Les territoires de l’espace public : enjeux communicationnels pour un débat démocratique

Entretien avec Alain Bussière

The Territories of the Public Space: Communication Issues for a Democratic Debate. Interview with Alain Bussière

Texte

Ce numéro de K@iros intitulé Territoires d’innovation : du concept à l’expérimentation donne l’occasion de présenter un entretien avec Alain Bussière, auteur des Territoires de l’espace public : enjeux communicationnels pour un débat démocratique1 afin de compléter le dossier thématique par la présentation de son travail d’analyse de l’espace public qui prend en compte différentes échelles du territoire. En effet, dans son ouvrage, l’auteur nous propose une nouvelle approche de l’espace public et des débats qu’il génère depuis les territoires dans ses dimensions plurielles.

Alain Bussière est professeur agrégé de sciences sociales à l’Université Clermont Auvergne. Docteur en sciences de l’information et de la communication, il est membre associé du laboratoire « Communication et sociétés » (EA 4647). Ses travaux sur l’espace public s’appuient également sur son expérience d’élu local. Actuellement conseiller régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, il a été, pendant deux mandats, premier vice-président de la région Auvergne.

Quel est l’objet de votre livre ?

Ce travail est l’exploitation d’un travail de thèse antérieur2 qui portait sur la question de l’espace public et aboutissait à deux pistes de travail. Une première piste qui menait vers une meilleure prise en compte de la territorialisation de l’espace public et l’autre qui indiquait une approche de l’espace public pluriel par l’introduction de la sphère économique. Cette deuxième dimension est certes présente, mais n’est pas véritablement traitée dans cet ouvrage, qui a pour objet de travailler la question de la territorialisation de l’espace public.

Quelles sont les méthodes que vous avez utilisées ?

J’ai utilisé la méthode de l’étude de cas élargie de Michael Burawoy3. L’idée était de travailler en trois temps. Dans un premier temps d’expliciter, aux yeux des lecteurs, mes présupposés en tant que chercheur. Autrement dit, mes représentations de l’espace public, et mes interrogations issues de ma propre lecture des travaux existants sur ces questions. L’idée est de ne pas postuler une neutralité à l’égard de ces dimensions-là, mais bien au contraire de tenter d’expliciter le plus possible mes propres hypothèses, ma propre lecture de ces travaux : me positionner pour pouvoir être critiqué. Dans un deuxième temps, il s’agissait de confronter ces présupposés, ces représentations, de les mettre en confrontation avec la réalité des expériences diverses pour aboutir dans un troisième temps à des propositions de reformulation de mes représentations théoriques initiales. L’objectif est bien de retravailler les dimensions théoriques à partir d’une confrontation avec des terrains divers, dans lesquels j’étais également impliqué en tant qu’acteur.

Quelle est la principale conclusion de votre ouvrage ?

La principale conclusion est qu’historiquement, en ce qui concerne la question de l’espace public, les dimensions territoriales étaient jusque-là très peu prises en compte. Ceci s’explique à la fois pour des raisons philosophiques, au sens où la notion d’espace public kantien est un espace abstrait. Il s’agit d’un espace dans lequel on projette la raison, c’est un espace symbolique, et par conséquent, ce n’est pas ni espace physique, ni un espace institutionnalisé. En conséquence, ce n’est pas un espace territorialisé. De ce fait, au départ, l’espace n’est pas pensé comme territoire. Et puis, dans un second temps, je me situe dans une approche habermassienne, et plus précisément post-habermassienne de l’espace public. La dimension territoriale est implicite au sens où ce qui est décrit, c’est l’institutionnalisation des espaces publics, qui s’effectue en même temps que se constituent les états démocratiques contemporains. C’est la genèse de l’espace public bourgeois d’Habermas. Dans ce sens, il y a une co-construction entre le territoire (le territoire démocratique) et l’espace public. Ainsi l’aspect territorial n’est-il pas pensé en tant que tel. En résumé, l’objectif de ce livre est d’essayer de penser la question territoriale cette fois de façon explicite.

Pourquoi avoir privilégié comme terrain d’études l’espace public régional ?

Le terrain privilégié d’exploration était le territoire régional qui n’est précisément pas l’espace national ni l’espace implicite initial. Il est un espace intermédiaire, qu’il faut qualifier. Dans ce travail, je l’ai qualifié d’espace public émergent et donc en construction. Et de la sorte, l’intérêt de travailler sur un espace public en émergence, en construction, c’est justement de mettre en évidence, que dans les contextes démocratiques, ce qui est nouveau, c’est que dans l’espace public, le débat démocratique peut aboutir à la constitution ou au renforcement du territoire. Ces territoires sont des territoires à vocation démocratique, – là je pense par exemple aux territoires de la décentralisation, par exemple dans le contexte français –, puisqu’ils sont dotés du côté de la sphère politique, d’instances de délibération et de décisions, qui doivent s’appuyer en théorie sur un débat public. Néanmoins, tout l’enjeu est que ces espaces publics émergents, plus ou moins faiblement constitués, dynamisent plus ou moins la qualité du débat démocratique à ces échelles-là précisément. De là, résidait l’intérêt de la focalisation sur l’échelle régionale. Mais je précise bien que ce travail ne se limite pas à l’espace public régional et que les réflexions autour de cet espace permettent de réfléchir à la constitution de ces nouveaux territoires. Cela a été fait dans d’autres travaux, par exemple sur l’espace public européen, qui a des caractéristiques proches, au sens où il s’agit d’un espace public qui est le fruit de décisions politiques d’après-guerre, dans des contextes où existait une volonté de constituer un espace démocratique à des échelles choisies par la délibération démocratique. Ce sont d’ailleurs des territoires dont nous constatons la configuration variable du fait des débats produits en interne, si l’on suit les événements de périmètres qui bougent aujourd’hui, pensons au Brexit par exemple ou à l’adhésion des nouveaux entrants…

Quelle est, selon vous, la caractéristique de ces territoires ?

La caractéristique de ces nouveaux territoires démocratiques c’est que ce sont des territoires que produit l’espace public. Un premier élément d’apport de ce travail est donc de proposer l’idée que le territoire de l’espace public n’est plus seulement un territoire implicite, mais qu’il devient un territoire, c’est-à-dire une dimension produite par l’espace public. Ce qui est également intéressant, c’est que ces territoires en se constituant génèrent un débat sur ce que l’on peut appeler la territorialité. La territorialité, c’est-à-dire le vécu du territoire. Et ce vécu territorial se répercute dans les débats de l’espace public et peut éventuellement mettre en tension les espaces publics contemporains. On évoquait les débats autour du Brexit, on voit bien comment le fait d’appartenir ou pas à un espace démocratique génère des débats. L’on pourrait évoquer par exemple à d’autres échelles les questions catalanes aujourd’hui.

Comment se reconfigure alors, selon vous, la définition territoriale de l’espace public ?

Un des apports de ce travail est de faire émerger la dimension territoriale. Une dimension qui est à la fois un produit de l’espace public tout en alimentant également ses débats. En sortant la notion de territoire de l’implicite, elle devient à la fois un objet et un produit du débat. Si je résume d’une formule : la création de territoire est alimentée par la territorialité mise en débat dans l’espace public.

On pourrait vous rétorquer que réfléchir à la dimension territoriale de l’espace public, c’est autant une question géographique, politiste que communicationnelle…

Du point de vue des sciences de l’information et de la communication, cette dimension territoriale commence maintenant à rentrer dans le débat scientifique. Il y avait un peu de retard en SIC sur la dimension territoriale, au sens où cette dimension a émergé dans les sciences sociales, très fortement, notamment à partir des années 1990. C’est une dimension nouvelle dans les sciences sociales. On peut penser aujourd’hui qu’elle est omniprésente, ou qu’elle a toujours été là. En réalité, ce n’est pas le cas, c’est bien à partir des années 1990 que cette dimension se développe. Alors on peut faire de nombreuses hypothèses, sur le fait que ces questions émergent dans la phase de mondialisation et qu’en contrepartie, se manifestent les interrogations sur la question de la territorialisation. Pour résumer, ces questions étaient très présentes dans l’ensemble des sciences sociales (en économie, en sociologie etc…), mais jusque-là peu présentes en sciences de l’information et de la communication. Ce travail contribue aussi à amorcer, à alimenter une réflexion émergente sur la question territoriale en sciences de l’information et de la communication.

Faut-il en déduire qu’il y a autant d’espaces publics que de territoires ?

Si je prolonge, la notion de territoire n’est pas au singulier. L’espace public ne produit pas un territoire, mais des territoires, qui existent simultanément à des échelles multiples. D’ailleurs, un des apports de mon étude de terrain a été de montrer que la représentation, le vécu territorial n’était pas clairement hiérarchisé pour les acteurs. Certes, l’espace public national par son antériorité reste pour beaucoup l’espace implicite, dans le raisonnement. Mais dans le mode de raisonnement que j’ai pu recueillir à la fois dans mes entretiens et mes questionnaires, il s’avère qu’il n’existe pas de mode hiérarchique clair pour toutes les dimensions. Si on raisonne en termes politiques, en termes affectifs, en termes symboliques, en termes culturels, en termes économiques, les échelles qui sont mobilisées ne sont pas les mêmes selon les dimensions. La conséquence est donc qu’il y a bien une multiterritorialité, vécue par l’ensemble de nos concitoyens.

Est-ce que l’on pourrait illustrer avec un exemple ? Pour le culturel par exemple, c’est quoi ? C’est local ?

Par exemple sur la question des identités, on peut tout à fait bien se sentir français ou simultanément auvergnat, sans forcément le hiérarchiser ou privilégier la dimension auvergnate sur les autres dimensions. Dans les champs économiques par exemple, les représentations que l’on a de l’économie à l’échelle locale ne sont pas les mêmes que celles qui se forment à une échelle plus large. Et l’économie à l’échelle locale est une économie que l’on comprend, pour laquelle il existe une rationalité qui semble maîtrisable pour beaucoup de mes interlocuteurs. Alors que dès lors que l’on est à des échelles plus larges, cela devient souvent incompréhensible. C’est une considération intéressante si l’on pense à la démocratie.

Pour la dimension économique, on comprend l’échelle locale parce qu’on la vit, parce qu’on est acteur de l’économie locale ?

Parce qu’on la comprend tout simplement, on comprend ce que l’entreprise produit, on comprend ses contraintes, elles sont compréhensibles intellectuellement, alors que lorsque l’on renvoie l’économie à une dimension abstraite, elle apparaît alors incompréhensible, non traitable rationnellement par une pensée ou par une analyse, et l’on ressent alors une impuissance à cet égard.

Pour moi la représentation nationale est une représentation territoriale. La difficulté aujourd’hui, c’est de penser les territoires, comme étant multiples. Il n’y a pas un territoire qui serait l’espace national ou l’espace dominant, en tout cas dans toutes les sphères. Donc la question est celle de la pluriterritorialité. En termes politiques, la question nouvelle est celle de l’interterritorialité puisqu’il y a des légitimités démocratiques à réguler simultanément à ces différentes échelles, sans que l’une ne soit forcément plus légitime que l’autre. Mais comment articuler à la fois en termes pratiques et en termes de représentations ces différentes échelles ? Et le problème, c’est que ces représentations ne sont pas convergentes entre les personnes.

Que voulez-vous dire lorsque vous dites que les représentations entre les personnes ne sont pas les mêmes ? Il s’agit là d’une nouvelle problématique à la question de l’interterritorialité, mais pratiquement, c’est compliqué l’interterritorialité, pourquoi c’est si compliqué ?

C’est compliqué pour plein de raisons. D’abord parce que cette territorialité multiple est de densité variable. Concrètement, j’évoquais ces nouveaux territoires que sont les espaces régionaux. Tout un travail avait été fait par exemple pour alimenter, pour essayer de travailler l’espace public auvergnat, qui n’est plus aujourd’hui l’espace public légitime du fait de l’élargissement du périmètre régional. Si je prends d’autres exemples comme les espaces publics intercommunaux, on voit bien quelle est la grande difficulté des acteurs de la communication publique, qui sont sur des territoires dont les périmètres changent tous les deux ans. Comment crée-t-on un sentiment d’appartenance commune, d’intérêt commun et donc de débat partagé à des échelles que l’on ne maîtrise pas ? Cela est donc un des défis pour la démocratie que d’articuler des territoires avec des légitimités différentes. D’ailleurs, une des particularités de l’espace public auvergnat est qu’il avait une existence symbolique forte au-delà de sa dimension politique. Le sentiment identitaire auvergnat existe ce qui était un élément facilitateur pour la dimension du débat politique. La dimension Auvergne-Rhône-Alpes aujourd’hui n’existe pas symboliquement, ce qui pose des problèmes énormes pour faire vivre une démocratie à ces échelles-là. Le premier problème de l’interterritorialité est donc la diversité. Le second problème est que le ressenti de cette interterritorialité n’est pas le même selon les individus. Il y a beaucoup d’approches sociologiques sur la question européenne. Ce n’est pas un hasard par exemple si ce sont les catégories sociologiquement les mieux formées qui appréhendent de manière plus positive la dimension européenne, alors que les catégories populaires l’appréhendent beaucoup moins positivement, parce qu’elle est moins comprise et donc plus menaçante symboliquement. Le deuxième problème est que les représentations de la diversité territoriale sont également extrêmement diverses selon les personnes, sachant que le vécu peut être pluriterritorial y compris au sein d’une même famille. On peut avoir des parents qui prennent le TGV pour aller travailler la semaine dans la grande métropole et rentrent en fin de semaine et puis les enfants qui au contraire sont à l’école du coin et auront une territorialité plus restreinte… Le vécu territorial ou interterritorial est donc différent selon les personnes. Et si je me place du côté des acteurs de la sphère politique, l’enjeu est celui de la légitimité et de la souveraineté quant à leurs décisions. Une façon de régler la question par le législateur, c’est la question du partage des compétences, ou la gestion technocratique de la territorialité : tel niveau institutionnel s’occupe de telle chose et tel autre de telle autre. Mais comme cela change tout le temps, nos concitoyens ne connaissent pas les compétences, ce qui ne facilite pas l’articulation entre les compétences et les échelles, sachant que la question de cette articulation est loin d’être évidente. Je prends l’exemple de la question économique qui est normalement une question régionale, mais qui présente aussi des enjeux locaux pouvant tout à fait être légitimement pris en charge par une municipalité… Cela impliquerait qu’en permanence les acteurs politiques aient conscience du caractère partiel de leur action. On voit bien qu’on est là dans un paysage extrêmement complexe. Dans ce nouveau contexte complexe, l’enjeu est de faire vivre la démocratie. Une des conclusions opérationnelles n’est pas rassurante : la question territoriale étant entrée dans le débat démocratique, le constat de l’instabilité des périmètres des territoires devient une question structurelle. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, concrètement, les territoires se mettent à bouger en permanence. Ils ne bougent plus comme par le passé, du fait de conquêtes militaires ou guerrières, les frontières bougeaient alors du fait des velléités des uns ou des autres. Aujourd’hui, les périmètres bougent sans cesse du fait du débat public. Mais le fait que ces frontières bougent fragilise – et c’est là le paradoxe –, la capacité à alimenter la démocratie.

Le fait de changer le territoire auvergnat vers le territoire Auvergne-Rhône-Alpes affaiblit-il la démocratie nationale ?

Cela affaiblit la démocratie à l’échelle régionale, mais ce que j’illustre ici à l’échelle régionale est vrai aussi à l’échelle nationale. Et le problème de l’échelle nationale est qu’elle n’est plus qu’une des échelles parmi d’autres. C’est aussi un des éléments de la fragilisation de la vie politique nationale qui doit accepter, sans que ce soit forcément péjoratif, qu’elle ne détienne qu’une partie de la légitimité territoriale, dans des jeux complexes. On voit bien aujourd’hui que les positions nationalistes aspirent à une simplification du paysage en disant : « on va retrouver une échelle unique qui est celle de l’échelle nationale ». La volonté étatique peut également être cela. Sauf que dans le monde contemporain, ce n’est sans doute pas une solution efficace ou même légitime.

Face à cette fragilisation du jeu démocratique, la solution serait-elle de tendre vers un nouveau modèle ?

Le nouveau modèle est celui d’une multiterritorialité assumée.

L’enjeu est d’avoir des identités territorialisées existantes et cohabitantes avec d’autres.

Est-ce que les citoyens n’ont pas envie d’avoir une identité claire et de se rassurer par rapport à leur identité ?

L’identité n’est pas forcément unique. Dans mes entretiens avec les étudiants ou avec d’autres acteurs, je n’ai pas vu quelqu’un qui se définirait avec une seule identité. La dimension de l’identité revendiquée était différente d’une personne à l’autre tout comme les dimensions évoquées. Il n’y avait pas forcément de conjonction entre la dimension symbolique affective territoriale revendiquée et la dimension politique ou économique la plus pertinente pour avoir un contrôle de l’économie. Et chacun pouvait argumenter spontanément à des échelles multiples. J’ai rarement interrogé des personnes disant que la solution c’est uniquement d’agir et de débattre à une échelle unique, « c’est mon échelle identitaire, c’est l’échelle du politique, c’est l’échelle de l’économique ».

À l’échelle de l’Europe, il peut y avoir une partie de la population qui se reconnaît et européenne et française et auvergnate. Et il peut y avoir une partie de la population que la pluri-identité gêne ?

Je ne l’ai pas constaté. Spontanément, les gens revendiquent plutôt la pluri-identité.

L’inscription de ce travail dans les sciences de l’information et de la communication se centre-t-elle sur le focus de la représentation ?

Mon approche de l’espace public est celle d’un terrain de régulation des dimensions symboliques, politiques et économiques. Toutes ces dimensions-là sont mêlées. Pourquoi s’agit-il d’un enjeu de communication ? C’est bien de la qualité et de la nature des formes prises par la communication dans l’espace public qu’est générée la transformation de nos sociétés. Il est vrai que dans ce travail, la dimension communicationnelle est une variable centrale de la transformation de la société et de la capacité à la transformer puisqu’en travaillant sur l’espace public, je suis dans un contexte démocratique qui fait l’hypothèse que ce qui alimente la transformation sociale c’est bien le dialogue dans l’espace public, de ce point de vue, je suis habermassien. Précisons que je me sens plus proche de ses dernières analyses beaucoup plus riches et ouvertes de Droit et démocratie4 dans lequel il est revenu sur ses premières formulations.

D’où l’ambiguïté dans le positionnement par rapport à Habermas parce que se positionner par rapport au premier Habermas de l’espace public ce n’est pas la même chose que se positionner par rapport à Habermas et ses dernières formulations. Je me situe dans le prolongement de ses dernières formulations qui par exemple donnent une place importante et positive à la société civile organisée.

Votre travail pose un constat : l’espace public induit le territoire et une discussion dans l’espace public. Le deuxième constat est la multiplicité des territoires puis la dimension interterritoriale, une discussion qui est de plus en plus problématique puisque les dimensions changent en permanence, avec des acteurs et des décideurs qui ne sont pas toujours légitimes, on a un peu l’impression de territoires locaux qui sont des sables mouvants sur lesquels il est compliqué de construire un socle.

Je pense qu’il n’y a pas que les territoires locaux qui sont mouvants, les débats européens en ce moment le prouvent, on évoquait la question espagnole…

Ce qui est nouveau, c’est le débat qui va pousser à toutes ces reconfigurations territoriales.

Dans les espaces démocratiques, il y a bien une nouvelle dimension de création de territoire. Une des caractéristiques de la régulation démocratique, c’est à la fois sa solidité du fait que les décisions sont le fruit du débat, mais sa fragilité, c’est que les institutions sont potentiellement mortelles, de même que la question de la régulation démocratique n’est pas une donnée intangible.

L’enjeu pour moi de fond, parce qu’il y a un présupposé normatif dans tout ce travail-là que j’assume, est d’appréhender la question de la régulation démocratique comme étant un produit de l’histoire, mais à ce titre comme n’étant qu’une des modalités possibles de la régulation sociale. Concrètement, je ne suis pas favorable aux thèses de la fin de l’Histoire, la régulation démocratique n’est pas l’aboutissement de l’histoire humaine qui serait terminée. Au contraire, préserver cette régulation demeure un enjeu important. L’hypothèse implicite que j’explicite dans la première partie constitue l’a priori normatif. Je ne suis pas dans une position neutre au sens où j’affirme la supériorité de cette régulation démocratique sur d’autres formes de régulation.

Concrètement, la multiterritorialisation des espaces publics est aussi la conséquence d’un approfondissement de la démocratie au sens où c’est bien parce que l’idée démocratique a pénétré le mode de fonctionnement de la société que l’on s’en empare à des échelles multiples. Pour moi qui m’intéresse aussi à l’économie sociale et solidaire, le fait qu’également aux échelles des espaces publics autonomes, des acteurs se saisissent aussi de la dimension démocratique pour la faire vivre, illustre que la question démocratique s’approfondit en se diversifiant et en diversifiant ses échelles. La pluralisation des espaces publics est donc un élément paradoxal d’approfondissement de la démocratie : son approfondissement peut aussi générer en contrepartie des éléments de fragilisation.

L’avantage de la régulation démocratique, c’est que tout cela est réversible parce que justement potentiellement solutionnable par le débat public.

Pour revenir sur l’échelle régionale, ma recherche n’a pas traité l’élargissement du périmètre de la nouvelle région, mais se situe en amont c’est-à-dire à un moment où a été fait le choix notamment par la collectivité auvergnate d’approfondir et de travailler la question de l’espace public régional. Effectivement, au cours de ce travail, du fait de décisions émanant de la sphère politique nationale, la sphère politique régionale a été supprimée sans pour autant que les autres dimensions n’aient totalement disparu. Concrètement la dimension symbolique auvergnate demeure. Un certain nombre d’acteurs, y compris médiatiques, continuent à travailler la question de cet espace-là. Le problème c’est que les espaces et leurs dimensions n’évoluent pas au même rythme.

1 Bussière, Alain, Les territoires de l’espace public. Enjeux communicationnels pour un débat démocratique, préface d’Éric Dacheux, Paris, L’

2 Territorialisation de l’espace public : une approche polanyienne appliquée au cas de l’Auvergne, sous la direction d’Éric Dacheux, thèse soutenue

3 Burawoy, Michael (2003), « L’étude de cas élargie. Une approche réflexive, historique et comparée de l’enquête de terrain », in Daniel Cefaï (dir.)

4 Habermas, Jürgen, Droit et démocratie. Entre faits et normes, traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz et Christian Bouchindhomme, Paris

Notes

1 Bussière, Alain, Les territoires de l’espace public. Enjeux communicationnels pour un débat démocratique, préface d’Éric Dacheux, Paris, L’Harmattan, coll. « Communication et civilisation », 2019, 306 p.

2 Territorialisation de l’espace public : une approche polanyienne appliquée au cas de l’Auvergne, sous la direction d’Éric Dacheux, thèse soutenue le 11 janvier 2017 à Clermont-Ferrand.

3 Burawoy, Michael (2003), « L’étude de cas élargie. Une approche réflexive, historique et comparée de l’enquête de terrain », in Daniel Cefaï (dir.), L’Enquête de terrain, Paris, Éditions La Découverte, p. 425-464.

4 Habermas, Jürgen, Droit et démocratie. Entre faits et normes, traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz et Christian Bouchindhomme, Paris, Gallimard, coll. « nrf essais », 1997, 554 p.

Citer cet article

Référence électronique

Sébastien ROUQUETTE et Olivia Salmon MONVIOLA, « Les territoires de l’espace public : enjeux communicationnels pour un débat démocratique », K@iros [En ligne], 4 | 2020, mis en ligne le 09 septembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/kairos/index.php?id=491

Auteurs

Sébastien ROUQUETTE

Laboratoire Communication et Sociétés, Université Clermont Auvergne

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Olivia Salmon MONVIOLA

Laboratoire Communication et Sociétés, Université Clermont Auvergne

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