1982 a été publié à Clermont-Ferrand Le lecteur et la lecture dans l’œuvre, actes d’un

40 Alain Viala, « Effets de champ et effets de prisme », Littérature, n° 70, 1988, p. 64-71.

41 Voir Jérôme Meizoz, « Le détournement de proverbes en 1925. Sociopoétique d’un geste surréaliste », Poétique, vol. 2, n° 134, 2003, p. 193-205.

42 Alain Viala et Denis Saint-Jacques, « À propos du champ littéraire. Histoire, géographie, histoire littéraire », Annales. Histoire, sciences

43 Voir Nathalie Heinich, Ce que l’art fait à la sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1998 ; Guillaume Bridet, « De quelques dérèglements dans Les

44 Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie, Paris, Éditions du Seuil, 1998.

45 Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le Savant et le populaire, Paris, Éditions du Seuil, 1989 ; Margaret Cohen, The Sentimental Education of

46 Georges Molinié et Alain Viala, Approches de la réception. Sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio, Paris, Presses universitaires de France

47 Jean-Louis Siran, L’illusion mythique, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo, 1998.

48 Alain Montandon, Sociopoétique de la promenade, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, 234 p.

49 Balzac, Physiologie du mariage, XXVI.

50 Caroline Crépiat, « “Soyons fins ciseleurs d’étrons” ? − De l’art de bien faire dans Le Chat Noir », Ian Geay (dir.), Monstre végétal – Écologie

51 Voir la publicité des pastilles Géraudel de l’époque.

52 Le fait de donner un nom (de fait un surnom) à la servante est un témoignage de son aliénation, de sa perte d’identité au profit de son rôle.

53 Voir Jules Renard, Journal, 23 juillet 1903. Un traité comme celui de Louise d’Alq, Le maître et la maîtresse de maison (Paris, Nureaux des

54 « Pour être bourgeois, il faut avoir une bonne pour confirmer son identité de classe. La bonne sert à la fois de terrain d’expérience et de

55 Grasset, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1889 (article Hystérie), cité par Violaine Heyraud, Feydeau, la machine à vertiges

Bibliographie

1. Travaux de ou dirigés par Alain Montandon

Généralités

Pour une histoire des traités de savoir-vivre en Europe, Association des Publications de la Clermont-Ferrand, Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1994 (ouvrage soutenu par la Caisse Nationale des Lettres, collection Bibliothèque européenne des Idées), 480 p.

Bibliographie des traités de savoir-vivre en Europe. Du Moyen Âge à nos jours, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand. 2 vol., 1995, 452 + 416 p.

Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre, Paris, Éditions du Seuil, 1995, 900 p.

Cultures nationales

Über die deutsche Höflichkeit, Bern, Peter Lang Verlag, 1991, 238 p. (ouvrage rédigé en allemand sur la tradition nationale germanique).

Traités de savoir-vivre italiens, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1993, 337 p.

Savoir-vivre en Europe : Modèles et langages (Norvège, Pologne, Roumanie, Flandres, pays tchèque et slovaque), Clermont-Ferrand, CRLMC, 1994.

The Crisis of Courtesy, Studies in the Conduct-Book in Britain, 1600-1900, éd. J. Carré, Leiden, Bril., 1994, 202 p.

Les traités de savoir-vivre en Espagne et au Portugal (1995), Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 360 p.

Mœurs des uns, coutumes des autres. Les Français au regard de l’Europe. Une anthologie, Clermont-Ferrand, CRLMC, 1995, 316 p.

Mœurs et images. Études d’imagologie européenne, Clermont-Ferrand, Cahiers de recherches du CRLMC, 1997, 176 p.

Le Même et l’Autre. Regards européens, Clermont-Ferrand, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Clermont II, « Littératures », 1997, 278 p.

L’Europe des politesses et le caractère des nations. Regards croisés. Actes du colloque du Sénat, Paris, Anthropos, 1997, 286 p.

Thématiques

Savoir-vivre 1, Lyon, Césura, 1990, 228 p.

Étiquette et Politesse, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1992, 236 p.

Convivialité et Politesse, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1993, 255 p.

Savoir mourir, Postface de L.-V. Thomas, Paris, L’Harmattan, 1993, 310 p.

L’Honnête homme et le dandy, Tübingen, Gunter Narr, « Études littéraires Françaises » 1993, 262 p.

Du Goût, de la Conversation et des Femmes, Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand, 1994, 186 p.

Les Espaces de la civilité, Mont-de-Marsan, Éditions interuniversitaires, 1995, 356 p.

Promenades et écriture, Clermont-Ferrand, CRLMC, 1996. (volume collectif sous la direction de A. Montandon, 298 p.).

Civilités extrêmes, Clermont-Ferrand, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Clermont II, « Littératures », 1997, 184 p.

Politesse et savoir-vivre, Paris, Anthropos, 1997, 112 p.

Sociopoétique de la danse, Paris, Anthropos, 1998, 564 p.

Paris au Bal, Paris, Honoré Champion, 2000, 494 p.

Sociopoétique de la promenade, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, 234 p.

Tissus et vêtements chez les écrivains au xixe siècle. Sociopoétique du textile, sous la direction d’Alain Montandon, Paris, Honoré Champion, 2015, 484 p.

Dictionnaire du dandysme, sous la direction d’Alain Montandon, Paris, Honoré Champion, 2016.

Sociopoétique du textile à l’âge classique. Du vêtement et de sa représentation à la poétique du texte, sous la direction de Carine Barbafieri et Alain Montandon, Paris, Hermann, 2015.

L’hospitalité et ses représentations sociales

L’émigration : le retour, Études rassemblées et présentées par Rose Duroux et Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Université Blaise-Pascal, « Cahiers du CRLMC », 1998, 606 p.

Mythes et représentations de l’hospitalité, Études rassemblées et présentées par Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 1999, 344 p.

Espaces domestiques et privés de l’hospitalité, sous la direction d’Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, 408 p.

L’hospitalité au xviiie siècle. Études rassemblées et présentées par Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, 288 p.

Figures du parasite, Études rassemblées et présentées par Anne Tomiche et Myriam Roman, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2001, 288 p.

Le don d’hospitalité : de l’échange à l’oblation. Études rassemblées et présentées par Valérie Deshoulières et Danielle Perrot, Clermont-Ferrand, Université Blaise-Pascal, « Cahiers du CRLMC », 2001, 328 p.

Lieux d’hospitalité : hospices, hôpital, hostellerie. Études rassemblées et présentées par Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, 502 p.

Figures et représentations de l’hospitalité médiévale, Études réunies par Claude Roussel, Numéro spécial de Littérales, n° 27, 2000.

L’hospitalité : rites et signes, Études rassemblées et présentées par Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2001, 294 p.

L’hospitalité dans les contes, Études rassemblées et présentées par Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2002, 410 p.

Montandon, Alain,, Désirs d’hospitalité. De Homère à Kafka, Paris, Presses universitaires de France, 2002, 270 p.

L’étranger dans la maison : Figures romanesques de l’hôte, Études rassemblées et présentées par Bernadette Bertrandias, Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal, « Cahiers du CRLMC », 2003, 358 p.

L’hospitalité au théâtre, Études rassemblées et présentées par Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2003, 380 p.

Hospitalités : hier, aujourd’hui ailleurs. Études rassemblées et présentées par Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2003.

Le dire de l’hospitalité, Études rassemblées et présentées par Lise Gauvin et Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2003.

Migração & Hospitalidade (org. Sébastien Joachim et A. Montandon), Recife, Universidade Federal de Pernambuco, 2003.

Saint-Cyprien plage… de Manuel Andujar, traduit de l’espagnol, présenté et annoté par Rose Duroux, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, « CRLMC/Textes », 2003, 152 p.

Modèles traditionnels et contemporains de l’hospitalité, sous la direction de Serge Zenkine et Alain Montandon, Clermont-Ferrand et Moscou, CRLMC et Institut de recherches supérieur en sciences sociales et humanités, 2004.

Montandon, Alain, Elogio dell’Ospitalità. Storia di un rito, Rome, Salerno Editrice, 2004, 312 p.

De soi à soi. L’écriture comme autohospitalité, (Études réunies par Alain Montandon), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2004, 286 p.

Hospitalités : hier, aujourd’hui, ailleurs (Études rassemblées par Alain Montandon), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2004, 266 p.

Le Livre de l’hospitalité. Accueil de l’étranger dans l’histoire et les cultures (sous la direction d’Alain Montandon), Paris, Bayard, 2004, 2036 p.

2. Éditions critiques

Balzac, Honoré de, Traité de la vie élégante, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, « CRLMC textes », 2000. Édition critique accompagnée d’une importante préface de Marie-Christine Natta.

Castiglione, Le Livre du Courtisan, (traduit et présenté par Alain Pons), Paris, Flammarion, 1991.

Courtin, Antoine de, Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France à l’usage des honnêtes gens. Présentation et notes de Marie-Claire Grassi, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, « Lire le dix-huitième siècle », 1998.

Della Casa, Giovanni, Galatée, (traduit et présenté par Alain Pons), Paris, Le Livre de poche, 1991.

Knigge, Baron Adolphe de, Du Commerce avec les hommes, (traduction de Brigitte Hébert), Toulouse, Presses universitaires du Midi, 1992, 214 p.

Moncrif, François-Augustin Paradis de, Essai sur la nécessité et sur les moyens de plaire, (1738). Présentation et notes de Geneviève Haroche-Bouzinac, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, « Lire le dix-huitième siècle », 1998.

3. Critique générale

Abric, Jean-Claude  (dir.), Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF, 1994, 2e édition 1997.

Amossy, Ruth et Delon, Michel  (éd.), Critique et légitimité du préjugé (xviiie -xxe siècle), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1999.

Ariès, Philippe, Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1975.

Bridet, Guillaume « De quelques dérèglements dans Les Règles de l’art », Les Temps modernes, n° 618, 2002, p. 111-137.

Cohen, Margaret The Sentimental Education of Novel, Princeton, Princeton University Press, 1999.

Compagnon, Antoine, Le Démon de la théorie, Paris, Éditions du Seuil, 1998.

Corbin, Alain, Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (xixe siècle), Paris, Flammarion, « Champs », 1982 (1re éd. 1978).

Crépiat, Caroline, « “Soyons fins ciseleurs d’étrons” ? − De l’art de bien faire dans Le Chat Noir », Ian Geay (dir.), Monstre végétal – Écologie de l’imaginaire, Amer, Revue finissante, sixième floraison, Lille, Les Âmes d’Atala, septembre 2014, p. 188-210.

David, Jérôme, « Du bon usage littéraire des contextes », Les Contextes de la littérature, numéro thématique d’Études de lettres, n° 2, 2001, p. 151-175.

Doise, Willem et Palmonari, Augusto (dir.), Textes de Base en psychologie. L’étude des Représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986.

Durkheim, Émile, Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), Paris, Le livre de poche, 1991.

Grignon, Claude et Passeron, Jean-Claude  Le Savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Éditions du Seuil, 1989.

Heinich, Nathalie, Ce que l’art fait à la sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1998.

Herzlich, Claudine, Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, Mouton, 1969.

Herzlich, Claudine, « Représentations sociales de la santé et de la maladie et leur dynamique dans le champ social » in Willem Doise et Augusto Palmonari (dir.), Textes de bases en psychologie, l’étude des représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986.

Heyraud, Violaine, Feydeau, la machine à vertiges, Paris, Classiques Garnier, 2012.

Jodelet, Denise, « Systèmes de représentations sociales du corps et groupes sociaux », rapport de fin de recherche, Cordes, 1980.

Jodelet, Denise, « Représentations, expériences, pratiques corporelles et modèles culturels », in Conceptions, mesures et action en santé publique, Paris, INSERM, 1982.

Jodelet, Denise, (dir.) Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989.

Laplantine, François, Anthropologie de la maladie : étude ethnologique des systèmes de représentations étiologiques et thérapeutiques dans la société occidentale contemporaine, Paris, Payot, 1986.

Mannoni, Pierre, Les représentations sociales, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1998.

Martin-Fugier, Anne, La place des bonnes. La domesticité féminine à Paris en 1900, Paris, Perrin, 2004.

Meizoz, Jérôme, « Le détournement de proverbes en 1925. Sociopoétique d’un geste surréaliste », Poétique, volume 2, n° 134, 2003, p. 193-205.

Molinié, Georges et Viala, Alain, Approches de la réception. sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio, Paris, PUF, 1993.

Molinier, Pascal, Rateau, Patrick et Cohen-Scali, Valérie (dir.), Les représentations sociales. Pratique des études de terrain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.

Roche, Daniel, La Culture des apparences : essai sur l’histoire du vêtement aux xviie et xviiie siècles, Paris, Fayard, 1989.

Siran, Jean-Louis, L’illusion mythique, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo, 1998.

Viala, Alain, « Effets de champ et effets de prisme », Littérature, n° 70, 1988, p. 64-71.

Viala, Alain  et Denis Saint-Jacques, « À propos du champ littéraire. Histoire, géographie, histoire littéraire », Annales. Histoire, sciences sociales, n° 2, mars-avril 1994, p. 395-407.

Vigarello, Georges, Le Propre et le Sale : L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, « L’univers historique », 1987.

Vovelle, Michel, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.

Notes

1 Sur le recueil de contenus, voir Pascal Molinier, Patrick Rateau et Valérie Cohen-Scali (dir.), Les représentations sociales. Pratique des études de terrain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 41-77.

2 Voir A. Montandon, « Nouveaux enfants, nouveaux ogres ». Congrès Acfas 2012, Montréal (à paraître).

3 Sur les préjugés, on lira Critique et légitimité du préjugé (xviiie -xxe siècles) (éd. Ruth Amossy et Michel Delon), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1999 et les travaux bien connus de Ruth Amossy sur les stéréotypes.

4 Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Le livre de poche, 1991, p. 627.

5 Émile Durkheim, op. cit.

6 Ibid.

7 Willem Doise et Augusto Palmonari (dir.), Textes de Base en psychologie. L’étude des représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986, p. 15.

8 Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, 1960. Il montre que la catégorie de l’« enfance » n’est apparue comme représentation distincte dans la société adulte qu’à la fin de l’âge classique.

9 Philippe Ariès, Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Seuil, 1975.

10 Michel Vovelle, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.

11 Michel Vovelle, cité par Pierre Mannoni, Les représentations sociales, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1998.

12 Alain Corbin, Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (xixe siècle), Paris, Flammarion, « Champs », 1982 (1re éd. 1978).

13 Georges Vigarello, Le Propre et le Sale : L’hygiène du corps depuis le Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, « L’univers historique », 1987.

14 Daniel Roche, La Culture des apparences : essai sur l’histoire du vêtement aux xviie et xviiie siècles, Paris, Fayard, 1989, 550 p.

15 Serge Moscovici, La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF, 1961.

16 Claudine Herzlich, Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, Mouton, 1969 ; également « Représentations sociales de la santé et de la maladie et leur dynamique dans le champ social » in Willem Doise et Augusto Palmonari (dir), Textes de bases en psychologie, l’étude des représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986.

17 Denise Jodelet, « Systèmes de représentations sociales du corps et groupes sociaux », rapport de fin de recherche, Cordes, 1980 ; et « Représentations, expériences, pratiques corporelles et modèles culturels », in Conceptions, mesures et action en santé publique, Paris, INSERM, 1982.

18 François Laplantine, Anthropologie de la maladie : étude ethnologique des systèmes de représentations étiologiques et thérapeutiques dans la société occidentale contemporaine, Paris, Payot, 1986.

19 Denise Jodelet (dir.), Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989, p. 36.

20 Denise Jodelet, « Représentation sociale : phénomènes, concept et théories », in S. Moscovici (dir.), Psychologie sociale, Paris, PUF, 1997.

21 Denise Jodelet (dir.), Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989, p. 36.

22 Jean-Claude Abric, Pratiques sociales et représentations, sous la direction de J-C Abric, Paris, PUF, 1994, 2e édition, 1997.

23 Serge Moscovici, cité par Jodelet, in Psychologie sociale, op. cit., p. 371.

24 Willem Doise et Augusto Palmonari (dir.), Textes de Base en psychologie. L’étude des Représentations sociales, Paris, Delachaux et Niestlé, 1986, p. 20.

25 Serge Moscovici, cité par Jodelet, in Psychologie sociale, op. cit., p. 371

26 Ibid., p. 372.

27 Id.

28 Voir dans la bibliographie les ouvrages publiés sous la direction d’Alain Montandon concernant l’Histoire des traités de savoir-vivre en Europe.

29 Voir dans la bibliographie les ouvrages dirigés par A. Montandon concernant l’hospitalité et ses représentations sociales.

30 Sociopoétique de la danse, Paris, Éditions Anthropos, 1998, 564 p.

31 Balzac, La paix du ménage, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », II, p. 118.

32 « D’un seul coup d’œil Mlle de Fontaine remarqua la finesse de son linge, la fraîcheur de ses gants de chevreau évidemment pris chez le bon faiseur, et la petitesse d’un pied bien chaussé dans une botte de peau d’Irlande. Il ne portait aucun de ces ignobles brimborions dont se chargent les anciens petits-maîtres de la Garde nationale, ou les Lovelace de comptoir. Seulement un ruban noir auquel était suspendu son lorgnon flottait sur un gilet d’une coupe distinguée » (Le Bal de Sceaux, Pléiade, I, 135).

33 Voir sur ce point Paris au Bal. Treize physiologies sur la danse, Paris, Honoré Champion. 2000, 494 p.

34 La Paix du ménage, Pléiade, II, p. 97.

35 Écrire la danse, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 1999, 286 p.

36 Sont déjà parus Tissus et vêtements chez les écrivains au xixe siècle. Sociopoétique du textile, Paris, Honoré Champion, 2015, 484 p ; Dictionnaire du dandysme, Paris, Honoré Champion, 2016 ; Sociopoétique du textile à l’âge classique, Paris, Hermann, 2015.

37 Sihem Sidaoui, « Pour une approche socio-poétique du roman contemporain : la figure du sujet dans la narration entre le champ littéraire français et le champ littéraire tunisien francophone dans les années 1990-2000 », TRANS-, n° 1, 2005, [En ligne] URL : http://journals.openedition.org/trans/107 ; DOI : https://doi.org/10.4000/trans.107.

38 Voir Les faces cachées de l’interculturel De la rencontre des porteurs de culture, Paris, L’Harmattan, 2010.

39 L’approche est classique et l’on peut rappeler que dès 1982 a été publié à Clermont-Ferrand Le lecteur et la lecture dans l’œuvre, actes d’un colloque international organisé par Alain Montandon dans le cadre du département de français.

40 Alain Viala, « Effets de champ et effets de prisme », Littérature, n° 70, 1988, p. 64-71.

41 Voir Jérôme Meizoz, « Le détournement de proverbes en 1925. Sociopoétique d’un geste surréaliste », Poétique, vol. 2, n° 134, 2003, p. 193-205.

42 Alain Viala et Denis Saint-Jacques, « À propos du champ littéraire. Histoire, géographie, histoire littéraire », Annales. Histoire, sciences sociales, n° 2, mars-avril 1994, p. 395-407.

43 Voir Nathalie Heinich, Ce que l’art fait à la sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1998 ; Guillaume Bridet, « De quelques dérèglements dans Les Règles de l’art », in Les Temps modernes, n° 618, 2002, p. 111-137

44 Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie, Paris, Éditions du Seuil, 1998.

45 Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le Savant et le populaire, Paris, Éditions du Seuil, 1989 ; Margaret Cohen, The Sentimental Education of Novel, Princeton, Princeton University Press, 1999 ; Jérôme David, « Du bon usage littéraire des contextes », Les Contextes de la littérature, numéro thématique d’Études de lettres, 2001, n° 2, p. 151-175.

46 Georges Molinié et Alain Viala, Approches de la réception. Sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio, Paris, Presses universitaires de France, 1993.

47 Jean-Louis Siran, L’illusion mythique, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo, 1998.

48 Alain Montandon, Sociopoétique de la promenade, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2000, 234 p.

49 Balzac, Physiologie du mariage, XXVI.

50 Caroline Crépiat, « “Soyons fins ciseleurs d’étrons” ? − De l’art de bien faire dans Le Chat Noir », Ian Geay (dir.), Monstre végétal – Écologie de l’imaginaire, Amer, Revue finissante, sixième floraison, Lille, Les Âmes d’Atala, septembre 2014, p. 188-210.

51 Voir la publicité des pastilles Géraudel de l’époque.

52 Le fait de donner un nom (de fait un surnom) à la servante est un témoignage de son aliénation, de sa perte d’identité au profit de son rôle. Feydeau songe peut-être aussi à la nouvelle de Maupassant, où la bonne s’appelle Rose, mais est en fait un forçat déguisé, travesti, autrefois condamné pour viol. Autre exemple du fait que les Roses ne sont pas toujours roses.

53 Voir Jules Renard, Journal, 23 juillet 1903. Un traité comme celui de Louise d’Alq, Le maître et la maîtresse de maison (Paris, Nureaux des causeries familières, 1887) note qu’il est du devoir du domestique de commencer par ouvrir les fenêtres et de « jeter les eaux » en arrangeant le cabinet de toilette (p. 177). Anne Martin-Fugier fait remarquer que « le rapport intime aux déjections était l’aspect le plus humiliant de la condition domestique » (Anne Martin-Fugier, La place des bonnes. La domesticité féminine à Paris en 1900, Paris, Perrin, 2004, p. 110).

54 « Pour être bourgeois, il faut avoir une bonne pour confirmer son identité de classe. La bonne sert à la fois de terrain d’expérience et de repoussoir […] Plus leur autorité est de fraîche date, plus ils cherchent à l’établir […] Humilier la bonne est une forme de légitimation du pouvoir petit-bourgeois » (Martin-Fugier, op. cit., p. 94)

55 Grasset, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1889 (article Hystérie), cité par Violaine Heyraud, Feydeau, la machine à vertiges, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 357.

Citer cet article

Référence électronique

Alain MONTANDON, « Sociopoétique », Sociopoétiques [En ligne], 1 | 2016, mis en ligne le 05 novembre 2016, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=640

Auteur

Alain MONTANDON

CELIS, Université Clermont Auvergne

Articles du même auteur

Droits d'auteur

Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)