La bona fides

Fil d’Ariane du droit romain des contrats ?

DOI : 10.52497/revue-cmh.399

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Texte intégral

Lorsque l’on parle des mythes du droit, l’un des premiers thèmes qui vient à l’esprit d’un romaniste est sans doute la bonne foi. Le problème du rôle de la bona fides a en effet hanté des générations entières de savants. Pour se faire une idée de l’intérêt que ce concept a suscité, il suffit de faire une simple recherche bibliographique. L’on s’aperçoit rapidement que les contributions consacrées la bonne foi en droit romain sont innombrables1.

L’engouement de la romanistique pour la bonne foi ne relève pas du caprice érudit. L’analyse des sources juridiques confirme le caractère central du concept et cela depuis une époque très reculée. Il apparaît en effet comme probable que la bonne foi, ou du moins la fides2, ait été déjà importante au début de l’époque archaïque. Si le terme n’est pas présent de manière explicite dans les fragments de la loi de XII Tables, il est possible de déduire a contrario la présence du concept. On peut lire dans un des versets3 qui ont survécu que si le patron se comporte de manière frauduleuse envers son client il deviendra sacer4. Le comportement frauduleux du patron est un comportement contraire à la fides, ce qui constitue une rupture de la paix des dieux5. Une telle rupture constitue un danger pour l’ensemble de la cité ce qui explique la dureté de la punition qui frappe le sacer : il doit être éloigné de la communauté civique et il peut être mis à mort par tout citoyen de manière licite. Seule la punition du coupable permet de rétablir la paix des dieux.

Dès les premières sources dont l’on dispose, le thème de la bonne foi s’impose à l’attention du romaniste. La question qui se pose alors est de savoir comment ce concept a changé dans le temps, à savoir comment la fonction raffinée de la bonne foi à l’époque classique s’est développée dans le domaine de la procédure civile et de l’interprétation des contrats. Les études juridiques sur la bonne foi s’accompagnent souvent à des études sémantiques qui visent à comprendre quelle valeur originelle il faut attribuer à la bona fides pour en comprendre ainsi le changement.

La signification originaire du concept de fides est entourée par le mystère, un mystère que la romanistique a essayé de percer de manière acharnée. Souvent, les romanistes attachent une grande importance aux origines des concepts et des institutions ainsi que le déplorait Yan Thomas. Ce savant, prématurément disparu, ironisait sur cette frénésie de la romanistique en observant que « l’origine, chez les historiens des primordia, c’est l’essence »6. La critique de cet auteur souligne la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, de parvenir à des résultats sûrs à propos d’époques sur lesquelles les renseignements sont très lacunaires.

La difficulté de la recherche des origines est démontrée clairement dans le domaine de la bonne foi dans laquelle on dénombre plusieurs hypothèses explicatives. Selon une doctrine désormais ancienne, dont on trouve le reflet dans les dictionnaires, la fides indiquerait en origine l’acte de croire ou d’avoir de la confiance7. Au contraire, selon la notice du Thesaurus linguae Latinae la fides est une garantie, dont le caractère est moralement indifférent8. Pour une partie importante de la doctrine, la fides indique le respect de la parole donnée9. Plus récemment l’on a vu dans la fides le crédit sociojuridique dont une personne jouit10.

Il serait inutile multiplier les exemples. La doctrine reste partagée sur la question. En revanche, il est certain que le mot fides ne doit pas être traduit en français par foi. Ce mot est profondément marqué par l’histoire bimillénaire du Christianisme. La religion traditionnelle des Romains est une religion civique et qui est dépourvue de tout profil d’intériorité11. L’idée de foi comme elle est conçue aujourd’hui est anachronique pour la religion traditionnelle romaine.

Quelle que soit exactement sa signification originaire, il apparaît que la fides avant de devenir un concept juridique est un concept profondément enraciné dans la société romaine. La religion romaine nous vient en aide. On connaît par les sources l’existence d’une déesse Fides, qui constitue donc l’hypostase du concept de la fides. Cette divinité est à la base de tout rapport interpersonnel, non seulement entre les personnes physiques, mais aussi entre des entités qu’on pourrait définir d’étatiques. Par ailleurs, les sources rappellent aussi Dius Fidius, une divinité qui est liée à Jupiter et qui veille au respect de la parole donnée12.

Ces témoignages issus de la religion romaine sont précieux. Toutefois, il est toujours question de la fides, alors que dans le domaine juridique elle apparaît rarement seule. Le plus souvent le substantif fides est accompagné par l’adjectif bona13. Le mot bonus ne pose pas beaucoup de problèmes d’interprétation sémantique. Il s’agit d’un terme qui peut être appliqué à toute chose et personne, puisqu’il renvoie à l’idée de diligence chez un homme et de valeur pour un objet14. Si la signification de bonus est claire, en revanche il est bien plus difficile de dire pourquoi l’emploi de cet adjectif devient une constante dans les sources juridiques. Une hypothèse est toutefois séduisante : mettre en rapport l’expression bona fides avec le vir bonus. L’homme de bien constitue en droit romain un critère herméneutique attesté par plusieurs occurrences. La bona fides pourrait être conçue comme la fides de l’homme de bien. Le vir bonus constituerait alors le paramètre qui permet l’application concrète aux rapports juridiques de la fides15.

Quelle que soit la manière dont on conçoit la relation entre bona et fides, l’analyse des sources juridiques montre toute l’importance dont jouit le concept de la bonne foi à l’époque classique. Cette notion joue un rôle fondamental dans le procès romain et elle est en outre un instrument d’interprétation des contrats. L’importance de la bonne foi est manifeste. Mais peut-on vraiment affirmer qu’elle constitue le fil d’Ariane du droit romain des contrats ? En dépit de son importance, la réponse ne peut qu’être négative.

En effet, si la bonne foi joue un rôle considérable (I), il est impossible de dire qu’elle constitue un élément constant du droit des contrats romains. Cela pour deux raisons : d’abord, la bonne foi n’intervient pas dans tous les contrats, ensuite la bonne foi intervient aussi dans des domaines non contractuels (II).

I. L’importance de la bonne foi dans le droit romain des contrats

La romanistique a l’habitude d’opérer une distinction entre le concept de bonne foi objective et subjective. La bonne foi subjective, qui correspond à la conviction personnelle d’agir sans léser le droit autrui, a un rôle secondaire en droit romain puisqu’elle correspond notamment à une condition de l’usucapion16. Bien plus importante est la bonne foi objective, le devoir d’agir correctement et de manière loyale, qui a dès lors attiré de manière prépondérante l’intérêt de la doctrine.

Le fonctionnement de la bonne foi objective présente des caractéristiques spécifiques. Elles découlent des éléments typiques du droit romain qui apparaissent complètement différents par rapport au droit français actuel.

La bonne foi à Rome doit être encadrée dans le domaine procédural. De manière générale, en droit romain la procédure a une importance essentielle. Si aujourd’hui l’existence du droit précède l’action, en droit romain classique c’est l’inverse. En effet, le droit subjectif n’est pas concevable en dehors de l’action en justice qui le protège. L’action précède donc le droit. Pour cerner la fonction de la bonne foi à Rome, il est d’abord nécessaire de comprendre le fonctionnement du procès17. En effet, à Rome il est préférable de parler d’actions de bonne foi (iudicia bonae fidei) plutôt que mentionner simplement la bonne foi. Le rôle de la bona fides est éminent dans le déroulement du procès. Il est vrai que l’on parle aussi de la bonne foi pour l’interprétation contractuelle18, mais une telle démarche est envisageable seulement dans les contrats qui sont protégés par des actions de bonne foi.

Au cours de son histoire millénaire, le droit romain a connu trois types différents de procédures. La plus ancienne est la procédure des actions de la loi19. On parle de procédure des actions de la loi puisque le fondement juridique de cette procédure est la loi. Cette procédure est caractérisée par son formalisme extrême. Les parties au procès doivent prononcer des mots précis (certa verba) pour introduire l’instance. Le non-respect de ces formalités entraîne automatiquement la perte du procès20. En outre, la procédure des actions de la loi permet de protéger un nombre de situations assez limité. Si un acte juridique ne rentre pas dans le cadre strict de ces actions, il ne trouve pas de protection. La bona fides ne peut jouer aucun rôle dans la procédure des actions de la loi à cause de sa rigidité. Dans ce type de procédure, c’est le formalisme caractéristique du droit archaïque qui constitue une garantie pour les parties21. Les actions de bonne foi (iudicia bonae fidei) font leur apparition avec la fin de la procédure per legis actiones.

À partir probablement du IIIe siècle av. J.-C. se développe une nouvelle procédure qui est beaucoup plus flexible. Il s’agit de la procédure formulaire22 : les parties se rendent devant le préteur, le magistrat chargé de l’organisation de la justice, et elles lui présentent le cas objet du litige. Le préteur ne tranche pas un litige sur le fond, mais sur la base des prétentions des parties il délivre au juge, qui est un juge non professionnel, une formule23 qui qualifie l’affaire : par exemple, s’il s’agit d’une action de vente, de louage ou de mandat. Tout en restant dans le cadre d’un système typique d’actions, la procédure formulaire permet de donner une protection à un nombre de situations bien plus important par rapport à celui des actions de la loi. La préture est une magistrature annuelle et au début de l’année de fonction chaque préteur publie un édit24. Dans ce texte, le préteur fait une liste des situations qu’il considère dignes d’une protection juridique et il promet de délivrer une action dans ces cas. L’édit du préteur est valable seulement au cours de l’année de fonction du magistrat, mais en général son successeur reprend pour l’essentiel la liste d’actions de son prédécesseur.

La bonne foi se développe avec l’essor de la procédure formulaire à Rome. La mention de la bona fides est insérée dans la formule des certaines actions qu’on qualifie pour cette raison d’actions de bonne foi. Pour pouvoir cerner en quoi consiste une formule et en quoi consiste l’insertion de la clause de bonne foi, il est nécessaire de donner un exemple. Nous avons choisi la formule de l’action que le préteur délivre à l’acheteur dans une vente (actio empti) :

Caius Aquilius iudex esto. Quod Aulus Agerius de Numerio Negidio hominem quo de agitur emit, qua de re agitur, quidquid ob eam rem Numerium Negidium Aulo Agerio dare fare oportet ex fide bona eius Caius Aquilius iudex Numerium Negidium Aulo Agerio condemnato ; si non paret absolvito25.

Dans le texte26 l’on peut lire quelles sont les instructions que le préteur donne au juge qui est indiqué par le nom conventionnel de Caius Aquilius. En cas de condamnation, le défenseur (Numerius Negidius) doit être condamné à tout ce qu’il doit faire et donner sur la base de la bonne foi.

Le rôle de la bonne foi en droit romain trouve son point de départ dans l’inclusion de la clause oportet ex fide bona (devoir sur la base de la bonne foi)27 au sein de certaines formules. On distingue alors entre actions de bonne foi, qui sont caractérisées par la mention de la bona fides, et actions de droit strict, qui sont dépourvues de cette particularité.

La différence entre les actions de bonne foi et les actions de droit strict caractérise toute l’histoire du droit romain et elle est encore présente à l’époque de Justinien, une époque dans laquelle la procédure formulaire était tombée en désuétude depuis des siècles28. Le tarissement de la procédure formulaire est un phénomène progressif qui commence dès la prise de pouvoir par Octavien et qui s’achève probablement au cours du IIIe siècle apr. J.-C. La procédure formulaire est en effet concurrencée par la procédure extraordinaire qui est introduite par les empereurs. Cette nouvelle procédure implique la disparition de la bipartition du procès entre le préteur et le juge laïc. L’ensemble du déroulement du procès se concentre dans les mains du juge qui est désormais un fonctionnaire impérial.

Ce bref aperçu de l’histoire de la procédure romaine permet de saisir les caractéristiques essentielles des actions de bonne foi. C’est par l’analyse des spécificités des iudicia bonae fidei que l’on peut véritablement cerner toute l’importance de la bonne foi en droit romain.

L’élément distinctif des actions de bonne foi se situe sans aucun doute au niveau des pouvoirs du juge29 qui sont élargis par la mention de la bonne foi dans la formule. Dans le système de la procédure formulaire, les pouvoirs du juge sont limités par la teneur de la formule que le préteur délivre. Le juge est simplement appelé à trancher une controverse sur le fond en appliquant aux circonstances d’espèces la règle juridique qui est énoncée par le préteur dans la formule. Il ne peut pas s’éloigner de la lettre de la formule. Toutefois, la mention de l’oportere ex fide bona change de manière radicale la donne. La clause de bonne foi a comme conséquence essentielle d’augmenter les pouvoirs du juge. Grâce à cette clause, le juge peut tenir compte de tout ce que les parties doivent faire ou donner sur la base de la bonne foi. Le juge doit donc considérer tout ce qui découle de la bonne foi, même des obligations qui n’ont pas été définies de manière explicite par les parties à un acte juridique. Dans les actions de bonne foi, le juge jouit donc d’un important pouvoir discrétionnaire.

Cicéron au De Officiis 3.66 offre un témoignage célèbre qui montre l’augmentation des pouvoirs du juge grâce à la bonne foi :

Ut, cum in arce augurium augures acturi essent iussissentque Tiberium Claudium Centumalum, qui aedes in Caelio monte habebat, demoliri ea, quorum altitudo officeret auspiciis, Claudius proscripsit insulam [vendidit], emit Publius Calpurnius Lanarius. Huic ab auguribus illud idem denuntiatum est. Itaque Calpurnius cum demolitus esset cognossetque Claudium aedes postea proscripsisse, quam esset ab auguribus demoliri iussus, arbitrum illum adegit QUICQUID SIBI DARE FACERE OPORTERET EX FIDE BONA. Marco Cato sententiam dixit, huius nostri Catonis pater (ut enim ceteri ex patribus, sic hic, qui illud lumen progenuit, ex filio est nominandus) is igitur iudex ita pronuntiavit, cum in vendundo rem eam scisset et non pronuntiasset, emptori damnum praestari oportere.30

Dans ce texte31, Cicéron relate le comportement déloyal d’un vendeur qui est sanctionné par le biais de la bonne foi. Les augures ont ordonné à Tiberius Claudius Centumalus de démolir une maison qu’il possédait puisqu’elle empêchait de prendre les auspices. Tiberius Claudius Centumalus, en revanche, la vend à Publius Calpurnius Lanarius pour éviter de perdre de l’argent. Les augures adressent le même ordre de démolition au nouveau propriétaire qui assigne en justice Centumalus sur la base de l’action de l’acheteur. Le juge donne gain de cause au demandeur puisque le vendeur avait connaissance de l’ordre de démolition. Une obligation d’information qui pèse sur le vendeur découle donc de la clause de bonne foi. Cette obligation d’information n’a pas besoin d’être explicitement énoncée, mais elle trouve son origine directement dans l’oportere ex fide bona.

Les actions de bonne foi sont donc définies par le pouvoir discrétionnaire du juge, dont découlent une série de caractéristiques procédurales qui en font la spécificité32. C’est grâce à l’insertion de la clause de bonne foi que le juge peut condamner au paiement des intérêts moratoires33 en dehors de toute stipulation expressément prévue par les parties34. Dans les contrats protégés par des actions de droit strict, en revanche, le juge peut attribuer des intérêts moratoires seulement en présence d’une stipulation des parties.

La distinction entre les actions de droit strict et de bonne foi est présente aussi en ce qui concerne les exceptions. Selon les règles de la procédure romaine le défenseur doit présenter l’exception avant le moment de la litis contestatio35 pour qu’elle puisse être insérée dans la formule. Par l’expression litis contestatio, l’on indique dans la procédure formulaire le moment de la fin de l’instance devant le préteur. Les parties acceptent la formule au cours de la litis contestatio. Théoriquement donc l’exception doit être incluse dans la formule. Cela s’explique aisément par les caractéristiques de la procédure formulaire : la formule lie le juge, qui ne pourra même pas prendre en considération la demande d’exception qui ne résulte pas de la formule.

Les actions de bonne foi ne suivent pas cette règle puisque l’exception peut être introduite à tout moment36. Pour justifier cette dérogation, il est nécessaire de songer à la conséquence essentielle qui découle de la possibilité pour le juge d’admettre les exceptions à tout moment : l’élargissement de ses pouvoirs. Dans les iudicia bonae fidei, il sera moins lié par la teneur de la formule que le juge dans une action de droit strict.

La disparition de la procédure formulaire n’implique pas la fin de ces règles relatives aux exceptions. Elles sont valables aussi pour la procédure extraordinaire, puisque la litis contestatio continue d’exister. Désormais cette expression indique simplement le moment de la fixation définitive de la controverse.

L’importance du moment de la litis contestatio n’est pas seulement liée à l’insertion des exceptions. En ce qui concerne les actions de droit strict qui ont comme objectif de donner ou restituer une chose certaine37, la litis contestatio a un autre effet remarquable pour le déroulement du procès. Dans ce type d’actions, le juge était obligé à condamner le défendeur qui avait accompli son obligation après la litis contestatio, mais avant la condamnation38. Cette règle, dont les conséquences étaient très dures pour le défendeur, a été combattue par les jurisconsultes Sabinus et Cassius, tenants de l’école sabinienne, qui ont forgé le célèbre adage : omnia iudicia absolutoria esse39. Or, dans le domaine des actions de bonne foi, le pouvoir discrétionnaire du juge a fait en sorte que, même avant le triomphe de la position sabinienne, le débiteur était absout s’il s’acquittait de son obligation après la litis contestatio40.

Un autre élément important qui caractérise les actions de bonne foi est constitué par la compensation41. Dans le droit de Justinien, la compensation acquiert un caractère général pour toutes les créances liquides et exigibles, mais à l’époque classique, elle était reconnue seulement dans des cas spécifiques, parmi lesquels les actions de bonne foi. Dans ces actions, grâce au large pouvoir discrétionnaire dont il jouit, le juge peut procéder à la compensation même en dehors de toute exception qui est présentée par le défendeur.

Les pouvoirs accrus du juge dans les iudicia bonae fidei ont aussi des conséquences intéressantes au niveau de la typicité contractuelle romaine. En droit romain, la règle générale est le caractère typique des contrats : les contrats innomés reçoivent seulement dans des hypothèses spécifiques une sanction juridique par voie d’action42. Conformément à cette règle, les pactes trouvent en principe une sanction juridique seulement pas voie d’exception. Ce cadre rigide est atténué dans le domaine des actions de bonne foi. En effet, un pacte ajouté in continenti, à savoir de manière contemporaine à la conclusion, à un contrat de bonne foi peut être pris en compte en voie d’action et non pas simplement comme un moyen d’exception. Cette dérogation, qui est caractéristique des contrats de bonne foi, implique alors un assouplissement du système de la typicité contractuelle romaine43.

L’analyse des règles de la procédure romaine a révélé la prégnance de la clause oportere ex fide bona. Son inclusion dans les formules rend le procès plus flexible en augmentant les pouvoirs du juge. Toutefois, en dépit de la grande importance des actions de bonne foi, il est impossible d’affirmer que la bonne foi constitue à Rome le fil d’Ariane du droit des contrats puisque les actions de bonne foi sont en nombre limité et elles ne protègent pas exclusivement de contrats.

II. L’impossibilité de considérer la bonne foi comme le fil d’Ariane du droit romain des contrats

L’opposition entre actions de droit strict et de bonne foi révèle immédiatement que le rôle de la bona fides à Rome ne concerne pas l’ensemble du procès. Qui plus est, la bonne foi n’intéresse pas tous les rapports contractuels : plusieurs contrats ne sont pas protégés par des actions de bonne foi44. Cela se déduit clairement de la lecture d’un célèbre passage de Cicéron au De Officiis 3.70 :

Nam quanti verba illa : UTI NE PROPTER TE FIDEMVE TUAM CAPTUS FRAUDATUSVE SIM ! Quam illa aurea : UT INTER BONOS BENE AGIER OPORTET ET SINE FRAUDATIONE ! Sed, qui sint « boni », et quid sit « bene agi », magna quaestio est. Quintus quidem Scaevola, pontifex maximus, summam vim esse dicebat in omnibus iis arbitriis, in quibus adderetur EX FIDE BONA, fideique bonae nomen existimabat manare latissime, idque versari in tutelis, societatibus, fiduciis, mandatis, rebus emptis, venditis, conductis, locatis, quibus vitae societas contineretur ; in iis magni esse iudicis statuere, praesertim cum in plerisque essent iudicia contraria, quid quemque cuique praestare oportere45.

Dans ce texte46, Cicéron énonce une liste d’actions de bonne foi : ce sont les actions en matière des tutelles, de société, de mandat, de vente et des louages. Cicéron mentionne aussi le cas de la fiducie, qui est assimilée aux actions de bonne foi. En lisant cette liste on remarque d’emblée qu’à côté des contrats (louage, vente, mandat et société), figure la tutelle qui n’est pas considérée un contrat.

On peut faire des remarques analogues en lisant la liste des actions de bonne foi qui a été rédigée par Gaius (qui a vécu au cours du IIe siècle après J.-C.) dans ses Institutes 4.62 :

Sunt autem bonae fidei iudicia haec : ex empto vendito, locato conducto, negotiorum gestorum, mandati, depositi, fiduciae, pro socio, tutelae, rei uxoriae47.

Selon Gaius, les actions de bonne foi sont alors la vente, le louage, la gestion d’affaire, le mandat, le dépôt, la fiducie, la société, la tutelle et l’action du patrimoine de la femme48. Il découle de cette énumération que les actions de bonne foi protègent plusieurs institutions juridiques et des institutions juridiques qui ont une importance pratique tout à fait considérable, comme la vente, le louage, la tutelle, la société ou la gestion d’affaire. Toutefois, en dehors de cette liste demeurent de nombreuses autres institutions essentielles dans l’économie romaine. On peut notamment songer à des contrats comme la stipulation ou le prêt de consommation. Dans ces hypothèses, pourtant très importantes, le juge ne dispose pas de pouvoirs discrétionnaires. Dans ces types de contrats, il est alors impossible de parler d’une interprétation de bonne foi : ce concept n’entre pas en ligne de compte dans les contrats dont la formule ne le mentionne pas. Il serait alors anachronique de considérer, comme c’est le cas aujourd’hui, que tous les contrats doivent être interprétés de bonne foi et qu’elle constitue un principe général du système juridique49. En analysant le droit romain, il est indispensable de ne pas perdre de vue qu’il est caractérisé par une démarche casuistique et qu’il est moins imprégné par la tendance à l’abstraction et à la généralisation qui est typique du droit français contemporain.

Le caractère spécifique des actions de bonne foi se retrouve encore à l’époque de Justinien, à savoir le moment qui est traditionnellement considéré comme la fin du droit romain. Le paragraphe 4.6.28 des Institutes de Justinien dresse alors une dernière liste des iudicia bonae fidei50 :

Actionum autem quaedam bonae fidei sunt, quaedam stricti iuris, bonae fidei sunt hae : ex empto, vendito, locato, conducto, negotiorum gestorum, mandati, depositi, pro socio, tutelae, commodati, pigneraticia, familiae erciscundae, communi dividundo, praescriptis verbis quae de aestimato proponitur, et ea quae ex permutatione competit, et hereditatis petitio. Quamvis enim usque adhuc incertum erat, sive inter bonae fidei iudicia connumeranda sit sive non, nostra tamen constitutio aperte eam esse bonae fidei disposuit51.

Dans ce texte du VIe siècle après J.-C., les actions de bonne foi sont encore liées au principe du numerus clausus. On peut toutefois remarquer un élargissement des iudicia bonae fidei52, qui se traduit par une application plus large de la bonne foi. En effet Justinien mentionne la vente, le louage, la gestion d’affaire, le mandat, le dépôt, la société, la tutelle, le prêt d’usage, le gage, l’action pour la division du patrimoine héréditaire, l’action pour la division de la copropriété, les actions innomées pour l’exécution du contrat estimatoire et du contrat d’échange, et la pétition d’hérédité. Cette liste hétérogène révèle à nouveau l’impossibilité de réduire la bonne foi au domaine contractuel, ainsi que l’existence des contrats importants, comme la stipulation ou le prêt de consommation, qui ne sont pas protégés par des iudicia bonae fidei.

L’analyse des sources a révélé l’importance, mais aussi les limites de la bona fides en droit romain. Le domaine par excellence de la bonne foi est le procès. L’introduction des iudicia bonae fidei a permis un assouplissement considérable des règles procédurales en élargissant les pouvoirs de décision du juge.

Plusieurs règles qui caractérisent aujourd’hui le droit contemporain français, comme le pouvoir discrétionnaire du juge dans le procès civil, la compensation judiciaire, la satisfaction au cours du procès, la possibilité d’invoquer à tout moment les exceptions, étaient à l’origine des éléments spécifiques de la procédure des actions de bonne foi53.

1 Il est impossible de rendre compte de la richesse des études consacrées à la bonne foi en droit romain. On se limitera à rappeler les contributions

2 Sur le caractère archaïque de la fides, voir : FIORI, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione

3 Il s’agit du verset 8.21. Voir : S. RICCOBONOet alii (ed.), Fontes iuris romani antejustiniani. Pars prima. Leges, Florentiae, 19412, p. 62.

4 Sur la sacerté, voir : R. FIORI, Homo sacer. Dinamica politico-costituzionale di una sanzione giuridico-religiosa, Napoli, 1996.

5 Sur le concept de la pax deorum, voir : J. LINDERSKI, Pax deorum, in H. Cancik – H. Schneider, Der Neue Pauly. Enzyklopädie der Antike 9, Stuttgart

6 Y. THOMAS, À Rome, pères citoyens et cité des pères (IIe siècle avant J.-C. – IIIe siècle apr. J.-C.), in A. BURGUIERE - C. KLAPPISCH, Histoire de

7 Pour les références, voir : Lombardi VALLAURI, Dalla « fides » alla « bona fides » cit., pp. 14-15.

8 E. FRAENKEL, s.v Fides, in Thesaurus linguae Latinae VI pars prior, 1926, Lipsiae, col. 661 sq. À ce propos voir, Lombardi VALLAURI, Dalla « fides 

9 Plusieurs auteurs suivent cette reconstruction. Pour une liste détaillée, voir : FIORI, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del

10 FIORI, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte seconda) cit., pp. 101 sq.

11 À ce propos, voir : J. SCHEID, Religion et piété à Rome, Paris, 1985.

12 FIORI, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte seconda) cit., p. 102.

13 Les sources juridiques, dans la plupart des cas, ne parlent pas simplement de fides, mais plutôt de bona fides. Cet aspect caractéristique des

14 C. DE MEO, Lingue tecniche del latino, Bologna, 19862, p. 212.foi.

15 Sur les rapports entre vir bonus et bona fides, voir : NAUMOWICZ, Bonae fidei nomen et societas vitae cit., p. 568. Sur le concept de vir bonus :

16 Pour l’usucapion en droit romain, voir la notice de F. FABBRINI, s.v. Usucapione (diritto romano), in Novissimo Digesto italiano 20, Torino, 1975

17 Pour un cadre de synthèse du procès romain, voir : M. KASER – K. HACKL, Das römische Zivilprozessrecht, München, 19962. Il est encore utile de

18 Voir par exemple le fragment du livre 4 des Posteriores de Labéon épitomés parIavolenus au Digeste 19.1.50.

19 M. KASER – K. HACKL, Das römische Zivilprozessrecht2 cit., pp. 25 sq.

20 Un exemple très célèbre de ce formalisme est mentionné par le paragraphe 4.11 des Institutes de Gaius. Le juriste relate que l’emploi du mot vigne

21 Sur ce point, voir les observations de CORBINO, Fides bona contraria est fraudi et dolo cit.

22 KASER – Hackl, Das römische Zivilprozessrecht2 cit., pp. 151 sq.

23 Sur la formule et sur sa composition, voir : GIFFARD, Leçons sur la procédure civile romaine cit., pp. 85 sq.

24 L’édit du préteur a été reconstitué sur la base des fragments que l’on trouve dans les sources par Otto Lenel. Il s’agit, plus précisément, de l’

25 « Que Caius Aquilius soit juge. Puisque Aulus Augerius a acheté à Numerius Negidius l’esclave dont il est question ; à propos de cette affaire

26 Le texte de la formule de l’actio empti a été relaté selon la reconstruction de D. Mantovani, Le formule del processo privato romano. Per la

27 L’interprétation de la clause oportet ex fide bona a fait l’objet d’un des grands débats de la romanistique depuis le XIXe siècle. Jusqu’à la fin

28 Sur l’apparition d’une nouvelle procédure, la cognitio, intimement liée à la création du régime impérial, voir : KASER – HACKL, Das römische

29 Sur le rôle du juge à Rome, voir : G. BROGGINI, Iudex arbiterve. Prolegomena zum Officium des römischen Privatrichters, Köln-Graz, 1957.

30 « Quand les augures pour exercer l’art de la divination dans le Capitole ont ordonné à Tiberius Claudius Centumalus, qui avait une maison sur le

31 Ce texte a fait l’objet d’une grande attention de la doctrine. Parmi les nombreuses contributions, l’on peut citer : SCHERMAIER, Bona fides in

32 Sur les caractéristiques procédurales des actions de bonne foi, voir les efficaces synthèses de M. KASER, Das Römische Privatrecht. Erster

33 Ce principe est exprimé par un fragment du livre 4 des Regulae de Marcianus au Digeste 22.1.32.3. Pour une définition de la mora en droit romain

34 À ce propos, voir : G. CERVENCA, Contributo allo studio delle « usurae » c.d. legali nel diritto romano, Milano, 1969.

35 Pour une synthèse sur la litis contestatio : F. BONIFACIO, s.v. « Litis contestatio », in Novissimo Digesto italiano 9, Torino, 1963, pp. 972 sq.

36 Voir, par exemple, le fragment du livre 33 des Digesta de Julien au Digeste 30.84.5. Cfr. KASER, Das Römische Privatrecht. Erster Abschnitt cit.

37 Certam rem dare ou certam rem reddere.

38 Une exception à cette règle est constituée par les actiones arbitrariae. Ces actions sont caractérisées par l’insertion dans la formule d’une

39 « Tous les jugements sont absolutoires ». Cfr. le passage 4.114 des Institutes de Gaius.

40 Kaser, Das Römische Privatrecht. Erster Abschnitt cit., p. 518.

41 Sur la compensation, voir : P. Pichonnaz, La compensation. Analyse historique et comparative des modes de compenser non conventionnels, Fribourg

42 La littérature sur cette thématique est immense. Voir avec bibliographie : T. DALLA MASSARA, Alle origini della causa del contratto. Elaborazione

43 Sur les pactes dans les contrats des bonnes fois, voir : A. Magdelain, Le consensualisme dans l’édit du préteur, Paris, 1958.

44 Une synthèse efficace des actions de bonne foi à l’époque classique se trouve dans Kaser, Das Römische Privatrecht. Erster Abschnitt cit., p. 486.

45 « Mais nous n’avons aucune représentation solide et claire du vrai droit et de la pure justice, nous nous servons d’une image et des échos. Ah, si

46 Ce texte a été l’objet d’une attention considérable de la part de la romanistique. Parmi les nombreuses contributions, voir : B. NOORDRAVEN, Die

47 « Les actions de bonne foi sont les suivantes: l’action pour l’acheteur et le vendeur, pour le loueur et le bailleur, pour la gestion d’affaire

48 L’action rei uxoriae (l’action pour le patrimoine de la femme) est donnée à la femme ou à ses héritiers pour obtenir la restitution de la dot.

49 Il n’y a, bien évidemment, rien de comparable en droit romain à l’article 1104 du Code civil qui dispose que « Les contrats doivent être négociés

50 M. KASER, Das Römische Privatrecht. Zweiter Abschnitt. Die nachklassischen Entwicklungen Recht, München, 19752, pp. 333-334.

51 « Certaines des actions sont de bonne foi, d’autres de droit strict. Les actions de bonne foi sont les suivantes : les actions pour l’achat, pour

52 Le texte de Justinien ne mentionne pas, à la différence de ceux de Cicéron et de Gaius, la fiducie et l’action pour le patrimoine de la femme. L’

53 NAUMOWICZ, Bonae fidei nomen et societas vitae cit., pp. 27-28.

Notes

1 Il est impossible de rendre compte de la richesse des études consacrées à la bonne foi en droit romain. On se limitera à rappeler les contributions plus récentes dans ce domaine et à renvoyer à la bibliographie ici mentionnée : M. J. SCHERMAIER, Bona fides in Roman contract law, in R. Zimmermann-S. Whittaker (eds.) in Good faith in European contract law, Cambridge 2000, p. 68 ; M. TALAMANCA, La bona fides nei giuristi romani : Leerformeln e valori dell’ordinamento, in L. Garofalo (ed.), Il ruolo della buona fede oggettiva nell’esperienza giuridica storica e contemporanea : atti del Convegno internazionale di studi in onore di Alberto Burdese (Padova-Venezia-Treviso, 14-15-16 giugno 2001), Padova, 2003, pp. 1 sq. ; E. STOLFI, Bonae fidei interpretatio : ricerche sull’interpretazione di buona fede tra esperienza romana e tradizione romanistica, Napoli, 2004 ; R. Fiori, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte prima), in Id. et alii, Modelli teorici e metodologici nella storia del diritto privato 2, Napoli, 2006, pp. 127 sq. ; Id., Fides e bona fides. Gerarchia sociale e categorie giuridiche, in Id. et alii, Modelli teorici e metodologici nella storia del diritto privato 3, Napoli, 2008, pp. 237 sq. ; R. CARDILLI, « Bona fides » tra storia e sistema, Torino, 2010 ; R. Fiori, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte seconda), in Id. et alii, Modelli teorici e metodologici nella storia del diritto privato 4, Napoli, 2011, pp. 97 sq. ; P. Naumowicz, Fidei bonae nomen et societas vitae. Contribution à l’étude des actions de bonne foi, thèse dactylographiée, Université Panthéon-Assas (Paris II), 2011 ; A. CORBINO, Fides bona contraria est fraudi et dolo, in Revue internationale des droits de l’Antiquité, 60 (2013), pp. 109 sq. On soulignera par ailleurs les quatre volumes des actes du colloque en l’honneur d’Alberto Burdese qui sont entièrement consacrés à la bonne foi objective : L. GAROFALO (ed.), Il ruolo della buona fede oggettiva nell’esperienza giuridica storica e contemporanea : atti del Convegno internazionale di studi in onore di Alberto Burdese (Padova-Venezia-Treviso, 14-15-16 giugno 2001), Padova, 2003.

2 Sur le caractère archaïque de la fides, voir : FIORI, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte seconda) cit., pp. 101 sq.

3 Il s’agit du verset 8.21. Voir : S. RICCOBONO et alii (ed.), Fontes iuris romani antejustiniani. Pars prima. Leges, Florentiae, 19412, p. 62.

4 Sur la sacerté, voir : R. FIORI, Homo sacer. Dinamica politico-costituzionale di una sanzione giuridico-religiosa, Napoli, 1996.

5 Sur le concept de la pax deorum, voir : J. LINDERSKI, Pax deorum, in H. Cancik – H. Schneider, Der Neue Pauly. Enzyklopädie der Antike 9, Stuttgart‑Weimar, 2000, p. 456.

6 Y. THOMAS, À Rome, pères citoyens et cité des pères (IIe siècle avant J.-C. – IIIe siècle apr. J.-C.), in A. BURGUIERE - C. KLAPPISCH, Histoire de la famille, Paris, 19942, p. 209.

7 Pour les références, voir : Lombardi VALLAURI, Dalla « fides » alla « bona fides » cit., pp. 14-15.

8 E. FRAENKEL, s.v Fides, in Thesaurus linguae Latinae VI pars prior, 1926, Lipsiae, col. 661 sq. À ce propos voir, Lombardi VALLAURI, Dalla « fides » alla « bona fides » cit., pp. 9 sq.

9 Plusieurs auteurs suivent cette reconstruction. Pour une liste détaillée, voir : FIORI, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte seconda) cit., p. 99 nt. 6. On se limitera à rappeler, parmi les tenants de cette interprétation, F. SCHULZ, Prinzipen des römischen Rechts, Berlin, 1934, pp. 151 sq. et TALAMANCA, La bona fides nei giuristi romani cit., pp. 1 sq.

10 FIORI, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte seconda) cit., pp. 101 sq.

11 À ce propos, voir : J. SCHEID, Religion et piété à Rome, Paris, 1985.

12 FIORI, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte seconda) cit., p. 102.

13 Les sources juridiques, dans la plupart des cas, ne parlent pas simplement de fides, mais plutôt de bona fides. Cet aspect caractéristique des sources juridiques a été relevé par la romanistique. On peut notamment songer à l’ouvrage de L. LOMBARDI VALLAURI, Dalla « fides » alla « bona fides », Milano, 1961. La présence de l’adjectif bona permet de qualifier la fides en lui donnant une signification plus prégnante. Alors que certains auteurs ont nié toute différence entre la fides et la bona fides (c’est le cas de Schulz, Prinzipen des römischen Rechts cit., pp. 151 sq.), d’autres y accordent une grande importance. Parmi les auteurs qui ont mis l’accent sur l’ajout de l’adjectif bona, à part Luigi LOMBARDI VALLAURI, l’on peut mentionner Fiori, Bona fides. Formazione, esecuzione e interpretazione del contratto nella traduzione civilistica (parte seconda) cit., pp. 101 sq.

14 C. DE MEO, Lingue tecniche del latino, Bologna, 19862, p. 212.foi.

15 Sur les rapports entre vir bonus et bona fides, voir : NAUMOWICZ, Bonae fidei nomen et societas vitae cit., p. 568. Sur le concept de vir bonus : G. FALCONE, L’attribuzione della qualifica « vir bonus » nella prassi giudiziaria di età repubblicana (a proposito di Cato, or. fr. 186 Sblend.= 206 (Malc.), in Annali del Seminario giuridico dell’Università di Palermo 54 (2010-2011), pp. 57 sq. ; R. FIORI, Bonus vir. Politica, filosofia e retorica nel De Officiis di Cicerone, Napoli, 2011 ; E. GIANNOZZI, Le vir bonus en droit romain, thèse dactylographiée, Université Panthéon-Assas (Paris II), 2015.

16 Pour l’usucapion en droit romain, voir la notice de F. FABBRINI, s.v. Usucapione (diritto romano), in Novissimo Digesto italiano 20, Torino, 1975, pp. 280 sq.

17 Pour un cadre de synthèse du procès romain, voir : M. KASER – K. HACKL, Das römische Zivilprozessrecht, München, 19962. Il est encore utile de consulter l’ouvrage d’A. GIFFARD, Leçons sur la procédure civile romaine, Paris, 1932.

18 Voir par exemple le fragment du livre 4 des Posteriores de Labéon épitomés par Iavolenus au Digeste 19.1.50.

19 M. KASER – K. HACKL, Das römische Zivilprozessrecht2 cit., pp. 25 sq.

20 Un exemple très célèbre de ce formalisme est mentionné par le paragraphe 4.11 des Institutes de Gaius. Le juriste relate que l’emploi du mot vigne au lieu d’arbre dans le formulaire de l’action était suffisant pour que le demandeur perde son procès.

21 Sur ce point, voir les observations de CORBINO, Fides bona contraria est fraudi et dolo cit.

22 KASER – Hackl, Das römische Zivilprozessrecht2 cit., pp. 151 sq.

23 Sur la formule et sur sa composition, voir : GIFFARD, Leçons sur la procédure civile romaine cit., pp. 85 sq.

24 L’édit du préteur a été reconstitué sur la base des fragments que l’on trouve dans les sources par Otto Lenel. Il s’agit, plus précisément, de l’édit perpétuel, à savoir l’édit dans la forme définitive qu’il a assumé après sa fixation sous le principat d’Hadrien. Voir : O. LENEL, Das Edictum perpetuum. Ein Versuch zu seiner Wiederherstellung, Leipzig, 19273.

25 « Que Caius Aquilius soit juge. Puisque Aulus Augerius a acheté à Numerius Negidius l’esclave dont il est question ; à propos de cette affaire, que Caius Aquilius en tant que juge condamne Numerius Negidius à l’égard d’Aulus Agerius pour tout ce que Numerius Negidius doit faire et donner à Aulus Agerius sur la base de la bonne foi ; si tel n’est pas le cas, que Numerius Negidius soit absout. »

26 Le texte de la formule de l’actio empti a été relaté selon la reconstruction de D. Mantovani, Le formule del processo privato romano. Per la didattica delle Istituzioni di diritto romano, Padova, 19992, p. 53.

27 L’interprétation de la clause oportet ex fide bona a fait l’objet d’un des grands débats de la romanistique depuis le XIXe siècle. Jusqu’à la fin du XXe siècle, même s’il n’y avait pas d’unanimité, la reconstruction qui emportait le plus de consentement considérait la bonne foi comme le fondement juridique de l’obligation. Dans les dernières années, en revanche, la tendance est de considérer que la clause oportet ex fide bona n’indique pas l’origine de l’obligation, mais plutôt un paramètre pour spécifier quelle est la portée des obligations des parties. La bonne foi est alors considérée comme un standard pour déterminer les obligations réciproques des parties. Voir avec bibliographie : R. FIORI, Ius civile, ius gentium, ius honorarium : il problema della « recezione » dei iudicia bonae fidei, in BIDR 101-102 (2005), pp. 165 sq ; Naumowicz, Bonae fidei nomen et societas vitae cit., pp. 28 sq.

28 Sur l’apparition d’une nouvelle procédure, la cognitio, intimement liée à la création du régime impérial, voir : KASER – HACKL, Das römische Zivilprozessrecht2 cit., pp. 435 sq.

29 Sur le rôle du juge à Rome, voir : G. BROGGINI, Iudex arbiterve. Prolegomena zum Officium des römischen Privatrichters, Köln-Graz, 1957.

30 « Quand les augures pour exercer l’art de la divination dans le Capitole ont ordonné à Tiberius Claudius Centumalus, qui avait une maison sur le mont Caelius, d’abattre la partie plus élevée de cette maison puisque son altitude faisait obstacle aux auspices, Claudius a mis en vente le pâté des maisons qui a été acheté par Publius Calpurnius Lanarius. Le même ordre lui est notifié par les augures. Pour cette raison Calpurnius, après avoir abattu la maison et avoir su que Claudius avait mis en vente la maison après que les augures lui avaient ordonné de l’abattre, le cita devant le juge pour tout ce qu’il fallait lui donner et faire sur la base de la bonne foi. Marcus Caton rendit le jugement, le père de notre Caton [scil. Caton d’Utique] (comme effet certains doivent être nommés par leurs pères, ainsi Caton qui a engendré une telle lumière, doit être nommé par son fils), donc lui en tant que juge a ainsi affirmé que, puisqu’en Tiberius Claudius Centumalus en vendant la chose savait de l’ordre de démolition et ne l’a pas dit, il doit répondre du dommage de l’acheteur. »

31 Ce texte a fait l’objet d’une grande attention de la doctrine. Parmi les nombreuses contributions, l’on peut citer : SCHERMAIER, Bona fides in Roman contract law cit., p. 68 ; TALAMANCA, La bona fides nei giuristi romani cit., pp. 144 sq. ; CARDILLi, « Bona fides » cit., pp. 49 sq. ; Fiori, Bonus vir cit., p. 321.

32 Sur les caractéristiques procédurales des actions de bonne foi, voir les efficaces synthèses de M. KASER, Das Römische Privatrecht. Erster Abschnitt. Das altrömische, das vorklassische und klassische Recht, München, 19712, pp. 486 sq. et M. Talamanca, Istituzioni di diritto romano, Milano, 1990, pp. 313 sq. Pour une analyse approfondie de ces spécificités cfr. Naumowicz, Bonae fidei nomen et societas vitae cit., pp. 739 sq. Nous n’avons pas détaillé toutes les caractéristiques des iudicia bonae fidei, mais nous avons donné quelques exemples.

33 Ce principe est exprimé par un fragment du livre 4 des Regulae de Marcianus au Digeste 22.1.32.3. Pour une définition de la mora en droit romain, voir : A. MONTEL, Mora (diritto romano), in Novissimo Digesto italiano 10, Torino, 1964, pp. 1964 sq.

34 À ce propos, voir : G. CERVENCA, Contributo allo studio delle « usurae » c.d. legali nel diritto romano, Milano, 1969.

35 Pour une synthèse sur la litis contestatio : F. BONIFACIO, s.v. « Litis contestatio », in Novissimo Digesto italiano 9, Torino, 1963, pp. 972 sq.

36 Voir, par exemple, le fragment du livre 33 des Digesta de Julien au Digeste 30.84.5. Cfr. KASER, Das Römische Privatrecht. Erster Abschnitt cit., pp. 487-488.

37 Certam rem dare ou certam rem reddere.

38 Une exception à cette règle est constituée par les actiones arbitrariae. Ces actions sont caractérisées par l’insertion dans la formule d’une clause restitutoire : le défendeur est acquitté s’il restitue ou exhibe la chose sur laquelle porte le procès.

39 « Tous les jugements sont absolutoires ». Cfr. le passage 4.114 des Institutes de Gaius.

40 Kaser, Das Römische Privatrecht. Erster Abschnitt cit., p. 518.

41 Sur la compensation, voir : P. Pichonnaz, La compensation. Analyse historique et comparative des modes de compenser non conventionnels, Fribourg, 2001.

42 La littérature sur cette thématique est immense. Voir avec bibliographie : T. DALLA MASSARA, Alle origini della causa del contratto. Elaborazione di un concetto nella giurisprudenza classica, Padova, 2004 ; M. Artner, Agere praescriptis verbis. Atypische Geschäftsinhalte und Klassisches Formularverfahren, Berlin, 2002 ; L. ZHANG, Contratti innominati in diritto romano. Impostazione di Aristone e di Labeone, Milano, 2007.

43 Sur les pactes dans les contrats des bonnes fois, voir : A. Magdelain, Le consensualisme dans l’édit du préteur, Paris, 1958.

44 Une synthèse efficace des actions de bonne foi à l’époque classique se trouve dans Kaser, Das Römische Privatrecht. Erster Abschnitt cit., p. 486.

45 « Mais nous n’avons aucune représentation solide et claire du vrai droit et de la pure justice, nous nous servons d’une image et des échos. Ah, si on suivait au moins celles-ci ! En effet, elles sont révélées par d’excellents exemples de la nature et de la vérité. Quelle importance ont ces célèbres mots : “afin que je ne sois pas ni abusé ni trompé frauduleusement par toi et ta promesse” ou cette merveilleuse formule : “ainsi qu’il convient d'agir parmi des hommes de bien” ! Mais la grande question est de savoir qui sont les “bons” et ce qu’est “agir bien”. Quintus Scaevola, le grand pontife, disait qu’il y avait plus de force dans les jugements, dans lesquels il était ajouté “sur la base de la bonne foi”. Il estimait que le concept de bonne foi a une très grande extension et qu’on le trouve dans les tutelles, les sociétés, les fiducies, les mandats, dans les affaires d’achat et de vente, de prise de bail et de location, actes qui impliquent une société de vie ; dans ces contrats c’est un grand juge qui doit décider, notamment parce que dans la plupart des cas il y a des jugements contraires, ce que chacun doit à l’autre. »

46 Ce texte a été l’objet d’une attention considérable de la part de la romanistique. Parmi les nombreuses contributions, voir : B. NOORDRAVEN, Die Fiduzia im Römischen Recht, Amsterdam, 1999 cit., pp. 302 sq. ; J.-P. DUNAND, Le transfert fiduciaire : « donner pour reprendre ». Mancipio dare ut remancipetur. Analyse historique et comparatiste de la fiducie-gestion, Bâle-Genève-Munich, 2000, p. 174 ; CARDILLI, « Bona fides » cit., p. 34 ; NAUMOWICZ, Fidei bonae nomen et societas vitae cit., pp. 96 sq. ; F. BERTOLDI, Il negozio fiduciario nel diritto romano classico, Modena, 2012, pp. 30 sq. ; G. FALCONE, La formula « ut inter bonos bene agier oportet et sine fraudatione » e la nozione di « vir bonus », in Meditations de iure et historia. Essays in honour of Laurens Winkel, Fundamina 20/1 (2014), pp. 258 sq.

47 « Les actions de bonne foi sont les suivantes: l’action pour l’acheteur et le vendeur, pour le loueur et le bailleur, pour la gestion d’affaire, pour le mandat, pour le dépôt, pour la fiducie, pour l’associé, pour la tutelle, pour la restitution de la dot. »

48 L’action rei uxoriae (l’action pour le patrimoine de la femme) est donnée à la femme ou à ses héritiers pour obtenir la restitution de la dot.

49 Il n’y a, bien évidemment, rien de comparable en droit romain à l’article 1104 du Code civil qui dispose que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. »

50 M. KASER, Das Römische Privatrecht. Zweiter Abschnitt. Die nachklassischen Entwicklungen Recht, München, 19752, pp. 333-334.

51 « Certaines des actions sont de bonne foi, d’autres de droit strict. Les actions de bonne foi sont les suivantes : les actions pour l’achat, pour la vente, pour le loueur, pour le bailleur, pour la gestion d’affaire, pour le mandat, pour le dépôt, pour l’associé, pour la tutelle, pour le prêt d’usage, pour le gage, pour la division du patrimoine héréditaire, pour la division de la copropriété, des actions innomées pour l’exécution du contrat estimatoire et du contrat d’échange, et la pétition d’hérédité. Même si jusqu’à maintenant il était incertain si dénombrer la pétition d’hérédité parmi les actions de bonne foi ou pas, notre Constitution a ouvertement disposé qu’elle est de bonne foi. »

52 Le texte de Justinien ne mentionne pas, à la différence de ceux de Cicéron et de Gaius, la fiducie et l’action pour le patrimoine de la femme. L’omission de la fiducia s’explique par le fait que cette institution était tombée en désuétude depuis plusieurs siècles. En ce qui concerne l’actio rei uxoriae, elle a été transformée par la Constitution 5.13 de Justinien de 530 dans une action ex stipulatu, qui est toutefois qualifiée d’action de bonne foi. Voir : P. F. Girard – J.-Ph. Lévy, Manuel élémentaire de droit romain, Paris, 20038.

53 NAUMOWICZ, Bonae fidei nomen et societas vitae cit., pp. 27-28.

Citer cet article

Référence électronique

Elena GIANOZZI, « La bona fides », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 16 | 2018, mis en ligne le 24 novembre 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=399

Auteur

Elena GIANOZZI

Docteur en histoire du droit et des institutions, Université Paris II Panthéon-Assas

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