Les Assises d’Ariano, reflet de la diversité siculo‑normande ?

DOI : 10.52497/revue-cmh.907

Plan

Texte intégral

Introduction

En 1970, Jean‑François Lemarignier écrit qu’« une législation uniforme sur un territoire, c’est le signe d’une population fondue ayant à peu près le même niveau mental, ou tout au moins, peu de différences1 ». Si les études juridiques classiques ont appréhendé les Assises d’Ariano comme une législation uniforme2, elles ne se sont pas intéressées à la question de son application effective.

Or, dans l’Occident du xiie siècle, peu de populations se sont moins fondues que celles qui composent alors le royaume normand de Sicile. La profonde diversité culturelle qui caractérise ces dernières s’explique dans une large mesure par les conditions de fondation du regnum. Aux alentours de l’an mil, une poignée d’aventuriers normands s’installent dans le sud de l’Italie. La zone est alors une mosaïque politique et institutionnelle dont il convient d’exposer schématiquement les grands traits.

La Sicile est pleinement intégrée dans le dār al‑islām depuis que les Aghlabides l’ont arrachée aux Byzantins en 902. Au xie siècle, l’île se compose de trois émirats kalbites soumis nominalement au califat fatimide, mais jouissant en réalité d’une large autonomie. La Calabre et la Longobardie sont intégrées à l’empire byzantin vers la fin du ixe siècle. Les deux entités territoriales deviennent deux thèmes solidement administrés par des agents nommés directement par le basileus. Le reste du Midi continental est essentiellement constitué des trois principautés issues du partage de Bénévent de 849 : Bénévent, Capoue et Salerne.

Les Normands s’insèrent au sein de cette réalité complexe en tant que mercenaires, proposant leurs services aux princes locaux les plus offrants. Mais, conscients de la faiblesse politique de la zone et confortés par l’arrivée régulière de leurs compatriotes, les mercenaires se muent vers les années 1040 en conquérants. Avec le soutien de la papauté, ils fondent trois principautés dirigées respectivement par un chef normand : la principauté de Capoue, le duché de Pouilles et le comté de Sicile.

C’est à Roger II (1112‑1154), second comte de Sicile, que l’on doit la fondation du royaume. En 1130, après avoir placé l’ensemble des trois principautés sous sa domination, Roger II obtient du pape Innocent II, le titre royal réunissant sous la même bannière des Latins, des Grecs et des Arabes.

Sur le plan juridique, les événements qui suivent le couronnement royal du 25 décembre 1130 ne sont pas rapportés avec précision. La manière dont la construction royale est généralement relatée dans les études relatives au royaume relève en partie d’une reconstitution doctrinale. Ce qu’il y a de certain, c’est que, en 1140, après avoir mis un terme à l’opposition aristocratique, Roger II a réuni les grands du royaume à Ariano. On considère habituellement qu’au cours de cette assemblée, le roi a promulgué un code fondateur ratifiant la naissance du royaume, code que les historiens ont nommé les Assises d’Ariano.

Le contenu des Assises nous est parvenu à travers deux manuscrits3. Le premier, datant de la fin du xiie siècle, se trouve à la Bibliothèque du Vatican (Vat. Lat. 8782) tandis que le second, rédigé au début du xiiie siècle, est conservé au Mont‑Cassin (Cod. Cass. 468). Nonobstant leurs nombreuses différences, les deux documents permettent d’appréhender un corpus de lois composé d’une quarantaine d’articles4. Bien que ceux‑ci se succèdent sans logique apparente, ils touchent schématiquement à quatre grandes questions : les prérogatives royales, les rapports du roi avec l’Église, le droit pénal et le droit privé. Ce qui frappe d’emblée, c’est le syncrétisme juridique qui singularise l’œuvre. Certes, parmi les traditions juridiques d’emprunt, le droit romain tient la première place. De nombreux passages trouvent leur inspiration dans le Code de Justinien et le Digeste, sans être pour autant de simples copies. Bien au contraire, ceux‑ci sont habilement remaniés et adaptés aux nécessités du jeune royaume5. Mais le voile romain nimbant le texte n’éclipse pas pour autant d’autres influences juridiques, qu’elles soient lombardes ou byzantines6.

Malgré les nuances récentes7, la vision majoritaire des Assises d’Ariano reste dans une large mesure tributaire de toute une série d’études savantes menées aux xixe et xxe siècles8. Celles‑ci ont contribué à ériger le texte au rang de code de lois cohérent reflétant tant la tentation impériale que la logique centralisatrice de Roger II. Appréhendé à travers le prisme des Assises9, le roi de Sicile devient un souverain de droit divin d’inspiration romano‑byzantine. « Fontaine de la loi sur terre », sa volonté contraint territorialement ses sujets dont les différences culturelles sont largement occultées.

Bien que classique, cette lecture des Assises doit aujourd’hui être remise en question, et cela principalement pour deux raisons.

D’une part, elle se confronte à une limite liée à la documentation disponible, que le professeur Ménager a été le premier à mettre en évidence10. Celui‑ci souligne à juste titre qu’aucune source de la période rogérienne ne fait expressément référence à un texte censé occuper une place fondamentale. Le silence est tel, qu’en l’état actuel de la documentation, rien ne permet de confirmer avec une entière certitude que les Assises dites d’Ariano ont effectivement été promulguées en 1140, ni même qu’elles l’ont été en une fois, sous la forme d’un code.

D’autre part, la conception du pouvoir telle qu’elle ressort du texte appréhendé comme un code ne correspond en rien à celle qui se dégage des sources dont la datation est mieux assurée. Les Assises reflètent en effet la vision d’une royauté marquée par une froide uniformité. Or le règne de Roger II s’est illustré par le recours à une méthode pragmatique du pouvoir fortement marquée par la diversité11. Cette méthode se remarque dans tous les aspects du gouvernement siculo‑normand. Sur le plan juridique, la pluralité de populations sous sa domination oblige Roger II, comme ses prédécesseurs, à maintenir dans une large mesure un système de personnalité des lois. De même, la construction administrative ne se réalise pas uniformément, mais en fonction de l’élément culturel dominant dans la province concernée. Ainsi, l’administration sicilienne, marquée par le substrat arabo‑byzantin, diffère de l’administration péninsulaire qui s’inspire des institutions lombardes et anglo‑normandes. La diversité concerne également l’image diplomatique du roi. Roger II s’entoure d’une chancellerie trilingue12, au sein de laquelle coexistent des scribes arabes, grecs et latins, formés aux pratiques diplomatiques des puissances qui se partageaient l’Italie prénormande13. Il s’agit de projeter une image compréhensible de la royauté à des populations accoutumées à la domination byzantine, latine ou musulmane.

Au vu de ces contradictions, peut‑on considérer que les Assises sont un texte représentatif de la réalité siculo‑normande ?

On le peut à condition d’appréhender le texte différemment. La comparaison des deux manuscrits ainsi que leur confrontation aux autres sources disponibles laissent apparaître des incertitudes qui entourent le texte (I) et qui suggèrent une nouvelle interprétation : celle d’une compilation de mesures particulières (II).

I. Les incertitudes entourant le texte

La thèse de la promulgation des Assises en 1140 lors de l’assemblée d’Ariano a été formulée pour la première fois par Otto Hartwig14 en 1868 et n’a connu depuis aucune remise en cause sérieuse, hormis celle de Léon‑Robert Ménager15. La méthode à laquelle recourut l’historien allemand consista à repérer un thème développé dans le préambule de la version vaticane16, celui de la restauration de la paix et de la tranquillité au sein du royaume, afin de déterminer le contexte historique du texte17. Après comparaison, il crut le reconnaître dans un passage de la chronique de Falcon de Bénévent. Le chroniqueur indique en effet qu’après que Roger II eut rétabli une « paix parfaite » en 1140, il réunit une assemblée à Ariano où, « inter cetera enim suarum dispositionum », il introduisit son édit sur la monnaie18. L’hypothèse d’Hartwig se trouva confortée par la chronique de Romuald de Salerne qui rapporte qu’après avoir pacifié le royaume, « leges a se noviter conditas promulgavit19 ». Il n’en fallut pas plus à l’historien pour voir dans ces relations une référence certaine à la promulgation des Assises20. Par sa qualité, la démonstration fit florès. Si bien qu’elle fut reprise par trois éminents spécialistes du début du siècle dernier, Erich Caspar, Ferdinand Chalandon et Evelyn Jamison, s’imposant dès lors comme une thèse classique.

Bien que séduisant, le raisonnement d’Hartwig laisse subsister de nombreuses zones d’ombre. Ainsi comment expliquer que la seule loi évoquée par Falcon de Bénévent avec précision – celle introduisant le ducatus et interdisant l’usage de la romesina – n’est mentionnée dans aucun des deux manuscrits des Assises ?

Plus troublant encore est le silence des actes royaux. Le professeur Ménager a parfaitement établi « l’indépendance totale des diplômes royaux vis-à-vis des concepts ou de la phraséologie juridique romains » qui caractérisent les Assises. Mais cette indépendance n’est pas seulement formelle. L’étude attentive des diplômes de Roger II ne permet de déceler aucune référence indéniable aux Assises d’Ariano.

Prenons par exemple le cas du crime de lèse‑majesté, compilé au sein de l’article XVIII des Assises d’Ariano (vers. Vat.21). Fortement inspiré de la constitution Quisquis d’Arcadius et d’Honorius (Cod., IX, 8, 5), le texte renoue finement avec la lèse‑majesté romaine. Pour autant, les rédacteurs ne se contentent pas d’une réutilisation aveugle de la constitution. Ils la façonnent au gré des besoins particuliers du royaume nouvellement créé et pacifié au prix de près d’une décennie de guerre.

Malgré ce dispositif redoutable, la lèse-majesté n’est évoquée que timidement et par allusion avant la minorité de Guillaume II. La chronique d’Alexandre de Telese qui reflète à bien des égards les conceptions se développant à la cour autour de 1140 constitue un exemple particulièrement suggestif du phénomène. Si le concept de lèse‑majesté était en formation à la date de rédaction de sa chronique, nul doute que le panégyriste du roi se serait fait l’écho de cette nouvelle arme. Or jamais la notion romaine n’est mentionnée. Lorsque l’auteur évoque les différentes conjurations contre le roi, il a systématiquement recours à l’incrimination féodale de parjure22. La faute commise par les comploteurs est perçue sous sa plume comme la rupture du serment prêté au roi en tant que seigneur23, jamais comme une atteinte au roi en tant que représentant d’un État en cours de développement.

C’est dans les dernières années du règne de Roger II qu’un changement se décèle. En 1151, l’abbaye de Brazi24 se voit accorder un privilège de juridiction « praeterquam de crimine laesae maiestatis » que le roi se réserve25. Il faut remarquer que l’acte est signé de la main de Maion de Bari, apparaissant pour la première fois en souscription d’un diplôme royal en tant que vice‑chancelier26. C’est également sous sa plume que le crime est mentionné dans un diplôme de Guillaume Ier émis en 115627. Nous ne connaissons pas précisément la formation juridique de Maion, ni ne savons s’il a étudié dans le nord ou le sud de l’Italie28. Celui qui deviendra l’émir des émirs de Guillaume Ier est issu d’une famille de juges de Bari et son commentaire de l’oraison dominicale à l’intention de son fils permet de supposer une instruction fort complète29. Sa présence à la cour coïncide par ailleurs avec la détention d’un commentaire des « livres de Justinien » dans la bibliothèque de la chapelle palatine, bibliothèque que celui‑ci fréquente assidûment30. Sans qu’il soit possible de l’affirmer définitivement, il se pourrait qu’il ait joué un rôle central dans l’introduction du droit romain et donc de la lèse‑majesté au sein de la cour. Faute de sources supplémentaires, le stade de la supposition demeure toutefois infranchissable.

Malgré la reconnaissance de la lèse-majesté, le crime ne semble pas immédiatement utilisé par le roi. Pour tenir en respect leurs opposants, les deux premiers rois de Sicile recouraient plus volontiers à la force qu’au droit. Le chroniqueur Hugues Falcand, non sans une certaine admiration, évoque la façon dont ils procédaient : si cela suffisait, ils mutilaient les coupables afin de les priver au moins de leurs membres indispensables. Sinon ils les jetaient à la mer, ou les faisaient disparaître autrement, mais toujours en secret31. Disons‑le sans ambages, il s’agissait d’éliminer les rébellions en dehors de tout cheminement judiciaire32. Il faut attendre la minorité de Guillaume II et le complot d’Henri de Montescaglioso contre le chancelier Étienne du Perche durant l’hiver 1167 pour voir le premier cas de lèse‑majesté33.

La date des Assises reste donc très incertaine. Raccrochons‑nous aux certitudes. La grande majorité des articles peut vraisemblablement être attribuée à Roger II. C’est ce que suggèrent les Constitutions de Melfi de Frédéric II. En effet, sur les 253 articles qui composent le Liber Augustalis, 72 sont expressément attribués aux rois siculo-normands : 44 à Roger II et 28 au « roi Guillaume ». Or, sur les 44 articles attribués à Roger II, 36 sont des copies quasi‑conformes de dispositions de la version vaticane.

À partir de là, nous pouvons dire que les Assises sont des lois vraisemblablement promulguées durant le règne de Roger II, autrement dit entre 1130 et 1154.

Cependant, ont-elles été promulguées en une fois sous la forme d’un code ? Les fortes disparités qui se remarquent dans le texte semblent induire une réponse négative. D’abord, il existe entre les deux manuscrits des Assises plusieurs différences notables qu’il convient de souligner. Le manuscrit du Vatican ne comporte pas de titre contrairement à celui du Mont‑Cassin (Assise Regnum Regni Sicilie). Celui‑ci résulte néanmoins très probablement d’une interpolation. Plus important, seule la version vaticane contient un préambule. La version du Vatican se compose par ailleurs de 39 articles contre 43 pour la version du Mont‑Cassin. L’ordre et la construction de ces articles ne répondent à aucune logique apparente dans les deux cas, c’est pourquoi Caspar qualifiait le texte de « Mosaik‑arbeit34 ». Parfois un préambule justifie la mesure dans l’une des versions, mais pas dans l’autre35. Plus généralement, bien que le contenu des deux manuscrits reste très proche, la rédaction diffère. De même, sept dispositions présentes dans la version du Mont‑Cassin ne se retrouvent pas dans la version vaticane36.

À ces observations, il faut ensuite ajouter l’absence d’unité stylistique au sein de chacun des manuscrits. Certains articles sont rédigés sous forme impersonnelle37, d’autres sous celle d’un ordre impératif adressé par le roi38.

Le dernier point qui nous paraît exclure l’idée d’un code concerne les matières traitées. Des préoccupations essentielles dans le jeune royaume ne sont pas ou peu abordées dans le texte. Le professeur Ménager souligne justement que « sur 67 paragraphes39, il en est treize, c’est‑à‑dire le cinquième, qui sont consacrés à l’adultère, comme si ce délit avait été la grosse affaire de la royauté normande, ou un sujet de prédilection pour une assemblée féodale comme celle d’Ariano. Même proportion incohérente – le dixième – pour les textes visant la prostitution. Mais rien, en revanche, sur le régime féodal, qui fut pourtant l’une des plus grandes préoccupations de la cour panormitaine ».

Les disparités de style et de contenu semblent donc exclure toute vision unitaire de l’ouvrage. L’hypothèse d’une compilation de lois promulguées par Roger II apparaît la plus satisfaisante40. Ce travail pourrait parfaitement être le fruit d’une « institution ecclésiastique dotée de compétences juridictionnelles comme l’abbaye du Mont‑Cassin41 » ainsi que le suggère le professeur Matthew. Appréhendé sous cet angle, le texte se teint d’une tout autre couleur.

II. Une compilation de mesures diverses

La conception personnelle et pragmatique du gouvernement trouve confirmation dans le travail diplomatique de Roger II. Régulièrement, le roi se rend en personne dans les différentes provinces du royaume afin de « mettre fin aux disputes et aux injustices42 ». Lors de ces assemblées au cours desquelles il réunit « parte maxima populi [eius] regni », le roi promulgue des dispositions en réponse à des sollicitations diverses. Cette manière de gouverner, qu’imposent les données locales, est aux antipodes du concept de code.

Tout laisse penser que certaines des dispositions prises au coup par coup par Roger II, en vue de régler des situations particulières se sont retrouvées compilées dans les Assises dites d’Ariano. Nous appréhenderons la question à travers deux exemples.

En premier lieu, nous trouvons dans les deux manuscrits des Assises un article concernant la célébration légitime du mariage :

Vers. Vat., art. XXVI : De coniugiis legitime celebrandis43

Quoniam ad curam et sollecitudinem regni pertinet leges condere, populum gubernare, mores instruere, pravas consuetudines extirpare, dignum et equum visum est nostre clementie, quandam pravam consuetudinem, que quasi clades et lues huc usque per diuturna tempora, partem nostri populi perrependo pervasit edicti nostri mucrone decidere, ne liceat vitiosas pullulas de cetero propagare. Absurdum quippe moribus repugnans sacrorum canonum institutis, christianis auribus inauditum est, matrimonium velle contrahere, legitimam sobolem procreare, indivisibile vite consortium alligare, nec dei favorem et gratiam nuptis nuptiarum in stabulis querere, et tantum in Christo et ecclesia ut dicit apostulus sacramentum confirmandum per sacerdotum ministerium creare.

Sancimus itaque lege presenti deo propitio perpetuo valitura, volentibus omnibus legitimum contrahere matrimonium necessitatem imponi, quatinus post sponsalia nuptias celebraturi sollempniter quisque pro suo modulo seu commodo, limen petant ecclesie sacerdotum benedictionem post scrutinium consecutum anulum ponat, pretii postulationique sacerdotali subdantur, si volunt futuris heredibus successionem relinquere. Alioquin noverint ammodo molientes contra nostrum regale preceptum, neque ex testamento, neque ab intestato se habituros heredes legitimos, ex illecito per nostram sanctionem matrimonio procreatos. Mulieres etiam dotes, et aliis nubentibus legitime debitas non habere. Rigorem cuius sanctionis, omnibus illis remittimus, qui promulgationis eius tempore, iam matrimonium contraxerunt. Viduas vero volentibus ducere, huius necessitatis vinculum relaxamus.

Par cette législation, le roi impose la bénédiction ecclésiastique comme condition de validité du mariage. Sans le respect de cette forme, il ne sera reconnu aucun effet juridique à l’union, et principalement en matière successorale44. Au premier abord, la législation royale peut surprendre. En effet, dans l’Occident du xiie siècle, la question du mariage est monopolisée par l’Église et il faudra attendre le siècle suivant avant que celle‑ci ne légifère dans le sens de la publicité du mariage45. En réalité, la mesure ne trouve pas son origine en Occident mais dans le droit byzantin46. Elle est en effet tirée de la Novelle 89 de Léon le Sage qui au ixe siècle imposa la bénédiction pour la validité du mariage47.

D’emblée, l’assise place le juriste face à une contradiction. Comment le roi pourrait-il, d’un côté, laisser aux différentes populations une certaine autonomie en matière civile et religieuse et, de l’autre, prendre une disposition générale visant à réformer une institution aussi sensible que le mariage ? En effet, depuis leur installation dans le sud de l’Italie, les Normands ont intelligemment agi dans le respect des lois de chacun. Les exemples de cette stratégie sont nombreux. En 1132, Roger II garantit aux habitants de Bari que nul ne pourra faire abstraction de leurs lois et de leurs coutumes48. À Catane en 1168, le roi confirme que « les Latins, les Grecs et les Sarrasins seront jugés chacun selon leur loi49 ». Cette idée se retrouve dans les Assises puisque le roi précise que « du fait de la variété des peuples assujettis, les usages, coutumes et lois ayant existé parmi eux ne sont pas abrogés50 ». Ainsi, sur le plan du droit privé, chaque sujet est en principe régi par sa propre loi.

Il est par ailleurs difficile d’envisager l’application de la mesure sur le mariage par les populations musulmanes du royaume sans que cela n’ait engendré d’importantes frustrations. Nous savons que les musulmans de Sicile consultent régulièrement les érudits du nord de l’Afrique afin d’obtenir des réponses aux problématiques religieuses qui découlent de la domination normande. Aussi, en 1141, le juriste malikite al‑Māzarī a été interrogé sur la légitimité des décisions d’un cadi nommé par un roi chrétien51. Pour autant, rien de semblable n’apparaît sur la question du mariage52. S’agissant des populations grecques, la mesure n’apparaissait pas nécessaire puisque la bénédiction était l’usage depuis le temps de la domination byzantine53.

En réalité, les seules traces disponibles de la législation de Roger II concernent les populations lombardes de Pouille, ce qui suggère que la disposition royale n’a été appliquée ni partout ni par tous. Dans deux actes de constitution de dot de femmes lombardes rédigés en 117154 et en 118055 à Ruvo, les noces sont dites célébrées « per legetimas solempnitates et sacras domini regis Rogerii constitutiones » sans quoi « la femme n’aurait aucun droit à la dot propre à ceux légitimement mariés » comme le prévoit l’assise. Cette condition étant remplie, les époux organisent entre eux, selon le droit lombard, les questions relatives à la Morgengabe56 et à la dot. Par ailleurs, deux actes rédigés à Trani en 1180 font explicitement référence à la bénédiction des époux57.

Malheureusement, en l’état actuel de la documentation, il est impossible de déterminer avec précision la raison de l’intervention du roi sur la question du mariage. Généralement, les historiens considèrent la disposition comme la volonté royale de s’ériger en tuteur de l’Église « confirmant ainsi, la fonction religieuse du roi de Sicile58 ». Bien que seules des suppositions d’ordre conjoncturel soient permises, il semble que la raison soit davantage pragmatique, comme le laisse entendre le préambule riche d’enseignements que comporte la version vaticane de l’article. Le roi y justifie sa mesure principalement par la nécessité de supprimer une mauvaise coutume appliquée par une partie de son peuple afin de prévenir sa propagation au reste de la population. Il n’est pas impossible que le roi fasse ici référence aux « mariages clandestins ». En effet, la Pouille présente la particularité d’être restée majoritairement lombarde durant la domination byzantine au point que le droit lombard est parvenu à s’y maintenir. Au cours du xiie siècle, sous l’influence de la doctrine canonique, le droit lombard fait du consensus la condition essentielle de formation du mariage59. Or « on commence à voir poindre, dès la deuxième moitié du xiie siècle, l’influence du droit personnel lombard sur les communautés italo‑grecques60 », sans doute la forme du mariage a‑t‑elle été concernée par ce mouvement provoquant des vexations au sein du clergé grec. Ce pourrait être sous l’influence de celui‑ci que Roger II serait intervenu en Pouille comme le propose le professeur Ménager61. En tout état de cause, en prenant cette mesure, le roi n’a pas généralisé la bénédiction à l’ensemble du royaume, mais s’est contenté de conforter en Pouille la règle byzantine déjà connue par une partie de la population locale.

Les deux versions des Assises prévoient en second lieu l’incrimination de l’atteinte portée à la barbe d’un honnête homme :

Vers. Vat., art. XXXIII : De iniuriis privatis personis illatis62

Quod iuri et rationi est consentaneum satis iure cunctis est gratum, et quod a ratione equitatis dicrepat, universis ingratitudinem representat.

Nulli igitur mirum si quod in homine deus carius et dignius posuerit, cum negligitur atque despicitur, et inprobo iudicio vilipenditur, sapiens et honestatis amicus rationabiliter indignatur. Quid enim absurdius quam equa lance pensari ubi iumenti cauda decerpitur, et ubi honestissimi viri barba depilatur.

Pro suggestione ergo populi nostro regno subiecti atque supplicatione legum suarum ineptitudinem cognoscentis hanc legem et edictum proponimus. Ut cuicumque de popularibus excusato, tamen et deliberatione barba fuerit depilata, reus talis commissi pena huiusmodi feriatur solidis aureis scilicet regiis sex ; si vero in rixa factum fuerit, sine deliberatione et studio, de eisdem solidis III.

Comme pour l’article sur le mariage, seule la version du Vatican comporte un préambule. Le roi estime absurde d’accorder la même importance au fait de couper la queue d’un cheval et à celui d’arracher la barbe d’un homme honnête. Ainsi, à la demande de ses sujets qui se rendent compte de l’imperfection de leurs lois, le roi décide de punir le second délit d’une amende de six solidi.

Certes, replacer la disposition dans un contexte précis serait hasardeux en l’état actuel des sources. Néanmoins, quelques informations intéressantes peuvent se dégager du texte. L’intitulé de la disposition fait référence aux blessures commises sur une personne. Or il peut sembler curieux que la seule partie du corps protégé par le texte soit la barbe. Cette singularité laisse penser que la mesure a été revendiquée par des populations lombardes. En effet, la dimension fortement symbolique de la barbe est une particularité culturelle lombarde. Selon Paul Diacre, « les Lombards portent leur nom en raison de la longueur de leur barbe jamais touchée par une lame, car dans leur langage “lang” signifie long et “bart”, barbe63 ». Ainsi, « le fait de couper sa barbe était une mesure punitive ou l’expression de la soumission pour un Lombard64 ». Cette caractéristique imposait donc une protection particulière. Pour ce faire, Roger II puise directement dans l’édit de Rothari65, encore appliqué en Longobardie notamment. Pourtant, en plaçant l’incrimination dans le giron de la justice royale, le roi fait évoluer la sanction. Celle‑ci n’est plus une compensation pécuniaire comme le prévoit le droit lombard, mais une amende de six pièces d’or.

Conclusion

Plusieurs indices suggèrent que les Assises dites d’Ariano ne constituent pas un code, mais une compilation de dispositions législatives édictées par Roger II. Cette lecture correspondrait par ailleurs à la méthode de gouvernement royal telle qu’elle transparaît dans les autres sources disponibles. Dès lors, loin de refléter une conception avancée voire impériale, les différents articles ne seraient que l’expression d’un gouvernement personnel et pragmatique66. Les traces de droit lombard et de droit byzantin ne résultent en réalité pas d’une volonté royale de former un droit uniforme par la synthèse des droits locaux. Au contraire, elles sont la manifestation d’un comportement empirique du roi à l’égard de la diversité, qui agit localement en tenant compte de la culture juridique de chacun. Il faudra attendre le règne de Frédéric II avant que ne s’ouvre la voie vers l’uniformisation, logique dont la manifestation la plus spectaculaire résidera dans la promulgation des célèbres constitutions de Melfi.

1 J.‑F. Lemarignier, La France médiévale, Paris, Armand Colin, 1970 (réimp. 2010), p. 48.

2 V. les références citées infra.

3 Les deux versions font l’objet d’une belle édition, Le Assise di Ariano : testo critico, éd. O. Zecchino, Cava dei Tirreni, Di Mauro, 1984, 158 p.

4 La version vaticane se compose de 43 articles, tandis que la version du Mont‑Cassin en comporte 39. Nous conserverons la numérotation utilisée par

5 Sur la question, v. l’excellente étude de K. Pennington, « The Constitutiones of King Roger II of Sicily in Vat. lat. 8782 », Rivista

6 A. Romano, « Diritto romano e Diritto longobardo nella legislazione delle Assise », in O. Zecchino (dir.), Alle origini..., op. cit., p. 167‑189.

7 V. par exemple, O. Zecchino, « Les Assises d’Ariano », in Les Normands, peuple d’Europe, 1030‑1200, Paris, Flammarion, 1994, p. 173.

8 Parmi l’immense bibliographie sur la question, v. notamment J. Merkel, Commentatio qua iuris siculi sive Assisarum Regum Regni Siciliae fragmenta

9 En 1951, Antonio Marongiù fonde son argumentation sur le proemium des Assises d’Ariano, comportant selon lui « l’esprit de la monarchie sicilienne 

10 L.‑R. Ménager, « La législation sud‑italienne sous la domination normande », in I Normanni e la loro espansione in Europa nell’Alto Medioevo

11 Sur ce point, nous renvoyons le lecteur à notre thèse de doctorat, A. Djelida, La construction de l’institution royale siculo‑normande, dactyl.

12 H. Enzensberger, « Chanceries, Charters and Administration in Norman Italy », in G. A. Loud et A. Metcalfe (éds.), The Society of Norman Italy

13 Pour les actes grecs, v. V. von Falkenhausen, « I diplomi… », art. cit. ; pour les actes arabes v. A. Noth, « Die arabischen Dokumente Roger II »

14 O. Hartwig, « Beiträge zur Geschichte Siciliens im Mittelalter », Historische Zeitschrift, 20 (1868), p. 13‑15.

15 L.‑R. Ménager, Études sur le royaume normand d’Italie : Les sources juridiques et diplomatiques, S. l, 1956, p. 14 sq.

16 Assises d’Ariano, préambule : « Si ergo sua misericordia nobis deus pius prostratis hostibus pacem reddidit, integritatem regni, tranquillitate

17 Précisons que le même argument a conduit Giovanni B. Siragusa à situer la promulgation des Assises après la victoire de Guillaume Ier sur les

18 « Et eis omnibus studiose perscrutatis, Arianum civitatem advenit, ibique de innumeris suis actibus, curia procerum et episcoporum ordinata

19 Romualdi Salernitani Chronicon, éd. C. A. Garufi, Citta` di Castello, S. Lapi, 1935, p. 226 : « Rex autem Roggerius in regno suo perfecte pacis

20 O. Hartwig, « Beiträge zur Geschichte Siciliens im Mittelalter », Historische Zeitschrift, 20 (1868), p. 13‑15.

21 Cf. art. 12 de la vers. Cass.

22 Ces références sont très nombreuses, v. par exemple : Alexandre de Telese, op. cit., II, 33 : « Qui simul in Regem committentes aperta periuria

23 Ibid., II, 46 : « Nunc itaque in hoc prudens lector diligenter consideret quantum sceleris sit periurii crimen committere, maximeque illud, cum

24 Rogerii II Regis Diplomata Latina, éd. C.‑R. Brühl, Cologne, Böhlau, 1987, n° 79 : « […] fideles autem homines per villas, loca, casalia vel

25 Rappelons que dans un acte du comte de Molise de 1153 (éd. in E. Jamison, « The Administration of the County of Molise in the Twelfth and

26 Avant cela, Maion officiait comme responsable des archives royales.

27 Guillelmi I. regis diplomata, éd. H. Enzensberger, Köln‑Wien, Böhlau, 1996, n° 14 : « excepto si de crimine lese maiestatis fuerint accusati ».

28 Sur le personnage, v. A. Djelida, op. cit., p. 357‑361. Pour le contexte culturel italien, v. notamment, E. Cortese, « Bologne et les premières

29 D. Matthew, « Maio of Bari’s Commentary on the Lord’s Prayer », in L. Smith et B. Ward (éds.), Intellectual Life in the Middle Ages, London, The 

30 A. Djelida, op. cit., p. 174 sq.

31 Hugues Falcand, Le livre du royaume de Sicile. Intrigues et complots à la cour normande de Palerme (1154‑1170), éd. et trad. E. Türk, Turnhout

32 C’est ainsi qu’en 1161, Guillaume Ier fit venir en Sicile Roger de Martorano, l’accusa de trahison (proditio), l’emprisonna et le priva de la vue

33 A. Djelida, op. cit., p. 305‑313.

34 E. Caspar, Roger II (1101‑1154) und die Gründung der normannisch-sicilischen Monarchie, Innsbruck, Wagner, 1904, p. 259.

35 V. les exemples cités infra.

36 Art. 33‑38.

37 Par exemple, art. XXXII : « Qui post crimen adulterii intentatum uxorem receperit, destitisse videtur ab accusatione ideoque suscitare qustionem

38 V. notamment l’article IV : « Scire volumus principes nostros, comites, barones universos archiepiscopos … » ; ou encore l’article VI : « Presente

39 Le professeur Ménager a préféré découper le texte en paragraphes plutôt qu’en articles ; L.‑R. Ménager, art. cit., p. 494.

40 Ennio Cortese soupçonne de fortes retouches dans les dispositions compilées, Il diritto nella storia medievale, II, Rome, Il Cigno‑Galileo Galilei

41 M. Matthew, op. cit., p. 187.

42 C’est par exemple le cas à Silva Marca en juillet 1142, Rogerii II Regis Diplomata…, op. cit., n° 53.

43 Vers. Cass., art. 15, De coniugiis : « Sancimus lege presenti, volentibus omnibus legitimum contrahere matrimonium necessitatem imponi, quatenus

44 Sur le contenu de la disposition v. P. Vaccari, « La celebrazione del matrimonio in una assisa di Ruggiero II », in Atti del Convegno

45 V. notamment J. Gaudemet, Le mariage en Occident ; les mœurs et le droit, Paris, éd. du Cerf, 1987, p. 139 sq. ; B. Basdevant‑Gaudemet, Église et

46 A. Marongiù, La famiglia nell’Italia Meridionale (sec. viii-xiii), Milano, Società Editrice Vita e Pensiero, 1944, p. 68‑70 ; L.‑R. Ménager, « 

47 Les Novelles de Léon VI le Sage, éd. A. Dain et P. Noaille, Paris, Les Belles Lettres, 1944, p. 295. V. également, P. L’Huillier, « Novella 89 of

48 Rogerii II Regis Diplomata…, op. cit., n° 20 : « De lege vestra et consuetudinibus vestris, quas iam quasi per legem tenetis, vos non eiciet nisi

49 Acte de l’évêque de Catane Jean en date du 22 décembre 1168, éd. G. B. de Grossis, Catana sacra, Catane, 1654, p. 88‑89 : « Latini, Greci, Iudei

50 Vers. Vat., art. I : « […] moribus, consuetudinibus, legibus non cassatis pro varietate populorum nostro regno subiectorum… ».

51 La réponse du juriste est surprenante. Recourant à l’analogie (qiyās), l’un des fondements de la méthodologie juridique musulmane, il constate

52 Cf. I. H. Roger, « Le mariage en Occident musulman (suite de l’analyse de fatwas médiévales extraites du “Mi’yar” d’Al‑Wansarisi) », Revue de l’

53 Sur la persistance des pratiques byzantines en Calabre, v. A. Peters‑Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale post‑byzantine (ixexive siècles).

54 D. Morea, Il chartularium del monastero di S. Benedetto di Conversano, Montecassino, 1892, n° 121.

55 G. Beltrani, I documenti stirici di Corato, Bari, Vecchi, 1923, n° 63.

56 Sur la Morgengabe en Pouille, v. J.‑M. Martin, « Le droit lombard en Italie méridionale (ixexiiie siècles) : interprétations locales et expansion

57 J.‑M. Martin, La Pouille du vie au xiie siècle, Rome, École française de Rome, 1993, p. 548.

58 A. Peters‑Custot, op. cit., p. 337.

59 J.‑M. Martin, op. cit., p. 549.

60 Ibid., p. 397.

61 L.‑R. Ménager, « La législation… », art. cit., p. 442, n° 4.

62 Vers. Cass., art. 32, De iniuriis privatorum : « Cuicumque de popularibus ex consulto tamen et deliberatione barba fuerit depilata, reus soldorum

63 Paul Diacre, Historia Langobardorum, 4, 22.

64 P. Depreux, « La loi et le droit. La part des échanges culturels dans la référence à la norme et les pratiques juridiques durant le haut Moyen 

65 Éd. in Le leggi dei longobardi. Storia, memoria e diritto di un popolo germanico, C. Azzara et S. Gasparri (éds.), Roma, Viella, 2005, n° 383.

66 Nous touchons là, semble‑t‑il à un vestige de la lointaine patrie, substrat omniprésent ; la Normandie où, sous Guillaume le Conquérant, la loi

Notes

1 J.‑F. Lemarignier, La France médiévale, Paris, Armand Colin, 1970 (réimp. 2010), p. 48.

2 V. les références citées infra.

3 Les deux versions font l’objet d’une belle édition, Le Assise di Ariano : testo critico, éd. O. Zecchino, Cava dei Tirreni, Di Mauro, 1984, 158 p. Nous écarterons de cette étude la version grecque qui ne constitue qu’une traduction abrégée et tardive (xive siècle) de la version vaticane, L. Burgmann, « La traduzione greca delle Assise di Ariano », in O. Zecchino (dir.), Alle origini del Costituzionalismo Europeo. Le Assise di Ariano. 1140‑1990, Roma‑Bari, Centro europeo di studi normanni, 1996, p. 233‑243.

4 La version vaticane se compose de 43 articles, tandis que la version du Mont‑Cassin en comporte 39. Nous conserverons la numérotation utilisée par l’éditeur. Les références des articles seront données en chiffres romains pour la version vaticane, en chiffres arabes pour la version du Mont‑Cassin.

5 Sur la question, v. l’excellente étude de K. Pennington, « The Constitutiones of King Roger II of Sicily in Vat. lat. 8782 », Rivista Internazionale di diritto comune, 21 (2010), p. 35‑54.

6 A. Romano, « Diritto romano e Diritto longobardo nella legislazione delle Assise », in O. Zecchino (dir.), Alle origini..., op. cit., p. 167‑189.

7 V. par exemple, O. Zecchino, « Les Assises d’Ariano », in Les Normands, peuple d’Europe, 1030‑1200, Paris, Flammarion, 1994, p. 173.

8 Parmi l’immense bibliographie sur la question, v. notamment J. Merkel, Commentatio qua iuris siculi sive Assisarum Regum Regni Siciliae fragmenta ex codicibus manu scriptis proponuntur, Halis, 1856, 48 p. ; B. Capasso, Sulla storia esterna delle Costituzioni del Regno di Sicilia, Napoli, 1869, 128 p.

9 En 1951, Antonio Marongiù fonde son argumentation sur le proemium des Assises d’Ariano, comportant selon lui « l’esprit de la monarchie sicilienne ». Il en retire l’idée d’une construction essentiellement moulée sur le modèle romano‑byzantin d’une « monarchie absolue » au sens littéral, c’est‑à‑dire dans laquelle le roi est délié de tout pouvoir concurrent ; A. Marongiù, « Lo spirito della Monarchia normanna di Sicilia nell’allocuzione di Ruggero II ai suoi Grandi », in Archivio storico siciliano, vol. 4 (1951), p. 415‑461 ; id., « L’héritage normand de l’État de Frédéric II de Souabe », in Studi medioevali in onore di Antonino De Stefano, Palermo, Società Siciliana per la Storia Patria, 1956, p. 341‑349. Dans un bel ouvrage publié en 1966, Mario Caravale se livre à une relecture des sources juridiques. La place centrale que le professeur accorde aux Assises d’Ariano contenant selon lui « le linee generali della struttura del stato » l’amène finalement à une vision abstraite et idéalisée du pouvoir siculo‑normand, relativement proche de celle de son prédécesseur ; M. Caravale, Il regno normanno di Sicilia, Milano, Giuffrè, 1966, p. 49 ; et plus récemment, « Giustizia e legislazione nelle Assise di Ariano », in O. Zecchino (dir.), Alle origini..., op. cit., p. 3‑20.

10 L.‑R. Ménager, « La législation sud‑italienne sous la domination normande », in I Normanni e la loro espansione in Europa nell’Alto Medioevo, Settimane di studio del centro italiano di studi sull’Alto Medioevo XVI (18‑20 avril 1968), Spolète, 1969, p. 439‑496.

11 Sur ce point, nous renvoyons le lecteur à notre thèse de doctorat, A. Djelida, La construction de l’institution royale siculo‑normande, dactyl., 2017, 476 p.

12 H. Enzensberger, « Chanceries, Charters and Administration in Norman Italy », in G. A. Loud et A. Metcalfe (éds.), The Society of Norman Italy, Leiden, Brill, 2002, p. 117‑150 et G. A. Loud, « The Chancery… », art. cit., p. 779‑810.

13 Pour les actes grecs, v. V. von Falkenhausen, « I diplomi… », art. cit. ; pour les actes arabes v. A. Noth, « Die arabischen Dokumente Roger II », in C. R. Brühl, Urkunden und Kanzlei König Rogers II von Sicilien. Mit einem Beitrag : Die arabischen Dokumente Rogers II, Cologne/Vienne, Böhlau, 1978, p. 217‑261.

14 O. Hartwig, « Beiträge zur Geschichte Siciliens im Mittelalter », Historische Zeitschrift, 20 (1868), p. 13‑15.

15 L.‑R. Ménager, Études sur le royaume normand d’Italie : Les sources juridiques et diplomatiques, S. l, 1956, p. 14 sq.

16 Assises d’Ariano, préambule : « Si ergo sua misericordia nobis deus pius prostratis hostibus pacem reddidit, integritatem regni, tranquillitate gratissima, tam in carnalibus quam in spiritualibus, reformavit, reformare cogimur iustitie simul et pietatis itinera, ubi videmus eam et mirabiliter esse distortam » ; « Si donc Dieu bienveillant nous a rendu la paix par sa miséricorde, une fois nos ennemis terrassés, et a rétabli l’intégrité du royaume par une tranquillité très précieuse, tant dans les choses corporelles que dans les spirituelles, il nous faut réformer le cours de la justice en même temps que de la piété, là où nous la voyons extraordinairement contrefaite ».

17 Précisons que le même argument a conduit Giovanni B. Siragusa à situer la promulgation des Assises après la victoire de Guillaume Ier sur les féodaux rebelles ainsi que sur la coalition des deux empires et de la papauté. L’auteur justifiait sa position par la présence du thème des bienfaits de la paix retrouvée dans le traité de Bénévent de 1156 ; Il regno di Guglielmo I in Sicilia, II, Palermo, 1886, p. 84‑87. Notons d’ailleurs qu’Enrico Besta, par une démarche différente, arrivait à la même conclusion ; « Il Liber de regno Siciliae e la storia del diritto siculo », in Miscellanea di Archeologia, di Storia e di Filologia dedicata a A. Salinas, Palermo, 1907, p. 302‑304. Isidoro La Lumia, en revanche croyait identifier l’idée du préambule lors du règne de Guillaume II, après le traité passé à Venise avec l’empereur Frédéric Ier ; Storia della Sicilia sotto Guglielmo il Buono, Firenze, 1867, p. 364‑367.

18 « Et eis omnibus studiose perscrutatis, Arianum civitatem advenit, ibique de innumeris suis actibus, curia procerum et episcoporum ordinata, tractavit. Inter cetera enim suarum dispositionum, edictum terribile induxit, totius Italiae partibus aborrendum et morti proximum, et egestati, scilicet ut nemo in toto eius regno viventium romesinas accipiat vel in mercatibus distribuat », Falcon de Bénévent, Chronicon Beneventanum, éd. Edoardo d’Angelo, Florence, 1998, 1140, 4, 1 et 2. Selon le chroniqueur, la mesure épouvante Innocent II qui envoie une lettre au roi pour l’inciter, en vain, à renoncer.

19 Romualdi Salernitani Chronicon, éd. C. A. Garufi, Citta` di Castello, S. Lapi, 1935, p. 226 : « Rex autem Roggerius in regno suo perfecte pacis tranquillitate potitus, pro conseruanda pace […] leges a se nouiter conditas promulgauit, malas consuetudines de medio abstulit ». L’idée est rappelée dans l’article XXVI des Assises d’Ariano : « Quoniam ad curam et sollicitudinem regni pertinet leges condere […], pravas consuetudines extirpare ». CfAlexandri Telesini Abbatis Ystoria Rogerii Regis Sicilie, Calabrie atque Apulie, éd. L. de Nava, Roma, Fonti per la storia d’Italia, 1991, Alloquium : « et per legum tramites rerum iniquitates expellas atque armis, victis hostibus, sis triumphator ».

20 O. Hartwig, « Beiträge zur Geschichte Siciliens im Mittelalter », Historische Zeitschrift, 20 (1868), p. 13‑15.

21 Cf. art. 12 de la vers. Cass.

22 Ces références sont très nombreuses, v. par exemple : Alexandre de Telese, op. cit., II, 33 : « Qui simul in Regem committentes aperta periuria iniquum societatis fedus, contra eundem pugnaturi inierunt… » ; II, 36 : « Regis scilicet iam manifeste periuriis, colloquium haberet quantinus invicem federe uniti in Regem eundem pariter omnino servirent ».

23 Ibid., II, 46 : « Nunc itaque in hoc prudens lector diligenter consideret quantum sceleris sit periurii crimen committere, maximeque illud, cum quis vitam et membra seu honorem domini sui vel ei captionem non inserendam iuramento assecurat, et non custoditur ut iurat ».

24 Rogerii II Regis Diplomata Latina, éd. C.‑R. Brühl, Cologne, Böhlau, 1987, n° 79 : « […] fideles autem homines per villas, loca, casalia vel obedientias suas habitantes et habituri, abbatibus suis sive rectoribus de omnibus praeterquam de crimine laesae maiestatis respondeant et intendant ».

25 Rappelons que dans un acte du comte de Molise de 1153 (éd. in E. Jamison, « The Administration of the County of Molise in the Twelfth and Thirteenth Centuries », The English Historical Review, vol. 44, n° 176, oct. 1929, p. 557), le crime de lèse‑majesté ne figure pas parmi les cas royaux. Cela pourrait s’expliquer par les difficultés d’assimilation d’une mesure encore nouvelle.

26 Avant cela, Maion officiait comme responsable des archives royales.

27 Guillelmi I. regis diplomata, éd. H. Enzensberger, Köln‑Wien, Böhlau, 1996, n° 14 : « excepto si de crimine lese maiestatis fuerint accusati ».

28 Sur le personnage, v. A. Djelida, op. cit., p. 357‑361. Pour le contexte culturel italien, v. notamment, E. Cortese, « Bologne et les premières écoles de Droit : cadres culturels et méthodes », Revue d’Histoire des Facultés de Droit, 2008, p. 195‑202 et plus généralement, A. Winroth, « Law Schools in the Twelfth Century », in Mélanges en l’honneur d’Anne Lefebvre‑Teillard, Paris, éd. Panthéon‑Assas, 2010, p. 1057‑1064.

29 D. Matthew, « Maio of Bari’s Commentary on the Lord’s Prayer », in L. Smith et B. Ward (éds.), Intellectual Life in the Middle Ages, London, The Hambledon Press, 1992, p. 119‑144.

30 A. Djelida, op. cit., p. 174 sq.

31 Hugues Falcand, Le livre du royaume de Sicile. Intrigues et complots à la cour normande de Palerme (1154‑1170), éd. et trad. E. Türk, Turnhout, Brepols, 2011, p. 313 : « Alii terre ipsius consuetudinem et tirannidem plenius agnoscentes, cum futura diligentius providerent, aiebant illos oportere vel omnino non capi, vel captos in pelagus demergi, aut alias latenter interfici, vel membris saltem principalibus mutilari : hoc enim modo Rogerium regem prudentissimum regno suo pacem olim integram peperisse ».

32 C’est ainsi qu’en 1161, Guillaume Ier fit venir en Sicile Roger de Martorano, l’accusa de trahison (proditio), l’emprisonna et le priva de la vue, « neque convictum neque sollempniter iure confessum, prout ordo iudiciarius exposcebat », ibid., p. 186.

33 A. Djelida, op. cit., p. 305‑313.

34 E. Caspar, Roger II (1101‑1154) und die Gründung der normannisch-sicilischen Monarchie, Innsbruck, Wagner, 1904, p. 259.

35 V. les exemples cités infra.

36 Art. 33‑38.

37 Par exemple, art. XXXII : « Qui post crimen adulterii intentatum uxorem receperit, destitisse videtur ab accusatione ideoque suscitare qustionem ultra non poterit ».

38 V. notamment l’article IV : « Scire volumus principes nostros, comites, barones universos archiepiscopos … » ; ou encore l’article VI : « Presente lege sancimus per loca regni nostri omnia deo propitio in perpetuum valitura nullos penitus… ».

39 Le professeur Ménager a préféré découper le texte en paragraphes plutôt qu’en articles ; L.‑R. Ménager, art. cit., p. 494.

40 Ennio Cortese soupçonne de fortes retouches dans les dispositions compilées, Il diritto nella storia medievale, II, Rome, Il Cigno‑Galileo Galilei, 1995, p. 323. Léon‑Robert Ménager parle d’un « habillage romain ».

41 M. Matthew, op. cit., p. 187.

42 C’est par exemple le cas à Silva Marca en juillet 1142, Rogerii II Regis Diplomata…, op. cit., n° 53.

43 Vers. Cass., art. 15, De coniugiis : « Sancimus lege presenti, volentibus omnibus legitimum contrahere matrimonium necessitatem imponi, quatenus post sponsalia celebraturi nuptias sollempniter quisque pro modulo suo seu quomodolibet limen petat ecclesie, sacerdotum benedictionem post scrutinium consecuturum anulum ponat, preci postulationique sacerdotali subdantur, si voluerint futuris heredibus successiones relinquere. Alioquin amodo molientes contra regale nostrum edictum, neque ex testamento neque ab intestato, habituros se legitimos filios heredes ex illicito matrimonio per nostram sanctionem noverint procreatos ; mulieres etiam aliis nubentes legitimas dotes debitas non habere. Viduas vero volentibus ducere hoc necessitatis vinculum relaxamus ».

44 Sur le contenu de la disposition v. P. Vaccari, « La celebrazione del matrimonio in una assisa di Ruggiero II », in Atti del Convegno Internazionale di Studi Ruggeriani, Palermo, 1955, p. 205‑211.

45 V. notamment J. Gaudemet, Le mariage en Occident ; les mœurs et le droit, Paris, éd. du Cerf, 1987, p. 139 sq. ; B. Basdevant‑Gaudemet, Église et autorités : études d’histoire du droit canonique médiéval, Limoges, Pulim, 2006, p. 405‑407. Cf. A. Gouron, « Législateur et droit privé dans la France médiévale », in Diritto e potere nella storia europea. Atti in onore di Bruno Paradisi, Florence, L. Oschki, 1982, p. 211‑230, réimp. in id., La science du droit dans le Midi de la France au Moyen Âge, Londres, Variorum reprints, 1984, 18.

46 A. Marongiù, La famiglia nell’Italia Meridionale (sec. viii-xiii), Milano, Società Editrice Vita e Pensiero, 1944, p. 68‑70 ; L.‑R. Ménager, « Notes sur les codifications byzantines et l’Occident », in Varia. Études de droit romain, Paris, Recueil Sirey, 1958, p. 293 sq.

47 Les Novelles de Léon VI le Sage, éd. A. Dain et P. Noaille, Paris, Les Belles Lettres, 1944, p. 295. V. également, P. L’Huillier, « Novella 89 of Leo the Wise on Marriage: an insight into its theoretical and practical impact », Greek Orthodox Theological Review, n° 32/2 (1987), p. 143‑163.

48 Rogerii II Regis Diplomata…, op. cit., n° 20 : « De lege vestra et consuetudinibus vestris, quas iam quasi per legem tenetis, vos non eiciet nisi vestra voluntate ».

49 Acte de l’évêque de Catane Jean en date du 22 décembre 1168, éd. G. B. de Grossis, Catana sacra, Catane, 1654, p. 88‑89 : « Latini, Greci, Iudei et Saraceni unusquisque iuxta suam legem iudicetur ».

50 Vers. Vat., art. I : « […] moribus, consuetudinibus, legibus non cassatis pro varietate populorum nostro regno subiectorum… ».

51 La réponse du juriste est surprenante. Recourant à l’analogie (qiyās), l’un des fondements de la méthodologie juridique musulmane, il constate dans un premier temps la légitimité de tout agent accomplissant temporairement sa fonction dans un lieu quelconque en l’absence de prince, pour déduire dans un second temps la légitimité des cadis siciliens (qui eux sont nommés par un prince chrétien). Ainsi, l’état de nécessité implique de reconnaître le caractère exécutoire de leurs jugements. Éd. et trad. A.‑M. Türki, art. cit., p. 697‑700 ; A. Nef, « Pluralisme religieux et État monarchique dans la Sicile des xiie et xiiie siècles », in H. Bresc, G. Dagher, et C. Veauvy (dirs.), Politique et Religion en Méditerranée, Paris, éd. Bouchène, 2008, p. 240 sq.

52 Cf. I. H. Roger, « Le mariage en Occident musulman (suite de l’analyse de fatwas médiévales extraites du “Mi’yar” d’Al‑Wansarisi) », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 17 (1974), p. 71‑105.

53 Sur la persistance des pratiques byzantines en Calabre, v. A. Peters‑Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale post‑byzantine (ixexive siècles). Une acculturation en douceur, Rome, École française de Rome, 2009, p. 397.

54 D. Morea, Il chartularium del monastero di S. Benedetto di Conversano, Montecassino, 1892, n° 121.

55 G. Beltrani, I documenti stirici di Corato, Bari, Vecchi, 1923, n° 63.

56 Sur la Morgengabe en Pouille, v. J.‑M. Martin, « Le droit lombard en Italie méridionale (ixexiiie siècles) : interprétations locales et expansion », in F. Bougard, L. Feller et R. Le Jan (éds.), Dots et douaires dans le haut Moyen Âge, Rome, coll. de l’École française de Rome, 2002, p. 5‑7.

57 J.‑M. Martin, La Pouille du vie au xiie siècle, Rome, École française de Rome, 1993, p. 548.

58 A. Peters‑Custot, op. cit., p. 337.

59 J.‑M. Martin, op. cit., p. 549.

60 Ibid., p. 397.

61 L.‑R. Ménager, « La législation… », art. cit., p. 442, n° 4.

62 Vers. Cass., art. 32, De iniuriis privatorum : « Cuicumque de popularibus ex consulto tamen et deliberatione barba fuerit depilata, reus soldorum aureorum VI regalium pena condempnetur ; si vero in rixa factum fuerit, sine deliberatione, solidorum III. Vel iumenti cauda decerpitur ».

63 Paul Diacre, Historia Langobardorum, 4, 22.

64 P. Depreux, « La loi et le droit. La part des échanges culturels dans la référence à la norme et les pratiques juridiques durant le haut Moyen Âge », in Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 32e congrès, Dunkerque, 2001, p. 56.

65 Éd. in Le leggi dei longobardi. Storia, memoria e diritto di un popolo germanico, C. Azzara et S. Gasparri (éds.), Roma, Viella, 2005, n° 383.

66 Nous touchons là, semble‑t‑il à un vestige de la lointaine patrie, substrat omniprésent ; la Normandie où, sous Guillaume le Conquérant, la loi, qui « n’a pas pour ambition de régir tous les pans du droit », reste solidement attachée à la personne ducale, G. Davy, Le duc et la loi : héritages, images et expressions du pouvoir normatif dans le duché de Normandie, des origines à la mort du Conquérant (fin du ixe siècle‑1087), Paris, De Boccard, 2004, p. 530.

Citer cet article

Référence électronique

Ahmed DJELIDA, « Les Assises d’Ariano, reflet de la diversité siculo‑normande ? », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 19 juillet 2022, consulté le 27 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=907

Auteur

Ahmed DJELIDA

Chargé d’enseignement à l’Université de Rouen

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