Sociopoétique des mythes et herméneutique

Les anamorphoses du Monstre d’Ismaïl Kadaré

DOI : 10.52497/sociopoetiques.628

Résumé

Résumé : C’est au repérage des mutations du sens d’une référence supposément partagée que le présent article engage à réfléchir à partir de l’exemple du Monstre d’Ismaïl Kadaré, découvert en 1991 par le public occidental mais dont il existait une version plus courte, datée de 1965 et restée sans traduction. De plus, en même temps qu’une deuxième version succédait à la première, Le Monstre passait d’une époque à une autre, et d’un public puis à un autre.

Index

Mots-clés

Kadaré (Ismaïl), parabole, réécritures, cheval de Troie

Keywords

Kadaré (Ismaïl), parable, rewriting processes, Trojan horse

Plan

Texte

Selon les spécialistes des littératures de l’ex-bloc de l’Est, si des auteurs aussi variés que Mikhaïl Boulgakov, Christa Wolf ou Ismaïl Kadaré ont eu recours à la parabole, c’est en raison de son oblicité, afin de pouvoir ruser avec la censure, car la forme autorise par définition une pluralité de lectures1. Mais la connivence culturelle sollicitée par le dispositif, et qui détermine l’interprétation, n’a pas toujours été repérée. De là l’intérêt de cette remarque de Maria Delapierre :

Toute parabole suppose la maîtrise d’un code plus ou moins difficile à déchiffrer. Il arrive que la stimulation de l’imagination collective par le biais de la parabole puisse avoir un impact fulgurant2 […].

Dans le cas particulier d’une parabole intertextuelle, cette mobilisation d’un imaginaire commun à l’auteur et à ses lecteurs peut être à la fois réelle et efficace, et illusoire et trompeuse. En effet, une référence supposément connue de tous (un épisode mythologique, par exemple) peut en pratique devenir le lieu d’un partage aux sens opposés du terme : un repère que l’on a en partage, certes, mais aussi un point de départ qui enclenche des associations d’idées variées, voire hétérogènes, dans la mesure où la référence se conçoit selon des contours divergents en fonction des époques et des pays. On peut objecter à cette analyse que l’auteur et son lectorat premier ont par définition une même culture ; mais les textes finissent toujours par voyager, dans le temps et dans l’espace. De plus, un des « impacts fulgurants » de la parabole peut précisément être de travailler à redéfinir la référence commune, de la déplacer, de s’opposer à l’interprétation dominante qui en est faite ; toutes opérations qui peuvent, ou non, être comprises, en vertu de l’écriture oblique de la parabole. Par conséquent « la stimulation de l’imagination collective par le biais de la parabole » peut emprunter des tours variés, voire contradictoires, soit immédiatement, soit lorsque le texte gagne de nouveaux publics.

C’est au repérage de ces mutations du sens d’une référence supposément partagée que je voudrais réfléchir à partir de l’exemple du Monstre d’Ismaïl Kadaré. Le public occidental a découvert ce roman en 19913, mais il en existait une version plus courte, parue dans la revue Nëndori en décembre 19654 et restée sans traduction, car elle choqua et fut reléguée dans les oubliettes. Il y a donc là un premier principe de mutation du sens. Mais en même temps qu’une deuxième version succédait à la première, Le Monstre passait d’une époque à une autre, et d’un public puis à un autre. Ce qui place l’herméneute face à une série de défis interprétatifs : comment, guidé par les principes de la sociopoétique, repérer le sens premier de la référence au Cheval de Troie, culturellement déterminée dans l’Albanie d’Enver Hoxha ? Comment rendre compte des déplacements qu’opère éventuellement la version de 1965 dans ce premier horizon d’attente ? Comment dépasser les commentaires actuels sur Le Monstre, souvent peu informés de l’histoire du texte, et inattentifs à ce qu’une lecture contemporaine, postcommuniste et occidentale, peut manquer de sa complexité ?

On tentera de répondre à cette série de questions en partant de ce que le lectorat croit savoir de nos jours sur le roman, puis en repérant ce qu’il oublie, avant de commencer à tirer profit d’une comparaison entre les pages de 1965 et le roman de 1990.

De la revue au roman : les mots de l’auteur sur l’histoire d’un texte

Revenant à vingt-cinq ans de distance sur ses débuts littéraires, Ismaïl Kadaré présente à Éric Faye son désir d’audace esthétique, qu’il satisfit avec la parution du Monstre [Përbindëshi] :

J’ai écrit Le monstre, roman très court mais fort audacieux du point de vue de la forme. À cette époque-là, je me sentais fort capable de trouver de nouvelles formules d’écriture. […] À l’époque, j’avais décidé que tout ce que j’écrirais devrait chaque fois avoir une nouvelle forme. Pour Le monstre, l’innovation résidait dans la manière d’utiliser le temps romanesque5.

L’éclairage est à peu près le même dans Le Poids de la Croix,6 avec quelques précisions supplémentaires :

À la hâte, avec cette espèce d’ardeur fébrile qu’on met à son travail pour oublier le monde alentour, j’écrivis tour à tour Le Général de l’armée morte et Le Monstre. Encore libre dans le cadre de la tyrannie, je m’empressais de profiter de cette liberté […]. […] Dans Le Monstre, par exemple, je m’étais efforcé de maîtriser le temps, lui laissant libre cours dans une partie de l’œuvre, l’immobilisant dans une autre. Non seulement l’événement, tout en paraissant identique, avait ainsi deux âges, semblait dater ici de trois mille ans, là d’une seule année, mais encore ces âges s’intervertissaient sans cesse : l’ancien s’actualisait brusquement et, à l’opposé, le récent s’enfonçait dans le passé. Mais, dans ce livre, je m’étais également efforcé de faire quelque chose de plus complexe encore : décrire une Troie sans sa chute, une sorte de non-Troie, revenait à essayer de corriger, de réparer quelque chose dans la conscience de l’humanité entière.

Ainsi, arc-bouté dans un triple refus esthétique, existentiel et moral, Kadaré s’éloignerait, dans cette œuvre de jeunesse, du réalisme socialiste, du « monde alentour » et de l’image antique de la guerre de Troie. Ses pages sur le siège d’une Troie/Tirana menacée par un cheval de Troie/fourgon ont donc tout pour dérouter le lecteur, perdu dans un univers fictionnel instable, où la représentation se dédouble sans cesse et recourt à des codes esthétiques novateurs.

Le récit ne pouvait que heurter et il choqua, raconte l’auteur. La formulation des Entretiens avec Éric Faye est laconique :

Quant au Monstre, un seul article, dévastateur, a été publié contre lui, et rien d’autre7.

Helena Kadaré évoque des remous survenant à l’intérieur même du processus éditorial, une fois le manuscrit accepté, et la convocation d’Ibrahim Uruçi, directeur de la revue Nëndori, « à la direction de la presse du Comité central8 » :

Pour la première fois, on voyait fonctionner la mécanique qui tenait sous son contrôle la littérature et les arts. Jusque-là, nous avions vu les choses en noir et blanc : approbation ou désapprobation, autorisation ou interdiction… Tout était apparemment bien plus compliqué9.

Et de citer également l’avis féroce, dans le contexte, de l’écrivain Kapllan Resuli, qui jugea l’œuvre « décadente » et dangereuse en ce qu’elle importait des influences « bourgeoiso-révisionnistes10 ». Les pages parurent mais la sanction fut l’« oubli11 », pour ne pas dire la mise à l’index12, ainsi qu’une réputation sulfureuse, comme en témoigne le compte rendu d’une réunion du comité central du Parti du Travail albanais, dix ans plus tard, le 25 octobre 197513 : « Ce n’est pas la première fois que Kadaré se compromet. Souvenez-vous du Monstre […] ». Lorsque, en 1991, Le Monstre paraît « sous forme de livre14 », dans sa « version définitive15 », non seulement ses contours mêmes ont changé puisque le roman est considérablement plus long, mais il émerge de l’oubli dans un paysage politique qui est en train de se modifier radicalement : « la situation s’est débloquée16 », le livre sort, et ses lecteurs n’ont à coup sûr plus le même horizon d’attente, et ce de part et d’autre de l’ancien rideau de fer.

Avant d’étudier ce point en particulier, observons que le public français est préparé à lire Le Monstre dont on lui annonce la parution imminente aussi bien dans les Entretiens avec Éric Faye que dans Printemps albanais, et surtout qu’il le lira volontiers avec les yeux de l’auteur. En effet, à partir des années 1990, ainsi que j’ai essayé de le montrer dans Visages d’Ismaïl Kadaré17, s’ouvre une période particulière de la réception de Kadaré : d’abord introduite par les réseaux militants, avec l’appui de l’ambassadeur Javer Malo, puis envisagée comme expression de l’âme albanaise, l’œuvre de Kadaré est alors interprétée à la lumière des propos de l’auteur sur son parcours, et sur sa radicale bien que prudente dissidence, qui découle toute entière d’une unique allégeance – à la Littérature. Dans cette perspective, Le Monstre occupe une place de choix : publié juste après Le Palais des rêves (1990), et dans le sillage des essais sur Eschyle (1988) et Migjeni (1990), ainsi que du discours autobiographique qui se développe dans les Entretiens avec Éric Faye (1991) et dans Le Poids de la Croix, le roman sera apprécié pour sa complexité formelle et l’audace de son propos. Mieux, comme il contient aussi quelques allusions à la vie personnelle de l’auteur (son épouse s’appelle Helena18 et elle rompit des fiançailles pour épouser peu après un brillant sujet, lui aussi revenu de Moscou, alors que l’Albanie prenait ses distances avec l’URSS19), il semble renfermer en lui-même une image de Kadaré et avoir valeur d’autoportrait. Il devient ainsi, par l’accueil immédiat et par l’histoire fictionnelle, extérieurement et intérieurement, une preuve de l’opposition de l’auteur au régime. Extérieurement, car le texte fut rejeté par la critique et occulté, au point de traumatiser Kadaré, de lui faire perdre, dit-il, ses « cellules d’avant-garde20 », et de le contraindre désormais à la ruse pour dire subrepticement ce qu’il avait à dire, par exemple en se réfugiant dans la poésie pour y trouver l’espace de parole refusé dans la prose21. Intérieurement, car Gent/Pâris entretient plus d’une ressemblance avec le romancier : outre la parenté de leur situation amoureuse, une même découverte désolée de la chute de Troie dans l’enfance22, puis des recherches sur la mythographie, la méfiance vis-à-vis des versions au service des vainqueurs, l’intérêt pour la mise à l’écart de Tremoh, l’Homère troyen, et la transformation finale en Laocoon, soudain pétrifié et frappé de mutisme à tout jamais, tout paraît faire converger le personnage de 1990 et son auteur, et les unir dans une protestation contre les mensonges d’État et la manipulation des consciences23.

Et de fait, la provocation du Monstre ne tient pas uniquement à la perte de repères temporels, voire narratifs, à laquelle il confronte le lecteur, plongé dans une perplexité qu’Helena Kadaré décrit avec humour :

Les gens n’en croyaient pas leurs yeux. Qu’était-ce que cette prose jamais vue ? D’où sortaient ce sujet, ces personnages, cette façon de composer, bref, ce… monstre24 ?

Allant plus loin avec Alain Bosquet qu’avec Éric Faye, Kadaré reformule ainsi la portée politique de son roman, en dressant un parallèle entre La Pyramide (1992) et Le Monstre :

Je suis donc parti de la surface du temps pour descendre vers ses profondeurs, et non pas de ses profondeurs pour remonter jusqu’à notre monde actuel. J’avais plus ou moins accompli cette descente en 1965 lorsque, avec l’image du cheval de Troie, j’avais mis l’accent, plus que sur l’idée de trahison intérieure, principale hantise des communistes, sur une autre idée : l’angoisse et la terreur d’État. J’avais imaginé le Cheval comme une pression s’exerçant sans relâche, des années durant, à l’horizon de notre vie, pour laminer nos âmes25.

La cible est donc claire : évoquer une tension permanente, le sentiment sourd d’une menace qui met les habitants au pas. Mais les moyens du roman de 1990 sont complexes, parce qu’ils relèvent de l’impulsion créatrice et qu’ils élaborent, on l’a déjà dit, une temporalité complexe, faite de va-et-vient entre diverses époques, entre la Troie antique et l’Albanie du début des années soixante, et de la curieuse alliance d’un temps qui passe et d’un temps arrêté. Ils sont également complexes parce qu’ils jouent malgré tout avec certaines des injonctions du réalisme socialiste (peindre une situation de crise et les forces en présence), voire parce qu’ils retournent contre elle les schémas de représentation de la propagande : le cheval de Troie du révisionnisme et les possibles trahisons à l’intérieur du camp troyen/albanais, éventuellement prêt à succomber aux manœuvres d’Ulysse K./Khrouchtchev.

Même averti, le lecteur actuel risque de passer à côté de ce dernier aspect des choses. Il se pourrait bien qu’il soit désormais subjugué par ce que Kadaré appelle « l’aura secrète26 » de son œuvre, et qu’il la lise « dans une optique nouvelle27 », renforçant ainsi la portée subversive de l’œuvre, à la faveur d’un double ou triple oubli : celui du paysage mental de l’Albanie communiste, celui des écarts entre le texte de 1965 et le roman de 1990, l’oubli enfin de ce qui conditionne sa propre lecture, en creux (méconnaissance, oublis) et en relief (attentes, idées préconçues…).

L’arrière-plan d’une image identitaire

À la fin d’Ismaïl Kadaré. Prométhée porte-feu28, Éric Faye met en garde sur le « risque d’erreur » dans nos interprétations, et sur la tâche impossible du traducteur qui, aux prises avec deux langues éloignées, associées chacune à une « toile de fond29 » spécifique, ne peut jamais restituer le texte original. Je voudrais ici historiciser son propos en évoquant moins l’albanais que l’Albanie des années soixante, avec son système de représentations et d’images de soi.

De toute évidence, le motif du siège de Troie, au cœur du dispositif fictionnel, reconduit l’idée de la citadelle albanaise. On a là affaire (aussi) à une image récurrente du pays et de sa capacité de résistance, valorisée et instrumentalisée par le pouvoir. Les témoignages sur les mots d’ordre du Parti ne manquent pas. Luan Rama cite par exemple « Lutter et vivre dans un état de siège30 ». Gazmend Kapllani31 mentionne « Même assiégés, nous agissons, même assiégés, nous vivons, même assiégés, nous pensons. » Jean-Paul Champseix rappelle « l’obsessionnel slogan de “l’Albanie, citadelle assiégée”32 » et précise :

De nombreux dessins de propagande montraient le pays avec, pour frontières, de hauts murs crénelés de forteresse médiévale, entourés de voisins hostiles et belliqueux accusés de pratiquer un « blocus ».

En ce sens, l’évocation de la guerre de Troie ne tourne donc pas le dos au « monde alentour33 », mais s’appuie sur une figuration, parfaitement familière aux Albanais, de l’encerclement de leur pays. La transposition à peine allégorique de Tirana en Troie correspond même à une tournure de pensée prompte à jeter des ponts entre les époques pour mieux célébrer l’esprit séculairement indomptable des habitants. Ainsi, à propos de la réception des Tambours de la pluie34 (1970), Gjergj Misha ironise sur « l’analogie formelle » établie par la critique officielle entre les luttes de Scanderbeg au xvsiècle contre les Ottomans et l’opposition d’Enver Hoxha aux « forces de l’impérialisme » ; il y voit un effet de « la rhétorique du réalisme socialiste » et de sa capacité à transformer les données du réel historique en instrument idéologique35.

Il ne s’agit évidemment pas de rabattre les œuvres de Kadaré sur la propagande, mais de montrer qu’elles peuvent sembler s’y rattacher, y prendre un élan, y faire écho. Du reste, un critique docile au régime, Koço Bihiku, relève précisément l’importance du thème de « l’esprit insoumis du peuple albanais en lutte contre le blocus bourgeois et révisionniste36 » dans un poème comme « Les aigles volent haut » (1966) ou dans Le général de l’armée morte (1963)37 pour ne citer que des œuvres quasiment contemporaines de la première version du Monstre. Toutefois, pas un mot, bien entendu, des pages parues dans Nëndori en 1965.

Est-ce à dire que le roman dans sa première version serait de part en part inassimilable, au double plan formel et idéologique ? Sans doute pas, et il convient de nuancer, ce qu’il est possible de faire même en s’en tenant, pour commencer, aux éléments communs entre les deux versions. La conduite du couple d’amoureux doit s’apprécier dans le contexte des mutations de la société albanaise sous le communisme : si l’on y observait un certain puritanisme, la lutte avait été déclarée contre les mariages arrangés, et les femmes commençaient à gagner une forme de liberté. De ce point de vue là, l’Elena de 1965 comme la Lena de 1990 sont bien sur la voie de l’émancipation, en marche vers un monde nouveau. Quant aux réalisations de l’Albanie socialiste, elles ne sont pas oubliées dans la scène où les amoureux visitent un chantier de construction et se projettent dans un avenir qui leur offrira le confort de la modernité38 ainsi que la liberté de jeunes citadins émancipés. De ce point de vue, les pages témoignent d’un élan et d’un optimisme, que deux détails supplémentaires achèveront d’établir : l’échec même des assiégeants, qui se trompent de cible en tuant Ana et non Elena/Lena, perdent l’un des leurs et s’enlisent dans une attente qui les tient à l’écart de toute action efficace, équivaut par la négative à un triomphe des assiégés, qui vont de l’avant, eux ; l’annonce de la venue prochaine d’un enfant chez Gent et Lena durcit encore l’antithèse entre un passé enkysté et un présent plein de promesses, antithèse davantage manifeste dans la version de 1965 par la juxtaposition des deux thèmes à quelques pages d’intervalle, à la fin de l’ouvrage39. Quatre ans plus tard, un poème comme « les Années soixante40 » célébrera aussi la clairvoyance de la citadelle albanaise, qui a su déjouer les visées du Cheval de Troie du révisionnisme soviétique et éviter ainsi le sort de la Tchécoslovaquie, désormais sous le joug de l’envahisseur : la langue de bois du poème crée un contraste avec l’inventivité du roman, mais confirme également que celui-ci récupère une série d’images identitaires.

Si bien que la monstruosité du Monstre, qu’Helena Kadaré définissait en termes esthétiques, se conçoit sans doute pour nous, désormais, en termes historiques et politiques. Il se pourrait bien que nous voyions parfois trouble, pris dans le jeu de focales qui nous fait voyager de l’Antiquité à nos jours et, surtout, nous égare dans un texte que nous ne savons situer nettement dans les années soixante ou les années quatre-vingt-dix, sans même parler de nos grilles de lecture, immanquablement anachroniques et sous l’influence du commentaire auctorial.

Histoire d’un brouillage symbolique

On a déjà commencé à voir qu’il faut se méfier de certaines affirmations de Kadaré : l’image du cheval de Troie n’est pas une manière de congédier le présent communiste, puisqu’elle appartient à un système de représentation qui a les faveurs du régime. Les choses sont encore plus claires si l’on cherche à creuser l’écart entre la version de 1965 et celle de 199041. En effet, le moment où se déroule l’histoire des amoureux et celui de la rédaction tendent à coïncider. Contrairement à la version de 1991, l’action située à Tirana ne se déroule pas entre l’automne 1960 et l’automne 196142, mais en 1964 : un détail du chapitre 7 l’indique, en mentionnant la mort de Gérard Philipe, intervenue cinq ans plus tôt43. D’autres indications temporelles sont plus floues mais s’accordent avec la première : la crainte d’une troisième guerre mondiale (p. 68), des allusions hostiles à la politique des États-Unis au Vietnam (p. 35-36) et en République dominicaine (p. 60), ou l’annonce d’un spectacle chinois (p. 6644). Rien de ce qui transforme explicitement le roman de 1990 en une évocation du schisme entre l’Albanie et l’URSS ne figure dans les pages publiées en 1965 : on y cherchera en vain l’équivalent des pages 16, 28, 64, 66, 73, 79 et 179 qui tournent autour des tensions au sein du bloc communiste. Pour l’anecdote, cela renforce la similitude entre l’histoire fictionnelle et la biographie de l’auteur, avec l’annonce au chapitre 9 d’une naissance dans le couple, puisque la fille aînée des Kadaré est née à la mi-décembre 1964. Il resterait à comprendre pourquoi la version de 1990 revient sur un épisode déjà traité dans Le Grand Hiver (1973, puis 1977), en le reformulant avec l’image centrale du poème « Les années soixante ».

Mais, dans une étude qui réfléchit aux enjeux herméneutiques de la sociopoétique, on peut se contenter de relever que, du coup, la signification du Cheval de Troie n’est plus la même : il ne s’agit plus spécifiquement du révisionnisme soviétique. L’un des deux pôles de la mise en image (l’assimilation de l’Albanie communiste à une citadelle imprenable) reste identique, mais l’ennemi a changé. Le chapitre 4, en 1965, est capital pour comprendre ce qui sépare les deux versions. Par certains aspects, il ressemble au chapitre 6 du roman que nous lisons désormais : on y voit Elena au café avec son ami, puis continuant à discuter avec lui lors d’une promenade nocturne, qui les amène dans le voisinage du fourgon/cheval de bois. Mais le personnage masculin est fort différent de ce que sera Gent en 1990 : il est ingénieur, et, face à une Elena rêveuse et parfois apeurée, il endosse le rôle de la présence rassurante, confiante dans l’avenir, dans la sphère privée comme dans la sphère collective. Car l’ennemi est désormais les mentalités archaïques, ou, pour le dire avec les termes mêmes du jeune homme, « le monde ancien avec tous ses éléments : la diversion, la propriété, les préjugés, la vendetta, l’absence de parole, la trahison. La conscience mauvaise de notre époque45. » En refusant un mariage arrangé46, Elena a tourné le dos au monde ancien, mais il lui arrive de tenir des propos passéistes. Juste avant le passage qui vient d’être cité, elle se demandait si le cheval pouvait venir « de la profondeur des vieux mythes » et son ami précise les choses pour la désabuser et la confronter aux luttes du présent. Du reste, la relation dissymétrique, au sein du couple, attribue fréquemment à l’homme des propos militants : il manie le « nous » collectiviste, on l’a vu47 ; il a la certitude que le cheval partira, mais au prix de la lutte de tous. En cas d’échec, improbable donc, si le cheval finissait par faire partie de l’horizon, alors il réduirait leurs âmes et tous seraient comme les insectes qui vivent trop peu de temps pour savoir ce qu’est le matin48 : la comparaison animalière s’appuie sur une conception progressiste du temps, elle-même associée à l’idée de juste et pleine connaissance, comme le veut la notion même d’« horizon de l’histoire49 ».

Cette confrontation entre vieux monde et pays sur la voie du progrès est au cœur de la construction de la nouvelle, plus resserrée et surtout plus linéaire que le roman. Pour comprendre rapidement cette différence essentielle, proposons un tableau comparé du découpage en chapitres des deux versions du Monstre.

Le Monstre 1965 Le Monstre 1990
Chapitre 1 Chapitre I
Chapitre II
Chapitre 2 Chapitre III
Chapitre 3 Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre 4 Chapitre VI
Chapitre 5 Chapitre VII
Chapitre 6 Chapitre VIII
Chapitre 7 Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre 8 Chapitre XIV
Chapitre 9 Chapitre XV
Chapitre 10 Chapitre XVI
Chapitre 11 Chapitre XVII
Chapitre XVIII

On repère immédiatement qu’aucun des chapitres « mythologiques » ne figure dans la version de 1965 : Genth, qui y est un scientifique et non un doctorant en lettres, ne se soucie pas de démêler le vrai du faux dans les récits mythographiques qu’il peut lire ; il ne confond pas correspondance privée et pages de thèse, ni n’introduit de doute sur l’énonciateur, comme aux chapitres X à XIII, lesquels, vu l’articulation avec la fin du chapitre IX, peuvent être compris comme une fiction inventée par Gent ; il ne se métamorphose pas en Laocoon.

Dans la version de 1965, précisément, il existe un personnage distinct qui porte ce nom.

D’abord évoqué par le jeune couple au chapitre 4, où sa mise en garde est jugée utile, il réapparaît aussi bien dans les conversations entre les habitants du cheval, aux chapitres 5 et 9, que dans le groupe statuaire qui célèbre son sacrifice, et que les amoureux vont admirer au début du chapitre 750. Son mot d’ordre « mos i besoni kalit » (« méfiez-vous du cheval ») ouvre du reste les pages de la nouvelle, puisqu’il figure en exergue. Loin d’être une victime du totalitarisme, comme dans la version de 1990, ou de se battre en vain pour être entendu, comme dans le récit virgilien, c’est un héros qui a mis sa lucidité au service de la collectivité, et a permis à tous de résister à l’influence pernicieuse du « monde ancien ». De ce point de vue là, il faut revenir aux chapitres conclusifs de 1965, dont on a déjà suggéré qu’ils avaient valeur de happy end. Le chapitre 11, comme le chapitre XVII, nous fait assister à la déconfiture des habitants du Cheval. Mais il y a plus, car non loin de la tombe d’Acamante, le Constructeur voit qu’on érige un curieux édifice :

Qu’est-ce que cela peut bien être ? Cela fait tant de jours que je m’efforce de comprendre. Un hôtel ? Une fabrique ? Une tour ? On ne saurait rien deviner. Un bâtiment énigmatique dans la plaine ouverte. S’ils devaient rehausser encore l’armature [mot à mot « le squelette »], alors le bâtiment fermera entièrement la vue sur la ville. Peut-être est-ce cela leur but. Je m’en suis douté le jour où sont apparus les premiers arpenteurs [mot à mot « les poseurs de piquets »]. À présent nous n’avons pas même de moyen d’être informés51.

Désormais, donc, les espions que sont aussi les pensionnaires du cheval sont privés de toute possibilité d’action ; quant au monument, visible dans la plaine étale et qui se bâtit dans le ballet incessant des travailleurs, il entre en contraste avec la tombe d’Acamante (tolérée pour rappeler le danger ?), mais aussi en consonance avec le groupe statuaire qui commémore le geste salvateur de Laocoon. Un mot peut attirer notre attention sur ce point : au chapitre 5, dépité, Acamante annonce qu’on va ériger une statue à Laocoon non loin de la maison des syndicats et qu’on a déjà isolé « le périmètre ». Le terme utilisé (« vëndim », p. 46) peut aussi signifier « pays », en claire annonce de la dernière page.

Le centre de gravité des versions publiées en 1965 et en 1990 n’est donc pas le même. On a pris l’habitude d’apprécier, dans la version récente, l’aspect de work in progress, le jeu de reprises avec modifications (les différentes versions du pique-nique), l’incertitude sur les niveaux diégétiques ou sur l’énonciateur, les vertiges spéculaires (Lena/Hélène/Ana), ou la savante achronie ; on y voit une audace formelle indissociable d’une audace politique, d’ailleurs signifiée par l’autoportrait de l’auteur en Gent/Tremoh/Laocoon. Aucune de ces interprétations ne tient à la lecture des pages de 1965. Certes, dès la parution dans Nëndori, le Constructeur replace son invention dans la série des constructions séculaires (Pyramides, muraille de Chine, tour Eiffel…) qui se situent entre le rêve et la réalité (autrement dit, les édifices à forte valeur symbolique) ; mais les expressions les plus virulentes (« machine à semer la terreur », « terreur politique52 ») sont absentes de la première version53, ainsi que tout ce qui rend inassignable chronologiquement le monde dans lequel évoluent les habitants du Cheval. On chercherait en vain l’équivalent des pages 102-103, 109, 115-116 et 173 du roman de 1990. Un seul moment de flottement, au chapitre 6 (p. 61) : celui d’une image onirique du Constructeur, qui superpose, en songe, le présent d’une ville moderne (Tirana ?) et d’une acropole antique (Troie ?). Est-ce à dire que rien de la présentation donnée par Kadaré de ce texte de 1965 ne doit être validé ? Sans doute pas, à y regarder de près. En 1994, dans son Dialogue avec Alain Bosquet54, il déclare :

[…] avec l’image du cheval de Troie, j’avais mis l’accent, plus que sur l’idée de trahison intérieure, principale hantise des communistes, sur une autre idée55 : l’angoisse et la terreur d’État. J’avais imaginé le Cheval comme une pression s’exerçant sans relâche, des années durant, à l’horizon de notre vie, pour laminer nos âmes.

Nous l’avons vu, cette idée est bien présente, même si le compagnon d’Elena balaie ses craintes. Il est temps, à présent, de faire entendre l’objection de la jeune femme (p. 43) à la prophétie de son compagnon, qui croit fermement en un départ du cheval56 :

Ne vas-tu pas me dire que ce sera dans quatre décennies, quand nous serons vieux et que nous aurons passé nos plus belles années dans la terreur de ce monstre ?

On pourrait prolonger cette réflexion sur le parcours de Kadaré en se donnant plusieurs projets : examiner plus méthodiquement et minutieusement les différences entre les versions de 196557 et de 1990 ; repérer les étapes par lesquelles passe l’auteur pour se réinventer, au fur et à mesure que s’effondre l’univers politique dans lequel il a initialement grandi, pensé et trouvé sa place, et donc saisir les manœuvres en direction de publics (albanais et étranger) qui évoluent eux aussi, etc.

Mais il convient ici de recentrer le propos autour de la relation entre sociopoétique et herméneutique. Ce que souligne le cas particulier de Kadaré, je pense, est la part d’incompréhension quand on méconnaît la dimension sociopoétique dans l’élaboration d’un épisode mythique, repris et retravaillé. Le risque est redoublé quand il s’agit d’une parabole, c’est-à-dire d’une figure narrative qui suppose un partage des codes et des références entre auteur et lecteur58.

De plus, si nous nous trompons dans l’appréciation du geste dissident de Kadaré, en 1965, nous y sommes en quelque sorte « aidés » par ce que l’auteur organise lui-même de sa réception en Occident, depuis 1990, ainsi que par la réécriture de plus d’un de ses textes59. Mais des contradictions surgissent, çà et là, dans le commentaire auctorial, et devraient nous alerter. Kadaré déclare ainsi avoir voulu rendre un « gage à son adolescence60 » en imaginant une Troie/Tirana qui ne succombe pas ; or l’accent désormais mis sur la figure de Gent s’oppose à ce souhait, puisque le malheur de Laocoon/Gent/Kadaré ne survient que si tombent les murs de la ville. En revanche, quand on dissocie le projet de 1965 et celui de 1990, on retrouve clairement le motif de la citadelle imprenable. Encore faudrait-il lui rendre son actualité dans le monde communiste (en tant que bastion symbolique de la véritable révolution), au lieu de l’oublier derrière l’écran de la lecture d’enfant déshistoricisée. Plus largement, le texte de 1990 ne se laisse pas entièrement penser à la lumière des propos de son auteur et peut s’inscrire en faux contre eux. Kadaré prétend volontiers qu’il manie l’oblicité et le double sens ; mais Le Monstre (de 1990), ainsi que l’a noté Catherine Coquio, est particulièrement explicite (l’assiégeant n’y est pas l’ennemi mais l’État policier qui oppresse les consciences61) ; et celui de 1965 ne laisse filtrer qu’une critique fugace dans un propos globalement orthodoxe. Au total, le texte que nous lisons actuellement semble travaillé par plus d’une tension, peut-être pensable en termes historiques (coexistence de deux strates rédactionnelles inassimilables l’une à l’autre), à moins qu’il ne faille faire aussi l’hypothèse d’une division intérieure de l’auteur, pris dans ses vérités successives (ou simultanées ?)62. En tout cas, Kadaré cherche à tout prix à détourner l’attention sur l’évolution de son parcours, notamment en dissimulant le fait que ses textes, réécrits, ont une histoire…

Quant aux deux éléments définitoires de la « sociopoétique », nous ne devrions oublier ni l’un ni l’autre : ni celui qui attire l’attention sur le sens que prend une image dans une société déterminée ni celui qui rappelle qu’une attente sociale s’exprime aussi sous la forme d’une codification esthétique. En 1965, Kadaré tourne moins le dos que nous ne l’avions imaginé aux injonctions du réalisme socialiste, puisque le récit est linéaire, raconte une lutte, se montre optimiste (malgré tout) et reprend plus d’un slogan, même s’il interroge, par la bouche d’Elena, sur le coût du sacrifice exigé par une mentalité obsidionale, voire par le chantage à l’encerclement.

Plus largement, pour ce qui est de la méthodologie comparatiste, après les travaux de Pascale Casanova et de Gisèle Sapiro, il convient de prendre la pleine mesure de ce qui se passe quand un écrivain de la périphérie réclame d’être envisagé comme participant de l’universel (tel que le comprend le monde occidental…) et que, de fait, il est lu ainsi63 : avec cet effort de légitimation64, risque de sombrer la perception historique et sociale du geste créatif, pourtant capitale et indispensable, car elle conditionne notre idée même de littérature – une idée qui réclame d’être constamment remise à l’épreuve d’autres sociétés et d’autres époques.

1 Aspect sur lequel le poète, romancier et critique littéraire Alain Bosquet insiste tout particulièrement dans son livre d’entretiens avec Ismaïl 

2 Maria Delaperrière : « Paraboles pharaoniques du pouvoir », in Anna Saignes et Agathe Salha(dir.), Du Grand Inquisiteur à Big Brother. Arts

3 Le Monstre est paru en France, chez Fayard, à l’automne 1991, quelques mois après la publication du roman à Tirana, en début d’année. Sur la sortie

4 Nëndori, décembre 1965, p. 26-84. Le titre de la revue fut par la suite orthographié Nëntori.

5 Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 31-32.

6 Ismail Kadaré : Le Poids de la Croix, traduit de l’albanais par Jusuf Vrioni, Paris, Fayard, 1991, p. 302-303.

7 Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 48.

8 Helena Kadaré, Le temps qui manque, traduit de l’albanais par Artan Kotro, Paris, Fayard, 2010, p. 164.

9 Ibid.

10 Helena Kadaré, Le temps qui manque, op. cit., p. 165.

11 Ibid.

12 C’est l’expression employée par Ismaïl Kadaré dans Le Poids de la Croix (op. cit., p. 304 et 329), avec une nuance adverbiale (« quasiment »).

13 Shaban Sinani, Le Dossier Kadaré, suivi de La Vérité des souterrains. Ismaïl Kadaré avec Stéphane Courtois, traduit de l’albanais par Tedi

14 Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 44.

15 Ismaïl Kadaré, Printemps albanais, op. cit., p. 60.

16 Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 44.

17 Ariane Eissen, Visages d’Ismaïl Kadaré, Paris, Hermann, 2015.

18 La version de 1990 joue sur l’opposition et la ressemblance entre Lena, la compagne de Gent, et Hélène, le personnage homérique. Plus simples (on

19 On verra plus loin que ces éléments autobiographiques n’apparaissent que dans la version de 1990.

20 Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 33. Helena Kadaré reprend le terme dans ses mémoires (Le temps qui manque, op. cit., p. 390).

21 Le poème « Laocoon » est ainsi présenté comme un rescapé par Kadaré dans les Entretiens avec Éric Faye (op. cit., p. 44) : « […] il s’agit d’une

22 Parfois, le parallèle entre l’auteur et son personnage est sensible jusque dans la formulation. Ismail Kadaré confie à Éric Faye (Entretiens, op. 

23 Telle est, par exemple, une des perspectives critiques adoptées par Élodie Coutier dans un article récent : « La parole figée : réflexions sur l’

24 Helena Kadaré, Le temps qui manque, op. cit., p. 163.

25 Ismaïl Kadaré, Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 182.

26 Shaban Sinani, La Vérité des souterrains, op. cit., p. 160.

27 Ismaïl Kadaré, Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 69.

28 Éric Faye, Ismaïl Kadaré. Prométhée porte-feu, Paris, José Corti, 1991, p. 163.

29 Ibid., p. 167.

30 Luan Rama, Le long chemin sous le tunnel de Platon. Le destin de l’artiste sous la censure en Albanie (1945-1990), Nantes, Éditions du Petit

31 Gazmend Kapllani, Je m’appelle Europe, Paris, Éditions Intervalles, 2013, p. 97.

32 Jean-Paul Champseix : « Des légendes obscures et de leurs mauvais usages par temps d’hiver », in Le Lait de la mort, Anthologie et études réunies

33 Le Poids de la Croix, op. cit., p. 302.

34 Rappelons que le titre original est Kështjella [La Citadelle]. Alain Bosquet (Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 84) note d’ailleurs que le

35 Gjergj Misha : « L’Albanais George Castrioti Skanderbeg : héros mythique ou civil », in La Fabrique des héros, sous la direction de Pierre 

36 Koço Bihiku : Histoire de la littérature albanaise, Tirana, Éditions 8 Nëntori, 1980, p. 219

37 Le roman est cité page 219 et le poème est évoqué, quelques pages plus haut (p. 211), dans des termes voisins.

38 Voir les pages 71 à 73 de la version de 1965 et les pages 132-134 de la version de 1991 (que je cite, par commodité, dans l’édition du Livre de

39 La nouvelle de la grossesse intervient à la page 80 et le texte se conclut, page 84, sur l’échec des acolytes d’Ulysse K.). Dans l’édition du

40 On trouvera le texte de « Vitet gjashtëdhjetë » [Les années soixante] à la fin du recueil Koha [Époque], Tirana, Naim Frashëri, 1976, p. 97-114.

41 Je remercie Jean-Louis Duchet d’avoir passé de longues heures avec moi à établir des versions informatisées des textes de 1965 et de 1990. Elodie

42 Voir Ariane Eissen, « Mythologie et modernisme dans Le Monstre de Kadaré », in Véronique Gély, Sylvie Parizet et Anne Tomiche(dir.), Modernités

43 Ismail Kadaré : « Perbindëshi », Nëndori, décembre 1965, p. 66.

44 « Kulçedra me shtatë krojet ». (Le dragon à sept têtes). (La forme « krojet » est difficile à comprendre : Alexandre Zotos suggère qu’il puisse s’

45 Page 45 : « bota e vjetër, me të gjithë elementët e saj : diversionin, pronën, paragjykimet, hakmarrjen, pabesinë, tradhëtinë. Ndërgjegja e keqe e

46 Page 45 : « nga thellësia e mitheve të lashtë ».

47 Et l’on pourrait relever d’autres expressions analogues aux pages 36, 40 ou 42, par exemple.

48 Voir la page 43 : « Unë besoj plotësisht në fjalët që them. Ky kalë do të zhduket. Ose, që të jem më i saktë : këtë kalë do ta zhdukim. Se e keqja

49 Que l’on trouve à la page 48 en 1965.

50 Différent du début du chapitre IX, par conséquent.

51 Page 84 : « Ç’të jetë vallë ? Kam kaq ditë që mundohem te kuptoj. Hotel? Fabrikë ? Pirg ? Asgjë nuk merret vesh. Ndërtesë enigmatike në fushën e

52 Ismail Kadaré : Le Monstre, op. cit., p. 91 et 92.

53 À une exception près, que nous allons le voir.

54 Ismaïl Kadaré, Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 182.

55 Idée qui conclut « Troja », poème issu du recueil Përse mendohen këto male de 1964 [À quoi pensent ces montagnes] et dont Alexandre Zotos propose

56 Mos do të thuash tani pas katër dekadash, ahere kur ne të jemi plakur dhe kohën më të bukur të jetës ta kemi kaluar nën terrorizimin e këtij

57 Version dont il convient de comprendre pourquoi elle a suscité tant de remous. Une première explication est la phase de durcissement qui s’amorce

58 Ismail Kadaré ne dit pas autre chose, dans son Dialogue avec Alain Bosquet (op. cit., p. 179 : « Le poème de 1967, qui commençait par le vers “

59 Sur ce point précis, lire les articles de Bruno Clément (« Réécrire », in Lectures d’Ismaïl Kadaré, sous la direction d’Ariane Eissen et Véronique

60 Ismaïl Kadaré, Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 142. On peut aussi relever ce passage du Poids de la Croix (op. cit, p. 303 : « Mais

61 Catherine Coquio : « Kadaré ou le grand survivant. Poétique et politique de l’autocensure », in Lectures d’Ismail Kadaré, op. cit., p. 221.

62 On pourrait interpréter en ce sens le fait que, dans la version de 1990, plus d’un passage de 1965 est repris (et retravaillé) en italiques, comme

63 Chez Kadaré, cette revendication prend notamment l’aspect d’un dialogue avec plusieurs grands auteurs de la tradition européenne (Homère, Eschyle

64 Je m’empresse de préciser qu’à mes yeux Kadaré mérite amplement sa reconnaissance internationale. La question est uniquement ici celle de nos

Notes

1 Aspect sur lequel le poète, romancier et critique littéraire Alain Bosquet insiste tout particulièrement dans son livre d’entretiens avec Ismaïl Kadaré : Dialogue avec Alain Bosquet, traduit de l’albanais par Jusuf Vrioni, Paris, Fayard, 1995, p. 105, 166 et 174 notamment.

2 Maria Delaperrière : « Paraboles pharaoniques du pouvoir », in Anna Saignes et Agathe Salha (dir.), Du Grand Inquisiteur à Big Brother. Arts, science et politique, Paris, Garnier, 2013, p. 219-231.

3 Le Monstre est paru en France, chez Fayard, à l’automne 1991, quelques mois après la publication du roman à Tirana, en début d’année. Sur la sortie française, lire Ismaïl Kadaré, Printemps albanais, Paris, Fayard, 1991, p. 60 (note 2) ; sur la parution du roman en Albanie, imminente en décembre 1990, lire Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, Paris, José Corti, 1991, p. 101. Par ailleurs, rappelons le statut particulier des traductions françaises de Kadaré, qui servent fréquemment de point de départ pour des retraductions vers d’autres langues, tant est assez rare la capacité à traduire à partir de l’albanais.

4 Nëndori, décembre 1965, p. 26-84. Le titre de la revue fut par la suite orthographié Nëntori.

5 Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 31-32.

6 Ismail Kadaré : Le Poids de la Croix, traduit de l’albanais par Jusuf Vrioni, Paris, Fayard, 1991, p. 302-303.

7 Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 48.

8 Helena Kadaré, Le temps qui manque, traduit de l’albanais par Artan Kotro, Paris, Fayard, 2010, p. 164.

9 Ibid.

10 Helena Kadaré, Le temps qui manque, op. cit., p. 165.

11 Ibid.

12 C’est l’expression employée par Ismaïl Kadaré dans Le Poids de la Croix (op. cit., p. 304 et 329), avec une nuance adverbiale (« quasiment »).

13 Shaban Sinani, Le Dossier Kadaré, suivi de La Vérité des souterrains. Ismaïl Kadaré avec Stéphane Courtois, traduit de l’albanais par Tedi Papavrami, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 82.

14 Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 44.

15 Ismaïl Kadaré, Printemps albanais, op. cit., p. 60.

16 Ismaïl Kadaré, Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 44.

17 Ariane Eissen, Visages d’Ismaïl Kadaré, Paris, Hermann, 2015.

18 La version de 1990 joue sur l’opposition et la ressemblance entre Lena, la compagne de Gent, et Hélène, le personnage homérique. Plus simples (on y reviendra), les pages publiées en 1965 mettent en scène la seule Elena.

19 On verra plus loin que ces éléments autobiographiques n’apparaissent que dans la version de 1990.

20 Entretiens avec Éric Faye, op. cit., p. 33. Helena Kadaré reprend le terme dans ses mémoires (Le temps qui manque, op. cit., p. 390).

21 Le poème « Laocoon » est ainsi présenté comme un rescapé par Kadaré dans les Entretiens avec Éric Faye (op. cit., p. 44) : « […] il s’agit d’une partie du roman adaptée en vers, car je ne pouvais alors le publier en prose ; j’en ai adapté un chapitre. » Voir aussi le témoignage recueilli par Alain Bosquet (op. cit., p. 185) : « […] après [l’] interdiction [du Monstre] en 1967, je composai le poème Laocoon, qui n’était en quelque sorte qu’une bougie allumée sur la tombe de mon roman ».

22 Parfois, le parallèle entre l’auteur et son personnage est sensible jusque dans la formulation. Ismail Kadaré confie à Éric Faye (Entretiens, op. cit., p. 18) : « J’avais également été fort impressionné par la chute de Troie […] dont nous avait parlé l’instituteur. Cette chute de Troie m’a beaucoup “chagriné”. » Dans un paragraphe qui ne figure que dans la version de 1990, Gent raconte de même à Lena : « Je me souviens qu’au lycée, chaque fois que le professeur de littérature ancienne parlait de la chute de Troie, j’éprouvais une profonde tristesse. » (p. 74 de l’édition en livre de Poche, que j’adopte par commodité).

23 Telle est, par exemple, une des perspectives critiques adoptées par Élodie Coutier dans un article récent : « La parole figée : réflexions sur l’usage politique de la référence homérique dans Le Monstre d’Ismaïl Kadaré », in Comparatismes en Sorbonne : (Dé)construire le canon, 4-2013, [en ligne] URL : http://www.crlc.paris-sorbonne.fr/FR/Page_revue_num.php?P1=4.

24 Helena Kadaré, Le temps qui manque, op. cit., p. 163.

25 Ismaïl Kadaré, Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 182.

26 Shaban Sinani, La Vérité des souterrains, op. cit., p. 160.

27 Ismaïl Kadaré, Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 69.

28 Éric Faye, Ismaïl Kadaré. Prométhée porte-feu, Paris, José Corti, 1991, p. 163.

29 Ibid., p. 167.

30 Luan Rama, Le long chemin sous le tunnel de Platon. Le destin de l’artiste sous la censure en Albanie (1945-1990), Nantes, Éditions du Petit Véhicule, 1999, p. 133.

31 Gazmend Kapllani, Je m’appelle Europe, Paris, Éditions Intervalles, 2013, p. 97.

32 Jean-Paul Champseix : « Des légendes obscures et de leurs mauvais usages par temps d’hiver », in Le Lait de la mort, Anthologie et études réunies par Véronique Gély-Ghedira, Clermont-Ferrand, CRLMC, 1998, p. 221. Voir également Jean-Paul Champseix : Stratégies littéraires et idéologiques contre la doctrine réaliste socialiste dans l’œuvre d’Ismaïl Kadaré, Habilitation à diriger des recherches, Littérature comparée, Paris-IV, 2000, 3 vol., 757 p. (dactyl.), p. 205 : « Pendant la crise albano-soviétique, le pouvoir dénonçait la tendance prosoviétique comme le “cheval de Troie” qui cherchait à s’emparer de la “citadelle albanaise”. »

33 Le Poids de la Croix, op. cit., p. 302.

34 Rappelons que le titre original est Kështjella [La Citadelle]. Alain Bosquet (Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 84) note d’ailleurs que le roman « aurait pu avoir pour titre État de siège ou même Éloge de l’état de siège ».

35 Gjergj Misha : « L’Albanais George Castrioti Skanderbeg : héros mythique ou civil », in La Fabrique des héros, sous la direction de Pierre Centlivres, Daniel Fabre, Françoise Zonabend, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1999, p. 187.

36 Koço Bihiku : Histoire de la littérature albanaise, Tirana, Éditions 8 Nëntori, 1980, p. 219

37 Le roman est cité page 219 et le poème est évoqué, quelques pages plus haut (p. 211), dans des termes voisins.

38 Voir les pages 71 à 73 de la version de 1965 et les pages 132-134 de la version de 1991 (que je cite, par commodité, dans l’édition du Livre de Poche).

39 La nouvelle de la grossesse intervient à la page 80 et le texte se conclut, page 84, sur l’échec des acolytes d’Ulysse K.). Dans l’édition du Livre de Poche (version de 1991), les passages correspondants sont situés page 175 et pages 186-187. Le roman s’achève autrement, (on y reviendra) sur la métamorphose de Gent en Laocoon.

40 On trouvera le texte de « Vitet gjashtëdhjetë » [Les années soixante] à la fin du recueil Koha [Époque], Tirana, Naim Frashëri, 1976, p. 97-114. Une traduction française est proposée dans le volume intitulé Poésies, Tirana, 8 Nëntori, 1981, p. 46-67. Sur le recueil et sur cette traduction, lire Visages d’Ismaïl Kadaré, op. cit, p. 118-120, puis 286-301.

41 Je remercie Jean-Louis Duchet d’avoir passé de longues heures avec moi à établir des versions informatisées des textes de 1965 et de 1990. Elodie Coutier m’a rendu un fier service en m’indiquant le logiciel « medite », qui repère les principales opérations de suppressions, ajouts et modifications entre deux textes comparables. Enfin, ma gratitude va à Alexandre Zotos qui a élucidé pour moi plus d’une obscurité du texte de 1965 et a eu la gentillesse de me relire d’un œil critique.

42 Voir Ariane Eissen, « Mythologie et modernisme dans Le Monstre de Kadaré », in Véronique Gély, Sylvie Parizet et Anne Tomiche (dir.), Modernités antiques. La littérature occidentale et l’Antiquité gréco-romaine dans la première moitié du xxe siècle, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014, p. 397-411.

43 Ismail Kadaré : « Perbindëshi », Nëndori, décembre 1965, p. 66.

44 « Kulçedra me shtatë krojet ». (Le dragon à sept têtes). (La forme « krojet » est difficile à comprendre : Alexandre Zotos suggère qu’il puisse s’agir d’un archaïsme pour « kryet ».) Signalons l’existence d’un film de propagande de 1964, intitulé Krah për krah [Bras dessous, bras dessus], coréalisé par Endri Keko e Ho y Shen, qui célèbre notamment les échanges culturels entre les deux pays.

45 Page 45 : « bota e vjetër, me të gjithë elementët e saj : diversionin, pronën, paragjykimet, hakmarrjen, pabesinë, tradhëtinë. Ndërgjegja e keqe e kohës sonë ».

46 Page 45 : « nga thellësia e mitheve të lashtë ».

47 Et l’on pourrait relever d’autres expressions analogues aux pages 36, 40 ou 42, par exemple.

48 Voir la page 43 : « Unë besoj plotësisht në fjalët që them. Ky kalë do të zhduket. Ose, që të jem më i saktë : këtë kalë do ta zhdukim. Se e keqja, asnjëherë nuk zhduket vetë. Që ta zhdukësh të keqen, duhet ta luftosh. Po të mbetet për shumë kohë, ky kalë do të bëhej çdo ditë e më ogurzi, gjersa të kthehej në një pjesë të pandarë të horizontit. Duke u bërë një me horizontin, si një pjellë e tij e përherëshme, ai do t’i shtypte e do t’i bënte petë shpirtrat tanë. Ne nuk do ta perceptonim dot horizontin pa të, ashtu si ato insektet që lindin dhe vdesin midis orës pesë dhe pesë e gjysëm, në muzg dhe që kurrë nuk mund ta dinë ç’do të thotë mëngjez. » [J’ai pleinement foi en ce que je te dis là. Ce cheval disparaîtra. Ou, pour être plus exact : nous ferons disparaître ce cheval. Car le mal ne s’en va jamais de lui-même. Si tu veux que le mal s’efface, il faut le combattre. Si ce cheval doit rester ici pour longtemps, il se fera de jour en jour plus funeste, jusqu’à devenir partie intégrante de notre horizon. En se confondant avec l’horizon, comme une créature permanente émanée de lui, il écraserait nos âmes, les réduirait en pâte. Nous ne percevrions plus l’horizon indistinctement de lui, tout comme ces insectes qui naissent et vivent entre cinq heures et cinq heures et demie, le soir, et ne sauront jamais ce que signifie le matin].

49 Que l’on trouve à la page 48 en 1965.

50 Différent du début du chapitre IX, par conséquent.

51 Page 84 : « Ç’të jetë vallë ? Kam kaq ditë që mundohem te kuptoj. Hotel? Fabrikë ? Pirg ? Asgjë nuk merret vesh. Ndërtesë enigmatike në fushën e hapur. Në qoftë se do të vazhdojnë ta ngrejnë skeletin akoma ahere ajo do të mbyllë krejt pamjen e qytetit. Ndoshta ky është qëllimi i tyre. Që ditën kur u dukën piketonjësit e parë unë dyshova. Tani nuk kemi as nga të informohemi. »

52 Ismail Kadaré : Le Monstre, op. cit., p. 91 et 92.

53 À une exception près, que nous allons le voir.

54 Ismaïl Kadaré, Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 182.

55 Idée qui conclut « Troja », poème issu du recueil Përse mendohen këto male de 1964 [À quoi pensent ces montagnes] et dont Alexandre Zotos propose une version bilingue dans De Scanderbeg à Ismaïl Kadaré, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1997, p. 178-179.

56 Mos do të thuash tani pas katër dekadash, ahere kur ne të jemi plakur dhe kohën më të bukur të jetës ta kemi kaluar nën terrorizimin e këtij përbindëshi ?

57 Version dont il convient de comprendre pourquoi elle a suscité tant de remous. Une première explication est la phase de durcissement qui s’amorce en 1965 (et dont parle Kadaré dans Le Poids de la Croix, op. cit., p. 553), après que les libéraux avaient paru l’emporter contre les conservateurs dans les débats esthétiques, avec la bénédiction d’Enver Hoxha. On peut en effet relever une certaine audace moderniste des pages de 1965, malgré tout : un intérêt prononcé pour le rêve et la rêverie ; une tonalité fantastique par endroits (avec un Cheval de Troie à la fois concret, sous la forme du fourgon de Cent Ruvina, et abstrait, en tant que symbole du monde ancien), et donc un jeu constant entre les niveaux de réalité ; une crudité sexuelle aussi, de nature à choquer l’austérité communiste (p. 52- 54 sur l’onanisme de Millosh, par exemple).

58 Ismail Kadaré ne dit pas autre chose, dans son Dialogue avec Alain Bosquet (op. cit., p. 179 : « Le poème de 1967, qui commençait par le vers “Sous d’énormes blocs Chéops a voulu écraser l’oubli”, avait pour thème la vanité de toute gloire. […] Comme vous le voyez, il s’agissait de considérations ironiques sur les puissants de ce monde, qui pouvaient paraître hardies mais étaient justifiées à l’époque et rendues licites par l’esprit antimonarchique qui imprégnait le poème. » L’auteur remarque lui-même qu’on peut lui prêter, a posteriori, et à tort, une férocité toute relative.

59 Sur ce point précis, lire les articles de Bruno Clément (« Réécrire », in Lectures d’Ismaïl Kadaré, sous la direction d’Ariane Eissen et Véronique Gély, Presses universitaires de Paris-Ouest, 2011, p. 237-357) et de Delphine Gachet (« La Peau de tambour : ai margini dell’opera kadareana ? », in La scrittura obliqua di Ismaïl Kadare, sous la direction d’Alessandro Scarsella et Giuseppina Turano, Venise, Granviale editori, 2013, p. 115-133).

60 Ismaïl Kadaré, Dialogue avec Alain Bosquet, op. cit., p. 142. On peut aussi relever ce passage du Poids de la Croix (op. cit, p. 303 : « Mais, dans ce livre [Le Monstre], je m’étais également efforcé de faire quelque chose de plus complexe encore : décrire une Troie sans sa chute, une sorte de non-Troie, revenait à essayer de corriger, de réparer quelque chose dans la conscience de l’humanité entière. »

61 Catherine Coquio : « Kadaré ou le grand survivant. Poétique et politique de l’autocensure », in Lectures d’Ismail Kadaré, op. cit., p. 221.

62 On pourrait interpréter en ce sens le fait que, dans la version de 1990, plus d’un passage de 1965 est repris (et retravaillé) en italiques, comme au chapitre VI, c’est-à-dire qu’il appartient désormais aux souvenirs des protagonistes, à un passé qui s’éloigne et devient nébuleux.

63 Chez Kadaré, cette revendication prend notamment l’aspect d’un dialogue avec plusieurs grands auteurs de la tradition européenne (Homère, Eschyle, Dante, Shakespeare) et par une représentation de soi qui emprunte au mythe (Prométhée, Laocoon, etc.).

64 Je m’empresse de préciser qu’à mes yeux Kadaré mérite amplement sa reconnaissance internationale. La question est uniquement ici celle de nos manières de le lire. Dans La république mondiale des lettres (Paris, Seuil, 2008, [1999], p. 228), Pascale Casanova a montré, à partir des cas de Joyce et de Kafka notamment, que la consécration « ennoblit, internationalise, universalise, mais ignore tout ce qui a permis l’émergence d’une telle œuvre. […] [Elle] dénationalise à son tour les textes, les déshistoricise pour les conformer à ses propres conceptions de l’art littéraire. »

Citer cet article

Référence électronique

Ariane EISSEN, « Sociopoétique des mythes et herméneutique », Sociopoétiques [En ligne], 1 | 2016, mis en ligne le 05 novembre 2016, consulté le 28 mars 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=628

Auteur

Ariane EISSEN

Université de Poitiers

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