Le Phalanstère

Construction utopique et contre-utopique

DOI : 10.52497/sociopoetiques.232

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Mots-clés

phalanstère, socialisme utopique, dystopie, Crystal Palace, totalitarisme

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Texte

Fig. 1 : L’avenir. Perspective d’un Phalanstère ou Palais Sociétaire dédié à l’humanité.

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Lithographie. Bordeaux, Imprimerie et lithographie de H. Faye, s. d. [vers 1840] de Charles Fourier et J. Hervé. Paris, BnF, Littérature et Art, Z-286 (15) 56 x 77 cm. Domaine public.

Le phalanstère, modèle architectural français d’une communauté socialiste imaginé par Charles Fourier afin de séculariser la société à l’heure du progrès industriel, est devenu le symbole contre-utopique du totalitarisme dans la littérature russe puis dans la dissidence soviétique.

Comment le modèle architectural français a-t-il nourri l’imaginaire social russe ?

La présente contribution propose d’étudier le rapport entre l’architecture et le social dans les imaginaires français et russe, à travers différents types de phalanstères, depuis les tenants du socialisme utopique et positiviste, les mystiques politiques russes et les dissidents communistes jusqu’aux auteurs contemporains. Le thème du phalanstère est devenu un « topique » de l’imaginaire russe. Situé aux racines du romantisme français, à la croisée des sciences et de la sociologie, il poursuit sa propre mythification contre-utopique dans le réalisme russe et soviétique puis dans le postmodernisme.

Du modèle français…

Le phalanstère est un regroupement organique d’éléments considérés nécessaires à la vie harmonieuse d’une communauté : la Phalange. Le concept enthousiasme les milieux intellectuels du XIXe siècle. Le projet est d’abord élaboré par Charles Fourier (1772-1837) et promu par des industriels idéalistes comme Jean-Baptiste André Godin (1817-1888) : il consiste à élaborer un ensemble de logements autour d’une cour couverte centrale servant d’espace à la vie communautaire. L’architecture se met ainsi au service de la société afin d’optimiser le rendement économique1. Il s’agit d’aménager rationnellement l’espace de vie afin d’harmoniser le travail avec l’épanouissement personnel et de développer une activité privée en cohérence et cohésion avec l’activité publique.

Charles Fourier élabore un système d’organisation sociale sur des bases théoriques où se mêle méditations religieuses, spéculations philosophiques et raisonnements scientifiques. Issu de la bourgeoisie commerçante de Franche-Comté, il travaille jusqu’à la fin de l’Empire comme employé de négoce ; sa pensée est profondément marquée par son dégoût du capitalisme commercial et des mécanismes du marché. Il construit peu à peu son système, à partir de 1808, dans une série de traités doctrinaux : Théorie des quatre mouvements et des destinées générales (1808) ; Théorie de l’unité universelle (1822-1823) ; Le Nouveau Monde industriel et sociétaire (1829). Il regroupe autour de lui un petit cercle de disciples, parmi lesquels l’ingénieur Victor Prosper Considerant (1808-1893)2 et le défenseur de la théorie sociétaire Jules Lechevalier (1806-1862)3. Le mouvement fouriériste prend forme sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), à un moment où la pensée utopique suscite un véritable engouement du public : des journaux en propagent la doctrine (Le Phalanstère, La Phalange, La Démocratie pacifique) et des communautés sont créées, en France métropolitaine (la cité d’artistes La Ruche à Paris4, le familistère de Guise, la Colonie sociétaire de Condé-sur-Vesgre, le phalanstère de Pontcharra-sur-Bréda, la cité ouvrière Menier à Noisiel, le phalanstère de Cîteaux5), en Algérie, puis à l’étranger, comme au Brésil (Falanstario do Saí à Santa Catarina)6, au Mexique (Aguascalientes à Mexico), en Argentine, en Roumanie (Societatea agronomică și manufacturieră à Scăieni Prahova), en Suisse (Phalanstère Villino Graziella à Minusio) et aux États-Unis (La Réunion à Dallas, The North American Phalanx dans le New Jersey, Ruskin Colony dans le Tennessee)7.

La visée fondamentale de Fourier est d’étendre à l’organisation sociale le principe d’Harmonie Universelle si cher aux Romantiques qui, sous l’impulsion de Dieu, régit le monde matériel. Il faut donc structurer l’association humaine sur la loi d’attraction passionnelle qui serait à la psychologie ce que représente la gravitation universelle de Newton pour les corps matériels. Il s’ensuit de savants calculs (ou de délirantes divagations arithmétiques) en fonction du nombre de subdivisions passionnelles que détaille la théorie. Dans cette cité idéale, chacun travaillerait et vivrait harmonieusement en fonction de ses passions et affinités naturelles.

Charles Fourier présente le phalanstère comme une sorte d’hôtel coopératif pouvant accueillir quatre cents familles – environ deux mille membres – au milieu d’un domaine de quatre cents hectares de fruits et de fleurs. Il décrit à loisir les couloirs chauffés, les grands réfectoires et les chambres agréables. Le concept évolue rapidement et finit par abriter entre mille huit cents et deux mille sociétaires. Le phalanstère est un bâtiment de très grande taille favorisant un contrôle absolu sur tout ce qui s’effectue dans ses murs. Il est conçu comme un château de Versailles pour le peuple et par le peuple, avec une surface occupée – bâti et non-bâtie – d’environ quatre kilomètres carrés ; des arcades, de grandes galeries facilitant les rencontres et la circulation par tous les temps ; des salles spécialisées de grande dimension abritant la Tour-horloge centrale, une Bourse, un Opéra, des ateliers, des cuisines ; des appartements privés et de nombreuses salles publiques ; des ailes réservées au “caravansérail” et aux activités bruyantes ; une cour d’honneur de six cents par trois cents mètres, aussi vaste et fastueuse que la grande galerie du Louvre ; une cour d’hiver de trois cents mètres de côté, soit trois fois la place des Vosges, plantée d’arbres à feuillage persistant ; des jardins et de multiples bâtiments ruraux. Le Phalanstère, dirigé par des représentants élus démocratiquement se déploie donc comme la synthèse d’un État autarcique et d’une Église autonome.

Cet ensemble architectural symbolise le progrès industriel. La ville devient un espace privilégié pour le romantisme car la corruption de l’État s’y manifeste le plus ostensiblement. Même Pierre-Simon Ballanche, proche des mouvements ultra-royalistes et contre-révolutionnaires, notamment de Joseph De Maistre et Claude Henri de Bonald, s’intéresse aux utopies et entretient une correspondance avec Fourier. La ville désigne chez lui le lieu de perdition et d’expiation par excellence8. Aussi, le Phalanstère incarne-t-il cet effort de s’affranchir de l’autorité centralisatrice et de reconfigurer l’espace selon le principe fédératif, où chaque Phalange, en autarcie, n’assurerait que les échanges de biens manufacturés et de productions.

Le Phalanstère offre d’abord pour Fourier un dispositif expérimental central destiné à démontrer par la pratique la validité de sa théorie du monde sociétal, véritable laboratoire sociologique. Notons les conditions géographiques de cette expérimentation : l’essai doit se localiser près d’un cours d’eau, sur un terrain propice à la plus grande variété possible de cultures, à proximité d’une grande ville. Le protocole expérimental intègre ensuite un certain nombre de prescriptions sociologiques, portant sur la structure même de la « Phalange » qui doit venir l’habiter et l’animer : celle-ci regroupe, selon des règles de composition minutieusement élaborées, des personnes aux fortunes, âges et caractères les plus divers. Dans la Théorie de l’unité universelle (1822) puis dans Le Nouveau monde industriel (1829), les tableaux résumant la « distribution » de la Phalange précisent les règles de composition « sociologique ».

Toutefois une forte tension apparaît entre la volonté de donner le Phalanstère en spectacle et celle de l’isoler de la civilisation qui l’entoure. Ainsi, le Phalanstère doit effectivement être “peu éloigné d’une grande ville, mais assez pour éviter les importuns”. Par conséquent, il est d’un côté ouvert aux curieux, mais de l’autre, au nom du principe de “solitude sociale” lié à la toute première expérimentation sociétaire au sein de la civilisation, il faut le protéger “contre la contagion des mœurs civilisées”, et tenir ses visiteurs “consignés en quarantaine morale”. Cette tension se traduit concrètement dans son organisation architecturale : entouré d’une palissade destinée à le “garantir [son intimité] des curieux importuns”, l’espace architectural du Phalanstère est divisé soit horizontalement, soit verticalement, de façon à cantonner les visiteurs à la périphérie. Ceux-ci sont alors accueillis soit dans un “caravansérail”, situé à l’extrémité de l’aile gauche du bâtiment principal, soit dans un “camp cellulaire” (!), à la frise du Phalanstère, au-dessus du dernier étage. Il y a donc bien d’un côté la volonté d’exposer en vitrine le Phalanstère comme modèle, et de l’autre la nécessité d’empêcher les visiteurs d’interférer avec le fragile mécanisme sociétaire, et donc d’éviter toute contagion “de manière à n’être gêné par eux, ni en matériel, ni en passionnel”. C’est pourquoi le Phalanstère est transparent tout en restant imperméable. Même si Fourier lui-même se garde de le faire explicitement, on est tenté de comparer le Phalanstère à une éprouvette, c’est-à-dire à un dispositif matériel qui permet à la fois d’observer l’expérience et de la préserver d’interactions parasites avec le milieu environnant.

Fig. 2 Dessin du site industriel du Familistère de Godin

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avec la fonderie à droite et les bâtiments de vie (le Familistère), à gauche

La plupart des Romantiques français reconnaissent la beauté du concept politique de Charles Fourier à sa volonté de partager une expérience fraternelle. Les Saint-simoniens se rallient en grande partie aux fouriéristes. Aussi Louis Reybaud (1799-1879) souligne-t-il une continuité idéologique allant de Saint-Simon, en passant par Charles Fourier et Robert Owen, et aboutissant au positivisme d’Auguste Comte9. Dans cette perspective, le Phalanstère apporte un regard rationnel sur la société en proposant une gestion topologique de ses fonctions, sous la forme d’une mutualisation communautaire.

D’ailleurs les phalanstères ont fait l’objet de nombreuses tentatives d’application. Le plus célèbre demeure le familistère de Guise, créé par Godin sur des plans qu’il avait établis lui-même, et qui conserve sa fonction à l’identique jusqu’en 1968. Il est aujourd’hui classé au titre des Monuments historiques et toujours habité. Godin a créé un autre phalanstère en 1887 à Bruxelles, à côté de ses usines, qui a également fonctionné jusqu’en 1968. Le bâtiment, lui aussi classé, appelé Familistère Godin, subsiste toujours le long du canal de Willebroek, quai des Usines10. La société Godin, pour sa part, existe toujours ; elle s’est spécialisée dans les chaufferies et les cheminées. Toutefois tous les autres phalanstères ont périclité plus ou moins rapidement, excepté la Colonie sociétaire de Condé-sur-Vesgre, créée en 1832 avec le soutien de Charles Fourier et de Victor Considerant, grâce aux moyens d’Alexandre Beaudet Dulary (1792-1878), médecin et député de Seine-et-Oise. Les bâtiments, érigés dans l’actuel département des Yvelines, continuent d’accueillir les sociétaires. L’idée a stimulé certaines initiatives dans les années 1970, notamment la Communauté de Longo Maï en Provence.

George Sand – initiée par Pierre Leroux –, Victor Hugo, Honoré de Balzac, Alfred de Vigny, ont exprimé leur intérêt pour l’utopie fouriériste. Aussi le phalanstère demeure-t-il toujours un horizon pour l’utopie socialiste, depuis le prototype platonicien de l’Atlantide, dont les structures sont décrites dans le Timée et le Critias11, – comme le rappelle le poète Viatcheslav Ivanov (1866-1949) dans sa lettre du 30 juin à l’éminent critique littéraire Mikhaïl Gerschenson (1869-1925)12 –, et reprise dans l’épisode de l’Abbaye de Thélème aux chapitres LII à LVIII de Gargantua (1542) par François Rabelais13.

Fig. 3 L’Abbaye de Thélème reconstituée par Charles Lenormant en 1840

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Les intellectuels russes maîtrisent, pour la plupart, parfaitement le français et l’allemand. D’ailleurs les idées de Fourier connaissent un retentissement notable en Allemagne où Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) les accueillent et les discutent. Ils perçoivent la grande ville comme un processus pathologique, et créent pour la désigner les métaphores du cancer et de la verrue. Les uns sont inspirés par des sentiments humanitaires : ce sont des officiers municipaux, des hommes d’Église, surtout des médecins et des hygiénistes. D’autres se révèlent polémistes. Souvent leur information est d’une ampleur et d’une précision remarquables. Engels, en particulier, peut être considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie urbaine. Parmi ces penseurs politiques, les esprits les plus divers ou même opposés, tels Engels, Fourier, Proudhon, Ruskin, etc., se rencontrent pour dénoncer l’hygiène physique déplorable des grandes villes industrielles : habitat ouvrier insalubre fréquemment comparé à des tanières, distances épuisantes qui séparent lieux de travail et d’habitation, voirie fétide et absence de jardins publics dans les quartiers populaires. L’hygiène morale est aussi mise en cause : contraste entre les quartiers d’habitation des différentes classes sociales aboutissant à la ségrégation, hideur et monotonie des constructions pour le plus grand nombre.

Leurs reproches relèvent d’une critique plus globale de la société industrielle, et les tares urbaines dénoncées apparaissent comme le résultat de tares sociales, économiques et politiques14. Industrie et industrialisme, démocratie, rivalités de classe, mais aussi profit, exploitation de l’homme par l’homme, aliénation dans le travail sont, dès les premières décades du xixe siècle, les pivots de la pensée de Owen, Fourier ou Carlyle, dans leur vision de la ville contemporaine. Karl Marx et Friedrich Engels qualifient leur propre théorie de “socialisme scientifique”, et l’opposent au “socialisme utopique” qui n’aurait, selon eux, pas de caractère méthodique et rigoureux nécessaire à une analyse de la société capitaliste. Cette distinction trouve son origine dans l’Idéologie allemande (1845/1846) et Socialisme Utopique et Socialisme Scientifique (1880).

…à l’application russe

Le fouriérisme est bien accueilli par l’intelligentsia russe, dont font partie ces intellectuels qui se définissent comme « des hommes nouveaux », et qui remettent en cause le pouvoir tsariste perçu comme rétrograde et conservateur au regard d’un Occident progressiste et humaniste. Leur principal point de ralliement, un cercle politique fondé à St-Pétersbourg par Mikhaïl Vassiliévitch Boutachévitch-Pétrachevski (1821-1866), réunit dès 1845 de nombreux intellectuels et militaires comme Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski (1821-1881), Nicolas Alexandrovitch Spechnev (1821-1883), reflet du personnage de Stavroguine des Possédés (1871), Alexandre Vladimirovitch Khanykov (1825-1853), le poète et officier de la marine Alexandre Panteléimonovitch Balaslovo (1813-1893), le poète et traducteur Sergueï Fédorovitch Dourov (1815-1869), Aklexeï Nicolaevitch Plechtcheev (1825-1893), etc.

Pétrachevski incarne le type du propriétaire russe qui s’enflamme pour les idées sociales. Il disait : “Ne trouvant pour moi rien qui soit digne d’attachement, ni parmi les hommes, ni parmi les femmes, je me consacre au service de l’humanité.” Phrase bien caractéristique de la tendance qui sera celle de toute l’intelligentzia révolutionnaire, l’amour du “lointain” et non du “prochain”. Pétrachevski croit au bonheur futur de l’humanité, et son utopisme naïf se révèle dans la tentative qu’il fait d’installer au cœur de son propre domaine un phalanstère à la Fourier pour ses paysans : les paysans y mirent le feu. Acte bien symbolique. De même les paysans des années 70 ne comprendront pas l’intelligentzia socialiste qui veut aller au peuple et se sacrifier à son service. Pétrachevski soutint au cours de son procès que l’établissement des phalanstères était compatible avec le servage et l’autocratie : on saisit ici l’utopie qui est la marque du socialisme de son époque15.

En avril 1849, le cercle est démantelé par le gouvernement du tsar. Ses membres les plus actifs sont condamnés à mort mais cette peine est ensuite commuée en travaux forcés en Sibérie. Le Cercle de Pétrachevski n’est pas homogène. Outre des démocrates-révolutionnaires, il comprend également des partisans de la tendance libérale. Les premiers haïssent l’autocratie et le servage, se prononcent pour des méthodes révolutionnaires de lutte contre le tsarisme. Les membres apprécient les œuvres de Vissarion Gregoriévitch Biélinski (1811-1848), Alexandre Ivanovitch Herzen (1812-1870), Ludwig Feuerbach (1804-1872) et Charles Fourier, ainsi que La Misère de la philosophie (1847) de Karl Marx et La Situation de la classe laborieuse en Angleterre en 1844 (1845) de Friedrich Engels. Le cercle partage des positions matérialistes et critique l’idéalisme de Kant, Hegel, Fichte et Schelling, considérant la nature et ses lois comme une réalité objective qui ne cesse de changer. Il affirme que seule la matière est dans le monde, qu’il n’y a rien de surnaturel, que tout ce qui existe provient de la nature et se développe à partir d’elle. Dostoïevski, alors jeune cadet de l’École militaire, est condamné à mort puis se voit, après une mise en scène de son exécution, déporté en camp de travail en Sibérie, expérience traumatisante dont il fait le sujet de ses Souvenirs de la maison des morts (1860-1862).

Un texte rédigé de la main de Dostoïevski, lors de son interrogatoire par la Commission d’enquête chargée de l’affaire Pétrachevski du 6 mai 1849, rapporte le jugement suivant :

Le fouriérisme est une théorie pacifique; il charme l’âme par son élégance, séduit le cœur par l’amour [dont] l’humanité [est remplie] qui animait Fourier tandis qu’il élaborait sa théorie, et il étonne l’esprit par son harmonie. Il attire non par des attaques fielleuses, mais par l’amour de [l’homme] l’humanité qu’il inspire. Dans ce système il n’y a pas de haine. Il ne suppose pas de réformes politiques ; sa réforme est d’ordre économique. Il ne porte atteinte ni au gouvernement, ni à la propriété [...]. C’est enfin un système purement scientifique, qui ne deviendra jamais populaire. Les fouriéristes ne sont pas descendus dans la rue une seule fois pendant les journées de février, ils sont restés à la rédaction de leur revue, où ils passent leur temps depuis plus de vingt ans, à rêver aux beautés du futur phalanstère. Mais sans aucun doute, ce système est [également] nuisible, ne serait-ce que, primo, parce que c’est un système. Secundo, si élégant soit-il, c’est quand même une utopie, parfaitement irréalisable. Mais le mal que fait cette utopie est, si je puis dire, plus comique qu’effroyable. Il n’existe pas de théorie sociale plus ridiculisée, moins populaire, plus huée que le fouriérisme en Occident. Il est mort depuis longtemps et ses chefs ne s’aperçoivent pas eux-mêmes qu’ils ne sont que des morts-vivants, rien de plus [...]. En ce qui nous concerne, en ce qui concerne la Russie, Saint-Pétersbourg, il suffit de faire ici vingt pas dans la rue pour se convaincre que le fouriérisme [même] sur notre sol ne peut exister que [sur] dans les pages de livres qu’on ne découpe pas, ou dans une âme douce, rêveuse et sans méchanceté, et uniquement sous la forme d’une idylle, ou comme poème en vingt-quatre chants, en vers. Le fouriérisme ne peut nuire gravement. D’abord, quand bien même il serait gravement nuisible, sa propagation elle-même est déjà utopique par sa lenteur. Pour comprendre à fond le fouriérisme il faut l’étudier, et c’est toute une science. Il faut lire jusqu’à une dizaine de volumes. [Alors] un tel système peut-il jamais devenir populaire16 !

Fig. 4 : La façade du premier Crystal Palace.

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Première exposition de 1851, Londres, Angleterre. Catalogue illustré officiel.

Bibliothèque nationale de la Diète, Japon, Domaine public.

Pourtant la complaisance de Dostoïevski change lorsqu’il découvre, comme son contemporain Nikolaï G. Tchernychevski, le Crystal Palace de Londres. Il s’agit d’un vaste palais d’exposition en fonte et verre d’abord édifié à Hyde Park pour abriter la Great Exhibition de 1851, la première des expositions universelles. Il est par la suite démonté et reconstruit, sous une forme agrandie, au sud de Londres à Sydenham Hill, dans le quartier qui porte encore son nom. Il brûle en 1936.

Fig. 5 : La grande exposition au Crystal Palace de Londres, 1851

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Première exposition de 1851, Londres, Angleterre. Tallis, J. et al., Tallis's history and description of the Crystal Palace [1851?]

Bibliothèque nationale de la Diète, Japon, Domaine public.

Le Crystal Palace est un haut lieu touristique, qui attire à l’époque une population issue de tous les milieux sociaux. Il a une longueur de 564 m et les plus hautes nefs atteignent 39 m. Il offre une surface d’exposition de 92,000 m². Par les matériaux utilisés, fonte et verre, et la technique du bâti, assemblage d’éléments préfabriqués permettant une construction rapide, il manifeste la supériorité industrielle et technique du Royaume-Uni de l’ère victorienne. Le Crystal Palace est l’œuvre d’un self-made-man, l’architecte et paysagiste Joseph Paxton (1803-1865), élevé au rang de chevalier en reconnaissance de son travail et auteur, entre autres, du Château de Ferrières, inauguré par Napoléon III en 1859 et considéré comme le plus luxueux du XIXe siècle. Cinq mille ouvriers ont construit vite et bien le Crystal Palace, dans des conditions inhumaines et pour un salaire modique.

Fig. 6 : L’intérieur du Crystal Palace. Département anglais. View of the British Nave.

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Catalogue illustré de l’exposition.

Bibliothèque nationale de la Diète, Japon, Domaine public.

En effet, c’est Nicolas Gavrilovitch Tchernychevski (1928-1889) qui introduit définitivement le topos du phalanstère dans l’imaginaire communiste. Fils d’un prêtre orthodoxe, il commence des études au séminaire de Saratov avant de poursuivre ses études à l’université de Saint-Pétersbourg en 1846, où il se rapproche du cercle de Pétrachevski. En 1852 il devient éditeur en chef de la revue Современник [Le Contemporain] dans les colonnes duquel il publie ses premiers essais politiques et philosophiques ainsi que ses critiques littéraires. Le 7 juillet 1862, il est arrêté et enfermé à la forteresse Pierre-et-Paul. Il y écrit son roman le plus connu Что делять? [Que faire ?] qui marque d’une empreinte durable l’imagination de nombreux révolutionnaires, de Lénine à Emma Goldman, et Karl Marx décide d’apprendre le russe pour précisément pouvoir le lire ! D’ailleurs en 1902, Lénine reprend le titre Que faire ? pour l’un de ses plus importants traités politiques où il expose les bases de la stratégie révolutionnaire marxiste, à savoir l’étude théorique. Le roman paraît dans les pages du Contemporain en 1863, ce qui lui vaut, après deux ans d’emprisonnement, d’être jugé coupable et condamné au bagne à vie en mai 1864. Jusqu’en 1872, il est emprisonné et travaille à la mine. De 1872 à 1883, il est exilé en Iakoutie, puis à Astrakhan, une ville plus clémente sur les bords de la mer Caspienne. Il reste encore aujourd’hui la figure de proue des martyrs communistes.

Le roman se veut une réponse à Отцы и дети (1862) [Pères et Fils] d’Ivan Tourgueniev (1818-1883) qui décrit l’émergence d’une mentalité révolutionnaire dans la Russie de la seconde moitié du XIXe et d’une croissante contestation face au régime. Le titre évoque ainsi le nouveau rapport de la jeune génération à celle de ses pères, la première étant animée d’idéaux subversifs et relatifs au progrès socio-politique. Tchernychevski offre une vision idéologique qui se promet de résoudre les tensions provoquées par la réforme de l’éducation, la compétition économique et l’intrusion culturelle de l’Europe occidentale, l’avènement de la sécularisation et l’impact de la science dans un monde toujours dominé par l’agriculture, le christianisme et les traditions. Le héros, Rakhmetov, est devenu un emblème du matérialisme et de la noblesse. Le roman décrit le rêve prophétique d’un des personnages, une femme libérée, Vera Pavlovna dont le premier prénom symbolique signifie l’espérance et le second renvoie à saint Paul, l’apôtre qui rencontre Jésus sur le chemin de Damas. Une fois le bonheur communiste établi sur terre, elle se voit visiter une phalange comparable au Palais de Cristal.

Un édifice, immense, un édifice immense, comme on en voit seulement quelques-uns dans les plus grandes capitales, ou bien non, maintenant il n’y en a aucun. Il se dresse au milieu des champs et des prés, des jardins et des bois [...]. Les jardins, de citronniers et d’orangers, de pêchers et d’abricotiers, comment poussent-ils à l’air libre ? Oh ! oui, il y a des colonnes autour d’eux, c’est qu’ils sont découverts tout l’été ; oui, ce sont des orangeries qui se découvrent pour l’été [...]. Mais cet édifice, quel est-il, quelle en est l’architecture ? On n’en voit pas de semblable maintenant ; non, il y en a néanmoins une ébauche – le palais qui se trouve à Sydenham Hill : fonte et verre, fonte et verre, rien de plus. Non, ce n’est pas tout : ce n’est que l’enveloppe de l’édifice, c’est seulement leurs murs extérieurs ; et là-bas, à l’intérieur, c’est une véritable maison, une immense maison : elle est recouverte de fonte et de cristal comme d’un étui ; et cet édifice forme autour d’elle de larges galeries à tous les étages. Quelle architecture légère de cet intérieur, quel espace réduit entre les fenêtres, et les fenêtres immenses, larges, comme la hauteur de tout un étage ! Ses murs en pierre pareils à des rangés de pilastre, formant un cadre pour les fenêtres qui donnent sur une galerie [...]. Pour tous c’est un printemps et un été éternels, une joie éternelle […]17.

Ainsi le phalanstère est-il extérieurement dépeint comme le Palais de l’Olympe, au cœur de l’Élysée. Il domine d’abord une nature disciplinée, offrant un cadre idyllique égal au Jardin de l’Éden. Les saisons sont, elles aussi, domptées. Le verre et les fenêtres témoignent de la transparence sociale qui assure de façon ostentatoire la cohésion et la cohérence sociales. Ces ouvertures donnent en fait sur un panorama physiquement inaccessible. D’ailleurs les questions que se pose la narratrice ne sont qu’oratoires car elle y répond elle-même dans un jeu d’exclamations et de négations répétées.

Mais qui donc habite cette maison plus belle que tous les palais ? “Ici habitent beaucoup de gens, énormément de gens, nous les verrons.” Ils sortent sur le balcon attenant au dernier étage de la galerie. Mais comment Vera ne l’a pas remarqué plus tôt ?
“Dans ces champs s’éparpillent des groupes de gens ; partout des hommes, des femmes, des vieillards, des jeunes gens et des enfants sont rassemblés. Il y a surtout des jeunes, peu de vieillards et encore moins de vieilles femmes. Il y a davantage d’enfants que de vieillards, mais pas trop tout de même. Plus de la moitié des enfants sont restés à la maison pour s’occuper du ménage, ils font presque tout le ménage, ils aiment beaucoup ça. Il y a avec eux quelques vieilles femmes. S’il y a si peu de vieillards et de vieilles femmes c’est parce qu’ici on ne vieillit que fort tard, ici la vie est saine et paisible, elle conserve la fraîcheur”18.

Le Palais de Cristal abriterait ainsi une nouvelle humanité dénuée de péché et de malignité, dont les premiers représentants sont ces “hommes nouveaux”. Ceci justifie le choix des matériaux de construction : la fonte et le verre dont la fermeté et la transparence supposent la puissance et l’innocence de son peuple et la franchise de leurs relations réciproques. Dans cet univers utopique où l’argent est absent, les mœurs sont libres et les désirs répondent aux attractions et répulsions naturelles, telles que Fourier les conceptualise à partir du modèle de la gravitation de Newton. L’accent est mis sur les enfants, plus nombreux que les personnes âgées, et leur fonction dans cette société : faire le ménage, autrement dit maintenir l’ordre et la propreté, alors que la vieillesse serait repoussée par une “vie saine [et] paisible”.

Fig. 7 Photographie du Crystal Palace (1854) de Philip Henry Delamotte (1821-1889)

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Domaine public.

Dans les groupes qui travaillent aux champs tout le monde chante. Mais à quel travail se livrent-ils donc ? Ah, ils moissonnent le blé. Comme leur travail est rapide ! Mais pourquoi n’iraient-ils pas vite ? Pourquoi leur travail ne serait-il pas joyeux ? Les machines font presque tout à leur place : elles moissonnent, elles lient les gerbes et les emportent. Se déplaçant sur des machines, les hommes ne font que les diriger. Et comme ils sont confortablement organisés ! La journée est torride, mais ils n’ont pas à s’en préoccuper. Une grande bâche est tendue au-dessus de la partie du champ où ils travaillent. Au fur et à mesure que le travail avance la bâche se déplace — comme ils ont bien su s’aménager de la fraîcheur ! Pourquoi ne travailleraient-ils pas avec célérité et gaieté, pourquoi ne chanteraient-ils pas19 ?

Quant au travail le plus pénible, il est robotisé et l’homme ne fait plus que le diriger en chantant. La science et la technique remplacent la religion et la philosophie qui polluent l’esprit. La nature d’abord clémente se manifeste paradoxalement par une météo “torride”, ce qui annonce déjà la contradiction inhérente à toute utopie, qui n’est que le “songe” introduisant le cauchemar préparé par la série des interrogations et des exclamations.

Le Palais de Cristal de Tchernychevski décrit les kolkhozes et les sovkhozes qui se dissémineront en Union soviétique un demi-siècle plus tard. Le mot kolkhoze est une contraction de коллективное хозяйство (“ferme collective”), alors que sovkhoze est une contraction de советское хозяйство (“ferme soviétique”). Les kolkhozes et les sovkhozes sont les deux composantes du système agricole socialisé qui émergent après la révolution d’Octobre 1917. Ils sont massivement mis en place par Joseph Staline dans le cadre de la politique de collectivisation, avec la suppression des exploitations agricoles privées. À partir de 1929, la participation à un kolkhoze ou à un sovkhoze est rendue obligatoire par les autorités soviétiques. Les membres du kolkhoze ne possèdent pas le droit de sortir librement de celui-ci.

Aussi Dostoïevski décide-t-il de répondre aux fausses promesses du roman de Tchernychevski en rédigeant Les Notes d’un sous-sol (1864) afin de dénoncer la réelle dystopie que dissimule cette utopie fouriériste et romantique. Il y revient ensuite tant dans Преступление и Наказание (1866) [Crime et Châtiment] que dans Бесы (1871) [Les Possédés]. En effet l’homme du souterrain reproche au Palais de Cristal de ne pas autoriser la moindre incartade intellectuelle, le moindre soupçon et de soumettre l’homme à une vérité toute faite. Cela symbolise l’aliénation de la conscience : en perdant sa souffrance, l’individu risque de perdre toute son existence en se plongeant dans l’inconscience.

Dans le palais de cristal elle est également impensable : la souffrance est le doute, elle est la négation, et que serait un palais de cristal où l’on pourrait douter ? Et cependant, je suis sûr que l’homme ne refusera jamais la véritable souffrance, c’est-à-dire la destruction et le chaos. La souffrance, mais c’est la seule cause de la conscience ! Bien que j’aie dit au début de mon exposé que la conscience, pour moi, était le plus grand des malheurs pour l’homme, je sais que l’homme l’aime et ne la remplacera par aucune satisfaction. La conscience, par exemple, est infiniment supérieure à deux fois deux20.

Dostoïevski élève la question de la liberté à un degré théologique en interrogeant la situation de la liberté de l’homme face à sa soumission à Dieu21. L’utopie du Palais de Cristal se transforme en un cauchemar totalitaire, où l’individu (l’Un différencié) finit par céder et se retrouve absorbé tôt ou tard dans le Tout (l’indifférencié).

Vous croyez au palais de cristal à jamais indestructible, c’est-à-dire auquel il sera impossible de tirer la langue en douce, ou de faire la nique dans sa poche. Eh bien moi, si j’ai peur de ce bâtiment, c’est, peut-être parce qu’il est en cristal et à jamais indestructible, et qu’il sera même impossible de lui tirer la langue en douce22.

La crainte qu’inspire le rêve socialiste réside dans la dimension totalisante et totalitaire du projet : son indestructibilité provient de sa transparence (гласность), ce qui revient à dire que tout acte est automatiquement perçu par tous, que toute intimité est désormais impossible. Le corps social finit par dicter ses lois aux esprits individuels et chacun sait, nécessairement et malgré lui, ce que fait son voisin, et de ce fait s’en retrouve responsable : le malheur n’est pas tant d’être vu que de tout voir. L’omniscience implique une responsabilisation totale, provoquant l’asphyxie de toute conscience. De ce fait, le Palais de Cristal, avec son rêve de fraternité, signe l’arrêt de mort de la liberté éthique car l’homme n’a plus à faire de choix.

Voyez-vous, si à la place du palais il y avait un poulailler et qu’il pleuve, peut-être me glisserais-je dans le poulailler pour ne pas être trempé, mais je ne prendrais tout de même pas le poulailler pour un palais en raison de la reconnaissance que je lui dois de m’avoir protégé de la pluie. Vous riez, vous dites même que dans ce cas un poulailler et un palais, peu importe. Oui, je vous réponds, s’il fallait vivre seulement pour ne pas être trempé23.

L’utopie socialiste ne serait pas si mauvaise “s’il fallait vivre seulement pour ne pas être trempé”. Elle est cependant condamnable car l’homme ne vit pas seulement de l’air du temps. L’existence humaine, dès lors, semble définitivement orientée, concourir à un but, tendre vers un certain accomplissement : l’être est un Être-pour.

Vers le phalanstère numérique

La réflexion de l’homme du souterrain fait école dans la littérature et la philosophie russe. Les penseurs orthodoxes, tels Vladimir Soloviev, Nicolas Berdiaev, Lev Chestov, Vladimir Rozanov, Simon Frank, Serguei Boulgakov, Pavel Florenskij, reprennent la critique formulée par Dostoïevski à l’encontre du phalanstère pour dénoncer les vices du communisme, car le Palais de Cristal emporte l’enthousiasme des poètes futuristes, comme Vladimir Maïakovski, Alexandre Blok, Velimir Khlebnikov, Vassili Kamenski et Alexeï Kroutchenykh. Le paradoxe, au cœur de l’âme russe, à en croire les philosophes orthodoxes, est que l’homme du souterrain serait un individualiste qui défend la collectivité au nom de l’individu, à l’encontre des « hommes nouveaux » qui au nom de tous ne songent qu’à leur propre bien personnel. Finalement le rationalisme se réduit à un vulgaire utilitarisme aveugle qu’il s’agit de bannir. L’athéisme communiste n’est qu’une réaction romantique, d’après Berdiaev, à la théodicée, et l’homme du souterrain, personnage pourtant odieux par sa médiocrité, affirme sa noblesse en justifiant ses péchés, car la rédemption ne peut être obtenue que de Dieu seul.

Déjà le slavophile Nicolas N. Nepluyev (1851-1908) envisage une fraternité orthodoxe russe sous forme de phalanstère afin de reconstituer la fraternité chrétienne primitive, à Yampol en Ukraine, dans une optique sotériologique24. C’est paradoxalement dans le projet de l’aliya (עליה) – retour à la terre sainte – que la première exploitation sioniste, Degania (דגניה), kibboutz servant de modèle aux kolkhozes et sovkhozes, est fondée sur son modèle, en Palestine par des Polonais, des Russes et des Ukrainiens en 1909.

Fig. 8 Panopticon dessiné par Willey Reveley en 1791.

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Le premier à poursuivre la pensée de Dostoïevski sur un plan davantage scientifique reste Evguéni Zamiatine (1884-1937), dont le court roman Мы (1920) [Nous autres], traduit en anglais dès 1924 chez E.P. Dutton à New York, inspire Aldous Huxley et le Meilleur des mondes (1932), George Orwell et 1984 (1948) ainsi qu’Ira Levin et Un bonheur insoutenable (1970). Les sciences et les techniques ont remplacé au cours du XIXe siècle la religion25 au point d’assurer un « bonheur mathématique et exact » et d’imposer, à l’insu de tous, un culte aveugle au conformisme le plus strict, sous l’apparence fallacieuse de la plus grande des libertés. Le Palais de Cristal est ramené au Panopticon du philosophe utilitariste Jeremy Bentham (1748-1832), dont l’objectif de la structure panoptique est de permettre à un gardien, logé dans une tour centrale, de guetter tous les prisonniers enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci sachent s’ils sont observés. Ce dispositif produit ainsi l’impression délétère que tout se sait par tous chez les détenus. Michel Foucault, dans Surveiller et Punir (1975), en fait le modèle abstrait de la société disciplinaire, inaugurant une longue série d’études sur le dispositif panoptique.

La géométrisation du monde y est dénoncée, inspirée tant par le futurisme de Saint-Pétersbourg que par le cubisme parisien26.

Figurez-vous un carré, vivant, admirable, qui serait obligé de parler de lui, de sa vie. La dernière chose qu’il penserait à dire c’est que ses quatre angles sont égaux, il ne s’en aperçoit même pas, tant cela lui est familier, quotidien. Je suis tout le temps comme ce carré. Le billet rose et tout ce qui s’y rattache est, pour moi, ce que l’égalité de ses angles est au carré, mais pour vous c’est peut-être plus obscur encore que le binôme de Newton27.

Or le passage du plan à l’espace est celui du carré au cube. C’est pourquoi le nombre premier sûr 503 est bien la somme des cubes des quatre premiers nombres premiers (23+33+53+73) et un nombre premier d’Eisenstein irréductible (aω + b) où ω est la racine de l’unité cubique complexe :

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De plus le nombre 503 fait également partie des nombres premiers p de Chen – découverts en 1966 seulement ! – tel que p + 2 est premier ou semi-premier (i.e. produit de deux nombres premiers).

Enfin la lettre D en russe (Д) symbolise ce même carré. Cube et carré se combinent alors au cercle comme si l’architecture tentait de résoudre la « quadrature du cercle », fameux dilemme de la crise du logement à Moscou posé par le socialisme scientifique et que Valentin P. Kataëv (1897-1986) décrit avec sarcasme en 1928 dans Квадратура круга [La Quadrature du cercle].

L’architecture relève aussi de cette géométrisation de l’espace naturel, tout comme l’ingénierie qui rationalise les forces naturelles dans des règles d’interaction. C’est l’ensemble de l’utopie du constructivisme et du suprématisme soviétique architectural28 qui est tourné en dérision, dont le Palais des Soviets qui a voulu être érigé sur la destruction de la cathédrale du Christ-Sauveur et s’est révélé n’être qu’une Tour de Babel inachevée. Le matériau de prédilection reste le verre auquel s’ajoute, de temps à autre, l’acier, soit des matières elles-mêmes artificielles, reconfigurées par l’homme. L’architecture maintient la hiérarchie verticale tout en valorisant l’égalité horizontale. Les toits en verre donnent ainsi l’impression d’une linéarité transparente là où règnent des niveaux implicites. Il s’agit ainsi d’établir la raison vitrifiée29. La démocratie est le rideau qui cache un totalitarisme de fond où le mot de liberté est dévoyé comme source de tous les maux.

C’est extraordinaire à quel point les instincts criminels sont vivaces chez l’homme. Je le dis sciemment : criminels. La liberté et le crime sont aussi intimement liés que, si vous voulez, le mouvement d’un avion et sa vitesse. Si la vitesse de l’avion est nulle, il reste immobile, et si la liberté de l’homme est nulle, il ne commet pas de crime. C’est clair. Le seul moyen de délivrer l’homme du crime, c’est de le délivrer de la liberté. Et à peine venons-nous de l’en délivrer (à peine est bien le mot quand on songe à l’âge du monde), que quelques misérables esprits arriérés 30

Dans cette lignée, les dissidents soviétiques se plaisent, tel Alexandre Soljenitsyne, à reprendre l’image du phalanstère ou du Palais de Cristal pour dénoncer une société où l’homme perd sa liberté à force de vouloir prouver à tous sa probité, son courage, sa grandeur d’âme. Car l’Homo sovieticus (1981), selon Alexandre A. Zinoviev (1922-2006), est un être d’apparence qui ne doit son existence qu’à la fonction qu’il remplit. Le système soviétique a construit un phalanstère étatisé dans lequel chacun devient le bourreau de l’autre au nom du bien collectif, car tout se vaut dans un univers où la science est devenue dogmatique et la démocratie non plus un devoir à exercer, mais un droit passif tellement répandu qu’il n’intéresse plus personne. Dans L’Archipel du Goulag (1958-1967), Alexandre Soljenitsyne détourne l’image du Palais de Cristal pour l’adapter aux camps de travail perdus sur des îlots connus seulement de ceux qui sont condamnés à les construire. La mécanisation de l’homme y est dénoncée, ainsi que les conditions dégradantes, dans un univers corrompu pourtant présenté au public comme des structures humaines de réinsertion. De nombreuses références se retrouvent ainsi disséminées, dans Le Premier Cercle (1968) et Le Pavillon des cancéreux (1967), anti-phalanstères, où le citoyen est condamné à mourir rongé par la maladie, métaphore de la corruption, qui contamine chaque Soviétique contraint à mener une vie de compromis incompatible avec la conscience humaine.

Parmi les réalisations les plus intéressantes de l’époque soviétique, le roman d’anticipation des frères Arcady (1925-1991) et Boris (1933-2012) Strougatski, Хищные вещи века (1964) [Le Dernier cercle du Paradis], décrit une ville phalanstérienne à la fois post-capitaliste et post-communiste parfaite où l’homme est devenu l’élément inutile car il n’est plus en mesure d’apprécier son environnement et cherche des expériences hors de la réalité.

Aujourd’hui, on a tout ce qu’on veut dans la vie, et on ne sait même plus quoi faire de ce qu’on a. À quoi un type peut-il s’attacher de nos jours ? Un homme n’est pas un poisson pour autant : il reste un homme et il s’ennuie, mais il est incapable de trouver quelque chose à faire tout seul. Pour y arriver, il faut des dons spéciaux, il faut lire une montagne de livres ; et comment peut-il y arriver quand on le fait vomir ? […] Personne n’a réellement besoin de vous, pas même votre propre femme ni vos enfants, si vous voulez bien regarder les choses31.

Or le Palais de Cristal est présenté comme le vestibule du Paradis dans В преддверии рая (1979) [L’Antichambre du Paradis] : Alexandre Zinoviev, philosophe, logicien et caricaturiste, esprit souterrain et anticonformiste, y dénonce les mensonges du communisme scientifique qui devait assurer le bonheur terrestre.

PARADIS COMMUNISTE ET RÉALITÉ
Dans un manuel de « communisme scientifique », on trouvera les considérations suivantes. Sous le communisme, toutes les sources des richesses sociales couleront à flots. Le principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son besoin » se réalisera. Un niveau de vie infiniment supérieur à celui de n’importe quel pays capitaliste sera assuré. Le travail cessera d’être un gagne-pain. Les rapports humains se libéreront pleinement de tout calcul d’intérêt. L’homme aura la possibilité de puiser gratuitement dans les réserves sociales tout ce qui lui est nécessaire pour l’existence et une vie culturelle. De la sorte, il sera libéré de tout souci pénible du lendemain et pourra se consacrer à des intérêts élevés. Le développement universel garantira la liberté de la personne ainsi que les droits politiques et civiques des citoyens. Une égalité et une liberté parfaites s’instaureront. Les activités différentes ne mèneront plus aux privilèges et à l’inégalité dans la possession et la consommation. Les mesures de coercition n’auront plus aucune raison d’être. Les rapports de domination et de subordination feront place à une libre collaboration. L’État en tant qu’organisation politique cessera d’être nécessaire. Toute réglementation politique cessera d’être nécessaire. Toute réglementation juridique aussi. Les méthodes de persuasion prendront entièrement le relais des mesures administratives et coercitives. L’autogestion sociale s’effectuera dans une atmosphère d’information complète et publique et d’une grande participation complète et publique et d’une grande participation de tous à l’œuvre commune. La raison humaine se déploiera dans toute sa puissance gigantesque. Le niveau moral, les rapports entre les hommes atteindront un niveau de culture vertigineux. De nouvelles exigences éthiques se développeront pleinement, de même que la solidarité, la bienveillance mutuelle, l’esprit collectiviste qui fera de chacun un membre de la grande famille humaine. L’union, la coopération, la fraternité seront les principes qui régiront les rapports entre les hommes et les peuples. Et ainsi de suite, dans le même style.
Pour le moment, nous assistons à tout le contraire. Une inégalité sociale et économique criante. Une oppression de masse. Désinformation. Mensonge. Gabegie. Un niveau de vie misérable pour la majorité. La haine. La pénurie de tous les produits de première nécessité. Files d’attente. Arbitraire complet. Fixation au lieu de résidence et au lieu de travail. Abus de pouvoir, pots de vin, cynisme. Dépenses inutiles. Persécutions de l’intelligentsia pensante. Oppression des peuples voisins. Crétinisme de la direction. Vantardise. Démagogie. Flagornerie. Ennui général. Criminalité de masse etc. […]. Bien peu croient au paradis communiste tel qu’il a été décrit plus haut32.

Fig. 9 Photographie du Crystal Palace (1854) de Philip Henry Delamotte (1821-1889).

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Domaine public.

Le style fragmentaire annonce le morcellement de la société soviétique qui s’effrite sous le poids de ses mensonges. Les substantifs suffisent pour décrire une action invisible mais pourtant réelle. Le futur simple du premier paragraphe exprime tout l’inaccompli des promesses de Tchernychevski puis de Lénine car à la question “Que faire ?”, il n’y a plus de réponse à donner.

Au moment où l’Union soviétique s’effondre, Alexandre Zinoviev réécrit le rêve de Vera Pavlova à travers celui de Souslikov (“le gaufre” en russe), sorte de “blaireau” soviétique. Il dénonce l’absurdité de la Perestroïka entamée par le dernier des premiers secrétaires du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique (1985-1991), Mikhaïl Gorbatchev, qui aboutit à une katastroïka [catastrophe].

UN RÊVE PROPHÉTIQUE
Souslikov fit un rêve prophétique. Il rêva de son Partgrad natal. Mais il ne le reconnut pas d’emblée : il voyait une accumulation de gratte-ciel en verre et en acier, des vitrines luxueuses remplies de jeans, de chewing-gum, de manteaux de mouton retourné, d’ordinateurs, de vestes de cuir et d’autres marchandises étrangères. Au ciel paradait, en lettres géantes et flamboyantes, l’inscription « Souslik-York ». Au loin, à l’endroit où aurait dû se dresser la statue de la Liberté, on apercevait un monument à Souslikov. Mais les rues défoncées, les longues files d’attente et les ivrognes vautrés sur les trottoirs permirent à Souslikov de reconnaître son Partgrad. Au centre de la ville béait un trou noir.
– Qu’est-ce que c’est que ce trou ? demanda Souslikov.
– C’est le Grand Trou qui mène à l’Europe, lui répondit une voix intérieure. – C’est par là que les travailleurs vont chercher des articles étrangers en Occident.
– Mais pourquoi aller les chercher en Occident s’il y en a en abondance à Souslik-York ?
– Il y en a dans les vitrines, mais pas dans les magasins. Ici c’est quand même le socialisme et non le capitalisme. En outre, nos gens vont chercher ces articles en Occident pour qu’il n’en reste plus là-bas. De cette façon les Occidentaux viendront les quémander chez nous.
– Mais enfin, l’Occident va nous fermer ses frontières s’il en est ainsi, il ne nous donnera pas de visas ! Ils ne sont tout de même pas complètement idiots !
– L’Occident a tenté de limiter nos entrées, mais nous, on a posé une question de principe : alors, que faites-vous de votre démocratie tant vantée ? Ils ont eu peur du qu’en-dira-t-on et rouvert leurs frontières.
– Et pourquoi n’y a-t-il pas de portraits de Gorbatchev ?
– On l’a viré.
– Pour quelle raison ?
– Parce qu’il avait ouvert une porte trop étroite sur l’Occident. Elle ne laissait pas passer les tanks, les fusées. En outre, Gorbatchette avait installé un poste de garde qui ne laissait pas passer les épouses des autres membres du Politburo : elle voulait tout pour elle. Alors les autres ont chauffé leurs maris pour qu’ils balancent Gorbatchev à coups de pied au cul.
– Qui a-t-on mis à sa place ?
– Souslikov, bien sûr. C’était le seul possible. C’est justement lui qui a fait ce gros trou vers l’Europe. Il voulait abattre le mur tout entier, mais on l’en a empêché.
– Pourquoi ?
– Parce que l’influence délétère de l’Occident nous aurait envahis de façon si irrésistible qu’il n’y aurait plus eu moyen de l’arrêter.
– Mais pourquoi l’arrêter ? !
– Parce que si on ne l’arrête pas il se passera la chose que voici.
Alors le pied puissant du Comité central du PCUS vint frapper Souslikov au niveau de son postérieur. Souslikov fut précipité dans le trou et Souslik-York tomba en poussière33.

Le monde s’est renversé et la folie règne en Union soviétique. Le grotesque s’immisce à tous les niveaux. Le Soviétique perd tous ses repères et se retrouve déchiré entre un retour à l’Occidentalisme ou un repliement nationaliste. Il est hors de question de reconnaître l’effondrement de l’illusion et l’échec du phalanstère étatisé.

Aussi l’ère postmoderne parvient à se nouer rapidement à la chute de l’Empire soviétique car le phalanstère a pris déjà dans le communisme une dimension toute numérique, comme l’ont annoncé dès 1964, en pleine période brejnévienne, les frères Strougatski en décrivant l’addiction des hommes béatement heureux à la virtualité numérique.

Et ne me parlez pas de la substitution du rêve à la réalité : vous n’êtes pas novice et vous savez très bien que ces rêves font aussi partie de la réalité. Ils représentent un monde entier. Pourquoi donc appeler cette acquisition ruine ?...
[P]arce que ce monde dont vous parlez ne reste pas moins illusoire, il est tout à l’intérieur de vous, pas à l’extérieur, et tout ce que vous y faites reste en vous. Il est l’opposé du monde réel, son antinomie. Les gens qui se réfugient dans ce monde illusoire cessent d’exister dans le monde réel. Ils deviennent autant de morts. Et si jamais tout le monde entrait dans le monde illusoire – et vous savez très bien que cela pourrait finir ainsi – l’histoire de l’homme finirait avec…
C’est vraiment la fin. C’est la fin de l’homme interagissant avec la nature, la fin des échanges entre l’homme et la société, des liaisons entre les individus, la fin du progrès […].
Quant au progrès, il arrivera à son terme seulement pour le progrès réel. Mais chaque homme pris individuellement ne perdra rien : il ne pourra qu’y gagner, puisque son univers deviendra infiniment plus lumineux, ses liens avec la nature, aussi illusoires puissent-ils être, infiniment plus variés ; et ses liens avec la société, illusoires eux aussi mais pas aussi bien connus de lui, deviendront plus forts et fructueux. Ne vous lamentez pas sur le sort du progrès : vous savez fort bien que tout a une fin. Or cette fin du progrès qui se dessine aujourd’hui n’intervient que dans le monde objectif34.

Le phalanstère est ainsi intériorisé : il devient un palais de glace, labyrinthe de miroirs qui enchante une humanité crétinisée par l’écran qui renvoie une image idéalisée d’elle-même pour son propre bien…35 Zinoviev reprend cette vision apocalyptique en 1977 dans un roman construit à partir des bribes d’un manuscrit découvertes par hasard, à l’insu des autorités, dans un dépotoir :

CYBERNÉTIQUE ET SOCIÉTÉ
Le Neurasthénique déclara que la dernière décision des autorités ivaniennes était une sottise. Même un enfant aurait pu prévoir comment cela finirait, dit-il. Mais le Savant ne fut pas de cet avis. C’est maintenant que le résultat apparaît comme évident, dit-il. Mais si vous prenez les données qu’ils avaient au départ, vous aurez du mal à en déterminer la décision la meilleure ! Et le Savant se mit à parler des problèmes ardus que pose la gestion d’un pays et de la difficulté de prendre les meilleures décisions. En conclusion, il décrivit les perspectives radieuses offertes par le développement et l’application de la cybernétique. Croyez-moi, dit-il en achevant son discours supérieurement compétent, la cybernétique sera amenée à jouer un rôle immense dans la vie sociale. Mais il fut tourné en ridicule.
Des sottises que tout cela, dit le Bavard. Admettons par exemple qu’un groupe A ait à déterminer la conduite d’un groupe B. Sur un plan abstrait, le groupe A recherche une ligne de conduite qui lui soit la plus favorable. Mais admettons que le groupe A soit divisé et se compose à son tour de personnes et de groupes hétérogènes. On est amené à se poser la question : par qui et comment est élaborée cette ligne de conduite ? Ce n’est pas un conseil scientifique. Quoique les conseils scientifiques puissent de nos jours être des modèles d’incohérence, et mon exemple n’a plus de sens. Le groupe A comprend des hommes, des groupes et des organisations qui surgissent parce qu’il existe un problème de rapport avec B. Ces hommes, groupes et organisations ont à résoudre des problèmes qui leur sont propres et c’est dans ce cadre que se pose la question initiale, à savoir la recherche de la meilleure ligne de conduite pour B. Ce n’est pas une affaire d’intelligence ou de sottise, mais de rapports réels entre les groupes, qui n’ont rien à voir avec l’intellect. On peut toujours appliquer des ordinateurs, qui trouveront la variante la meilleure, comme l’a proposé le Savant. Mais cela ne change rien à la situation. Ce sont des hommes qui servent les ordinateurs. Ce sont des hommes qui leur fournissent des informations. Nous voyons donc que le terrain sur lequel se déroule notre problème initial s’est quelque peu déplacé. Ce qui va s’opérer, c’est un choix, un filtrage des informations que recevra l’ordinateur, ainsi qu’un jugement porté sur les résultats qu’il fournira et les décisions qu’il faudra prendre. Rien n’aura donc changé. Prenez, par exemple, toute la foule de gens dont dépend la nomination du Prétendant au poste de directeur. Cette foule comprend un certain A qui trouve que le Prétendant est le meilleur candidat, un certain B qui a signalé au Théoricien, à titre confidentiel, que le Prétendant menait un double jeu, un certain C, qui inonde toutes les instances d’épîtres qui dénoncent le Prétendant, etc. Cette foule est-elle intelligente, stupide, clairvoyante, aveugle ?... Ces concepts ne sont applicables qu’au groupe social considéré comme un tout, comme un individu. Or, ici, il n’y a pas de groupe social. Même lorsqu’on est en présence d’un groupe de génies, il arrive qu’il prenne des décisions dignes du dernier des idiots. Que peut-on attendre, alors, d’une multitude hétérogène, que seul le hasard a réunie et qui a à résoudre des problèmes dont elle n’a que faire, auxquels elle ne comprend rien, qu’elle ne soupçonne même pas. Le problème n’est pas que ces gens soient incapables de rendre une décision intelligente à notre point de vue, mais qu’il se forme un système de rapports sociaux qui les contraint à prendre des décisions stupides, même à leur propre point de vue36.

Les personnages des Hauteurs béantes ne possèdent plus de nom. Ils ne sont plus que des fonctions, voire des matricules, dans une société qui se veut justement transparente, utilitariste et égalitaire au point d’effacer toute identité par addiction numérique37. Les relations personnelles finissent par s’estomper et se résumer à des rapports sociaux et fonctionnels. D’ailleurs pendant toute la lecture du roman, le lecteur ne sait rien des personnages hormis leur fonction et leurs activités. L’amour même se réduit à des relations sexuelles programmées et autorisées par la société, à savoir validées par des instances supérieures vaguement identifiables, comme dans Nous autres de Zamiatine. Le phalanstère devient un monde concentrationnaire où l’informatique facilite la numérisation, la classification et l’organisation. L’homme s’y trouve numérisé et définitivement cloîtré derrière les barres-codes du Panopticon fédéral38.

Les écrivains russes contemporains poursuivent encore aujourd’hui l’exploration du topique du phalanstère. Viktor Olegovitch Pelevine (1962-) renouvelle sa forme en l’adaptant au mythe du labyrinthe du minotaure dans son roman intitulé Minotaure.com : le heaume d’horreur (2005)39. Neuf personnages sont séparément enfermés dans un phalanstère plus ou moins agréablement aménagé, dont les couloirs sont parfois traversés par des nains ou des lutins peu loquaces, en bure. Ils possèdent pour seul moyen de communication une version allégée de Facebook/Skype/Twitter qui leur permet de communiquer entre eux. Nul ne sait pourquoi il est là. Aussi le roman n’est-il constitué que des dialogues twittés de ces pseudonymes absurdes et pourtant symboliques comme Organisme, Roméo-y-Cohyba, Nutscracker, IseuT, Monstadamus, Ariane, UGLI666, etc. De plus, nul ne sait si derrière ces pseudonymes se cache un véritable être humain ou seulement un avatar numérique de la machine. Ils jouissent de biens matériels, mais ne sont plus libres de leur parole car un modérateur corrige automatiquement leur tchat afin qu’il soit le plus neutre possible. Aussi perdent-ils peu à peu confiance en leur individualité et finissent-ils pas croire en leur propre évanescence, en tant qu’émanation même de la machine, personnages de fiction qui cherchent sans y parvenir à s’en affranchir.

Cet échec de l’humanité face à l’omnipotence de la technique se retrouve enfin dans le roman dystopique 2017 (2006) d’Olga Slavnikova (1957-) car « les gens subodoraient que le monde avait cessé d’être authentique40 » : “ce monde n’est pas le réel […], juste une mascarade”41. Aussi le mensonge d’État n’est plus qu’un secret de polichinelle.

Les gens du peuple soupçonnent tristement qu’on les trompe pour rendre le monde pire qu’il ne devrait être. Mais le paradoxe, c’est que pour rendre le monde meilleur, il faut aussi les tromper. Les tromper tous. Parce qu’il leur faut un bonheur conforme à leur conception. On peut leur dire uniquement ce qu’ils souhaitent entendre42.

Le topos du phalanstère qui enchante le socialisme romantique se transforme en l’image cauchemardesque d’une société totalitaire et concentrationnaire qui condamne l’homme à une île perdue dans un océan de solitudes43. Les écrivains russes finissent par dénoncer les grandes constructions étatiques comme des moyens d’enfermement et d’idéologisation des foules. L’architecture, qui aurait dû libérer l’homme du poids de la réclusion urbaine, dessine les plans d’abord d’une cage dorée, puis d’un camp concentrationnaire pour toute une humanité demeurée encore humaine à l’heure de la post-humanité.

Il n’est donc pas étonnant de constater que le philosophe qui a dénoncé l’incarcération symbolique du parc humain44, Peter Sloterdijk (1947-), voit dans les galeries marchandes, le métro, les centres commerciaux, les hôpitaux, les maisons de retraite, les centres universitaires..., des phalanstères potentiels qui formatent inconsciemment l’esprit des hommes de façon à régler leur activité sur des réflexes purement fonctionnels45. L’esthète Paul Adam (1862-1920), issu d’une famille d’industriels et de militaires, préface avec enthousiasme, à la veille de la Grande Guerre, dans l’espoir de soumettre l’espace à la raison46, l’ouvrage essentiel de Georges Vanor, pseudonyme de Georges Van Ormelingen (1865-1906), pour qui “l’art est l’œuvre d’inscrire un dogme dans un symbole humain et de le développer par le moyen de perpétuelles variations harmoniques”47. L’homme post-humain est ainsi reclus dans des sphères plus ou moins symboliques qui le retiennent à son insu et dont il croit avoir un besoin vital pour affirmer sa propre existence dorénavant réduite à de simples fonctions.

En somme, l’architecture a été conçue d’abord au service de l’humanité : elle avait pour mission d’améliorer et de promouvoir la sédentarisation. Les progrès technique et technologique l’ont élevée comme une manifestation culturelle à la croisée des sciences et des arts. Les réalisations notamment françaises ont inspiré la Russie tsariste puis l’Union soviétique.

Cette architecture consacrée à la société trouve sa pleine manifestation dans le projet utopique du phalanstère français. Toutefois le culte rendu à l’industrialisation massive, à l’automatisation tous azimuts, à la robotisation excessive, à la numérisation aveugle contraint l’homme moderne à se conformer à un environnement de plus en plus économique, abstrait, standardisé, précaire. Le Palais de Cristal a ainsi servi de fil conducteur à toute une mystification dans l’espace et le temps.

Aussi, c’est bien l’esprit humain qui semble s’éteindre peu à peu avec une urbanisation sans mesure qui valorise d’autant plus la transparence globalisée qu’elle enferme chaque individu dans les méandres de ses propres remords, ne cessant de le culpabiliser sous prétexte de le libérer. Ne sommes-nous pas devenus nous-mêmes notre propre phalanstère, prétendant nous protéger tout en nous contraignant à une solitude finalement morbide ?

1 Emmanuel Ventura, Architecture utopique : imaginaire ou visionnaire ?, Lausanne, Favre, 2014. Utopische Orte: Utopien in Architektur- und

2 Victor Considerant, Considérations sociales sur l’architectonique, Paris, Libraires du Palais Royal, 1834.

3 Jules Lechevalier, Études sur la science sociale, Paris, Eugène Renduel, 1834.

4 Sylvie Buisson & Martine Fresia, La Ruche, Cité des artistes 1902-2009, Paris, Éditions Alternatives, 2009. La Ruche : le cen

5 Thomas Voet, La Colonie phalanstérienne de Cîteaux, 1841-1846 : les fouriéristes aux champs, Dijon, Presses universitaires de

6 Louise Bachelet,Phalanstère du Brésil : voyage dans l’Amérique méridionale, Paris, Pommeret et Guenot, 1842.Laurent Vidal,Ils ont rêvé d’

7 Victor Considerant, Au Texas, Bruxelles ; Paris, Société de colonisation/Librairie Phalanstérienne, 1855. Auguste Savardan, Naufrage au

8 Antiurbain : origines et conséquences de l’urbaphobie, Joëlle Salomon (éd.), Lausanne, Presses polytechniques et universitaires

9 Louis Reybaud, Études sur les réformateurs ou socialistes modernes, Paris, Guillaumin et Cie, 1849.

10 Habiter l’utopie : le familistère Godin à Guise, Thierry Paquot (éd.), Paris, La Vilette, 2004.

11 Jean-Claude Beaune, Machinations : anthropologie des milieux techniques (2), Seyssel, Champ Vallon, 2014. Patrice de Moncan,

12 Viatcheslav Ivanov et Mikhaïl Geschenson, Correspondance d’un coin à l’autre, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1979, p. 51-52.

13 Édouard de Pompéry, Les Thélémites de Rabelais et les harmoniens de Fourier (Paris : C.  Reinwald, 1892).

14 Georg Simmel, Les Grandes villes et la vie de l’esprit, trad. J.-L. Vieillard-Baron et F. Joly, Paris, Payot, 2013.

15 Nicolas Berdiaev, Les Sources et le sens du communisme russe, trad. Julien Cain, Paris, Gallimard, 1963, p. 56-57.

16 Fédor M. Dostoïevski, « Explication de F.M. Dostoïevski », in Le Carnet de Sibérie trad. Hélène Sinany, Paris, L’Herne, 1996

17 Николай Г. Чернышевский, Что делать? [Nicolas G. Tchernychevskij, Que faire?], Москва, Огиз, 1947, p. 

18 Николай Г. Чернышевский, op. cit., p. 369-370

19 Николай Г. Чернышевский, op. cit., p. 370-371

20 Фёдор М. Достоевский, Записки из подполья, in Полное собрание сочинений – 5 (Ленинград : Наука, 1973), p. 119 ; Fédor M. Dostoïevski

21 Daniel S. Larangé, Récit et Foi chez Fédor M. Dostoïevski : contribution narratologique et théologique aux « Notes d

22 Фёдор М. Достоевский, op. cit., p. 120 ; Fédor M. Dostoïevski, Les Notes d’un sous-sol, in Nouvelles et récits, trad.

23 Фёдор М. Достоевский, op. cit., p. 120 ; Fédor M. Dostoïevski, op. cit., p. 317.

24 Николай Николаевич Неплюев [Nikolaï Nikolaïevitch Neplutyev], Проект устава Воздвиженского сельскохозяйственного трудового

25 Daniel S. Larangé, Sciences et Mystique dans le romantisme social : discours mystiques et argumentation scientifique au XIXe 

26 Antoine Baudin, « Zamiatine, la peinture et quelques vicissitudes du modèle tayloriste dans les avant-gardes », in Autour de

27 Евгений Замятин, Мы, in Избранное, Москва, Правда, 1989), p. 320 // Evguéni Zamiatine, Nous autres, trad. B. Cauvet-Duhamel,

28 Leonid Heller, « Je est une cité de verre ou la question de transparence et d’animalité dans Nous autres de Zamiatine », in

29 « Entre la raison vitrifiée et toutes les forces psychiques susceptibles de lui faire obstacle ou concurrence – émotions

30 Евгений Замятин, op. cit., p. 330 ; Evgueni Zamiatine, op. cit., trad. B. Cauvet-Duhamel, p. 45.

31 Arcady et Boris Strougatski, Le Dernier cercle du Paradis, trad. Maxime Barrière, Paris, Le Masque, 1978, p. 158.

32 Alexandre Zinoviev, L’Antichambre du Paradis, trad. Wladimir Berelowitch, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, p. 19-20.

33 Alexandre Zinoviev, Katastroïka, trad. Wladimir Berelowitch, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1990, p. 16-17.

34 Arcady et Boris Strougatski, op. cit., trad. Maxime Barrère, p. 220-222.

35 Philippe Lejeune, « Cher écran » : journal personnel, ordinateur, Internet, Paris, Seuil, 2000 ; Gilles Lipovetsky

36 Александр А. Зиновьев, Зияющиевысоты, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1976 ; Alexandre Zinoviev, Les Hauteurs béantes, trad. Wladimir

37 Isabelle Sorente, Addiction générale, Paris, J.-C. Lattès, 2011.

38 Nicholas Negroponte, Being Digital, New York, Alfred A. Knopf, 1995.

39 Виктор О. Пелевин, Шлем ужаса : миф о Тесее и Минотавре, Москва, Эксмо, 2004 ; Minotaure.com : le heaume d’horreur, trad.

40 Olga Slavikova, 2017, trad. Christine Zeytounian-Beloüs, Paris, Gallimard, 2011, p. 223.

41 Ibid., p. 280.

42 Ibid., p. 408.

43 Roland Castro et Sihem Habchi, Nous sommes des millions à être seuls, Paris, David Reinharc, 2012.

44 Peter Sloterdijk, Regeln für den Menschenpark: ein Antwortschreiben zu Heideggers Brief über den Humanismus, Frankfurt am Main

45 Peter Sloterdijk : Sphären I: Blasen, Mikrosphärologie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1998 ; Sphären II: Globen,

46 Paul Adam, La Cité future : centre mondial, artistique et scientifique, Paris, Comité France-Amérique, 1914.

47 Georges Vanor, L’Art symboliste, Paris, Le Bibliopole Vanier, 1889, p. 35.

Notes

1 Emmanuel Ventura, Architecture utopique : imaginaire ou visionnaire ?, Lausanne, Favre, 2014. Utopische Orte: Utopien in Architektur- und Stadtbaugeschichte, Karl R. Kegler, Karsten Ley & Anke Naujokat (éd.), Aachen, Forum Technik und Gesellschaft der RWTH, 2004. Terje Nils Dahle, Utopische Architektur, Stuttgart, IRB, 1985.

2 Victor Considerant, Considérations sociales sur l’architectonique, Paris, Libraires du Palais Royal, 1834.

3 Jules Lechevalier, Études sur la science sociale, Paris, Eugène Renduel, 1834.

4 Sylvie Buisson & Martine Fresia, La Ruche, Cité des artistes 1902-2009, Paris, Éditions Alternatives, 2009. La Ruche : le centenaire d’une cité d’artistes, Sylvie Buisson (éd.), Paris/Anglet, Musée du Montparnasse/SCÉRÉN-CNDP/Atlantica, 2002.

5 Thomas Voet, La Colonie phalanstérienne de Cîteaux, 1841-1846 : les fouriéristes aux champs, Dijon, Presses universitaires de Dijon, 2001.

6 Louise Bachelet, Phalanstère du Brésil : voyage dans l’Amérique méridionale, Paris, Pommeret et Guenot, 1842. Laurent Vidal, Ils ont rêvé d’un autre monde : 1841, cinq cents Français partent pour le Brésil fonder un nouvel Éden. Iront-ils au bout de leur utopie ?, Paris, Flammarion, 2014.

7 Victor Considerant, Au Texas, Bruxelles ; Paris, Société de colonisation/Librairie Phalanstérienne, 1855. Auguste Savardan, Naufrage au Texas : observations et impressions recueillies pendant deux ans et demi au Texas et à travers les États-Unis d'Amérique, Paris, Garnier Frères, 1858.

8 Antiurbain : origines et conséquences de l’urbaphobie, Joëlle Salomon (éd.), Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2010.

9 Louis Reybaud, Études sur les réformateurs ou socialistes modernes, Paris, Guillaumin et Cie, 1849.

10 Habiter l’utopie : le familistère Godin à Guise, Thierry Paquot (éd.), Paris, La Vilette, 2004.

11 Jean-Claude Beaune, Machinations : anthropologie des milieux techniques (2), Seyssel, Champ Vallon, 2014. Patrice de Moncan, Villes utopiques, villes rêvées, Paris, Le Mécène, 2003.

12 Viatcheslav Ivanov et Mikhaïl Geschenson, Correspondance d’un coin à l’autre, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1979, p. 51-52.

13 Édouard de Pompéry, Les Thélémites de Rabelais et les harmoniens de Fourier (Paris : C.  Reinwald, 1892).

14 Georg Simmel, Les Grandes villes et la vie de l’esprit, trad. J.-L. Vieillard-Baron et F. Joly, Paris, Payot, 2013.

15 Nicolas Berdiaev, Les Sources et le sens du communisme russe, trad. Julien Cain, Paris, Gallimard, 1963, p. 56-57.

16 Fédor M. Dostoïevski, « Explication de F.M. Dostoïevski », in Le Carnet de Sibérie trad. Hélène Sinany, Paris, L’Herne, 1996, p. 95-98.

17 Николай Г. Чернышевский, Что делать? [Nicolas G. Tchernychevskij, Que faire?], Москва, Огиз, 1947, p. 368-369

18 Николай Г. Чернышевский, op. cit., p. 369-370

19 Николай Г. Чернышевский, op. cit., p. 370-371

20 Фёдор М. Достоевский, Записки из подполья, in Полное собрание сочинений – 5 (Ленинград : Наука, 1973), p. 119 ; Fédor M. Dostoïevski, Les Notes d’un sous-sol, in Nouvelles et récits, trad. Bernard Kreise, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1993, p. 316.

21 Daniel S. Larangé, Récit et Foi chez Fédor M. Dostoïevski : contribution narratologique et théologique aux « Notes d’un souterrain » (186), Paris, L’Harmattan, 2001.

22 Фёдор М. Достоевский, op. cit., p. 120 ; Fédor M. Dostoïevski, Les Notes d’un sous-sol, in Nouvelles et récits, trad. Bernard Kreise, p. 317.

23 Фёдор М. Достоевский, op. cit., p. 120 ; Fédor M. Dostoïevski, op. cit., p. 317.

24 Николай Николаевич Неплюев [Nikolaï Nikolaïevitch Neplutyev], Проект устава Воздвиженского сельскохозяйственного трудового христова братства [Projet de construction d’une fraternité agricole chrétienne à Vozzdizhensk] (СПб. : 1885). B. Kerblay, « La commune agricole de N. Nepljuev d’inspiration slavophile », in Russes, Slaves et Soviétiques : pages d’histoire offertes à Roger Portal, Paris, Institut d’Études Slaves, 1992, p. 189-204. Régis Ladous, Un bonheur russe : la communauté slavophile de Nicolas Népluyev, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1999.

25 Daniel S. Larangé, Sciences et Mystique dans le romantisme social : discours mystiques et argumentation scientifique au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2014.

26 Antoine Baudin, « Zamiatine, la peinture et quelques vicissitudes du modèle tayloriste dans les avant-gardes », in Autour de Zamiatine, Leonid Heller (éd.), Lausanne, L’Âge d’Homme, 1989, p. 99-112

27 Евгений Замятин, Мы, in Избранное, Москва, Правда, 1989), p. 320 // Evguéni Zamiatine, Nous autres, trad. B. Cauvet-Duhamel, Paris, Gallimard, 2006, p. 32.

28 Leonid Heller, « Je est une cité de verre ou la question de transparence et d’animalité dans Nous autres de Zamiatine », in Les Imaginaires de la ville : entre littérature et arts, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p.  65-80.

29 « Entre la raison vitrifiée et toutes les forces psychiques susceptibles de lui faire obstacle ou concurrence – émotions, sentiments, passions, images, rêves, fantasmes, motivations éthiques, ironiques ou esthétiques, etc. –, se déroule une lutte sans merci, à la vie à la mort. » Roger Dadoun, L’Utopie, haut lieu d’inconscient : Zamiatine, Duchamp, Péguy, Paris, Sens & Tonka, 2000, p. 69.

30 Евгений Замятин, op. cit., p. 330 ; Evgueni Zamiatine, op. cit., trad. B. Cauvet-Duhamel, p. 45.

31 Arcady et Boris Strougatski, Le Dernier cercle du Paradis, trad. Maxime Barrière, Paris, Le Masque, 1978, p. 158.

32 Alexandre Zinoviev, L’Antichambre du Paradis, trad. Wladimir Berelowitch, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1980, p. 19-20.

33 Alexandre Zinoviev, Katastroïka, trad. Wladimir Berelowitch, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1990, p. 16-17.

34 Arcady et Boris Strougatski, op. cit., trad. Maxime Barrère, p. 220-222.

35 Philippe Lejeune, « Cher écran » : journal personnel, ordinateur, Internet, Paris, Seuil, 2000 ; Gilles Lipovetsky et Jean Servoy, L’Écran global : culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne, Paris, Seuil, 2007.

36 Александр А. Зиновьев, Зияющие высоты, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1976 ; Alexandre Zinoviev, Les Hauteurs béantes, trad. Wladimir Berelowitch, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1977, p. 227-228.

37 Isabelle Sorente, Addiction générale, Paris, J.-C. Lattès, 2011.

38 Nicholas Negroponte, Being Digital, New York, Alfred A. Knopf, 1995.

39 Виктор О. Пелевин, Шлем ужаса : миф о Тесее и Минотавре, Москва, Эксмо, 2004 ; Minotaure.com : le heaume d’horreur, trad. Galia Ackerman et Paul Lequesne, Paris, Flammarion, 2005.

40 Olga Slavikova, 2017, trad. Christine Zeytounian-Beloüs, Paris, Gallimard, 2011, p. 223.

41 Ibid., p. 280.

42 Ibid., p. 408.

43 Roland Castro et Sihem Habchi, Nous sommes des millions à être seuls, Paris, David Reinharc, 2012.

44 Peter Sloterdijk, Regeln für den Menschenpark: ein Antwortschreiben zu Heideggers Brief über den Humanismus, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1999.

45 Peter Sloterdijk : Sphären I: Blasen, Mikrosphärologie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1998 ; Sphären II: Globen, Makrosphärologie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1999 et Sphären III: Schäume, Plurale Sphärologie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2004.

46 Paul Adam, La Cité future : centre mondial, artistique et scientifique, Paris, Comité France-Amérique, 1914.

47 Georges Vanor, L’Art symboliste, Paris, Le Bibliopole Vanier, 1889, p. 35.

Illustrations

Fig. 1 : L’avenir. Perspective d’un           Phalanstère ou Palais Sociétaire dédié à l’humanité.

Fig. 1 : L’avenir. Perspective d’un Phalanstère ou Palais Sociétaire dédié à l’humanité.

Lithographie. Bordeaux, Imprimerie et lithographie de H. Faye, s. d. [vers 1840] de Charles Fourier et J. Hervé. Paris, BnF, Littérature et Art, Z-286 (15) 56 x 77 cm. Domaine public.

Fig. 2 Dessin du site industriel du             Familistère de Godin

Fig. 2 Dessin du site industriel du Familistère de Godin

avec la fonderie à droite et les bâtiments de vie (le Familistère), à gauche

Fig. 3 L’Abbaye de Thélème reconstituée             par Charles Lenormant en 1840

Fig. 3 L’Abbaye de Thélème reconstituée par Charles Lenormant en 1840

Fig. 4 : La façade du premier Crystal             Palace.

Fig. 4 : La façade du premier Crystal Palace.

Première exposition de 1851, Londres, Angleterre. Catalogue illustré officiel.

Bibliothèque nationale de la Diète, Japon, Domaine public.

Fig. 5 : La grande exposition au             Crystal Palace de Londres, 1851

Fig. 5 : La grande exposition au Crystal Palace de Londres, 1851

Première exposition de 1851, Londres, Angleterre. Tallis, J. et al., Tallis's history and description of the Crystal Palace [1851?]

Bibliothèque nationale de la Diète, Japon, Domaine public.

Fig. 6 : L’intérieur du Crystal Palace.             Département anglais. View             of the British Nave.

Fig. 6 : L’intérieur du Crystal Palace. Département anglais. View of the British Nave.

Catalogue illustré de l’exposition.

Bibliothèque nationale de la Diète, Japon, Domaine public.

Fig. 7 Photographie du Crystal Palace             (1854) de Philip Henry Delamotte (1821-1889)

Fig. 7 Photographie du Crystal Palace (1854) de Philip Henry Delamotte (1821-1889)

Domaine public.

Fig. 8 Panopticon dessiné par Willey Reveley             en 1791.

Fig. 8 Panopticon dessiné par Willey Reveley en 1791.

Fig. 9 Photographie du Crystal Palace             (1854) de Philip Henry Delamotte (1821-1889).

Fig. 9 Photographie du Crystal Palace (1854) de Philip Henry Delamotte (1821-1889).

Domaine public.

Citer cet article

Référence électronique

Daniel S. LARANGÉ, « Le Phalanstère », Sociopoétiques [En ligne], 3 | 2018, mis en ligne le 16 novembre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=232

Auteur

Daniel S. LARANGÉ

CPGE, Institut Sainte-Croix de Neuilly

Droits d'auteur

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