Faut‑il motiver après la peine ?

DOI : 10.52497/revue-cmh.1065

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Texte intégral

Il fut un temps où la peine1, que ce soit au stade de son prononcé ou de son exécution, n’intéressait personne ou presque. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les souvenirs – qui commencent à devenir un peu lointain maintenant – de nos enseignants annonçant le programme du cours, aussi bien en deuxième année qu’en master : cela se concluait toujours par le fait qu’on n’aura pas le temps de traiter de la peine, et que ce n’était pas très grave car ce n’était pas une partie essentielle du programme. Je n’ai personnellement suivi aucun enseignement en droit de la peine tout au long de mon parcours universitaire. Que dire alors de sa motivation ? Nous partons donc de loin.

Pourtant, la notion de peine est aussi vieille que celle de droit, même si elle apparut sous différentes manifestations au fil du temps. Depuis que la vengeance est exclue, la peine, on le sait, a pour fonction principale de réparer un dommage. Comme le disait Gassin, le délinquant doit « payer pour son crime2 ». Mais cette peine doit être individualisée, le choix de la peine devant être fait, au sens de l’article 132‑1 du Code pénal, en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.

Mais si les précédentes contributions ont pu montrer que la motivation de la peine était nécessaire au stade de son prononcé afin de permettre au condamné de la comprendre et d’éviter de lui donner l’impression, comme le soulevait la Cour européenne des droits de l’Homme, « d’une justice arbitraire et peu transparente3 », n’est‑il pas normal de faire davantage d’effort de motivation au stade de son exécution ? La réponse est évidemment positive. Pour le comprendre, il faudrait commencer par déterminer le cadre de cette intervention. Évoquer la motivation après la peine suppose en réalité de traiter concrètement de deux périodes.

Il s’agit, avant tout, de la phase qui suit le prononcé de la peine. C’est donc la question de la motivation de la peine au stade de son exécution. Il est inutile de rappeler à quel point la motivation est ici importante. On pourrait même dire que le vrai juge de la motivation de la peine est celui de son application. Ce n’est pas pour rien que l’on assiste depuis plusieurs années maintenant à une juridictionnalisation de la phase de l’exécution de la peine, et ce n’est pas pour rien qu’historiquement, le juge du prononcé de la peine a toujours eu du mal, en France, à motiver la peine : c’est tout simplement qu’il n’en a pas les moyens, que ce soit au niveau du temps – il préfère se concentrer sur le fond de l’affaire, la question de la peine se posant en marge, à la fin du procès – que de sa compétence puisque la plupart des juges de prononcé de la peine avouent ne pas avoir les compétences nécessaires pour motiver la peine. D’ailleurs, certains jugent ce travail de motivation inutile au stade du prononcé de la peine en arguant que le juge de l’application des peines procèdera lui‑même à son aménagement au stade de son exécution.

Mais l’après peine, c’est également la période qui suit l’exécution de la peine. En effet, les mesures post‑pénales se développent, et au nom de la protection de la sécurité publique et de la prévention de la récidive, il peut arriver qu’une personne ayant pourtant entièrement payé sa dette à la société, soit contrainte de continuer à lui rendre des comptes et d’être privée de certaines de ses libertés. Il ne s’agira donc plus ici de motiver la peine, mais de motiver le maintien des certaines mesures après la peine. C’est la dangerosité – ou plutôt la particulière dangerosité – de la personne qui va entrer en jeu, justifiant ainsi de retarder sa libération et son droit à être considérée comme un citoyen normal et non plus comme un délinquant condamné. La lutte contre la récidive a ainsi justifié la création de plusieurs mesures de sûreté post‑pénales. On pense notamment à la rétention de sûreté (706‑53‑13 CPP) et à la surveillance de sûreté (706‑53‑19 CPP) créées par la loi du 25 février 20084, mais également à la nouvelle mesure judiciaire de prévention de récidive terroriste et de réinsertion créée par la loi du 30 juillet 20215. En effet, la rétention de sûreté est une mesure prononcée à titre exceptionnel, dès lors que le réexamen de la situation de la personne du condamné révèle à la fin de l’exécution de sa peine une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive, parce qu’elle souffre d’un trouble grave de la personnalité. Il s’agit du placement de la personne intéressée en centre socio‑médico‑judiciaire de sûreté, dans lequel lui sera proposée une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à mettre fin à cette mesure (article 706‑53‑13 CPP). Cette mesure est évidemment bien encadrée et ne peut être prononcée que pour les infractions les plus graves. Quant à la surveillance de sûreté, elle est prononcée si la rétention de sûreté a pris fin et que la personne présente des risques de commettre les infractions prévues à l’article 706‑53‑13 du Code de procédure pénale. La personne sera alors soumise à des obligations identiques à celles prévues pour la surveillance judiciaire. S’agissant, enfin, de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste, c’est une mesure de sûreté post‑pénale permettant de maintenir la surveillance des condamnées pour terrorisme non pas avant le jugement, ni même pendant la période de l’exécution de la peine, mais bel et bien lorsque ceux‑ci ont déjà payé le prix du crime par l’exécution de la peine. Cette mesure est prévue au nouvel article 706‑25‑16 du Code de procédure pénale, qui donne compétence au tribunal de l’application des peines de Paris pour ordonner sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste, une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de la réinsertion à l’encontre d’une personne condamnée à une peine privative de liberté sans sursis, d’une durée supérieure ou égale à cinq ans – ou trois ans en cas de récidive – à  l’issue d’un réexamen de sa situation à la fin de l’exécution de la peine. Là encore, l’article 706‑25‑18 exige que la décision pour la libération du condamné soit spécialement motivée au regard des conclusions de l’avis donné par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763‑10 du Code de procédure pénale.

Le travail de motivation prend une importance encore plus accrue ici, puisqu’il devient indispensable d’expliquer à une personne qui peut légitimement penser qu’elle retrouve son entière liberté, qu’elle devra accepter d’en être privée une nouvelle fois. Il faudra lui expliquer que, sans avoir commis une nouvelle infraction pénale, elle aura encore affaire à la justice au regard notamment de sa dangerosité et du risque qu’elle comporte pour la société.

En tout état de cause, qu’il s’agisse de l’exécution de la peine ou des mesures prises après son exécution, le travail de motivation, nécessaire certes, semble difficile à être mis en œuvre, rendant la motivation peu convaincante, voire illusoire. C’est que les questions « basiques » qui viennent à l’esprit en évoquant la motivation de l’après peine restent souvent sans réponse. Nous tenterons d’investir ce champ fort complexe de la motivation après la peine, en répondant notamment à deux questions principales : Qui motive après la peine (I) ? Et comment motiver après la peine (II) ? À la question relative à l’autorité compétente pour motiver s’ajoute donc celle, plus délicate, relative aux critères de la motivation.

I. Qui motive après la peine ?

Cette question n’est que d’apparence simple en raison de la construction même du droit de l’application des peines. En effet, on le sait, depuis la loi du 14 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, l’aménagement ab initio de la peine est devenu obligatoire (article 132‑19 du Code pénal), tout refus devant faire l’objet d’une motivation6. L’après prononcé de la peine est donc en partie ici motivé par le juge du prononcé lui‑même.

Toutefois, comme par un mouvement de va‑et‑vient, cette peine prononcée sera fort probablement de nouveau aménagée, cette fois‑ci par celui qui détient le plus de légitimité pour le faire, c’est‑à‑dire le juge de l’exécution de la peine (le JAP) ou alors le tribunal de l’application des peines (TAP). Or, si la motivation est en quelque sorte relative lorsqu’elle émane du la juridiction de prononcé de la peine, elle devient intégrale au stade de son exécution. Mais cela signifie alors que le juge de l’application des peines est souvent amené à motiver l’aménagement d’une peine qui a déjà été aménagée et motivée par le juge du prononcé de la peine… D’où la complexité de la question : qui motive l’après peine ? Le JAP doit‑il assurer une cohérence au jugement et à la motivation initiale de la peine et suivre le raisonnement du juge du prononcé, ou devrait‑il plutôt remplir entièrement son rôle en reprenant tout à zéro et en procédant à un nouvel aménagement et à une nouvelle motivation ?

Il est sans aucun doute le juge le plus légitime pour aménager la peine et le plus compétent pour la motiver puisqu’on le sait, le juge du jugement n’a pas les moyens de personnaliser la peine : le procès se concentre le plus souvent sur les faits, le rassemblement des preuves, réunir les éléments constitutifs de l’infraction, etc., et la peine n’est qu’un sujet presqu’accessoire qui arrive à la fin. Les juges interrogés nous confient d’ailleurs que, le plus souvent, ils font ce travail très rapidement car ils savent que la peine sera de nouveau aménagée par le JAP qui peut non seulement l’aménager, mais encore modifier purement et simplement sa nature à travers sa conversion.

L’écart entre la peine prononcée et exécutée et donc, mutatis mutandis, entre la motivation de la première et de la seconde peut par conséquent être très grand en raison de la succession des « auteurs » de la motivation. Or cela peut poser certaines difficultés au regard de la compréhension de la peine par le justiciable : est‑il si simple d’admettre qu’une peine prononcée et motivée par le juge du prononcé soit aussi facilement remise en cause – souvent très rapidement – par le juge de l’application des peines ? Comment accorder une crédibilité à la motivation lorsque pour la même affaire, le même condamné, nous avons deux peines différentes avec des motivations différentes ? Cette fragilité a forcément des répercussions sur les autres questions que l’on se posera pour déterminer l’objet et les critères de la motivation : le juge du prononcé et le juge de l’application des peines motivent‑ils la même peine et s’appuient‑ils sur les mêmes critères ?

Mais avant de répondre à ces interrogations, il convient de s’intéresser à l’auteur de la motivation des mesures prononcées après l’exécution de la peine. On l’a dit, la mise en place de ces mesures peut sembler délicate puisqu’il s’agit en quelque sorte d’étendre d’une manière artificielle la peine par une mesure qui va venir la suppléer en raison de la dangerosité de la personne et du risque de récidive. Trois mesures doivent retenir notre attention : la rétention de sûreté, la surveillance de sûreté et la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste. Toutes ces mesures post‑pénales sont proposées par un avis motivé de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. C’est ensuite la juridiction régionale de la rétention de sûreté territorialement compétente qui prend la décision sur la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté. Elle est composée d’un président de chambre et de deux conseillers de la cour d’appel désignés par le premier président de cette cour pour une durée de trois ans (article 706‑53‑15 CPP). Pour la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, c’est le tribunal de l’application des peines de Paris qui est compétent pour l’ordonner, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste. Il le fait sur avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, qui procède à l’évaluation de la dangerosité de la personne et de sa capacité à se réinsérer. Cette commission est formée d’une manière spécifique pour se prononcer sur cette mesure, puisque sa composition classique est complétée par un fonctionnaire de police ou un militaire de la gendarmerie dans un service spécialement chargé de la lutte contre le terrorisme, et d’un représentant d’une association mentionnée à l’article 2‑9 (aide aux victimes).

Une nouvelle fois, répondre à la question de savoir qui prononce la mesure n’est simple que d’apparence. En effet, les textes prévoient une saisine obligatoire de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté qui doit examiner le condamné et donner un avis sur sa personne. Il s’agit notamment d’identifier son degré de dangerosité, car les textes évoquent une particulière dangerosité et une probabilité élevée de récidiver. Il est d’ores et déjà légitime de se demander si c’est la commission qui prend la décision de mettre en place la mesure, ou bien si c’est une « vraie » juridiction – la juridiction régionale pour les mesures de sûreté ou le tribunal de l’application des peines de Paris – qui doit le faire ? Est‑il réaliste d’imaginer un de ces tribunaux prendre le risque d’aller à l’encontre de l’avis de la commission ? Les juges qui siègent dans ces tribunaux ont, en réalité, en plus de la pression issue du devoir de prendre la décision la plus juste, nécessaire et utile, celle de l’opinion publique. Il faut l’avouer, la pression sociale joue un rôle important dans ce domaine, puisque le juge aura du mal à assumer devant l’opinion publique la décision de libération d’un condamné, même après avoir exécuté sa peine, lorsque par malheur celui‑ci rechute et passe à l’acte de nouveau. Qui prend donc ici la décision et qui la motive ? Est‑ce la commission, est‑ce la juridiction, ou est‑ce l’opinion publique ?

Ce rôle croissant du ressenti de l’opinion publique, mais également de la victime, dans la motivation de l’après peine apparaît d’ailleurs d’une manière plus flagrante lorsque l’on s’intéresse ensuite aux critères de la motivation.

II. Comment motiver après la peine ?

La question du comment est d’une grande importance, puisqu’en s’intéressant aux critères de la motivation, on aborde évidemment sa qualité. Or, là aussi, le régime actuel est loin d’être satisfaisant. En effet, la loi est peu bavarde sur les critères de la motivation, ce qui laisse une grande marge de manœuvre au juge en la matière.

Au stade de l’exécution de la peine, tout d’abord, les articles 712‑4, 712‑7 et 712‑13 du Code de procédure pénale imposent au juge de l’application des peines, au tribunal de l’application des peines, ainsi qu’à la chambre de l’application des peines de la cour d’appel, que la décision rendue soit motivée. Toutefois, rien n’est vraiment dit sur les critères de la motivation. Certes, on le sait, l’objectif principal qui peut se dégager est celui de la prévention de la récidive. La motivation joue ici un rôle important dans la lutte contre la récidive, en ce qu’elle peut permettre de mieux comprendre sa peine et donc de réussir l’objectif de réinsertion de la personne. L’enjeu de l’aménagement n’est pas anodin : il va s’agir de continuer à rendre effective la peine (même s’il ne s’agit pas de la peine initialement prononcée), tout en l’adaptant pour répondre aux besoins et permettre l’insertion de l’individu.

Toutefois, il est légitime de s’étonner du silence de la loi quant aux critères à prendre en compte dans la motivation des décisions relatives à l’aménagement de la peine, d’autant que certaines motivations peuvent surprendre. Par exemple, dans quelle mesure est‑il justifié de prendre en considération l’empathie ou la compassion que peut manifester l’auteur de l’infraction envers les victimes ? Pourtant, c’est entre autres sur ce critère que la libération conditionnelle du condamné a été refusée dans un arrêt du 31 octobre 20187. La victime peut‑elle occuper une place au stade de l’exécution de la peine, où l’on n’est plus vraiment dans le procès et où, a priori, la victime n’est donc plus partie civile ?

En outre, le juge doit, pour certaines mesures, comme c’est le cas par exemple pour la libération conditionnelle, demander son avis à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Au‑delà du fait que cette commission évalue le dossier en toute liberté et sans avoir de critères d’appréciation et d’évaluation clairs et identifiés, il n’est pas inutile de remarquer que son avis ne lie pas le juge, qui peut donc prendre une décision contraire à celle recommandée par la commission. Comment comprendre, dans ce cas, la décision motivée d’un juge qui va à l’encontre de celle également motivée de la commission ? Cette distorsion d’appréciation peut étonner et découle sans aucun doute de l’absence de critères clairs de la motivation.

Mais il faut surtout relever qu’en l’absence de critères de la motivation, la modulation de la peine peut se faire d’une manière discrétionnaire. Par exemple, le justiciable doit, pour bénéficier d’une mesure d’individualisation, justifier des « efforts sérieux de réadaptation sociale » (articles 721‑1 CPP et 729 CPP). Toutefois, la loi ne permet pas d’identifier de quels types d’efforts il s’agit, ni comment évaluer le caractère sérieux de ces efforts. Certes, une liste d’exemples introduits par un « notamment » à l’article 721‑1 du Code de procédure pénale peut servir de guide au juge, mais n’était‑il pas plus cohérent de donner une définition de ces efforts, plutôt que d’en lister certains ? Cela est d’autant plus vrai que malgré l’existence de cette liste, le juge détient toujours la liberté totale d’apprécier ces efforts et leur caractère sérieux. Les critiques sont d’autant plus légitimes que la Cour de cassation exerce ici un contrôle très léger. Un seul exemple peut suffire. En réalité, il est pour le moins étonnant de considérer, malgré l’obligation de motivation, que la Cour de cassation puisse estimer qu’en se contentant de relever qu’une libération est prématurée eu égard à la fin de la peine, une cour d’appel ne fait qu’user de son pouvoir souverain d’appréciation8. Cela ne passe pas sans conséquence puisqu’en l’absence de critères fixes, « subordonné à l’appréciation du juge, le champ personnel de l’usage des mesures d’individualisation peut varier d’un ressort, voire d’un magistrat à l’autre9 ». Dès lors, on peut regretter que l’exigence de motivation ne puisse permettre, dans ces conditions, d’éviter l’arbitraire.

Ensuite, les critères ne sont pas plus clairs lorsqu’il s’agit de motiver après l’exécution de la peine. On pense avant tout à la rétention de sûreté, qui consiste à placer une personne dans un centre socio‑médico‑judiciaire de sûreté dans lequel on va lui proposer une prise en charge médicale, sociale et psychologique (706‑53‑13). Au regard de son caractère exceptionnel, il est évident que la motivation prend ici une importance particulière, d’autant plus qu’il s’agit d’une mesure de sûreté post‑pénale, qui concerne donc des personnes ayant déjà exécuté leur peine. La loi exige ici d’établir la particulière dangerosité de la personne, qui doit être caractérisée par une probabilité élevée de récidive parce qu’elle souffre d’un trouble grave de la personnalité. C’est pratiquement la même formule que l’on retrouve pour la nouvelle mesure de sûreté instituée en matière de terrorisme. Toutefois, ces critères sont peu satisfaisants. Non seulement on demande au juge ou aux membres de la commission pluridisciplinaire sur les mesures de sûreté de se transformer en voyant(s) devant prédire l’avenir pour déterminer le risque de récidive de la personne, mais en plus, la loi évoque une probabilité de récidive comme s’il était aisé d’établir une échelle du degré de probabilité en la matière, sans aucun critère fixe. Par exemple, la loi évoque une probabilité très élevée : est‑ce à dire qu’une probabilité – simplement – élevée serait insuffisante pour mettre en place ces mesures ? Cela est d’autant plus vrai que, s’agissant de la nouvelle mesure de sûreté en matière de terrorisme, la loi ne se contente pas de faire référence à la particulière dangerosité de la personne et à la probabilité de récidive, mais va jusqu’à évoquer l’adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme. Le juge se transforme donc en psychologue qui doit sonder les reins et les cœurs pour connaître les idéologies et thèses auxquelles adhère le condamné. Est‑ce raisonnable ?

La liste des incertitudes est donc longue, puisque la loi fait référence à des concepts flous – y‑a‑t‑il plus flou et fuyant que le concept de dangerosité ou de celui de radicalisation ?

Tout cela devrait inquiéter. Car, après tout, il ne faut pas oublier que si les mesures de sûreté existent depuis un moment maintenant et qu’elles sont en perpétuel renouveau, il s’est toujours agi, même en matière de terrorisme, de surveiller les terroristes avant la condamnation ou alors pendant la durée de l’exécution de la peine, mais jamais au‑delà du terme de la peine prononcée. Et c’est bien normal, comme le précise le Professeur Brenaut : 

Le droit pénal traditionnel repose sur l’image d’Épinal du condamné qui, ayant payé sa dette au terme de l’exécution de sa peine, recouvre alors sa liberté et replonge dans la masse des justiciables10.

C’est d’ailleurs cela qui a valu la censure par le Conseil constitutionnel11 de la nouvelle mesure de sûreté instaurée en matière de terrorisme dans sa version première adoptée le 27 juillet 202012. En effet, puisque c’est la dangerosité de la personne qui est en cause – donc concept des plus flous – et non sa responsabilité pénale, il était alors normal d’avoir des critères fixes et clairs pour justifier la privation de sa liberté d’une personne ayant déjà purgé sa peine. Cette censure n’a pourtant pas empêché le législateur de revenir à la charge un an après, par la loi du 30 juillet 2021, en contournant en quelque sorte la censure des « Sages ». Si le décret du 24 décembre 2021 est venu apporter quelques précisions, aucun critère clair ne peut être relevé permettant de motiver d’une manière précise et objective cette mesure. Il est donc fort à parier qu’elle sera appliquée d’une manière quasi‑automatique aux personnes condamnées en matière de terrorisme, par souci de prévention, et afin de ne pas prendre le risque de devoir affronter une opinion publique angoissée à la suite d’une éventuelle récidive. Cela devrait nous conduire à réfléchir plus sérieusement sur l’importance de la motivation. À la question qui m’a été posée, faut‑il motiver après la peine ?, la réponse est donc positive : la motivation après la peine constitue non seulement un outil utile à la réinsertion du condamné grâce à la compréhension de sa peine ou de la mesure qui lui est imposée après son exécution, mais elle est également et peut‑être même avant tout un rempart contre l’arbitraire.

1 Cette contribution reprend l’intervention au colloque organisé par les étudiants du Master 2 Droit pénal et sciences criminelles de l’UCA sur la

2 R. Gassin, « Les fonctions sociales de la sanction pénale dans le nouveau Code pénal », Les cahiers de la sécurité intérieure, n° 18, 1994, p. 60.

3 CEDH 13 janvier 2009, n° 926/05, Taxquet c. France.

4 Loi n° 2008‑174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, JO

5 Loi n° 2021‑998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, JO n° 0176 du 31 juillet 2021.

6 Cass. crim., 16 novembre 2016, n° 15‑86712 et 15‑83108.

7 Cass. Crim. 31 octobre 2018, n° 17‑86660. Voir dans le même sens : 9 avril 2014, n° 13‑84290.

8 Crim. 6 mars 2002, n° 01‑85914.

9 F. Habouzit, Les usages des modalités d’exécution de la peine privative de liberté : contribution à l’étude des pratiques punitives contemporaines

10 M. Brenaut, « Mesures de sûreté post‑pénales pour les terroristes : retour sur une déclaration d’inconstitutionnalité méritée », Dr. pén., n° 10

11 Cons. Const. 7 août 2020, n° 2020‑805 DC.

12 L. n° 2020‑1023 du 10 août 2020.

Notes

1 Cette contribution reprend l’intervention au colloque organisé par les étudiants du Master 2 Droit pénal et sciences criminelles de l’UCA sur la motivation de la peine. Le style oral est conservé. L’auteur de ces lignes tient à adresser ses remerciements les plus chaleureux aux étudiants de la première promotion de ce Master, pour le plaisir qu’il a ressenti tout au long de cette année et pour l’avoir rendue aussi fière.

2 R. Gassin, « Les fonctions sociales de la sanction pénale dans le nouveau Code pénal », Les cahiers de la sécurité intérieure, n° 18, 1994, p. 60.

3 CEDH 13 janvier 2009, n° 926/05, Taxquet c. France.

4 Loi n° 2008‑174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, JO n° 0048 du 26 février 2008.

5 Loi n° 2021‑998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, JO n° 0176 du 31 juillet 2021.

6 Cass. crim., 16 novembre 2016, n° 15‑86712 et 15‑83108.

7 Cass. Crim. 31 octobre 2018, n° 17‑86660. Voir dans le même sens : 9 avril 2014, n° 13‑84290.

8 Crim. 6 mars 2002, n° 01‑85914.

9 F. Habouzit, Les usages des modalités d’exécution de la peine privative de liberté : contribution à l’étude des pratiques punitives contemporaines, Thèse de doctorat en droit privé et sciences criminelles, P. Beauvais (dir.), Nanterre, 2021, § 80.

10 M. Brenaut, « Mesures de sûreté post‑pénales pour les terroristes : retour sur une déclaration d’inconstitutionnalité méritée », Dr. pén., n° 10, 2020, étude 30.

11 Cons. Const. 7 août 2020, n° 2020‑805 DC.

12 L. n° 2020‑1023 du 10 août 2020.

Citer cet article

Référence électronique

Farah SAFI, « Faut‑il motiver après la peine ? », La Revue du Centre Michel de L'Hospital [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/revue-cmh/index.php?id=1065

Auteur

Farah SAFI

Professeur agrégée de droit privé et de sciences criminelles, Directrice du Master Droit pénal et sciences criminelles, Directrice de l’IEJ de Clermont‑Ferrand, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de L’Hospital UPR 4232, F‑63000 Clermont‑Ferrand, France

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