Isabelle Stauffer, Verführung zur Galanterie. Benehmen, Körperlichkeit und Gefühlsinszenierungen im literarischen Kulturtransfer 1664-1772,

Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2018, 328 p.

Référence(s) :

Isabelle Stauffer, Verführung zur Galanterie. Benehmen, Körperlichkeit und Gefühlsinszenierungen im literarischen Kulturtransfer 1664-1772, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2018, 328 p.

Texte

La littérature allemande des xviie et xviiie siècles a été fascinée par les modes d’interactions sociales de la société française et tout particulièrement par la galanterie comme forme de savoir-vivre esthétique. De nombreux romans, livres de conduite, journaux, témoignent de cet engouement. Le salon de Madeleine de Scudéry rayonne dans les milieux baroques de Sigmund von Birken, Catharina Regina von Greiffenberg et chez les érudits comme Christian Thomasius, mais aussi chez les écrivains de l’Aufklärung sentimentale : Johann Michael von Loen, Christian Fürchtegott Gellert, Gotthold Ephraim Lessing, ce dernier condamnant fortement la galanterie dans Emilia Galotti. L’auteur s’intéresse tout particulièrement d’un point de vue socioculturel à la manière dont les textes galants conduisent la lecture. Elle montre tout l’effet d’un tel transfert culturel sur un large public, à la fois aristocratique et dans des sphères moins nobles mais séduites par des perspectives d’ascension sociale prometteuses. Cette galanterie a favorisé l’essor du roman épistolaire tout en ouvrant une gamme d’émotions, de tendresse, d’amitié, de mariage d’amour. Paradigme culturel et modèle de communication, la galanterie avec son mélange de culture, de politesse, d’élégance, d’aisance et de gaieté a un sens civilisateur et d’éducation, non seulement des esprits, de la sensibilité, mais aussi des corps. La répartition des rôles sexuels est également en jeu, les femmes éduquant les hommes à la politesse et au savoir-vivre. Mais à la différence de la France où la galanterie règne dans les salons, en Allemagne ce sont les professeurs d’université et les lettrés qui la propagent à travers des écrits de sorte qu’elle est avant tout un phénomène littéraire.

Après avoir rappelé les fondamentaux de la galanterie française, l’auteur mentionne que l’attention des chercheurs pour l’Allemagne est relativement nouvelle. Citant d’abord le livre d’Herbert Singer sur le roman galant (1961), elle retrace de manière très exhaustive les études critiques autour du thème. Pour ma part, je retiendrai deux livres importants, celui de Jörn Steigerwald, Galanterie. Die Fabrikation einer natürlichen Ethik der höfischen Gesellschaft (1650-1710) (Universitätsverlag Winter, Heidelberg, 2011, 540 p.) qui s’attache tout particulièrement à Madeleine de Scudéry, à Christian Thomasius et à Christian Friedrich Hunold et l’ouvrage collectif dirigé par Ruth Florack et Rüdiger Singer, Die Kunst der Galanterie. Facetten eines Verhaltensmodells in der Literatur der frühen Neuzeit (Walter De Gruyter, Berlin, 2012, 498 p.) qui fait d’abord un historique depuis l’amour courtois en passant par l’Italie et l’Espagne, avant que de consacrer plusieurs études à la galanterie française pour étudier ensuite le transfert culturel en Allemagne, par la danse, le théâtre, la musique et d’éventuels comportements. Mais c’est dans le roman allemand que la galanterie se fait texte avant que de s’introduire dans la poésie anacréontique de l’époque rococo.

L’ouvrage d’Isabelle Stauffer débute par l’étude des traductions dans le cadre du transfert culturel avec les transformations du concept sur le sol allemand. On revient sur l’importance de la réception de Madeleine de Scudéry et sur les théories de la traduction à l’époque baroque. Christian Thomasius étant l’exemple privilégié d’une appréciation nuancée, tout en soulignant l’ambivalence possible et en montrant l’aspect performatif de cet idéal.

Ensuite l’auteur examine la galanterie comme prescription et comme fiction et la puissance de séduction qu’exerce la galanterie sur le lecteur. Les dispositifs textuels et les appels aux lecteurs insistent particulièrement sur le plaisir procuré par la lecture de romans galants et le bénéfice de telle réjouissance. Les secrétaires, et particulièrement celui d’August Bohse, ouvrent par le biais de l’épistolaire un champ pratique à l’usage d’un style galant. Bohse dénonce l’affectation, les allégories et les formules contraintes pour une plus grande pureté naturelle de la langue : « Une lettre ne doit pas être rédigée d’une autre manière que celle dont on parle quand on mène une conversation galante et à la cour. Tout ce qui est poétique et trop éloquent ne convient pas dans une lettre. » Aussi, bien qu’il préconise la clarté dans la langue allemande, il s’autorise à admettre des mots français parce que le style français est « plus libre et plus coulant ». Bohse suit en cela Weise dans l’emploi et les tournures du style galant, qui n’hésite pas à introduire des termes français pour colorer cette politesse mondaine1. L’érudition déployée et l’analyse systématique ne sont pas suffisantes pour examiner combien l’ensemble des textes répond à des représentations très fortes concernant l’image idéale de la civilité française et combien ces représentations orientent toute la réception d’une galanterie finalement assez difficilement transposable à l’époque baroque. S’il convenait de bien distinguer courtoisie, civilité, politesse, savoir-vivre, galanterie, affectation, tact, bienséance, on regrette aussi que la thèse de Markus Fauser2 ne soit pas citée car elle avait bien montré comment la conversation – comme lieu d’exercice de galanterie – n’avait pu être mise en place pour des raisons historico-sociologiques en Allemagne.

Enfin, la mise en scène des corps et des sentiments constitue des éléments fondamentaux pour appréhender l’essence de la galanterie. La thèse d’une prise de conscience moderne du corps par l’importation de la galanterie française à travers les romans de Christian Friedrich Hunold ou de Johann Leonhard Rost est intéressante, mais on aimerait savoir ce que les maîtres de danse comme Louis Bonin ont pu réellement apporter à la sociabilité concrète de l’époque. Cette dimension sociologique des milieux allemands est trop absente (il ne suffit pas de dire que les textes s’adressent à telle ou telle catégorie) et les gravures de Chodowiecki marquent le terme final de l’imitation outrée d’un stéréotype compris sous le nom de galanterie.

Finalement les représentations de la galanterie oscillent entre une mimesis dont l’artificialité est dénoncée par certains, et dont l’ambivalence fait problème. Il n’en reste pas moins que le terme « galant » fut d’une performativité capitale dans le développement culturel de l’époque, avant que de devenir très fortement négatif avec les Lumières.

1 Sur ce sujet voir « L’art épistolaire entre civilité et civisme : de Gellert à Humboldt », Cahiers d’études germaniques, no 70, 2016 [En ligne] DOI

2 Markus Fauser, Das Gespräch im 18. Jahrhundert. Rhetorik und Geselligkeit in Deutschland, Stuttgart, Mund P Verlag, 1991.

Notes

1 Sur ce sujet voir « L’art épistolaire entre civilité et civisme : de Gellert à Humboldt », Cahiers d’études germaniques, no 70, 2016 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/ceg.821.

2 Markus Fauser, Das Gespräch im 18. Jahrhundert. Rhetorik und Geselligkeit in Deutschland, Stuttgart, Mund P Verlag, 1991.

Citer cet article

Référence électronique

Alain MONTANDON, « Isabelle Stauffer, Verführung zur Galanterie. Benehmen, Körperlichkeit und Gefühlsinszenierungen im literarischen Kulturtransfer 1664-1772, », Sociopoétiques [En ligne], 4 | 2019, mis en ligne le 12 novembre 2019, consulté le 21 novembre 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1082

Auteur

Alain MONTANDON

CELIS, Université Clermont Auvergne

Articles du même auteur

Droits d'auteur

Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)