Être apiculteur dans le Donbass : Les Abeilles grises d’Andreï Kourkov

Being a Beekeeper in the Donbass: The Grey Bees, by Andrei Kurkov

DOI : 10.52497/sociopoetiques.1892

Résumés

Dans Les Abeilles grises, roman paru début février 2022 chez Liana Levi, Kourkov brosse le portrait d’un homme ordinaire, Sergueï Sergeyich, fonctionnaire handicapé à la retraite, quitté par sa femme et entièrement dévoué à ses abeilles, qui donnent sens à sa vie : pour veiller sur ses ruches, il reste dans la « zone grise », no man’s land entre armée ukrainienne et séparatistes pro-russes, où il mène une vie précaire, sans électricité, ponctuée par les bombardements. Le roman se déroule en deux grands volets, de février à août, au rythme de la guerre et de l’activité des abeilles : elles hibernent d’abord en zone grise puis, la belle saison venue, en Crimée où le protagoniste les installe chez un collègue apiculteur tatar. S’il n’est pas rare de mettre en scène une figure d’apiculteur en temps de guerre, pour souligner le contraste entre la vie de la ruche et la folie des hommes, le personnage de Sergeyich mérite attention. Candide confronté à la violence et à l’absurde, ce héros tendre et solitaire est un cœur pur qui traverse les événements sans perdre son humanité. Le roman adopte son point de vue, et fait partager ses souvenirs, ses rêves, ses interrogations et son empathie pour les plus faibles lors des péripéties, parfois tragi-comiques, qui jalonnent son parcours. Les réflexions de celui qui est le plus souvent désigné comme l’apiculteur, attestent la mise en relation récurrente des abeilles et des hommes, au profit des premières.

In Les Abeilles grises (The Grey Bees), a novel published at the beginning of February 2022 by Liana Levi, Kourkov paints the portrait of an ordinary man, Sergueï Sergeyich, a disabled retired civil servant, left by his wife and entirely devoted to his bees, which give meaning to his life: to look after his hives, he stays in the "grey zone", a no-man’s-land between the Ukrainian army and the pro-Russian separatists, where he leads a precarious life, without electricity, punctuated by bombardments. The novel unfolds in two main parts, from February to August, to the rhythm of the war and the activity of the bees: first they hibernate in the grey zone and then, when the summer comes, in Crimea, where the protagonist moves them in with a fellow Tatar beekeeper. While it is not unusual to depict a beekeeper in wartime, to highlight the contrast between the life of the beehive and the madness of man, the character of Sergeyich deserves attention. A simpleton confronted with violence and absurdity, this tender, solitary hero is a pure heart who gets through events without losing his humanity. The novel takes his point of view, sharing his memories, his dreams, his questions and his empathy for the weakest in the events along the way, sometimes tragicomic. The thoughts of the man who is most often referred to as the beekeeper bear witness to the recurring relationship between bees and humans, to the benefit of the former.

Index

Mots-clés

apiculteur, guerre, Donbass, Crimée, nature, antihéros, humanité, tragi-comique

Keywords

beekeeper, war, Donbass, Crimea, nature, anti-hero, humanity, tragicomic

Plan

Dédicace

À Benja, qui m’a fait lire Kourkov.
À Sasha, l’ami ukrainien.

Texte

Écrivain ukrainien d’origine russe, Andreï Kourkov publie depuis quelque vingt-cinq ans des romans qui décrivent l’univers postsoviétique, des romans d’abord drôles, voire jubilatoires, puis de plus en plus marqués par l’inquiétude1. Lors des manifestations pro-européennes de Kiev pendant l’hiver 2013-2014, il cesse d’écrire de la fiction et rédige son Journal de Maidan pour témoigner du nouveau « tourbillon de l’histoire2 » qui affecte son pays et se soldera par l’annexion de la Crimée et le conflit du Donbass, entre armée ukrainienne et séparatistes russes. Son retour à la fiction s’effectue deux ans plus tard, après un voyage dans cette région, comme il l’écrit dans la préface des Abeilles grises :

J’ai vu la guerre devenir la norme, j’ai vu les gens essayer de l’ignorer, apprendre à vivre avec elle comme s’il s’agissait d’un voisin bruyant et ivre. Tout cela m’a fait une si forte impression que j’ai décidé d’écrire un roman. Je ne me concentrerais pas sur les opérations militaires et les soldats héroïques, mais sur les gens ordinaires que la guerre n’a pas réussi à chasser de chez eux3.

Tel est l’argument du roman publié en 2018 et paru en France début février 20224, deux semaines avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Kourkov y dresse le portrait d’un homme ordinaire, Sergueï Sergueïtch, un apiculteur entièrement dévoué à ses abeilles qui, pour s’occuper d’elles, continue à vivre dans le no man’s land de la « zone grise » entre les deux camps de combattants, dans l’oblast de Donetsk. Être apiculteur en temps de guerre n’est pas rare en littérature5 et permet de mettre en regard l’organisation immuable de la ruche et la folie dévastatrice des hommes, comme Alain Montandon vient de le montrer. Le roman se déroule en deux grands volets, de février à août, au rythme de la guerre et de l’activité des abeilles : elles hibernent d’abord en zone grise puis, la belle saison venue, Sergueïtch les embarque vers le sud-ouest du pays pour leur offrir une zone de butinage plus favorable.

Pour nous attacher à ce personnage d’apiculteur particulier, nous l’envisagerons d’abord à partir du chronotope qui situe l’action dans un contexte aussi violent qu’absurde, en temps de guerre, dans un pays occupé. Le roman adopte le point de vue de Sergueïtch, héros solitaire au cœur pur qui vit pour ses abeilles et traverse les événements avec un certain détachement, sans perdre pour autant son humanité. Sa fonction d’apiculteur prend aussi une dimension symbolique car ses réflexions attestent la mise en relation récurrente des abeilles et des hommes.

Un contexte : le Donbass, la Crimée, février-août 2017

Le roman se découpe en 74 brefs chapitres et les 31 premiers se déroulent dans le petit village de Mala Starogradivka (il n’y a que deux rues), dans la zone grise, censée être neutre, mais en réalité sous pression de la guerre toute proche. L’église a été bombardée, le village dévasté, les habitants ont fui, et ils ne sont plus que deux à refuser de déménager : Sergueïtch et son « ennemi d’enfance6 » Pachka ne s’étaient pas adressé la parole depuis quatre décennies, mais il a bien fallu qu’ils nouent une relation, en tant que compagnons d’infortune. Si le terrain du jardinier de Tarente n’est qu’un modeste lopin « de mauvaises terres, impropres aux cultures comme aux pâtures7 », le territoire de Sergueïtch est encore moins favorisé, mais c’est sa maison d’enfance – il n’a d’ailleurs jamais quitté le Donbass – et surtout le lieu où il s’occupe de ses abeilles. C’est pour elles qu’il reste et affronte les conditions de vie précaires d’un « habitant de la guerre » (p. 1798), comme il se désigne.

La guerre n’avait pas fait naître chez Sergueïtch de peur pour sa vie. Elle avait fait naître chez lui une certaine incompréhension ainsi qu’une brusque indifférence à tout ce qui l’entourait. C’était comme s’il avait perdu tout sentiment, hormis un seul : celui de sa responsabilité. Et encore, ce sentiment-là, capable de susciter de l’inquiétude à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, il ne l’éprouvait qu’à l’égard de ses abeilles (p. 9). 

La première partie du roman décrit son existence, aussi hasardeuse que monotone, ponctuée de rares visites et de brefs déplacements alentour alors qu’il est terré dans sa maison sous le régime de la guerre, à l’écoute des bombardements. La guerre est omniprésente, jour et nuit, en son et lumière, avec ses dégradations – les trous d’obus, les vitres explosées – et avec ses figures : un sniper, des soldats, un corps d’on ne sait quel camp abandonné dans la neige. À Mala Starogradivka, l’électricité est coupée, il n’y a plus de courrier, et l’apiculteur n’a pas touché sa retraite depuis trois ans. Les deux habitants reçoivent parfois une aide humanitaire de la part des baptistes qui leur livrent du charbon et des vivres gratuitement. Sergueïtch redoute qu’un obus perdu ne tombe sur la grange dans laquelle il abrite les six ruches qu’il a fabriquées lui-même et dont il a protégé les parois avec du feutre et des plaques de fer. Kourkov décrit les rituels de cet hiver inhospitalier, le froid, la frugalité des repas, le thé, la vodka et le ratafia au miel que l’on offre au visiteur, ou que l’on boit seul, pour se réchauffer. Chacun des deux « habitants de la guerre » l’habite à sa façon : Pachka s’acoquine avec les séparatistes qui lui procurent différents avantages matériels (nourriture, électricité) ; de son côté, Sergueïtch entre en relation avec Petro, un jeune soldat de l’armée ukrainienne qui, pour le remercier de son hospitalité lui offre, lors de sa première visite, une grenade – la grenade qui s’affiche sur l’image en première de couverture et que Sergueïtch égare après une soirée trop arrosée.

C’est aussi pour ses abeilles qu’il décide de partir quand arrive le printemps :

Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part […]. Voilà pourquoi il était en route, pourquoi il les transportait. Il les conduisait là où régnait le calme, là où l’air s’emplissait peu à peu de la douceur des fleurs des champs, où la symphonie de ces fleurs serait bientôt soutenue par celle des cerisiers, pommiers, abricotiers et acacias (p. 180).

La transhumance des abeilles s’effectue avec autant de précautions que le préconise Columelle cité par les frères Tavoillot : « l’agronome romain conseille de construire des ruches faciles à transporter, énonce des recommandations pour faire ces voyages sans nuire aux abeilles9 ». Sergueïtch les charge sur la remorque accrochée à sa vieille Lada et son voyage se déroule en deux étapes. Il séjourne d’abord dans l’oblast de Zaporijia, près de Vessele (à la bifurcation Marioupol-Vessele, il choisit la seconde direction à la fois parce que les camions vont plutôt de l’autre côté et parce que ce nom est synonyme de joie – en ukrainien, vessel signifie « mariage » et vessele « amusement »). Dans un deuxième temps, il transporte ses ruches en Crimée, à Kouïbychevo (qu’il préfère appeler Albat, de son nom tatar) où il espère retrouver Ahtem, un apiculteur tatar avec lequel il avait sympathisé lors d’un congrès dans le Donbass, vingt ans plus tôt. Il y reste trois mois, durée du visa octroyé par les autorités russes. À la dernière page, il reprend la route de son village en zone grise.

Bien que ces deux séjours permettent à Sergueïtch d’installer ses ruches dans la nature, au bénéfice de ses abeilles, la guerre ne se laisse pas oublier pour autant. À la première étape, où il noue une relation avec Galia, l’employée de l’épicerie, il suscite la réprobation des habitants qui voient en lui un réfugié et un profiteur. Après l’enterrement d’un soldat tombé au front, il est violemment agressé par un ancien des forces ukrainiennes qui brise toutes les vitres de sa voiture à coups de hache et fend l’une de ses ruches. Pour entrer en Crimée, territoire annexé par la Russie, il lui faut affronter la méfiance des barrages policiers et d’une administration tatillonne. Une fois installé chez les Tatars, dans la montagne, avec ses ruches, il connaît une brève pause en découvrant un cadre idyllique : « Au matin, quand il ouvrit les yeux, il ne doutait plus être tombé au paradis. Il avait atterri dans un conte de fées. […] Où l’air tintait d’invisibles clochettes. » (p. 259). Bercé par le chant des oiseaux, « l’esprit de Sergueïtch s’emplit d’une inexplicable certitude : celle que le pire était derrière lui, et qu’au-devant l’attendaient une paix méritée et une vie en accord avec les abeilles, et donc avec la nature » (p. 260). Mais il est à nouveau rattrapé par la situation politique car il découvre les persécutions subies par les Tatars en Crimée10 : son ami apiculteur a été enlevé, puis exécuté, son fils est arrêté – avec pour alternative la prison ou l’armée – et lui-même reçoit dans sa prairie la visite d’un fonctionnaire du FSB11, service de renseignement russe, successeur du KGB, qui vient examiner ses ruches et en confisque une pour vérifier son état au regard des consignes sanitaires. Tous ces épisodes illustrent le bandeau accrocheur apposé sur la couverture du roman lors de sa publication : « Quand le grand frère russe surveille ».

Être apiculteur en temps de guerre ne saurait être de tout repos, a fortiori lorsqu’on loge au cœur des combats et que les tentatives de donner aux abeilles des conditions de vie plus favorables révèlent que la gangrène de la guerre contamine tout le pays. Venons-en à présent à la singulière figure d’apiculteur mise en scène par Kourkov.

Portrait d’un apiculteur en antihéros, en loser, en étranger

Kourkov annonçait dans sa préface qu’il voulait écrire sur les gens ordinaires et Sergueïtch est bien un homme ordinaire, une figure d’antihéros. Il est souvent désigné par sa fonction, « l’apiculteur », comme si elle suffisait à le définir, pourtant rien n’est dit sur l’origine de cette vocation sans doute ancienne puisque vingt ans plus tôt il participait à un congrès sur l’apiculture. Il a 49 ans, c’est un ancien fonctionnaire, qui occupait un poste important, en tant qu’inspecteur de la sécurité dans les mines. Mais, atteint de silicose à l’âge de 42 ans, comme la plupart de ceux qui descendent dans les mines12, il a été mis à la retraite, avec une pension d’invalidité. Il vit seul, sa femme Vitalina l’a quitté six ans plus tôt, pour s’installer à Vinnytsia, une grande ville du centre de l’Ukraine, avec leur fille.

Elles s’étaient sauvées toutes deux un jour qu’il s’était rendu au marché de gros de Horlivka. Elles l’avaient laissé le cœur en miettes. Mais il avait tenu bon. […] Il avait continué à vivre. Une vie tranquille, à l’abri du besoin. Savourant l’été le bourdonnement des abeilles, et l’hiver le calme et le silence. […] Il aurait pu passer ainsi le reste de sa vie, mais le sort en avait décidé autrement. […] Une guerre avait éclaté, dont la cause pour Sergueïtch, depuis trois ans déjà, restait brumeuse (p. 31).

Victime collatérale d’une situation politique à laquelle il ne comprend goutte, Sergueïtch apparaît comme une parfaite figure de loser : non seulement, il avait déjà tout perdu, son métier et sa famille, mais la guerre aggrave le désastre de sa situation personnelle puisqu’il ne touche plus sa pension et qu’il vit, ou plutôt survit dans des conditions extrêmes. L’électricité coupée, il s’éclaire à la bougie – avec les cierges récupérés dans l’église détruite – et se nourrit essentiellement de vermicelle et de kacha, une sorte de bouillie de céréales. Privé de moyens de communication, puisqu’il ne peut pas recharger son portable, il n’a de relations qu’avec Pachka, des relations toujours tendues : quand Pachka commente les échanges de tir, mentionne ceux qu’il appelle « les nôtres » et, sommé de préciser, ajoute « ceux de Donetsk », donc les séparatistes, Sergueïtch lui répond « Mes “nôtres” sont dans la grange, je n’en connais pas d’autres. Toi non plus tu ne fais pas trop partie des “nôtres” pour moi ! » (p. 13). La formulation est sans ambiguïté, l’apiculteur choisit le parti des abeilles, lui qui veille quotidiennement sur leur hibernation, en attendant les beaux jours. Il subit la guerre sans la comprendre et le lecteur épouse son point de vue lors des différents épisodes qui ponctuent sa morne existence. Toutefois, après trois ans de guerre, il commence à se dire que si elle « devait se prolonger, il abandonnerait le village aux soins de Pachka et emmènerait ses abeilles – les six ruches – là où il n’y avait pas de guerre. Là où les champs n’étaient pas creusés de trous d’obus mais semés de fleurs sauvages ou de sarrasin » (p. 27).

Résidant en « zone grise », cette bande intermédiaire qui s’étire au long de la ligne de front, Sergueïtch semble aussi perdu que Fabrice à Waterloo, il entend les tirs et les bombardements sans savoir d’où et de quel camp ils viennent, et il craint surtout qu’ils ne perturbent ses abeilles. Après une nuit de bombardements intenses, au cours de laquelle il mesure son impuissance devant les abeilles terrifiées qui volent en tous sens en se cognant aux parois de leurs ruches, il prend la décision de partir. Homme sans qualités, Candide égaré dans la guerre, Sergueïtch est aussi un cœur pur, sensible au sort des victimes, qu’il s’agisse des soldats du Donbass ou des Tatars de Crimée. Quand il s’aperçoit que le corps d’un soldat mort reste depuis plusieurs jours à découvert, dans la neige, sans se soucier du camp auquel il appartient, il tente de convaincre Pachka de l’aider à l’enterrer : « Mais c’est un être humain ! […] Un être humain doit ou bien vivre ou bien reposer dans une tombe » (p. 23) ; devant son refus, faute de pouvoir déplacer le cadavre seul, il prend le risque de s’exposer et de ramper jusqu’à lui pour le recouvrir de neige, sur place. Mais le pathos ne l’emporte jamais, car Kourkov souligne souvent avec humour le caractère absurde des situations. Par exemple Sergueïtch décide un jour d’intervertir toutes les plaques des maisons des deux rues de Mala Starogradivka, la rue Chevtchenko13 (où habite Pachka) et la rue Lénine (où il habite lui-même), comme pour rattacher plus justement chacun d’eux à une figure symbolique : « Les poètes sont des gens inoffensifs. Pas comme les politiciens ! Désormais je vivrai rue Chevtchenko ! » (p. 109).

Sergueïtch s’apparente aussi au Meursault de Camus, tant il semble étranger aux situations, qu’elles soient triviales ou insolites. Kourkov met d’emblée en avant cette attitude : la guerre « avait fait naître chez lui une certaine incompréhension ainsi qu’une brusque indifférence à tout ce qui l’entourait » (p. 9). On se souvient de Meursault demandant deux jours de congé à son patron pour l’enterrement de sa mère : « il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : “Ce n’est pas de ma faute”. » De même, lorsque Sergueïtch rentre chez lui au dénouement et croise une colonne de véhicules militaires, il se justifie intérieurement : « Lui-même n’allait pas à la guerre, mais chez lui. Ce n’était pas sa faute si sa maison était actuellement située sur la ligne de front. Sa maison était au front, mais lui n’était pas mêlé aux combats. » (p. 386). Son étrangéité se marque a fortiori durant son voyage, et en particulier lorsqu’ils se trouve pris dans le cortège funéraire de l’homme tué dans le Donbass, sous le regard hostile des habitants du lieu, « comme si chacune de ces personnes lui marchait exprès dessus, comme s’il était étendu sur l’asphalte et mille fois piétiné en expiation d’on ne savait quels péchés. » (p. 226). L’expression de ce sentiment face à la foule rappelle la formule de Meursault à l’excipit de L’Étranger : « Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine14 ». Le statut d’étranger de Sergueïtch s’accentue en Crimée, en raison des liens qu’il entretient avec la famille de son ami tatar. À l’enterrement de ce dernier, un policier contrôle ses papiers en lui disant qu’« un chrétien n’a rien à faire ici » (p. 300). Lui-même se sent étranger chez ces gens dont il ne parle pas la langue, ne connaît pas les usages et ne comprend pas les rites : il se voit « comme une abeille égarée dans une ruche étrangère. Il savait le sort que les abeilles réservaient aux intruses » (p. 302).

Le lecteur s’attache au personnage dont il partage la vie intérieure, les souvenirs et les rêves qui occupent une place importante dans l’économie du livre, en particulier dans la première partie, où « Il n’avait rien à faire de particulier. À part méditer et passer en revue ses souvenirs. » (p. 122). Treize rêves sont relatés au fil du roman. Souvenirs et rêves revisitent, sur un mode nostalgique ou incongru les moments forts de sa vie, ses relations avec sa femme Vitalina – leur rencontre, leurs disputes – ou encore les séances d’apithérapie auxquelles venait se livrer le gouverneur de Donetsk en dormant sur ses ruches. La relation de ces moments met en valeur des épisodes tragi-comiques que Sergueïtch traverse avec le même détachement. Des souvenirs et des rêves dans lesquels les abeilles, comme dans sa vie, tiennent le premier rôle.

Des abeilles : un soutien, un axe, un miroir, un symbole

Si les abeilles occupent une place aussi importante dans la vie de Sergueïtch, c’est d’abord au plan matériel, en produisant le miel qui lui sert de monnaie d’échange pour assurer sa subsistance. Privé de pension, dans un dénuement total, il pratique le système de troc familier aux pays de l’Est grâce au miel de ses abeilles. Quand il décide d’aller chercher des œufs dans le village voisin pour améliorer son ordinaire, il ne manque pas de se munir d’un pot de miel en guise de rétribution. Le jour du départ vers l’ouest, en arrimant ses ruches sur sa remorque, il se dit :

Important également : ne pas oublier d’emporter une vingtaine de pots de miel. Le miel, en effet, c’était aussi de l’argent, le miel avait peut-être même davantage en commun avec l’argent que le saucisson ou les vêtements. Le saucisson comme les vêtements pouvaient varier en prix, alors que le miel, quel qu’il fût, de trèfle ou de sarrasin, gardait une valeur constante, comme le dollar (p. 168).

À la première étape de son voyage, il échange des pots de miel contre des provisions à l’épicerie. Puis l’employée de l’épicerie, Galia, l’aide à commercialiser son miel grâce à une ingénieuse campagne de publicité : elle fabrique des étiquettes affirmant qu’il s’agit de « miel antialcoolique » et le slogan remporte un tel succès qu’il permet à Sergueïtch de se renflouer.

C’est aussi grâce à ses abeilles qu’il peut s’éclairer en zone grise. Pendant des années, il avait offert sa récolte de cire au prêtre pour fabriquer des cierges. Après l’explosion et l’incendie qui ont réduit l’église en cendres, il est allé y récupérer deux caisses de cierges. « Il avait donné et donné, puis il avait reçu ce présent du Seigneur. Pile au bon moment : l’électricité venait d’être coupée. » (p. 25).

Autre atout vital, et parfois monnayable, le miel et les abeilles sont bons pour la santé. Dans Les Animaux ont une histoire, Robert Delort détaille différents usages curatifs du miel : « Le miel, ensemble mystérieux et divin qui enivre, adoucit, nourrit, a encore d’autres vertus : il guérit. Son usage comme médicament et comme traitement de toutes les affections est universel et, dans la plupart des cas, il faut le reconnaître efficace. » L’historien mentionne l’apithérapie à partir non seulement de la gelée royale, mais aussi, c’est moins attendu, à partir du venin d’abeilles, qui a un « pouvoir bénéfique sur arthritisme et rhumatismes » et qui stimule le cœur ; il ajoute que « Charlemagne aurait été guéri d’une crise de goutte par piqûre d’abeille15 ».

Le miel représente bien la panacée pour Sergueïtch, il soigne les rhumes, les états de faiblesse et même la gueule de bois qui l’affecte après avoir bu une vodka frelatée achetée avant la guerre :

Que faire à présent ? Pas de médicaments. Pas de médecin. Juste les remèdes produits par la ruche. L’épicerie était fermée depuis belle lurette. Il ne pouvait même pas aller insulter la vendeuse qui lui avait fourgué ce poison.
Sergueïtch fouilla dans le vaisselier et en tira une boîte de remèdes « apicoles ». Il ouvrit un petit pot de pain d’abeille fortement tassé. Il en détacha une boulette à l’aide d’une cuiller qu’il jeta dans une tasse. Il y ajouta de l’eau de la bouilloire et une cuillerée de miel. Il touilla le mélange jusqu’à ce qu’il fût homogène, puis le but à lentes gorgées.
Apparemment, c’était efficace. Soit que le bruit dans son crâne eût diminué, soit que ses idées eussent gagné en cohérence, et fussent à présent plus compréhensibles. La première qui lui vint aussitôt l’effraya : « La grenade, où est-elle ? » (p. 46).

C’est une autre forme d’apithérapie que pratique notre héros, en dormant sur ses ruches pour se remettre en forme16. Justement, il prévoit fin mars, avant son départ, de se ménager une couchette pour dormir plusieurs nuits au-dessus de ses abeilles. « Ça lui réussissait mieux que n’importe quel remède ! Mieux que les vitamines ! C’était comme se recharger d’une sorte d’électricité humaine. Cette électricité qui allume non pas les ampoules mais le regard de l’homme, et l’allume si bien qu’il voit plus loin qu’à l’ordinaire » (p. 74). Sergueïtch avait découvert cet usage des abeilles dans une revue d’apiculture et il a plaisir à se souvenir des visites du gouverneur du Donbass qui venait dormir sur ses ruches, dix ans avant la guerre, et qui lui laissait des liasses de dollars et de la vodka en remerciement. Les visites de ce prestigieux personnage avaient auréolé Sergueïtch d’une telle réputation que des particuliers se présentaient régulièrement à sa porte « pour dormir sur “les abeilles du gouverneur” » (p. 30). L’apiculteur éprouve à nouveau lui-même l’efficacité de ce remède lorsqu’il se retrouve le bras paralysé, le lendemain du jour où le FSB a confisqué l’une de ses ruches. Il s’installe sur les cinq ruches restantes et, le corps vibrant sur le bourdonnement des abeilles, il s’abandonne au sommeil et au rêve. Lorsqu’il se réveille le lendemain, le miracle a eu lieu, son bras lui obéit à nouveau.

Si les abeilles soignent Sergueïtch, c’est pour elles qu’il veille à se maintenir en forme car la hantise de leur manquer est récurrente tout au long du roman. Par exemple, lorsqu’il tombe malade après avoir enterré le soldat dans la neige : « C’est qu’il était responsable de sa santé, non seulement devant lui-même, mais aussi devant ses abeilles ! Qu’il lui arrive quoi que ce soit, et elles périraient dans toute leur multitude, or l’idée de devenir, même contre sa volonté, l’assassin de centaines de milliers d’âmes abeillines lui était absolument intolérable. Pareil péché, pareil poids le rattraperaient même au-delà de la mort » (p. 51). Cette angoisse le saisit à nouveau après la mort de l’apiculteur tatar : « une douleur aiguë lui perça brutalement le cœur. […] Il songea qu’il n’avait pas de fils, et que s’il lui arrivait quelque chose, ses abeilles resteraient orphelines. Elles mourraient victimes de maladies ou de parasites, ou bien dépériraient par manque d’attention » (p. 313). Sa relation aux abeilles est faite de sollicitude et de mimétisme ; il leur parle, il est à leur écoute : « La paroi de la ruche, c’était comme un tympan d’oreille, une oreille qui se fût trouvée de l’autre côté. » (p. 115) ; lorsqu’il a « le moral au plus bas » lors d’un contrôle de douane, « le bourdonnement des ruches lui par[aî]t fatigué, désespéré » (p. 178). On retrouve ici l’effet-miroir analysé par les frères Tavoillot :

Tout se passe comme si le spectacle de la ruche était une sorte d’« exercice spirituel » qui, en nous sortant du quotidien, nous conduit à interroger la condition humaine dans toutes ses dimensions. D’emblée la ruche est décrite en miroir : l’abeille permet de penser l’homme comme l’homme permet de penser l’abeille17.

Il se trouve que plusieurs des romans de Kourkov mettent un animal en exergue, à commencer par Le Pingouin, son premier succès, dans lequel Victor, le protagoniste, a pour animal de compagnie un pingouin récupéré au zoo de Kiev, et qu’il souhaite libérer en le renvoyant sur sa banquise. Au dénouement, traqué par la mafia, Victor se présente à la place de l’animal attendu sur le bateau en partance pour l’Antarctique et il déclare à l’équipage : « Le pingouin, c’est moi18 ». La formule flaubertienne sied aussi à Sergueïtch qui s’identifie à ses abeilles, comme lui victimes collatérales de la guerre. Il en vient même à penser qu’ils « formaient une seule famille et parlaient le même langage. […] Il n’avait plus d’autre famille à présent que ses abeilles. » (p. 261). En effet, il renonce deux fois à l’amour, à leur profit. Au début de son idylle avec Galia qui l’a invité à dîner et dont il partage le lit pour la première fois, lorsqu’il se réveille à quatre heures du matin, « Il réfléchit à ses abeilles laissées sans surveillance. À elles précisément, et non à la remorque ou à ses affaires bien plus faciles à voler. À cet instant il ne nourrissait d’inquiétude que pour elles, car sans elles sa vie perdait tout son sens » (p. 201). Il part aussitôt les retrouver, comme pour conforter la croyance mentionnée par Robert Delort selon laquelle, « pour éviter le dard des abeilles, l’apiculteur doit se protéger des flèches d’Éros, en tout cas s’abstenir de faire l’amour tout autant que de s’enivrer, de consommer ail, oignons ou salaisons19 ». Après la Crimée, il n’ira pas retrouver Galia qui envisageait de partager sa vie. De même, au dénouement, alors que ses relations avec Vitalina, son épouse, se sont apaisées, et qu’il pourrait la rejoindre pour vivre dans une ville en paix et tenter de reconstruire leur couple, il choisit de rentrer chez lui en zone grise, avec et pour ses abeilles.

Pourtant, ses abeilles sont elles aussi affectées, et même infectées par la guerre, ce qui nous conduit à revenir au titre du roman, Les Abeilles grises. Michel Pastoureau classe le gris parmi les « demi-couleurs20 », avec le violet, le rose, l’orangé et le marron. Mais alors que ces autres couleurs sont désignées par un nom de fleur ou de fruit, le gris « n’a pas de référents », il « a un statut à part ». S’il a pu être considéré positivement en d’autres temps, par exemple au Moyen Âge, à présent « il évoque la tristesse, la mélancolie, l’ennui, la vieillesse21 », tous termes qui conviennent à la situation et à l’humeur de notre apiculteur. Le gris est un leitmotiv du roman, et au premier chef, tout au long de son séjour en « zone grise » puisque le gris, cette couleur qui n’en est pas tout à fait une, qualifie aussi le statut incertain de la zone intermédiaire située entre les deux camps de belligérants. De plus, le territoire de Sergueïtch est gris au sens propre, en tant que paysage de région minière, avec ses crassiers, comme le souligne le titre d’un autre roman contemporain qui se déroule dans le Donbass, Anthracite de Cédric Gras22. La prédilection de Sergueïtch pour l’univers des abeilles et l’« or liquide » du miel souligne le contraste avec le cadre de son univers professionnel marqué par l’obscurité de la mine et la noirceur du charbon. Les descriptions entomologiques du monde des abeilles font état d’insectes de différentes couleurs, mais dans l’imaginaire collectif, c’est sans doute l’Apis Mellifera Ligustica, de couleur jaune, qui l’emporte. Or, à plusieurs reprises Sergueïtch se trouve confronté à des abeilles grises, et d’abord en rêve, après l’enterrement de son ami Ahtem, où il fait un « rêve affreux », une projection psychique digne des visions de « L’Insecte noir dans la littérature de science-fiction » relevées par André Siganos dans ses Mythologies de l’insecte23. Dans ce rêve, « Il vivait sous terre, dans une mine – une mine abandonnée » avec ses six ruches :

Il voyait des abeilles partir, il en voyait d’autres arriver, qui s’abattaient pesamment sur la planche, alourdies par le pollen récolté. Seulement c’était du pollen noir qu’elles rapportaient, noir comme du charbon. Et Sergueïtch les observait, mais sans comprendre. Les abeilles, peut-être à cause de la faiblesse de l’éclairage, lui paraissaient tantôt grises, tantôt noires comme de grosses mouches d’automne. Et seul leur bourdonnement, qu’il n’aurait jamais confondu avec celui d’autres insectes, lui indiquait que ce n’étaient pas des mouches, mais bel et bien des abeilles (p. 306-307).

Lorsque le FSP lui rapporte la ruche confisquée et finalement déclarée saine, Sergueïtch s’inquiète plutôt pour celle qui avait été fendue d’un coup de hache. Il observe que l’un des faux-bourdons chassés de la ruche a « perdu ses vives couleurs pour devenir gris » (p. 364). Le lendemain, il découvre que la ruche est vide, les abeilles ont essaimé et il réussit à grand-peine à les récupérer :

Avant de refermer le toit de la ruche, Sergueïtch se prit à réfléchir. Un détail lui paraissait étrange. Il se pencha à nouveau sur ses pensionnaires. « Elles ont l’air toutes grisâtres ! Peut-être parce qu’elles sont mouillées ? » (p. 371).

Lors du voyage retour, il s’arrête au bord de la route pour faire une sieste et voit en rêve le toit de la ruche confisquée s’ouvrir et « une abeille grise s’en extraire, une abeille géante de la taille d’un être humain », puis d’autres la suivent, « courbées en avant comme des soldats partant en reconnaissance. À un moment donné, Sergueïtch comprit qu’elles étaient grises parce qu’on leur avait passé une combinaison de camouflage, […] un vêtement militaire » (p. 383-384). À son réveil, aux prises avec un violent malaise, il décide de réparer la ruche cassée et entend un son étrange « comme si un objet lourd avait roulé contre le bois » (p. 385) et il trouve, ou plutôt retrouve la grenade égarée plusieurs mois auparavant. Le voyage se poursuit sous l’emprise de cet objet au contact brûlant et à l’aspect menaçant. Sergueïtch rêve à nouveau d’abeilles géantes, un rêve qui lui dicte la décision à prendre : « C’est encore d’elles que j’ai rêvé. Non, tous ces rêves ont un sens. Dieu nous souffle à travers les rêves la conduite à tenir » (p. 395). Il transporte la ruche dans un champ à une centaine de mètres, soulève le toit pour regarder les abeilles et « là encore, elles lui parurent grises ». Les événements récents ont semé le doute dans l’esprit de l’apiculteur et ébranlé sa confiance dans ses abeilles. Pris de peur, il les considère d’un nouvel œil, en tant qu’« armes de guerre biologique », à l’image des épisodes de « guerre entomologique » qui se sont déroulés au cours de l’histoire, comme le raconte Christophe Bouget dans Secrets d’insectes24. Sergueïtch se demande si elles ont été contaminées pour qu’il introduise leur maladie en Ukraine, ou bien si elles ont été modifiées à des fins d’espionnage :

« Si ça trouve, ils ont monté dedans je ne sais quel machin électronique. Pour me surveiller et surveiller notre guerre ? »
La peur brilla dans ses yeux et son cœur se mit à battre plus vite. Il se rappela une émission à la télévision russe. Sur de minuscules appareils impossibles à voir à l’œil nu. On leur donnait même un drôle de nom : les « nana », les « nanatechnologies », ou quelque chose comme ça (p. 396).

Il lance alors la grenade sur la ruche.

Sergueïtch aura donc traversé lui-même la guerre avec une arme cachée au milieu de ses abeilles, un symbole de mort et de destruction au cœur de l’organisation impeccable de la ruche, et au risque de l’explosion à chaque manipulation. Lui, le pacifique, aura été à son tour contaminé par la terreur, jusqu’à imaginer ses abeilles enrégimentées et vêtues de gris comme les personnages atteints de rhinocérite dans la pièce de Ionesco. En se débarrassant du même coup de l’encombrante grenade et de la ruche douteuse, il parvient à se réconcilier avec ses abeilles et à reprendre le cours de sa vie. Pour rentrer en zone grise, où seul Pachka l’attend.

On se souvient que Nicolas Gogol, le plus célèbre des écrivains ukrainiens, se dissimulait sous le pseudonyme d’un apiculteur, « Panko le rouge, éleveur d’abeilles », pour signer sa première œuvre, Les Soirées du hameau25, un recueil de contes inspiré du folklore ukrainien. Si certains des romans de Kourkov ont joué à perpétuer la veine de Gogol, tissée d’humour et de fantastique, le ton de son dernier roman accuse le poids des circonstances qui l’ont vu naître. Les Abeilles grises est la fois l’histoire d’un homme quelconque pris dans un entrelacs d’événements qui le dépassent et une fable sur la guerre dans laquelle les abeilles jouent le premier rôle pour ausculter les émotions et les sentiments du protagoniste. Ainsi, comme l’écrivent les frères Tavoillot, « bonne à tout faire et à tout penser26 », « l’abeille est perçue comme une sorte de miroir de l’humanité et un baromètre de son destin. Un miroir magique en quelque sorte, qui détiendrait la triple faculté de refléter, de modifier et de prédire la vie des hommes27. » Aux prises avec des événements incompréhensibles, l’apiculteur choisit la sagesse de la nature à laquelle il trouve du sens : « La sagesse de la nature, voilà ce qui enchantait Sergueïtch. Partout où la sagesse de la nature lui était apparente et intelligible, il en comparait les manifestations avec l’existence humaine. Il les comparait et ce n’était pas à l’avantage de la seconde » (p. 364). Pourtant, dans le contexte mortifère de la guerre et au prix d’une inversion des valeurs insupportable pour l’apiculteur amoureux de ses abeilles, l’insecte historiquement positif, généreux et salutaire apparaît à son tour menacé et contaminé.

En conclusion de la préface de l’édition anglaise, en 2020, Kourkov écrivait : « J’espère sincèrement que la guerre laissera les habitants de la zone grise tranquilles – qu’elle s’en ira, et que le miel fabriqué par les abeilles du Donbass perdra son arrière-goût amer de poudre à canon28. » On sait à présent quel démenti l’histoire immédiate a infligé à ce vœu et qu’il y a lieu de nourrir aujourd’hui les plus vives inquiétudes pour les abeilles du Donbass, s’il reste encore des abeilles sur ce territoire.

1 Voir notre contribution au n° 3 de la collection « Séries policières » dirigée par Isabelle Rachel Casta chez Garnier : « Aux marges du polar, au

2 Andreï Kourkov, Journal de Maidan, trad. du russe Paul Lequesne, Paris, Liana Levi, 2014, p. 8.

3 Andreï Kourkov, « Foreward », Grey Bees, trad. du russe Boris Dralyuk, Londres, MacLehose Press, 2020 [Moscou, Serye pchely, 2018], édition

4 Andreï Kourkov, Les Abeilles grises, trad. du russe Paul Lequenne, Paris, Liana Levi, 2022 [2018, серые пчёлы].

5 Pour ne citer que les titres les plus récents, voir L’Apiculteur d’Alep de Christy Lefteri, Paris, Seuil, 2020 ; L’Amas ardent de Yamen Manaï

6 En anglais, le traducteur emploie le mot-valise oxymorique frennemy.

7 Pierre-Henri Tavoillot et François Tavoillot, L’Abeille (et le) Philosophe. Étonnant voyage dans la ruche des sages, Paris, Odile Jacob, « Essais »

8 Pour éviter de multiplier les notes, nous indiquerons simplement les numéros de pages entre parenthèses.

9 Ibid., p. 90.

10 Voir Vladislava Sergienko et Joseph Martinetti, « La question de Crimée : un cas d’école pour l’analyse géopolitique ? », Cahiers de la

11 Le FSB ou Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie est un service de renseignement de la Russie, chargé des affaires de sécurité

12 Voir Emmanuel Schreiber, « Impressions du Donbass assiégé », Les Temps modernes, n° 683, 2015, p. 256-274 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917

13 Taras Chevtchenko (1814-1861) est considéré comme le plus grand poète romantique de langue ukrainienne. Il symbolise le réveil de l’esprit

14 Albert Camus, L’Étranger, Paris, Gallimard, 1957.

15 Robert Delort, Les Animaux ont une histoire, Paris, Seuil, 1984, p. 212.

16 Sur le site de France-info, un reportage évoque cette pratique venue des pays slaves : « Ce sont les microvibrations émises par les battements d’

17 Pierre-Henri et François Tavoillot, op. cit., p. 238.

18 Andreï Kourkov, Le Pingouin trad. du russe Nathalie Amargier, Paris, Liana Levi, 2000[Smert postoronnevo,1996], p. 273.

19 Robert Delort, op. cit., p. 199.

20 Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, Le Petit Livre des couleurs, Paris, Éditions du Panama, 2005, p. 112.

21 Ibid., p. 116.

22 Cédric Gras, Anthracite, Paris, Stock, 2016.

23 André Siganos, Les Mythologies de l’insecte. Histoire d’une fascination, Paris, Librairie des Méridiens, 1985, p. 99-107.

24 Christophe Bouget, Secrets d’insectes. 1001 curiosités du peuple à six pattes, Versailles, Éditions Quae, 2016, p. 276-277.

25 Nicolas Gogol, Les Soirées du hameau, trad. du russe de Michel Aucouturier, Paris, Gallimard, « Folio », 1989 [1831].

26 Pierre-Henri et François Tavoillot, op. cit., p. 236.

27 Ibid., p. 10.

28 Andrei Kurkov, Grey Bees, « Foreward », op. cit., « I sincerely hope the war leaves the residents of the grey zone alone – that it goes away, and

Notes

1 Voir notre contribution au n° 3 de la collection « Séries policières » dirigée par Isabelle Rachel Casta chez Garnier : « Aux marges du polar, au cœur de l’Ukraine, avec Andreï Kourkov », in À l’est de la planète polar, Paul Bleton (dir.), Paris, Classiques Garnier, « La revue des Lettres modernes », 2023-1, p. 75-90.

2 Andreï Kourkov, Journal de Maidan, trad. du russe Paul Lequesne, Paris, Liana Levi, 2014, p. 8.

3 Andreï Kourkov, « Foreward », Grey Bees, trad. du russe Boris Dralyuk, Londres, MacLehose Press, 2020 [Moscou, Serye pchely, 2018], édition numérique pour Kindle, Hachette UK Company : « I saw war becoming the norm, saw people trying to ignore it, learning to live with it as if it were a rowdy, drunken neighbour. This all made such a deep impression on me that I decided to write a novel. Il would focus not on military operations and heroic soldiers, but on ordinary people whom war had failed to force from their homes. » Notre traduction. Ce texte ne figure pas dans l’édition française.

4 Andreï Kourkov, Les Abeilles grises, trad. du russe Paul Lequenne, Paris, Liana Levi, 2022 [2018, серые пчёлы].

5 Pour ne citer que les titres les plus récents, voir L’Apiculteur d’Alep de Christy Lefteri, Paris, Seuil, 2020 ; L’Amas ardent de Yamen Manaï, Paris, J’ai lu, 2017 ; Les Abeilles d’hiver de Norbert Scheuer, Arles, Actes Sud, 2021.

6 En anglais, le traducteur emploie le mot-valise oxymorique frennemy.

7 Pierre-Henri Tavoillot et François Tavoillot, L’Abeille (et le) Philosophe. Étonnant voyage dans la ruche des sages, Paris, Odile Jacob, « Essais », 2017, p. 69.

8 Pour éviter de multiplier les notes, nous indiquerons simplement les numéros de pages entre parenthèses.

9 Ibid., p. 90.

10 Voir Vladislava Sergienko et Joseph Martinetti, « La question de Crimée : un cas d’école pour l’analyse géopolitique ? », Cahiers de la Méditerranée, n101, 2020, [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/cdlm.13893 [consulté le 06 juin 2022].

11 Le FSB ou Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie est un service de renseignement de la Russie, chargé des affaires de sécurité intérieure. Le FSB est le principal successeur du KGB soviétique, dissous en novembre 1991 après le putsch de Moscou. Le siège du FSB est situé à la Loubianka, à Moscou.

12 Voir Emmanuel Schreiber, « Impressions du Donbass assiégé », Les Temps modernes, n° 683, 2015, p. 256-274 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.3917/ltm.683.0256 [consulté le 3 juin 2022].

13 Taras Chevtchenko (1814-1861) est considéré comme le plus grand poète romantique de langue ukrainienne. Il symbolise le réveil de l’esprit nationaliste ukrainien au xixe siècle. L’université de Kiev porte son nom. Dans Le Caméléon (2000), Kourkov construit une intrigue centrée sur les manuscrits du poète.

14 Albert Camus, L’Étranger, Paris, Gallimard, 1957.

15 Robert Delort, Les Animaux ont une histoire, Paris, Seuil, 1984, p. 212.

16 Sur le site de France-info, un reportage évoque cette pratique venue des pays slaves : « Ce sont les microvibrations émises par les battements d’ailes des abeilles qui agiraient notamment sur les tensions musculaires. Mais il n’existe aucune donnée médicale à proprement parler pour l’instant. Néanmoins leur bourdonnement ajouté à l’odeur de pollen et de propolis aideraient quant à eux à la relaxation. », « Pyrénées-Atlantiques : découvrez le secret et les bienfaits de l’apithérapie », Franceinfo, 30/09/2019 [En ligne] URL : https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/pyrenees-atlantiques/pau/pyrenees-atlantiques-decouvrez-secrets-bienfaits-apitherapie-1729855.html [consulté le 6 juin 2022].

17 Pierre-Henri et François Tavoillot, op. cit., p. 238.

18 Andreï Kourkov, Le Pingouin trad. du russe Nathalie Amargier, Paris, Liana Levi, 2000 [Smert postoronnevo,1996], p. 273.

19 Robert Delort, op. cit., p. 199.

20 Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, Le Petit Livre des couleurs, Paris, Éditions du Panama, 2005, p. 112.

21 Ibid., p. 116.

22 Cédric Gras, Anthracite, Paris, Stock, 2016.

23 André Siganos, Les Mythologies de l’insecte. Histoire d’une fascination, Paris, Librairie des Méridiens, 1985, p. 99-107.

24 Christophe Bouget, Secrets d’insectes. 1001 curiosités du peuple à six pattes, Versailles, Éditions Quae, 2016, p. 276-277.

25 Nicolas Gogol, Les Soirées du hameau, trad. du russe de Michel Aucouturier, Paris, Gallimard, « Folio », 1989 [1831].

26 Pierre-Henri et François Tavoillot, op. cit., p. 236.

27 Ibid., p. 10.

28 Andrei Kurkov, Grey Bees, « Foreward », op. cit., « I sincerely hope the war leaves the residents of the grey zone alone – that it goes away, and that the honey made by the bees of Donbas loses its bitter aftertaste of gunpowder. » (Notre traduction).

Citer cet article

Référence électronique

Christiane CONNAN-PINTADO, « Être apiculteur dans le Donbass : Les Abeilles grises d’Andreï Kourkov », Sociopoétiques [En ligne], 8 | 2023, mis en ligne le 19 octobre 2023, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1892

Auteur

Christiane CONNAN-PINTADO

Plurielles, Université de Bordeaux

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