L’apiculteur sans visage : Entomologie moralisée et poétique du minuscule chez Pieter Bruegel l’Ancien

The Faceless Beekeepers: Moralised Entomology and the Poetics of the Minuscule in Pieter Bruegel the Elder

DOI : 10.52497/sociopoetiques.1846

Résumés

Dans la seconde moitié du xvie siècle, au moment où apparaissent les premiers ouvrages naturalistes exclusivement consacrés aux abeilles, se multiplient d’étonnantes figurations de ruches ou d’essaims, qui renouvellent considérablement l’imaginaire de l’apiculture – cette pratique mi-agricole, mi-spirituelle. Un dessin à la plume de Bruegel l’Ancien, généralement daté de 1568, retient tout particulièrement l’attention : il figure trois apiculteurs à l’ouvrage, dont l’absence de visage est énigmatique. 
Auparavant, entre 1556 et 1568, le peintre flamand avait manifesté son intérêt pour le motif apicole : en particulier ses diverses représentations de la tour de Babel, dont nous examinerons sa gigantesque structure alvéolaire. Elle s’inscrit, semble-t-il, dans la tradition qui établissait un rapport entre miel et langage. En fin de parcours, à titre d’hypothèse, on présentera le peintre en apiculteur : ne joue-t-il pas ce rôle, voire celui d’un entomologiste, lorsqu’il représente avec une extrême précision les mœurs des insectes humains ? 

In the second half of the 16th century, when the first naturalist works devoted exclusively to bees appeared, there was a proliferation of astonishing depictions of hives and swarms, which considerably renewed the imaginary world of beekeeping – a practice that was half-agricultural, half-spiritual. A pen-and-ink drawing by Bruegel the Elder, generally dated 1568, is particularly striking: it shows three beekeepers at work, whose facelessness is enigmatic. Earlier, between 1556 and 1568, the Flemish painter had shown an interest in the beekeeping motif: in particular his various representations of the Tower of Babel, whose gigantic honeycomb structure we shall examine. It seems to be part of a tradition that established a link between honey and language. At the end of the tour, as a hypothesis, we will present the painter as a beekeeper: does he not play this role, or even that of an entomologist, when he depicts with extreme precision the habits of human insects?

Index

Mots-clés

Bruegel l’Ancien, abeille, apiculteur, zoohistoire, Réforme, Babel, ruche

Keywords

Bruegel the Elder, Reformation, honeybee, beehive, beekeeper, Babel, zoohistory

Plan

Texte

Que l’abeille et, indirectement, la figure de l’apiculteur soient « saturées de significations1 », c’est ce que cette étude voudrait confirmer, à partir de quelques œuvres iconographiques empruntées à la Renaissance : c’est-à-dire, à une période de notre histoire où la « mouche à miel » accompagne le retour des humanités antiques, les conflits religieux et les premiers pas de la science moderne. Non que le Moyen Âge, qui fait du miel la principale source sucrée dans l’alimentation, et qui utilise la cire dans les rites religieux, ait négligé le fabuleux insecte : on le trouve évoqué par les théologiens, les compilateurs de Bestiaires, les encyclopédistes ou les agronomes (tel Pietro de’ Crescenzi, vers 1307). Mais les images restent assez rares, et l’iconographie est moins complexe.

À partir du xve siècle au contraire, et surtout la seconde moitié du xvie où apparaissent les premiers ouvrages naturalistes exclusivement consacrés aux abeilles2, se multiplient d’étonnantes figurations de ruches ou d’essaims, renouvelant considérablement l’imaginaire de l’apiculture – cette pratique mi-agricole, mi-spirituelle. Un dessin à la plume de Bruegel l’Ancien, généralement daté de 1568, retient tout particulièrement l’attention : il figure trois apiculteurs à l’ouvrage – mais quel ouvrage, au juste ? –, dont l’absence de visage est énigmatique.

Auparavant, entre 1556 et 1568, le peintre flamand avait manifesté son intérêt pour le motif apicole : en particulier ses diverses représentations de la tour de Babel, dont nous examinerons sa gigantesque structure alvéolaire. Elle s’inscrit, semble-t-il, dans la tradition qui établissait un rapport entre miel et langage. En fin de parcours, à titre d’hypothèse, on présentera le peintre en apiculteur : ne joue-t-il pas ce rôle, voire celui d’un entomologiste, lorsqu’il représente avec une extrême précision les mœurs des insectes humains ?

Abeilles hérétiques

Tout d’abord, une mise en contexte s’impose : quelles sont les pratiques apicoles du temps de Bruegel et comment sont-elles illustrées ? Dans l’Europe des xve et xvie siècles, les ruches-tronc, les ruches en planche, en écorce de liège, en branches et en argile demeuraient les plus couramment utilisées3, surtout dans le bassin méditerranéen ; mais elles demeurent relativement peu représentées dans l’iconographie médiévale et renaissante, contrairement aux ruches en vannerie, faites en paille torsadée en boudin, parfois recouvertes d’un torchis, qui connaissent une très large expansion dans l’Europe septentrionale – notamment en Angleterre, dans le nord de la France, la Flandre ou la Rhénanie. Mesurant environ 40 cm, plus légères et maniables que les ruches-tronc, elles facilitent la noyade ou l’asphyxie de la colonie – pratique cruelle blâmée par Léonard de Vinci. Ce sont ces ruches que l’on trouve abondamment reproduites à l’époque dans les gravures ou enluminures. Exemples : une xylographie de 1502, illustrant une édition des œuvres de Virgile, montre un apiculteur au travail : il pratique le charivari avec son tambourin pour éparpiller les abeilles avant de récolter leur miel [Fig. 1] ; une vignette contemporaine de Bruegel, tirée de la Cosmographia Universalis de Sebastian Münster (1548), représente un apiculteur portant un vêtement et un masque de protection [Fig. 2] ; une charmante aquarelle de Dürer met en scène Cupidon voleur de miel [Fig. 3], scène mythologique souvent reprise dans le Nord, comme en témoigne une série de tableaux de Lucas Cranach l’Ancien datant des années 1520-1530… Qu’elles soient ethnographiques ou artistiques, ces œuvres rendent compte du même dispositif : les ruches apparaissent rangées sur un socle ou une table de bois, à l’abri des intempéries, le plus souvent entourées d’une nuée d’abeilles, et elles comportent un petit trou de vol à leur base. Pieter Bruegel se conforme à la tradition iconographique lorsqu’il montre, dans une scène de la vie paysanne qui évoque des Géorgiques flamandes, des ruches de petite taille, en forme de dôme et bien alignées [Fig. 4].

Fig. 1 : Anonyme, Apiculteur au travail.

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Xylographie illustrant une édition des Œuvres de Virgile, Grüninger, Strasbourg, 1502.

Bibliothèque de Genève, Archives A. & G. Zimmermann.

Fig. 2 : Apiculteur masqué.

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Xylographie extraite de la Cosmographia de Sebastian Münster, Bâle, 1548.

Fig. 3 : Albrecht Dürer, Vénus et Cupidon voleur de miel, 1514.

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Plume, encre et gouache sur papier, 22 x 31 cm.

Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Fig. 4 : Pieter Bruegel et Pieter van der Heyden, Le Printemps, 1570 (détail).

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Gravure, Anvers, no d’inventaire C.2008.8.4.

Cassel, musée départemental de Flandre.

Aussi peut-on s’étonner du traitement iconographique que Bruegel réserve à ses Apiculteurs [Fig. 5]. S’il représente, à première vue, une banale scène rurale, croquée sur le vif, à y regarder de plus près ce dessin recèle diverses bizarreries : les ruches en vannerie typiques, en forme de cloche, font place ici à des ruches tronconiques au sommet aplati. De plus, elles atteignent un mètre de haut pour un diamètre inférieur à 50 cm. Quant aux abeilles, elles sont totalement absentes de l’image, même de la ruche ouverte ; auraient-elles été chassées ou sédatées par une mèche de soufre ? Mais point de fumée visible ici. Surprenante aussi est la tenue des trois apiculteurs : car la majorité des paysans travaillaient sans protection, tête et mains nues. Il est vrai qu’on les voit parfois représentés dans des vêtements à manches longues et portant un camail (c’est-à-dire une grille de métal ou un disque d’osier protégeant la face), tandis qu’une petite cape en toile recouvrait la tête et le haut du buste ; or ici, les cagoules enveloppant les visages des apiculteurs sont d’autant plus inquiétantes qu’elles sont fermées par un masque évoquant une toile d’araignée. Un quatrième personnage, un jeune garçon perché dans un arbre à droite, ne porte aucune protection alors même qu’il semble dénicher un essaim accroché à une branche ; c’est en tout cas ce que suggère l’inscription manuscrite (en vieux néerlandais), dans le coin inférieur gauche du dessin4. Tournant le dos à la scène du premier plan, lui aussi a le visage caché ; mais ce téméraire est susceptible de saisir l’essaim à mains nues, contrairement aux autres qui se sont apparemment équipés pour récolter le miel. Ces individus procèdent de façon brutale et désordonnée : où sont les outils dont les apiculteurs se servent habituellement (comme on peut le voir sur une gravure de Philips Galle, d’après Jan van der Straet [Fig. 6]. Où sont les cuves en métal dans lesquelles sera versée la récolte ? On peine à comprendre leur technique : sont-ils là pour prélever des galettes de cire ? Transvaser ? Étouffer ou châtrer les ruches ? Pourquoi l’abri-rucher semble-t-il abandonné et pourquoi une des ruches jonche-t-elle le sol ? L’enchaînement de leurs actions est tout aussi mystérieux : par exemple, le personnage de gauche porte la ruche comme s’il voulait la dissimuler, sans regarder où il va (et prêt à heurter le collègue qui s’avance à sa rencontre, les bras ballants, avec une allure de somnambule). Il semble marquer un temps d’arrêt, comme pour regarder frontalement le spectateur ; ce qui crée un malaise, puisqu’il nous envisage alors que nous ne pouvons le dévisager. C’est comme s’il allait nous sonder, nous jauger… Quant au troisième apiculteur, est-il en train d’ouvrir ou de fermer la ruche ? Rien ne permet de le savoir. Seraient-ils en train de piller, plutôt que de récolter ?

La composition donne une impression de fouillis et de précipitation ; comparée à d’autres représentations de l’époque, elle ne fournit pas d’informations pertinentes sur l’histoire de l’apiculture. De fait, il semble que l’artiste cherche plutôt à construire une allégorie théologico-politique.

Fig. 5 : Pieter Bruegel, Les Apiculteurs.

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Vers 1568, dessin à la plume, 20,3 cm x 30, 9 cm.

Berlin, Staatliche Museen, Cabinet des estampes.

Fig. 6 : Apiculteurs, planche 83, Philips Galle d’après Jan van der Straet, vers 1578.

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Gravure, tirée des Venationes Ferarum.

Amsterdam, collection privée.

Le dessin de Bruegel s’inscrit dans un contexte extrêmement mouvementé, et date d’une année sombre pour les Pays-Bas espagnols : 1568 marque le début de la guerre de Quatre-Vingts ans. Dès 1524, l’Espagne avait introduit l’Inquisition en Flandre et réprimé férocement toute contestation, notamment celle des nouveaux courants protestants. Parallèlement, la disette due aux mauvaises récoltes de 1565 provoque une série d’émeutes, attisées par Guillaume d’Orange : nobles, calvinistes et gueux se soulèvent contre le pouvoir du roi d’Espagne Philippe II. À l’été 1566, les protestants se livrent dans de nombreuses églises à des destructions iconoclastes. Envoyé par Philippe II avec 10 000 soldats espagnols pour reprendre le contrôle de la situation, le duc d’Albe crée un Conseil des Troubles et fait régner la terreur.

Les Apiculteurs semblent porter la trace de ces événements dramatiques, même si leur sens demeure obscur : condamnation voilée de la répression menée par le duc d’Albe ? Adhésion au protestantisme ? Critique de la foi aveugle ou de l’intransigeance des extrémistes des deux camps ? Résumons ici deux hypothèses majeures avancées par des historiens de l’art.

1/La plus couramment admise est celle qu’a proposée Jetske Sybesma en 1991 et 19975 : Bruegel réagirait au pouvoir croissant de l’Inquisition et à la violence des ultra-catholiques contre les réformés. Suivant cette lecture, les apiculteurs ne sont pas des voleurs, comme l’ont cru certains, mais tentent au contraire de réparer les ruches : ils représenteraient des fidèles essayant de restaurer l’Église catholique. Cette interprétation s’appuie sur la symbolique de l’époque, qui faisait de la société des abeilles une allégorie de l’Église6 : motif souvent tourné en dérision dans des diatribes, prédications ou placards protestants antipapistes, parmi lesquels La Ruche de la Sainte Église romaine, libelle publié en 1569 (année de la mort de Bruegel) par le théologien calviniste, poète et polémiste, Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde. Dans ce pamphlet satirique, les abeilles anthropomorphes caricaturent les dérives et les vices du petit peuple de Rome. Sur le frontispice d’une édition de 1648 [Fig. 7], on retrouve la ruche-église avec au centre le pape, coiffé de sa tiare, entouré de cardinaux, d’évêques et de moines tonsurés, présentés comme des mouches, guêpes et frelons qui sucent le sang des fidèles et produisent un miel empoisonné7.

Fig. 7 : Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, Den Byencorf der H. Roomsche Kercke, door Philips Marnix Heer van St-Aldegond [La ruche de la Sainte Église romaine] 1569.

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Frontispice, détail de l’édition de 1648.

Même si l’on retrouve chez Bruegel le calembour visuel de la ruche-église, ses Apiculteurs n’ont rien du comique parodique de Marnix. Les ruches vides, dont une est abandonnée sur le sol, peuvent évoquer les saccages d’églises de l’été 1566, entraînant la fuite des paroissiens : dans la province de Flandre-Occidentale, la Furie iconoclaste avait poussé les calvinistes radicaux à détruire les édifices religieux, en particulier les images des saints considérés comme des idoles païennes. En riposte, le duc d’Albe avait encouragé les délations par des informateurs secrets. Aussi les apiculteurs anonymes et « sans visage » pourraient représenter soit les Inquisiteurs, explorant les âmes des fidèles comme s’ils ouvraient une ruche, soit les espions et sycophantes à leur service ; ces derniers, du reste, étaient qualifiés de « cordiers », de « ruchers » ou de « porte-paniers ». Tels que Bruegel les met en scène, les trois personnages s’emploieraient à restaurer l’ordre ancien, en remettant les ruches-églises en place.

Quant à l’essaimage de la communauté des croyants – suggéré dans le dessin par la désertion des abeilles –, il serait imputable aux deux camps. Chez les hyménoptères, la reine « essaime » lorsqu’elle quitte la colonie pour aller en former une nouvelle, en compagnie d’une partie de ses ouvrières dévouées. Pour les protestants, ce vocabulaire apicole métaphorise le rejet du catholicisme : les fidèles, désorientés, délaissent l’Église romaine « pourrie et viciée à force d’étroitesse et de rigidité », pareille à une ruche qui produit un « miel indigeste »8. De leur côté, les catholiques retournent l’accusation : sur le frontispice d’un pamphlet anti-luthérien de Johann Cocleus (1479-1552), le réformateur apparaît comme la Bête de l’Apocalypse, sous les traits d’une hydre à sept têtes ; autour de l’une d’elles, surmontée de la légende Schwärmer (« l’essaimeur »), virevoltent des abeilles [Fig. 8]. Luther est ainsi désigné comme le responsable du schisme. Cette image connaîtra une fortune philosophique au xviiisiècle : notamment chez Kant et chez Lessing, pour qui Schwärmer est synonyme de « fanatique »9.

Fig. 8 : Hans Brosamer, Les sept têtes de Martin Luther.

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Bois gravé, frontispice de J. Cocleus, Leipzig, 1529. No d’inventaire : 1880,071 0.592.

Londres, © The Trustees of the British Museum.

Fig. 8 bis : Hans Brosamer, Les sept têtes de Martin Luther (détail).

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Bois gravé, frontispice de J. Cocleus, Leipzig, 1529. No d’inventaire : 1880,071 0.592.

Londres, © The Trustees of the British Museum.

Que dire, enfin, du garçon à l’arrière-plan ? Serait-il pourchassé par les Inquisiteurs, ce qui expliquerait qu’il cherche refuge dans un arbre, d’où il regarde une église qui a perdu sa croix ? Peut-être s’est-il tourné vers une autre foi ; peut-être a-t-il « volé le nid », selon le proverbe flamand qui légende le dessin, sans se contenter de le « dénicher », incarnant ainsi le protestant militant qui passe à l’action. Du reste, il est jeune, comme l’étaient les réformés engagés dans les raids iconoclastes10 Mais rien n’est assuré dans cette interprétation, qui fait de Bruegel un discret sympathisant de la Réforme contre la violence de l’Inquisition espagnole.

2/ Selon la seconde hypothèse, due à Jurgen Müller (qui, de façon plus nuancée, propose de faire dialoguer plusieurs intertextes picturaux11), le maître flamand se serait souvenu du personnage de Noé, peint par Michel-Ange sur le plafond de la chapelle Sixtine ; il a pu l’admirer lors de son voyage en Italie, en 1553, en compagnie d’Abraham Ortelius. Dans la scène du sacrifice de Noé, après le Déluge [Fig. 9], le fils du patriarche apporte une brassée de bois sec au feu qui servira à l’immolation des animaux, permettant de sceller une nouvelle alliance avec le Seigneur12. Or, cet épisode biblique a fait l’objet d’un commentaire critique par le mystique allemand Sebastian Franck (1499-1542), partisan de la liberté de conscience, du rapport direct avec Dieu et opposé tant au luthéranisme qu’au catholicisme. S’appuyant sur les propos du prophète Amos, qui critique les holocaustes des israélites et en appelle à un autre pacte spirituel13, Franck dénonce dans ses 280 Paradoxa (1534) la piété institutionnelle. Ces cérémonies enferment l’Église et menacent la foi véritable : « Qui brûle un encens prie le Diable et non Dieu ! ».

Une réminiscence de cette exégèse biblique par Franck – mais également par Érasme14 – se trouverait chez le peintre flamand : l’apiculteur-enfumeur d’abeilles, qui emporte sa ruche sous le bras ressemble singulièrement, par sa posture, au porteur de fagots de Michel-Ange. Allusion serait faite aux bûchers ou aux encens des rituels idolâtres, en quoi le mystique allemand ne voyait que de vaines démonstrations, c’est-à-dire de l’enfumage.

Fig. 9 : Michel-Ange, Le Sacrifice de Noé (détail), 1509.

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Fresque, Rome, chapelle Sixtine, Cité du Vatican.

Source : Wikimédia Commons.

Plusieurs autres historiens15 notent l’influence de Sebastian Franck sur l’art pictural de Bruegel ; on sait aussi qu’il était lu avec ferveur dans le cercle d’Ortelius, grand ami du peintre. L’imprégnation religieuse se fait encore sentir dans la figure du jeune homme perché dans l’arbre : comme un autre grimpeur dont on le rapproche souvent, celui du tableau de 1568 intitulé Le Paysan et le voleur de nid [Fig. 10] – mais celui-ci cherche un oiseau16 –, ce personnage peut évoquer un épisode raconté par saint Luc. L’évangéliste rapporte en effet que Zachée, cupide collecteur d’impôts, grimpe sur un arbre pour apercevoir le Christ en route vers Jérusalem et se convertit à sa vue. Cette scène théologique, familière des contemporains, est interprétée comme une métaphore de la reconnaissance de Dieu [Fig. 11]. Quant au motif de l’arbre, Franck en fait, dans son 208e paradoxe, une allégorie du discernement.

Fig. 10 : Pieter Bruegel, Le Paysan et le Voleur de Nid (Le Dénicheur), 1568.

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Huile sur bois, 59,3 x 68,3 cm.

Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Fig. 11 : Hans Schäufelein, Le Christ et Zachée, 1514

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Plume et encre sur papier. Illustration de Das Plenarium oder Ewangely buoch…, Bâle, Adam Petri, 1514. Nd’inventaire : 1927,0614.225.

Londres, © The Trustees of the British Museum.

Dans les Apiculteurs, le jeune homme regarde non pas le Christ qui passe, mais une église sans croix. Celle qu’ont vandalisée les protestants, selon la première hypothèse ? Ou plutôt une église qui ne serait pas plus catholique que réformée ? En ce cas, les ruches coniques décapitées (privées de leur habituel dôme arrondi) symboliseraient de même l’Église amputée des clercs. Un détail formel les relie : les deux trous de vol dans la ruche sont semblables aux deux petites fenêtres du clocher…

Si l’on considère le garçon perché sur son arbre comme un hérétique, c’est en tant qu’il s’éloigne de l’Église institutionnelle pour se rapprocher de Dieu ; sa spiritualité individuelle le fait sortir du « droit chemin », que celui-ci soit balisé par les catholiques ou par leurs adversaires. Serait donc ici mise en image, de façon cryptée, la recherche personnelle de Dieu et d’une devotio moderna. Il se peut aussi que le jeune grimpeur soit occupé à dénicher un essaim – mais un essaim sauvage, en opposition aux ruches des abeilles domestiquées : en récoltant le miel à sa source, il s’abreuverait à la source des Écritures, à la prima scriptura, retrouvant la forme première du christianisme… Symbolisant « la fraîcheur juvénile de la foi qui s’en va en Angleterre ou en Allemagne et aspire à la régénération d’une Église authentique »17, le garçon incarnerait aussi un des deux archétypes apicoles antagonistes qu’a construits l’imaginaire occidental (pilleur, d’un côté, médiateur, de l’autre). Face aux saccageurs masqués, il assumerait la fonction de guide spirituel, approchant la Vérité divine à mains nues et à visage découvert ; le dessin de Bruegel opposerait ainsi une libre spiritualité au fanatisme religieux. À moins qu’il ne faille modérer cette apologie de l’hérésie et opter pour une approche plus érasmienne, conciliant idéal évangélique et réformisme clérical ?

Concluons sur ce point. L’attitude des personnages favorise de nombreuses interprétations spéculatives ; l’œuvre n’offre pas un sens univoque. Il rester prudent lorsqu’on tente de déchiffrer les allusions aux grandes querelles politiques et religieuses de l’époque, et ne pas adopter trop vite la thèse selon laquelle Bruegel – dont la vie demeure mal connue – serait un « protestant caché », cryptant son dessin pour déjouer la censure. On se gardera d’oublier que le peintre travaillait pour de puissants mécènes liés au pouvoir catholique en place ; un cardinal a même collectionné ses œuvres, et ses obsèques ont été célébrées à l’église. Notons enfin que le Brabançon était lui-même très circonspect : suivant la tradition flamande du symbolisme caché, il met en œuvre une stratégie consistant à juxtaposer plusieurs éléments symboliques sans rien exprimer directement. On sait aussi que, soucieux d’éviter post mortem des accusations d’hérésie qui auraient nui à sa famille, il demanda à sa femme de détruire, le moment venu, ses dessins les plus compromettants. Si Les Apiculteurs ont échappé à la destruction, c’est peut-être parce que l’artiste en estimait la facture suffisamment ambiguë, et dépourvue de tout élément explicitement irrévérencieux envers l’Église catholique et les Habsbourg.

Mais chez le maître flamand, l’insecte et la ruche sont « saturés » de bien d’autres significations encore…

Babel, ruche humaine

Dans les œuvres de ses dix dernières années, on trouve nombre de motifs apicoles : tantôt simples détails, tantôt figures occupant tout l’espace pictural – comme dans le cas des célèbres Tours de Babel. Ces motifs surgissent dans des contextes très divers : bibliques ou historiques, fantastiques ou moraux, et soumettent le plus souvent des énigmes visuelles soumises à la sagacité du spectateur. On se contentera d’un rapide examen.

L’Âne à l’école [Fig. 12], qui est l’une des plus anciennes scènes de genre scolaire, fait référence – comme souvent chez le peintre – à un proverbe flamand. Dans la bordure inférieure, l’estampe est ainsi légendée en vieux hollandais : « Bien qu’un âne aille à l’école pour apprendre, il sera un âne, pas un cheval, quand il reviendra ». Dans une salle de classe chaotique, un élève dont on ne voit que le postérieur plonge sa tête dans une ruche, comme pour absorber le miel de la connaissance ; sans doute n’en tirera-t-il pas grand-chose, bien que les abeilles offrent un emblème du travail laborieux et de la sagesse18 ; autant de vertus absentes de cette extravagante école. L’artiste brocarde ici les méthodes pédagogiques archaïques et inefficaces, ainsi que les sévices corporels. Plus tard, dans son essai sur « L’Institution des Enfants » (1580) qui se gausse de l’éducation scolastique, sèche et formaliste (« sçavoir par cœur n’est pas sçavoir »), Montaigne développera la métaphore des abeilles butineuses :

Les abeilles pillotent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n’est plus thym ni marjolaine : ainsi les pièces empruntées d’autrui, il les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement. Son institution, son travail et étude ne vise qu’à le former19.

Fig. 12 : Pieter Bruegel (créateur), Pieter van den Heyden (graveur), L’Âne à l’école, 1557.

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Dessin à la plume. No d’inventaire : 31897, 23,4 x 30,3 cm.

Musée Wittert, Liège.

Dans Les Tentations de saint Antoine [Fig. 13], on retrouve le curieux personnage plongeant sa tête dans la ruche comme le sot écolier de la gravure précédente ; mais cette fois les abeilles qui s’échappent du croupion peuvent signifier la séduction mensongère ou l’hypocrisie – en référence au dicton selon lequel l’abeille aurait le miel dans les mandibules et le venin dans le dard20. Duplicité qui fait sens dans le contexte des tentations de saint Antoine, abusé par les démons et les ruses du diable.

Fig. 13 : Pieter Bruegel (créateur), Pieter van den Heyden (graveur), Les Tentations de saint Antoine, 1556. Détail.

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Gravure sur cuivre.

Bâle, Kunstmuseum.

L’Espérance [Fig. 14] appartient à un ensemble de gravures illustrant les sept Vertus théologales. Chacune est allégorisée sous les traits d’une femme porteuse de divers attributs symboliques, notamment sur la tête : ainsi la Force (Fortitudo) supporte une grosse pierre, témoignant de sa vigueur ; la Tempérance (Temperentia) est rehaussée d’une horloge, emblème de la mesure ; la Charité (Caritas) se trouve coiffée d’un pélican en référence au sacrifice christique, etc. L’Espérance (Spes), quant à elle, nous replonge dans le conflit entre catholiques et réformés : car sa tête, surmontée d’une grande ruche au sommet aplati – semblable à celle que l’on trouve dans Les Apiculteurs – peut représenter l’Église catholique menacée par les eaux turbulentes du protestantisme. Elle porte une pelle et une faux, valorisant la vita activa (celle des abeilles) qui sauve des affres de l’oisiveté et apporte le salut. Comme le suggère la légende en latin, l’Espérance chrétienne est nécessaire pour affronter les vicissitudes de la vie. Mais ici, elle semble défaillir : le chaos est tel qu’on peut se demander si Bruegel ne subvertit pas sournoisement la symbolique avantageuse de la ruche-église catholique.

Fig. 14 : Philips Galle d’après Pieter Bruegel, Spes (L’espoir), 1560. Détail. Gravure. Hieronymus Cock (éditeur).

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Numéro d’inventaire : 26.72.20.

Harris Brisbane Dick Fund, 1926, Metropolitain Museum of Arts, New York.

Cette ruche-église, on la trouve aussi sur la tête de Carême, dans Le Combat de Carnaval et Carême [Fig. 15]. Les aliments maigres (miel et poisson) s’y opposent à la viande qu’embroche Carnaval. Double antithèse : observance religieuse vs vie de plaisir, et catholicisme vs protestantisme. Au Carnaval gourmand des réformés, une joute oppose le carême émacié des catholiques, à la tête grise – la scène se déroulant le mercredi des Cendres. Bien que les deux camps soient ridiculisés, la charge satirique semble plus forte contre les partisans du gras Luther, qui avaient aboli le carême tout en continuant à célébrer le carnaval.

Fig. 15 : Pieter Bruegel, Le combat de Carnaval et Carême, 1559, huile sur bois. Détail.

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Numéro d’inventaire : GG 1016

Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Si la ruche représente pour les contemporains l’Église catholique romaine, ce n’est pas seulement parce que l’abeille est un « emblème du Christ sauveur »21 ; c’est surtout en raison de sa ressemblance avec la tiare pontificale, qui symbolise l’autorité du Pontifex maximus, détenteur des pouvoirs apostoliques et temporels. Sur une caricature protestante du xvie siècle, on distingue bien la tiare en forme de triple couronne [Fig. 16] ; on la retrouve dans une gravure de Bruegel, tirée d’une série représentant les sept péchés capitaux et allégorisant L’Orgueil [Fig. 17]. Derrière la femme richement vêtue qui se contemple dans un miroir, on distingue deux ruches, dont l’une, reposant sur le dos d’une créature étrange, semblable à un hérisson, évoque sans ambiguïté la tiare papale. « Une série d’images doubles reprend et amplifie le thème de l’orgueil associé à la vision et aux apparences trompeuses »22 ; avec ce dédoublement du motif de la ruche, peut-être l’artiste dénonce-t-il l’admiration que se porte à lui-même le clergé romain, pour lui rappeler que l’Église n’est pas au-dessus du péché d’orgueil.

Fig. 16 : Anonyme, caricature protestante du xvie siècle représentant l’Église catholique sous la double apparence du pape et du diable, huile sur toile.

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Musée Catharijne Convent, Utrecht.

Fig. 17 : Pieter Bruegel et Pieter Van der Heyden, Superbia (L’Orgueil), 1557. Hieronymus Cock (éditeur).

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Gravure sur cuivre. 229 x 296 mm.

Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier, ensemble et détail.

Fig. 17bis : Pieter Bruegel et Pieter Van der Heyden, Superbia (L’Orgueil), 1557. Hieronymus Cock (éditeur). Détail.

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Gravure sur cuivre. 229 x 296 mm.

Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier.

Plus mystérieux encore est le symbolisme de la ruche dans Margot l’Enragée (Dulle Griet) [Fig. 18], peinture peuplée de monstres hybrides tout droit sortis de l’univers de Jérôme Bosch, représentant les vices et la punition des péchés. Dans ce paysage chtonien, une ruche tératoïde, pourvue de deux ailes d’insecte géantes et de jambes humaines, chevauche un gros poisson en direction de la porte de l’Enfer ; elle est suivie de Margot « la Folle », personnage du folklore gantois. Les insectes noirs qui pullulent autour de la ruche s’apparentent moins à des avettes sacrées qu’à des mouches démoniaques, comme celles qui s’échappent d’une trompette maléfique dans La chute du Magicien Hermogène (1565), ou celles qui tourmentent une créature difforme dans La chute des Anges rebelles (1562), aux côtés d’autres bestioles impures. Aujourd’hui, nous avons largement oublié cette « entomologie moralisée », qui prête une dimension surnaturelle aux êtres naturels, et peinons à élucider le sens précis de cette vermine plus ou moins menaçante.

Fig. 18 : Pieter Bruegel, Dulle Griet ou Margot l’Enragée [restaurée], 1561.

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Huile sur panneau. Numéro d’inventaire : MMB.0045. 115 x 161 cm.

Anvers, Musée Mayer van den Bergh.

Fig. 18 bis : Pieter Bruegel, Dulle Griet ou Margot l’Enragée [restaurée], 1561. Détail.

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Huile sur panneau. Numéro d’inventaire : MMB.0045. MMB.0045. 115 x 161 cm.

Anvers, Musée Mayer van den Bergh.

Mais le symbolisme le plus original est peut-être celui qui associe la ruche à La Tour de Babel [Fig. 19 et 20]. Sur ce point important, je risquerai une interprétation personnelle : car il n’existe pas, à ma connaissance, d’écrits ou de témoignages garantissant que Bruegel, dans son célèbre tableau, ait voulu représenter une ruche. Mais, comme l’a souligné Daniel Arasse, c’est de l’œuvre elle-même que découle la manière de la considérer ; à qui la voit au lieu de simplement la regarder, elle offre les instruments nécessaires à sa saisie. Si bien que la lecture d’un tableau n’est pas assujettie aux intentions de son auteur, non plus qu’aux sources textuelles ; l’image parle autant que le texte. Et ce qu’elle nous dit, en l’occurrence, c’est qu’une puissante analogie visuelle relie la tour de Babel à une ruche : la forme de la ziggurat bruegelienne reprend, consciemment ou inconsciemment, celle que les ruches en vannerie avaient à l’époque. Cette analogie, d’ordinaire passée sous silence par les historiens de l’art, Victor Hugo l’avait déjà perçue : « Le grand symbole de l’architecture, Babel, est une ruche »23, écrit-il dans Notre-Dame de Paris (1831), songeant sans doute au chef-d’œuvre du maître flamand.

Fig. 19 : Pieter Bruegel, La Grande tour de Babel, vers 1563.

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Huile sur panneau de bois de chêne ; 114 x 155 cm.

Kunsthistorisches Museum, Vienne.

Fig. 20 : Pieter Bruegel, La Petite tour de Babel, vers 1568.

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Huile sur panneau de bois de chêne ; 94 x 74 cm.

Musée Boijmans Van Beuningen.

Le mythe de Babel, qui dans la Genèse (II, 1-9) dénonce l’orgueil des humains, est en vogue au xvie siècle24 : prisé des lettrés, il inspire de nombreux artistes (Bruegel lui-même en donnera trois versions). Pourquoi cette passion renaissante pour le récit biblique ? Sans doute parce qu’il répond à deux préoccupations majeures des contemporains.

La première concerne l’utopie urbaine et architecturale, mais aussi et surtout l’hybris humaine : comme le résume l’historien Patrice de Moncan, « dans une époque vouée au dépassement intellectuel, technique, artistique, à l’accumulation des connaissances, à la découverte du monde et à la construction d’œuvres monumentales (châteaux, villes-forteresses), la tour de Babel symbolise à la fois l’énormité de certaines entreprises colossales et le défi spirituel engendré par le progrès »25.

Seconde préoccupation : l’époque a beaucoup rêvé à la langue pré-babélienne, ainsi qu’à une langue unique. D’une part, les humanistes se demandent plus que jamais quel idiome Adam parlait au Paradis26 ; d’autre part, le latin n’est plus tout à fait la langue universelle de l’Église (Luther ayant traduit la Bible en allemand), et Rome n’est plus le centre de foi unique. Les pays réformistes d’Europe du Nord veulent mettre fin à l’hégémonie du latin comme langue unificatrice ; plus largement, les langues vernaculaires s’affirment, faisant de l’Europe un gigantesque territoire babélien.

Or, dans l’imaginaire européen, architecture et langage sont associés respectivement à la ruche et à l’abeille : depuis l’Antiquité, l’une évoque l’art de l’architecte et l’autre celui de l’orateur. Aussi est-il intéressant de noter que la Tour de Bruegel a une structure alvéolaire et qu’elle s’organise en rayons ; ses multiples ouvertures évoquent précisément un nid d’abeilles. La hauteur de l’édifice importe moins au peintre que les orifices qui le criblent et le compartimentent ; ajouré comme il est, il semble fait d’air autant que de pierre. Certes, à l’imitation des autres versions iconographiques de la Tour qui circulent à son époque – notamment celle de Joachim Patinir (1524), de Cornelis Anthonisz (1547), de Hans Holbein (1526) ou encore de Bernard Salomon (1553) –, l’artiste flamand donne à sa construction une base circulaire et une forme hélicoïdale ; mais son originalité est d’imaginer un système de coupe et de perspective cavalière qui offre une vue globale (puisqu’on voit de face, d’en haut, et même à l’intérieur !). Or, cette perspective place le spectateur en position de Dieu – vers qui la tour s’élève mais qui, selon la Genèse, est « descendu pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes ». On peut suivre le labyrinthe des galeries et se laisser enrouler dans la spirale, depuis la terre jusqu’au ciel, depuis le niveau de la mer jusqu’aux nuages. En cours de route, la materia élémentaire se transforme (par exemple, la pierre cède la place à la brique), la Tour atteint les nuages, et potentiellement le mouvement se poursuivrait jusqu’aux subtilités de l’éther divin, jusqu’au souffle du Père, si celui-ci n’interrompait la construction27. Les hommes, que Dieu punit ainsi de leur orgueil, ne termineront donc pas leur immense Ruche ; ils n’ont pas, en l’occurrence, le talent naturellement bâtisseur des abeilles. Comme les mauvais architectes dont parle Philibert de l’Orme dans son Traité de l’Architecture (1567), ils sont sourds à la sagesse et ont « seulement une bouche pour bien babiller et médire »28.

Cette Tour, qui pouvait paraître familière aux compatriotes de Bruegel29, pouvait appeler bien des interprétations. Aux yeux d’un partisan de la Réforme, par exemple, sa cassure allégorise la corruption de la parole divine et de la Vérité des Évangiles, le dévoiement du message biblique et par conséquent la chute de l’Église catholique ; d’autant plus que l’architecture de la Tour a pu s’inspirer du Colisée – déjà en ruine au xvie siècle –, évoquant ainsi une Rome aussi déchue que Babylone, la « grande Prostituée » des protestants, dont Babel est le nom araméen30. Mais pour un philosophe, lecteur d’Aristote, l’épisode babélien vient rappeler que les cités humaines sont plus vulnérables que celles des abeilles ; car pour les construire, celles-ci n’ont pas besoin du logos… Ce qui fait la supériorité des hommes, en tant qu’« animaux politiques », est aussi cause de leur vulnérabilité. Avec la diffraction du logos, on met en péril la « politicité » telle que la décrit le Starigite (Éthique à Nicomaque, IX, x, 1170 b), faisant basculer la communauté dans la cacophonie et l’incommunicabilité.

La malédiction de Babel pose avec force la question de la pluralité des langues : surtout aux yeux d’un humaniste de la Renaissance, qui a bien des raisons de relier la Tour alvéolée à une ruche. Car il sait que depuis l’Antiquité, les abeilles sont en rapport avec la transmission et la parole et que l’éloquence est associée au miel31 ; à sa naissance, saint Ambroise en reçut une fine couche sur les lèvres, ce qui a fait de lui le patron des apiculteurs32. Un lettré n’ignore pas non plus qu’en hébreu, le mot « miel » dérive de la même racine que le mot « parole » et que, selon les kabbalistes, « le murmure de la ruche est un écho du Verbe créateur »33. Non sans raison, à une époque qui se passionne pour la polyglossie et pour la traduction, a été publié sur les presses londoniennes, en 1580, un dictionnaire quadrilingue intitulé « La Ruche) (An Alvearie), dont Shakespeare a fait son miel34 [Fig. 21]. Méticuleux comme l’abeille industrieuse, le philologue fait vrombir les langues qu’il donne à entendre dans son recensement encyclopédique.

Fig. 21 : Frontispice de John Baret : An Alvearie or Quadruple Dictionarie, continaing foure sundrie tongues: namelie, Engish, Latine, Greeke, and French […], Londres, Henricus Denhamus, 1580.

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Mais il est temps de quitter les ruches pour en revenir à l’apiculteur : dans le dessin de Bruegel, pourquoi ne voit-on jamais son visage ? Soit il est dissimulé derrière un masque en osier, soit il se situe hors cadre et nous demeure invisible. Dans cette figure qui se cache, il vaut la peine de se demander si l’on peut déceler l’artiste lui-même : car il semble considérer les insectes humains comme un apiculteur ses abeilles.

Le peintre en apiculteur ?

Si Bruegel aime jouer avec les changements d’échelle et de perspective, en associant le gigantesque au minuscule (comme dans la Tour de Babel, qui au pied du mastodonte présente les ouvriers comme des insectes à peine visibles), il lui plaît aussi d’associer l’animal à l’humain. En témoigne, sur un registre cette fois surnaturel et fantastique, La Chute des anges rebelles (1562) : dans ce tableau d’un style gothique tardif, les damnés précipités vers l’abîme se métamorphosent en créatures effrayantes, mêlant les règnes et formant des hybrides : hommes et poissons, batraciens et oiseaux, lépidoptères et végétaux s’interpénètrent, suggérant que tous les vices sont étroitement unis [fig. 22]. Nous intéresse plus particulièrement, en bas à droite de la composition, la fusion entre l’humain et l’hyménoptère : elle témoigne de la fascination qu’éprouve le peintre devant cette variété d’homoncule qu’est l’insecte humain.

Fig. 22 : Pieter Bruegel, La Chute des anges rebelles. Détail.

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Huile sur panneau de chêne, 1562 ; no d’inventaire : 584.

Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.

Ici comme ailleurs, l’artiste représente un tohu-bohu, un grouillement d’êtres emmêlés. Il aime aussi, suivant la tradition instaurée par Joachim Patinir à Anvers durant les premières décennies du siècle, à prendre de la hauteur sur le monde, à proposer des panoramas à perte de vue, à montrer en perspective aérienne une foule remuante. Nombre de ses tableaux donnent au microcosme villageois la primauté sur l’individu singulier : Les Proverbes flamands (1559), Les Jeux d’enfants (1560), Les Chasseurs dans la neige (1565), La Prédication de saint Jean-Baptiste (1566)… Il semble que pour lui, comme pour les apiculteurs, le véritable individu soit la multitude, l’agglomérat, qui forme une unité.

Le monde rural des humbles, leurs travaux quotidiens et leurs divertissements, Bruegel les représente non seulement avec truculence, mais aussi avec une précision entomologique35 : kermesses, fêtes campagnardes, banquets, carnavals, jeux collectifs, processions sont à ses yeux autant d’« essaims humains » qu’il recense minutieusement. Il s’enchante du bourdonnement de la communauté humaine, objet de sa « poétique du minuscule ». Excellant dans l’art du détail, il montre quantité de personnages fourmillant dans un espace limité (rappelons qu’il avait commencé sa carrière comme miniaturiste) et se révèle aussi patient et observateur qu’un apiculteur doit l’être.

La comparaison peut être poursuivie. Si la chasse et la récolte sont les deux fonctions essentielles de l’apiculteur, telles qu’on les concevait à cette époque et telles qu’on les trouve mises en scène dans les récits et l’iconographie, l’on peut dire métaphoriquement que Bruegel les assume l’une et l’autre. D’abord, il doit trouver son essaim en parcourant des paysages et en extrayant « sur le vif » (nach het leven) sa « matière anthropologique » première, comme l’explique en 1604 Karel van Mander, premierbiographe de l’artiste :

Le bonheur de Breughel était d’étudier ces mœurs rustiques, ces ripailles, ces danses, ces amours champêtres qu’il excellait à traduire par son pinceau, tantôt à l’huile tantôt à la détrempe […]. C’était merveille de voir comme il s’entendait à accoutrer ses paysans à la mode campinoise ou autrement, à rendre leur attitude, leur démarche, leur façon de danser. Il était d’une précision extraordinaire dans ses compositions et se servait de la plume avec beaucoup d’adresse pour tracer de petites vues d’après nature36.

Et à ces paysans anonymes, Bruegel consacre tous ses soins ; il les met en lumière, les place sur le devant de la scène, et leur offre, sinon un statut social, du moins une dignité picturale. La peinture, écrivait le théoricien de l’art Leon Battista Alberti dans son De Pictura (1435), consiste à « rendre visible l’invisible ». Or c’est précisément ce que fait notre peintre-apiculteur : s’il se situe hors cadre (et sans visage), c’est pour mieux exposer au grand jour les visages d’une classe sociale d’ordinaire invisibilisée. En représentant les trognes grotesques ou en s’adonnant au dénombrement encyclopédiste des mœurs rustiques, Bruegel confère ses lettres de noblesse à cette peinture de genre, en même temps qu’il se livre à « une expérience pionnière, entreprise par curiosité esthétique et emprunte d’une grande humanité37 ».

À sa manière, le maître flamand agit comme un « bigre » : ainsi désignait-on au xvsiècle un forestier spécialisé, nommé par le pouvoir royal ou les seigneurs laïcs et ecclésiastiques, auquel était confiée la tâche de capturer, au profit des puissants, les essaims sauvages et de les installer dans des ruchers productifs. Bruegel peint des scènes humoristiques et instructives de la vie des Flandres, alors très populaires, pour le compte de commanditaires bourgeois, de riches mécènes qui « possèdent » les terres et gardent la haute main sur les ouvriers agricoles qui travaillent pour eux : ces colonies paysannes sont un peu leur rucher, que l’artiste leur permet d’admirer.

On se gardera de forcer la comparaison entre le peintre et l’apiculteur. Mais des liens existent qui relient l’un à l’autre, et pas toujours par métaphore : songeons non seulement que la patiente observation leur est à tous deux nécessaire, mais aussi que l’agronome Olivier de Serres conseillait de marquer les abeilles à la peinture rouge, pour permettre à l’apiculteur de mesurer la distance entre la ruche et les points d’eau38, et que les peintres de l’époque pouvaient utiliser le miel comme liant de leurs pigments… Bien qu’il ait peint le plus souvent à l’huile – pratique toute récente en son temps39 –, Bruegel a aussi produit quelques tempera et aquarelles : pour lier les pigments de couleur, il pouvait recourir au miel ou à la cire d’abeille aussi bien qu’au blanc d’œuf.

J’ai gardé pour la fin un curieux passage de Karel van Mander, qui n’a pas manqué d’intriguer les historiens de l’art :

Breughel, au cours de ses voyages, fit un nombre considérable de vues d’après nature, au point que l’on a pu dire de lui qu’en traversant les Alpes il avait avalé les monts et les rocs pour les vomir, à son retour, sur des toiles et des panneaux, tant il parvenait à rendre la nature avec fidélité40.

Certes, nous savons aujourd’hui que le miel n’est pas du « vomi d’abeilles », et que le processus de transformation du nectar est plus complexe que ne le pensaient Aristote et Pline41. Reste que, dans l’imaginaire, le peintre « vomissant » ce qu’il a avalé ressemble fort à une abeille régurgitant ce qu’elle butine ; de sorte que Bruegel, dans le récit de Karel van Mander, passe du statut d’apiculteur au statut d’apis mellifera, produisant à son tour, en quelque sorte, son propre « miel » pictural. Le peintre-apiculteur est aussi un peintre-abeille42. Ce qui ne doit pas trop surprendre, si l’on se souvient du rôle majeur que jouait à la Renaissance le topos de l’innutrition, réaffirmant le rôle du corps et de la digestion dans le processus d’imitation de la nature : de Pétrarque à Montaigne court l’idée que le poète, l’artiste et l’humaniste sont des « abeilles de l’esprit » : ils butinent diverses fleurs, les collectent, les sélectionnent, puis fabriquent leur propre miel pour l’offrir en partage.

Processus qui pourrait trouver un équivalent dans l’alchimie, thème cher à Bruegel : parmi les nombreux objets et accessoires qui jonchent le laboratoire de L’Alchimiste – dessin réalisé à la plume en 1558 –, l’artiste n’a pas omis de figurer en belle place une ruche-corbeille oblongue en vannerie, trônant au-dessus de la cheminée.

 

L’œuvre foisonnante de Bruegel fournit souvent un instantané de l’éthos sociopolitique, culturel et religieux des Pays-Bas de son temps ; et l’aura de l’abeille, prise dans un climat spirituel instable, en a subi le contrecoup : plus que jamais, le modeste insecte s’est chargé de connotations contradictoires. Au temps des guerres entre catholiques et protestants, son image se re-forme quelque peu et se « réforme ». Si dans l’Antiquité il jouissait d’un statut divin et appartenait au monde sacré, au xvie siècle au contraire sa symbolique oscille entre deux pôles : sublimée dans les paraboles de la vie chrétienne, l’abeille pâtit d’une image négative dans les conflits religieux : notamment lorsqu’elle essaime et se trouve associée aux rebelles hérétiques ; ou, dans certaines représentations, lorsqu’elle tourmente le pécheur, bombillant en chœur autour de sa tête, tels les prêtres suceurs de sang qui incitent les croyants à se ruiner en achats d’indulgences.

Bruegel, fort de son immense inventivité picturale, fait tournoyer en tous sens les motifs de la ruche, de l’abeille et de l’apiculture, en leur conférant une richesse inédite. Chez lui, une « entomologie moralisée » s’allie à une « poétique du minuscule ». Et comme il n’hésite pas à s’éloigner de l’iconographie traditionnelle, à bouleverser les représentations convenues, à proposer au spectateur des œuvres aussi ludiques qu’énigmatiques, il ne cesse de piquer notre curiosité ; piqûre qui, loin de lui être fatale (comme celle de l’abeille, que l’usage de son aiguillon voue à la mort), est l’une des causes de la fascination qu’il exerce sur nous.

1 Pierre-Henri et François Tavoillot, L’Abeille (et le) philosophe. Étonnant voyage dans la ruche des sages, Paris, Odile Jacob, 2015, p. 88.

2 L’Histoire naturelle naît véritablement à la Renaissance : entre 1530 et 1590, les travaux de Leonhart Fuchs, Charles de l’Écluse, Conrad Gesner

3 Les ruches tronc se rapprochent le plus du lieu de vie naturel des abeilles, car en région forestière les abeilles sauvages se logent dans le creux

4 « Dije den nest Weet dije Weeten, dijen Raftdij heeten », ce qui se traduit par « Qui sait où se trouve le nid a la connaissance ; qui le vole a le

5 Jetske Sybesma, « The reception of Bruegel’s Beekeepers : a matter of choice », The Art Bulletin, vol. 73, no3, 1991, p. 467-478 [En ligne] DOI :

6 Dès les premiers siècles du christianisme, les abeilles ont symbolisé les âmes des fidèles : les paroissiens sont dans l’Église comme les abeilles

7 Voir Fred E. Beemon, « Poisonous Honey or Pure Manna: The Eucharist and the Word in the “Beehive” of Marnix of Saint Aldegonde », Church History

8 Tavoillot, op. cit., p. 118. Plus loin : « L’essaimage divise – il est dia-bolique –, tandis que la ruche rassemble – elle est sym-bolique. On

9 « Schwärmer (fanatique), Schwärmerei (fanatisme) vient de Schwarm, schwärmen : “essaim”, “essaimer”, ainsi qu’on en fait en particulier usage à

10 Margaret A. Sullivan a récemment adopté cette interprétation : voir « Peasant and nestrobber : Bruegel as witness of his times », Journal of

11 Jürgen Müller, « Of Birdnesters and Godsearchers. A New Interpretation of Pieter Bruegel the Elder’s The Beekeepers », in Pieter Bruegel the Elder

12 « Noé bâtit un autel qu’il consacra au Seigneur. […] Il prit une bête de chaque espèce considérée comme pure et les offrit au Seigneur sur l’autel

13 « Quand vous me présentez vos holocaustes et vos offrandes, je ne les agrée pas. Vos sacrifices de paix et vos bêtes grasses, je ne les regarde

14 Érasme a lui aussi pris position contre les sacrifices et pour la piété intérieure, dans ses Paraphrases à l’Évangile de Marc (1523). Reprenant le

15 Tels Charles de Tolnay, cité à la note 11, et Carl Gustaf Stridbeck (1956).

16 Le proverbe du dénicheur apparaît dans la Nef des Fous de Sebastian Brant (1494, ch. 36) ; la gravure donnée par Dürer figure un personnage

17 Tavoillot, op. cit., p. 117.

18 « Par la Ruche qui est pleine de mouches à miel, nous est declarée leur merveilleuse industrie, qui fait dire au plus sage de tous les hommes : Va

19 Michel de Montaigne, Les Essais, « De l’Institution des Enfans », 1580, I, xxvi.

20  Variante chez Léonard : « L’abeille se peut assimiler à la fraude, elle a le miel à la bouche et le venin au cul. » (Léonard de Vinci : les 14 

21 « L’abeille symbolise le labeur et l’aptitude à vivre en société. Elle est l’emblème du Christ Sauveur : le miel, qu’elle produit, suggère douceur

22  Michel Weemans, « L’image double, piège et révélateur du visible », in Voir double. Pièges et révélations du visible, Michel Weemans, Dario

23 « Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. Ainsi font les

24 Voir James Dauphiné et Myriam Jacquemier (dir.), Babel à la Renaissance, Toulon, Eurédit, 1997. La redécouverte des Antiquités judaïques de

25 Patrice de Moncan, Villes utopiques, villes rêvées, Paris, Éditions du Mécène, « La ville retrouvée », 2003, p. 59. Dans La Petite tour de Babel (

26 Voir les travaux de Maurice Olender et d’Umberto Eco.

27 Voir Éric Lysøe, « Babel ou la violence du Père : Bruegel, Poe, Borges », Creliana, no 6, 2006, p. 37-52 ; p. 40.

28 Philibert de l’Orme, Le Premier tome de l’Architecture, Paris, 1567. Reste que les abeilles ne sont pas toujours célébrées pour leur savoir-faire

29 Car le tableau offre une précise représentation du port d’Anvers au xvie siècle, de ses artisans, tailleurs de pierre ou maçons ; le mur d’

30 « Voici que s’écroule Babylone, s’écroule Ninive, s’écroule Jérusalem, s’écroule Rome. En somme, tous les royaumes s’écroulent par la confusion

31 Par exemple, chez Homère : « Nestor tient des propos plus doux que le miel » (Iliade, v. 249).

32 Selon la Vie d’Ambroise, durant son sommeil, un essaim d’abeilles recouvrit la figure du nourrisson dans son berceau. En quittant son visage, les

33 Gilles Lapouge, L’Âne et l’Abeille, Paris, Albin Michel, 2014.

34 Voir George Koppelman et Daniel Wechsler, Shakespeare’s Beehive. An Annotated Elizabethan Dictionary Comes to Light, New York, Axletree Books

35 Voir Gene Kritsky et Daniel Mader, « The insects of Pieter Bruegel the Elder », American Entomologist, vol. 57, no 4, 2011, p. 245-251 [En ligne]

36 Karel van Mander, « Pieter Bruegel », in Les Vies des Illustres Peintres néerlandais et allemands (Het Schilder-Boeck), Harlem, 1604. Nous

37 Christian Vohringer, Les Maîtres de l’art flamand : Bruegel l’Ancien, Potsdam, Ullmann, 2007, p. 112. Quant au goût de Bruegel pour les

38 « Mais pour en estre mieux asseuré, marquerés sur le dos les Abeilles qui viendront à l’eau, & ce avec des longues pailles plongees dans de la pei

39 Katharine Campbell, « Pigments and Pigment Making in Bruegel’s Time Period », Bulletin of the Detroit Institute of Arts, vol. 93, no1, 2019, p. 56

40 Karel van Mander, op. cit. Voir aussi Denis Ribouillault, « Regurgitating Nature: On a Celebrated Anecdote by Karel van Mander about Pieter

41 Les naturalistes ont observé la régurgitation des abeilles depuis l’Antiquité. Pour Pline, le miel est une substance engendrée par l’air, une « 

42 Ut sol suget apes, sic nobis comoda princeps : telle est la devise latine au revers de la médaille du Filarète, l’architecte florentin au service

Notes

1 Pierre-Henri et François Tavoillot, L’Abeille (et le) philosophe. Étonnant voyage dans la ruche des sages, Paris, Odile Jacob, 2015, p. 88.

2 L’Histoire naturelle naît véritablement à la Renaissance : entre 1530 et 1590, les travaux de Leonhart Fuchs, Charles de l’Écluse, Conrad Gesner, Pierre Belon et bien d’autres connaissent un engouement tel que cette discipline devient une activité savante respectée et reconnue par la société. Concernant les abeilles, aux ouvrages de zoologie classiques (Aristote, Pline) et aux traités d’agriculture hérités de l’Antiquité et du Moyen Âge (Columelle, « Des abeilles », De l’économie rurale, IX ; Palladius, « Des abeilles », L’économie rurale, VII ; Bassus Cassianus, Géoponiques ; Albert le Grand, De animalibus…), les naturalistes du xvie siècle ajoutent leurs propres productions : signalons le Castillan Luis Méndez de Torres, auteur du premier manuel d’apiculture (Tratado breve de la cultivación y cura de las colmenas, 1586), où le roi des abeilles est pour la première fois désigné comme une reine ; le botaniste hollandais Dirck Cluyt, qui le confirme dans Van de byen, hare wonderlicke oorspronc, 1597 ; Alonso de la Fuente Montalbán, auteur de Colmenas y Hermandad. Diálogos nocturnales […] en los cuales se trata de las excelencias y procreación y generación y gobierno de las Abejas (resté manuscrit, 1594) ; ou le Bolonais Ulisse Aldrovandri et son De animalibus insectis, 1602. En France, on trouve de longs chapitres sur l’apiculture chez Charles Estienne : « La maniere de gouverner les mouches-à-miel toute l’année » (L’Agriculture et Maison rustique, 1572, II, lxvii) ; ou encore chez Olivier de Serres : « L’Apier ou Ruschier » (Le Théâtre d’Agriculture et Mesnage des Champs, 1600, V, xiv).

3 Les ruches tronc se rapprochent le plus du lieu de vie naturel des abeilles, car en région forestière les abeilles sauvages se logent dans le creux des arbres. Au Moyen Âge, il était fréquent de récolter un essaim sauvage dans la forêt en coupant une partie du tronc où il s’était réfugié et de rapporter la pièce de bois au rucher. Quant aux ruches en argile et branches, ou celles confectionnées en écorce de chêne-liège, elles sont largement attestées dans l’Antiquité et dans l’Europe médiévale méridionale. Les ruches-caisses en planches, puis à cadres mobiles, n’apparaissent que bien plus tard (xviiie-xixe siècles). Voir Perrine Mane, « Abeilles et apiculture dans l’iconographie médiévale », Anthropozoologica, 14-15, 1991, p. 25-48 [En ligne] URL : https://sciencepress.mnhn.fr/fr/periodiques/anthropozoologica/14-15/abeilles-et-apiculture-dans-l-iconographie-medievale.

4 « Dije den nest Weet dije Weeten, dijen Raftdij heeten », ce qui se traduit par « Qui sait où se trouve le nid a la connaissance ; qui le vole a le nid ».

5 Jetske Sybesma, « The reception of Bruegel’s Beekeepers : a matter of choice », The Art Bulletin, vol. 73, no3, 1991, p. 467-478 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.1080/00043079.1991.10786769 ; Silvia Danezi Squarzina ,« La ricezione delli Apicoltori di Bruegel », in Tracce per lo studio della cultura figurativa flamminga e olandese dal XV al XVII secolo, Sant’Oreste, Apeiron Editori, 1997, p. 142-159.

6 Dès les premiers siècles du christianisme, les abeilles ont symbolisé les âmes des fidèles : les paroissiens sont dans l’Église comme les abeilles dans la ruche. L’apis mellifera incarne aussi la moralité exemplaire, la pureté, et offre un vertueux modèle d’organisation sociale. Dans son traité intitulé Bonum universale de apibus (1260), composé pour l’ordre dominicain, le chanoine Thomas Cantimpré compare la hiérarchie de l’essaim à celle du cloître : le « roi » des abeilles est l’abbé ; les « ouvriers » à la vie strictement réglée sont les moines. Le Bonum universale a suscité un regain d’intérêt au début du xvie siècle, quand Léon X l’a réédité à l’occasion du concile de Latran (1512-1517).

7 Voir Fred E. Beemon, « Poisonous Honey or Pure Manna: The Eucharist and the Word in the “Beehive” of Marnix of Saint Aldegonde », Church History, vol. 61, n4, 1992, p. 382-393 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.2307/3167792.

8 Tavoillot, op. cit., p. 118. Plus loin : « L’essaimage divise – il est dia-bolique –, tandis que la ruche rassemble – elle est sym-bolique. On comprend que les théologiens ne se soient pas privés d’user de cette image aussi simple que parfaite pour illustrer le danger du schisme et l’idéal de l’Église. […] Tant que la ruche est unie, elle est immortelle ; dès qu’elle se sépare, elle risque de disparaître » (p. 120).

9 « Schwärmer (fanatique), Schwärmerei (fanatisme) vient de Schwarm, schwärmen : “essaim”, “essaimer”, ainsi qu’on en fait en particulier usage à propos des abeilles. Le désir de former un essaim est par conséquent proprement le critère distinctif du fanatique. » (Gotthold E. Lessing, « Sur un problème qui vient à temps », in G. E. Lessings Leben [1795], trad. C. Coulombeau et G. Ephraïm, Les Études philosophiques, 2, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 161-171 ; p. 167).

10 Margaret A. Sullivan a récemment adopté cette interprétation : voir « Peasant and nestrobber : Bruegel as witness of his times », Journal of Historians of Netherlandish Art, vol.7, no2, 2015, p. 1-26 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.5092/jhna.2015.7.2.3.

11 Jürgen Müller, « Of Birdnesters and Godsearchers. A New Interpretation of Pieter Bruegel the Elder’s The Beekeepers », in Pieter Bruegel the Elder and Religion, Bertram Kaschek, Jessica Buskirk, et Jürgen Müller (dir.), Leyde, Brill, 2018, p. 35-56. Le rapport avec Michel-Ange a été établi par Charles de Tolnay, Die Zeichnungen Pieter Bruegels, Munich, R. Piper & Company, 1925, p. 77.

12 « Noé bâtit un autel qu’il consacra au Seigneur. […] Il prit une bête de chaque espèce considérée comme pure et les offrit au Seigneur sur l’autel en sacrifice entièrement consumé par le feu » (Genèse, 8, 20).

13 « Quand vous me présentez vos holocaustes et vos offrandes, je ne les agrée pas. Vos sacrifices de paix et vos bêtes grasses, je ne les regarde pas » (Amos, 5 : 22).

14 Érasme a lui aussi pris position contre les sacrifices et pour la piété intérieure, dans ses Paraphrases à l’Évangile de Marc (1523). Reprenant le discours de l’apôtre (12 : 29-34), il rejette le conformisme des rituels officiels, et insiste au contraire sur l’importance d’une pratique religieuse intimiste. Les oblations publiques sont d’autant plus superficielles que le sacrifice du Christ subsumerait tous les autres, scellant par son sang le lien intangible entre Dieu et les hommes.

15 Tels Charles de Tolnay, cité à la note 11, et Carl Gustaf Stridbeck (1956).

16 Le proverbe du dénicheur apparaît dans la Nef des Fous de Sebastian Brant (1494, ch. 36) ; la gravure donnée par Dürer figure un personnage maladroit laissant s’échapper les oiseaux, illustrant ainsi les égarés, les individus qui tombent dans l’erreur sans s’apercevoir qu’ils se perdent. Le voleur de nid moralise chez Brant la quête obstinée dans une mauvaise direction, causant les plus grands maux à l’Église. Mais le dénicheur d’essaims représenté par Bruegel ne ressemble en rien à ce fol hérétique, pécheur et maladroit. (Voir Fernando Canillas, « Pieter Bruegel the Elder. The Beekeepers and the Birdnester, c.1568 », Occupational Medicine, vol. 67, n5, 2017, p. 334-335 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.1093/occmed/kqx060).

17 Tavoillot, op. cit., p. 117.

18 « Par la Ruche qui est pleine de mouches à miel, nous est declarée leur merveilleuse industrie, qui fait dire au plus sage de tous les hommes : Va-t’en à l’abeille, qui t’apprendra combien elle est diligente & laborieuse en son ouvrage ». (Cesare Ripa, Iconologia, 1593, « L’Artifice » ; trad. 1643).

19 Michel de Montaigne, Les Essais, « De l’Institution des Enfans », 1580, I, xxvi.

20  Variante chez Léonard : « L’abeille se peut assimiler à la fraude, elle a le miel à la bouche et le venin au cul. » (Léonard de Vinci : les 14 manuscrits de l’Institut de France, Paris, éd. J. Péladan, 1910, p. 211, f. 49 vo).

21 « L’abeille symbolise le labeur et l’aptitude à vivre en société. Elle est l’emblème du Christ Sauveur : le miel, qu’elle produit, suggère douceur et miséricorde. Elle représente le Christ Juge : le venin, que contient son dard, évoque la sévérité de la Justice divine. Elle est le signe du Christ Lumière du Monde : la cire, qu’elle sécrète, est utilisée pour confectionner des cierges. Son intelligence apparaît comme une parcelle de la divine Intelligence. » (Michel Feuillet, Lexique des symboles chrétiens, Paris, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 2004, p. 7.)

22  Michel Weemans, « L’image double, piège et révélateur du visible », in Voir double. Pièges et révélations du visible, Michel Weemans, Dario Gamboni et Jean-Hubert Martin (dir.), Paris, Hazan, 2016, p. 9-32 ; 20).

23 « Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. Ainsi font les castors, ainsi font les abeilles, ainsi font les hommes. Le grand symbole de l’architecture, Babel, est une ruche. » (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831, III, i).

24 Voir James Dauphiné et Myriam Jacquemier (dir.), Babel à la Renaissance, Toulon, Eurédit, 1997. La redécouverte des Antiquités judaïques de Flavius Josèphe (I, iv, 3) a passionné les humanistes, et surtout les artistes. Entre le xvie et le xviie siècle, on ne recense pas moins de 463 représentations de la célèbre Tour (Hermann Minkowski, 1959).

25 Patrice de Moncan, Villes utopiques, villes rêvées, Paris, Éditions du Mécène, « La ville retrouvée », 2003, p. 59. Dans La Petite tour de Babel (1568), Bruegel rend hommage à l’art des bâtisseurs : seul est montré le gigantesque édifice, sans le roi Nemrod et les maîtres d’ouvrage. Bruegel donne moins à voir l’échec de l’entreprise que la fascination suscitée par un bâtiment aussi inhabituel.

26 Voir les travaux de Maurice Olender et d’Umberto Eco.

27 Voir Éric Lysøe, « Babel ou la violence du Père : Bruegel, Poe, Borges », Creliana, no 6, 2006, p. 37-52 ; p. 40.

28 Philibert de l’Orme, Le Premier tome de l’Architecture, Paris, 1567. Reste que les abeilles ne sont pas toujours célébrées pour leur savoir-faire architectural ; comme le rappelle l’historienne Hélène Vérin, un lieu commun concurrent circule à la Renaissance : « Le pire architecte vaut mieux que l’abeille, parce qu’il a l’idée de la maison dans l’esprit avant de la construire. […] C’est dire qu’aucune d’entre elles n’a la représentation d’une fin ni d’un commencement. […] En quelque sorte, les abeilles qui construisent une ruche n’agissent pas collectivement mais sont comme des monades sans fenêtre. Cette explication de l’édification de la ruche est fort ancienne, et Daniele Barbaro la reprend dans son commentaire de Vitruve (1556). » (Hélène Vérin, « La réduction en art et la science pratique au xvie siècle », in Institutions et conventions. La réflexivité de l’action économique, Robert Salais, Élisabeth Chatel et Dorothée Rivaud-Danset (dir.), Paris, Éditions de l’EHESS, 1998, p. 119-144 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.10561).

29 Car le tableau offre une précise représentation du port d’Anvers au xvie siècle, de ses artisans, tailleurs de pierre ou maçons ; le mur d’enceinte est celui de la ville polyglotte où vivait alors l’artiste, et où affluaient des populations de toutes origines et confessions – catholiques, juifs, luthériens, calvinistes, anabaptistes…

30 « Voici que s’écroule Babylone, s’écroule Ninive, s’écroule Jérusalem, s’écroule Rome. En somme, tous les royaumes s’écroulent par la confusion des langues qui engendre la dissociation des esprits. » (Martin Luther, In primum librum Mosis enarrationes, 1544 (trad. Claude-Gilles Dubois, Mythe et Langage au seizième siècle, Bordeaux, Éditions Ducros, 1970). Dans le Livre de l’Apocalypse, xvii, la Grande prostituée, image du règne de Satan sur terre, a successivement qualifié Babylone, puis l’Empire romain. Sous la Réforme, elle incarne l’Église romaine et ses vices (corruption des papes et du clergé ; trafic des indulgences).

31 Par exemple, chez Homère : « Nestor tient des propos plus doux que le miel » (Iliade, v. 249).

32 Selon la Vie d’Ambroise, durant son sommeil, un essaim d’abeilles recouvrit la figure du nourrisson dans son berceau. En quittant son visage, les abeilles avaient laissé un peu de miel dessus. Ceci fut considéré comme le présage de sa grande éloquence… Ajoutons que dans les premiers bestiaires chrétiens (par exemple, dans le Physiologus), le miel est d’origine divine ; il évoque la douceur et la miséricorde des lectures spirituelles.

33 Gilles Lapouge, L’Âne et l’Abeille, Paris, Albin Michel, 2014.

34 Voir George Koppelman et Daniel Wechsler, Shakespeare’s Beehive. An Annotated Elizabethan Dictionary Comes to Light, New York, Axletree Books, 2014.

35 Voir Gene Kritsky et Daniel Mader, « The insects of Pieter Bruegel the Elder », American Entomologist, vol. 57, no 4, 2011, p. 245-251 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.1093/ae/57.4.245. Bruegel avait aussi de grandes connaissances en ornithologie et en botanique.

36 Karel van Mander, « Pieter Bruegel », in Les Vies des Illustres Peintres néerlandais et allemands (Het Schilder-Boeck), Harlem, 1604. Nous soulignons.

37 Christian Vohringer, Les Maîtres de l’art flamand : Bruegel l’Ancien, Potsdam, Ullmann, 2007, p. 112. Quant au goût de Bruegel pour les accumulations, les catalogues et les inventaires, il relève d’une copia propre à l’esprit humaniste qui se plaît à illustrer la varietas du monde et à rendre compte, dans son exhaustivité, de la prodigieuse richesse du réel (voir Umberto Eco, Vertige de la liste, Paris, Flammarion, 2009).

38 « Mais pour en estre mieux asseuré, marquerés sur le dos les Abeilles qui viendront à l’eau, & ce avec des longues pailles plongees dans de la peinture rouge, qu’à telle cause tiendrés là preste. Avec la patience de quelques heures, attendrés le retour de ces Abeilles marquees. » (Olivier de Serres, op. cit., p. 439). Columelle préconisait déjà de marquer les abeilles à la peinture ou à la craie.

39 Katharine Campbell, « Pigments and Pigment Making in Bruegel’s Time Period », Bulletin of the Detroit Institute of Arts, vol. 93, no1, 2019, p. 56-60 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.1086/707426. Avant l’invention de la peinture à l’huile par Jean Van Eyck, les artistes employaient une préparation à base d’eau, d’œuf, de miel et de gomme arabique. Bien que l’œuvre peint de Bruegel soit majoritairement à l’huile, il a également utilisé cette technique de tempera sur toile de lin.

40 Karel van Mander, op. cit. Voir aussi Denis Ribouillault, « Regurgitating Nature: On a Celebrated Anecdote by Karel van Mander about Pieter Bruegel the Elder », Journal of Historians of Netherlandish Art, vol. 8, no 1, 2016, p. 1-35 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.5092/jhna.2016.8.1.4.

41 Les naturalistes ont observé la régurgitation des abeilles depuis l’Antiquité. Pour Pline, le miel est une substance engendrée par l’air, une « liqueur onctueuse, sueur du ciel ou espèce de salive des astres », que les abeilles absorbent puis dégorgent par leur trompe (Hist. Nat., XI, xii, 2, éd. É. Littré). De son côté, Aristote explique que les abeilles ingurgitent le suc pour le transporter, puis le recrachent une fois arrivées à destination (Hist. Anim., V, xix ; IX, xxvii).

42 Ut sol suget apes, sic nobis comoda princeps : telle est la devise latine au revers de la médaille du Filarète, l’architecte florentin au service du duc de Milan Francesco Sforza, qui dit que l’artiste est une abeille et son commanditaire, le soleil qui la domine et la protège.

Illustrations

Fig. 1 : Anonyme, Apiculteur au travail.

Fig. 1 : Anonyme, Apiculteur au travail.

Xylographie illustrant une édition des Œuvres de Virgile, Grüninger, Strasbourg, 1502.

Bibliothèque de Genève, Archives A. & G. Zimmermann.

Fig. 2 : Apiculteur masqué.

Fig. 2 : Apiculteur masqué.

Xylographie extraite de la Cosmographia de Sebastian Münster, Bâle, 1548.

Fig. 3 : Albrecht Dürer, Vénus et Cupidon voleur de miel, 1514.

Fig. 3 : Albrecht Dürer, Vénus et Cupidon voleur de miel, 1514.

Plume, encre et gouache sur papier, 22 x 31 cm.

Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Fig. 4 : Pieter Bruegel et Pieter van der Heyden, Le Printemps, 1570 (détail).

Fig. 4 : Pieter Bruegel et Pieter van der Heyden, Le Printemps, 1570 (détail).

Gravure, Anvers, no d’inventaire C.2008.8.4.

Cassel, musée départemental de Flandre.

Fig. 5 : Pieter Bruegel, Les Apiculteurs.

Fig. 5 : Pieter Bruegel, Les Apiculteurs.

Vers 1568, dessin à la plume, 20,3 cm x 30, 9 cm.

Berlin, Staatliche Museen, Cabinet des estampes.

Fig. 6 : Apiculteurs, planche 83, Philips Galle d’après Jan van der Straet, vers 1578.

Fig. 6 : Apiculteurs, planche 83, Philips Galle d’après Jan van der Straet, vers 1578.

Gravure, tirée des Venationes Ferarum.

Amsterdam, collection privée.

 Fig. 7 : Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, Den Byencorf der H. Roomsche Kercke, door Philips Marnix Heer van St-Aldegond [La ruche de la Sainte Église romaine] 1569.

Fig. 7 : Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde, Den Byencorf der H. Roomsche Kercke, door Philips Marnix Heer van St-Aldegond [La ruche de la Sainte Église romaine] 1569.

Frontispice, détail de l’édition de 1648.

Fig. 8 : Hans Brosamer, Les sept têtes de Martin Luther.

Fig. 8 : Hans Brosamer, Les sept têtes de Martin Luther.

Bois gravé, frontispice de J. Cocleus, Leipzig, 1529. No d’inventaire : 1880,071 0.592.

Londres, © The Trustees of the British Museum.

Fig. 8 bis : Hans Brosamer, Les sept têtes de Martin Luther (détail).

Fig. 8 bis : Hans Brosamer, Les sept têtes de Martin Luther (détail).

Bois gravé, frontispice de J. Cocleus, Leipzig, 1529. No d’inventaire : 1880,071 0.592.

Londres, © The Trustees of the British Museum.

Fig. 9 : Michel-Ange, Le Sacrifice de Noé (détail), 1509.

Fig. 9 : Michel-Ange, Le Sacrifice de Noé (détail), 1509.

Fresque, Rome, chapelle Sixtine, Cité du Vatican.

Source : Wikimédia Commons.

Fig. 10 : Pieter Bruegel, Le Paysan et le Voleur de Nid (Le Dénicheur), 1568.

Fig. 10 : Pieter Bruegel, Le Paysan et le Voleur de Nid (Le Dénicheur), 1568.

Huile sur bois, 59,3 x 68,3 cm.

Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Fig. 11 : Hans Schäufelein, Le Christ et Zachée, 1514

Fig. 11 : Hans Schäufelein, Le Christ et Zachée, 1514

Plume et encre sur papier. Illustration de Das Plenarium oder Ewangely buoch…, Bâle, Adam Petri, 1514. Nd’inventaire : 1927,0614.225.

Londres, © The Trustees of the British Museum.

Fig. 12 : Pieter Bruegel (créateur), Pieter van den Heyden (graveur), L’Âne à l’école, 1557.

Fig. 12 : Pieter Bruegel (créateur), Pieter van den Heyden (graveur), L’Âne à l’école, 1557.

Dessin à la plume. No d’inventaire : 31897, 23,4 x 30,3 cm.

Musée Wittert, Liège.

Fig. 13 : Pieter Bruegel (créateur), Pieter van den Heyden (graveur), Les Tentations de saint Antoine, 1556. Détail.

Fig. 13 : Pieter Bruegel (créateur), Pieter van den Heyden (graveur), Les Tentations de saint Antoine, 1556. Détail.

Gravure sur cuivre.

Bâle, Kunstmuseum.

Fig. 14 : Philips Galle d’après Pieter Bruegel, Spes (L’espoir), 1560. Détail. Gravure. Hieronymus Cock (éditeur).

Fig. 14 : Philips Galle d’après Pieter Bruegel, Spes (L’espoir), 1560. Détail. Gravure. Hieronymus Cock (éditeur).

Numéro d’inventaire : 26.72.20.

Harris Brisbane Dick Fund, 1926, Metropolitain Museum of Arts, New York.

Fig. 15 : Pieter Bruegel, Le combat de Carnaval et Carême, 1559, huile sur bois. Détail.

Fig. 15 : Pieter Bruegel, Le combat de Carnaval et Carême, 1559, huile sur bois. Détail.

Numéro d’inventaire : GG 1016

Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Fig. 16 : Anonyme, caricature protestante du xvie siècle représentant l’Église catholique sous la double apparence du pape et du diable, huile sur toile.

Fig. 16 : Anonyme, caricature protestante du xvie siècle représentant l’Église catholique sous la double apparence du pape et du diable, huile sur toile.

Musée Catharijne Convent, Utrecht.

Fig. 17 : Pieter Bruegel et Pieter Van der Heyden, Superbia (L’Orgueil), 1557. Hieronymus Cock (éditeur).

Fig. 17 : Pieter Bruegel et Pieter Van der Heyden, Superbia (L’Orgueil), 1557. Hieronymus Cock (éditeur).

Gravure sur cuivre. 229 x 296 mm.

Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier, ensemble et détail.

Fig. 17bis : Pieter Bruegel et Pieter Van der Heyden, Superbia (L’Orgueil), 1557. Hieronymus Cock (éditeur). Détail.

Fig. 17bis : Pieter Bruegel et Pieter Van der Heyden, Superbia (L’Orgueil), 1557. Hieronymus Cock (éditeur). Détail.

Gravure sur cuivre. 229 x 296 mm.

Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier.

Fig. 18 : Pieter Bruegel, Dulle Griet ou Margot l’Enragée [restaurée], 1561.

Fig. 18 : Pieter Bruegel, Dulle Griet ou Margot l’Enragée [restaurée], 1561.

Huile sur panneau. Numéro d’inventaire : MMB.0045. 115 x 161 cm.

Anvers, Musée Mayer van den Bergh.

Fig. 18 bis : Pieter Bruegel, Dulle Griet ou Margot l’Enragée [restaurée], 1561. Détail.

Fig. 18 bis : Pieter Bruegel, Dulle Griet ou Margot l’Enragée [restaurée], 1561. Détail.

Huile sur panneau. Numéro d’inventaire : MMB.0045. MMB.0045. 115 x 161 cm.

Anvers, Musée Mayer van den Bergh.

Fig. 19 : Pieter Bruegel, La Grande tour de Babel, vers 1563.

Fig. 19 : Pieter Bruegel, La Grande tour de Babel, vers 1563.

Huile sur panneau de bois de chêne ; 114 x 155 cm.

Kunsthistorisches Museum, Vienne.

Fig. 20 : Pieter Bruegel, La Petite tour de Babel, vers 1568.

Fig. 20 : Pieter Bruegel, La Petite tour de Babel, vers 1568.

Huile sur panneau de bois de chêne ; 94 x 74 cm.

Musée Boijmans Van Beuningen.

Fig. 21 : Frontispice de John Baret : An Alvearie or Quadruple Dictionarie, continaing foure sundrie tongues: namelie, Engish, Latine, Greeke, and French […], Londres, Henricus Denhamus, 1580.

Fig. 21 : Frontispice de John Baret : An Alvearie or Quadruple Dictionarie, continaing foure sundrie tongues: namelie, Engish, Latine, Greeke, and French […], Londres, Henricus Denhamus, 1580.

Fig. 22 : Pieter Bruegel, La Chute des anges rebelles. Détail.

Fig. 22 : Pieter Bruegel, La Chute des anges rebelles. Détail.

Huile sur panneau de chêne, 1562 ; no d’inventaire : 584.

Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.

Citer cet article

Référence électronique

Irène SALAS, « L’apiculteur sans visage : Entomologie moralisée et poétique du minuscule chez Pieter Bruegel l’Ancien », Sociopoétiques [En ligne], 8 | 2023, mis en ligne le 19 octobre 2023, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1846

Auteur

Irène SALAS

E.H.E.S.S./Oxford

Droits d'auteur

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