La roulotte comme médiatope mobile

Un art de vivre transporté

The Gypsy Caravan as a Mobile Mediatope. A way of Living Deeply Moved

DOI : 10.52497/sociopoetiques.2053

Résumés

L’article s’approche de la représentation littéraire de la maison nomade d’un point de vue comparatiste, mettant en lumière sa signification dans les autoreprésentations des Sintizze Philomena Franz et Sandra Jayat ainsi que dans l’œuvre hétéro-représentationnel d’Alain-Fournier. Les œuvres analysées accentuent la dimension architecturale de la « machine duelle » aux dépens de son utilité pratique comme moyen de transport. Or, l’auto-mobilité qui caractérise la roulotte en bois tirée par des chevaux transpose sa dynamique sur les habitants des maisons roulantes lors de la halte au locus rom. Les protagonistes continuent ainsi un voyage intérieur qui les force à transformer leurs consciences.

The article explores the literary representation of the nomadic living-wagon by comparing its significance in the auto-representational œuvres of the sintizze Philomena Franz and Sandra Jayat, as well as in the hetero-representational work of Alain-Fournier. The works emphasise the architectural dimension of the mobile houses as “dual machines” to the detriment of their practical usage as a means of transport. However, the dynamic nature of the roulotte is bestowed on the inhabitants during their stays at stopping places. The protagonists thus embark on inner journeys which, through their continuity with the mobile nomadic home, become transformative.

Index

Mots-clés

roulotte, maison nomade, maison roulante, vago, machine duelle, mécanographie

Keywords

roulotte, caravan, nomadic living-wagon, dual machine, mecanography

Plan

Texte

La présente étude a pour objectif de mettre en lumière la fonction sociopoétique de la roulotte dans des œuvres choisies des littératures roms par rapport aux hétéro-représentations.

Pour le corpus des autoreprésentations, nous allons analyser les œuvres de Philomena Franz (née en 1922) et de Sandra Jayat (née en 1939). Franz est d’origine sinti allemande, tandis que Jayat est d’origine manouche française. Franz est née à Biberach an der Riß au sud de l’Allemagne, Jayat naît soit dans le département de l’Allier, soit à la frontière entre la France et l’Italie. Une grande partie de la mise en scène de son autofiction se situe dans l’Allier1. Nous avons donc affaire à deux femmes écrivains, pionnières chacune dans son pays (respectivement l’Allemagne et la France) et dont la prise de parole sort d’un champ social qui, dans le domaine public, est dominé par le masculin2. Écrire est donc un défi. Du côté de l’hétéro-représentation, Le Grand Meaulnes3 (1913) d’Alain-Fournier offre un exemple éminent concernant le rôle mystérieux accordé à la roulotte. Épineuil-le-Fleuriel, un village situé aux confins du Cher et de l’Allier est le principal lieu d’inspiration du romancier. Dans le contexte géographique, il convient de souligner la grande importance que revêt l’Auvergne pour l’étude de la littérature rom. À titre d’exemple, le premier écrivain rom français, Matéo Maximoff, a commencé à écrire à Issoire4. D’autre part, le volume dirigé par Pascale Auraix-Jonchière et Gérard Loubinoux, intitulé La Bohémienne, figure poétique de l’errance aux xviiie et xixsiècles5, représente la première étude sociopoétique concernant la figure littéraire et poétique de la bohémienne.

Une sociopoétique de la roulotte engagerait selon la définition offerte par son fondateur Alain Montandon « une culture des représentations sociales comme avant-texte ». Il s’agira donc d’analyser « la manière dont les représentations et l’imaginaire social informent le texte dans son écriture même6 ». Afin de relever les représentations sociales, le chercheur est amené à s’appuyer sur des sources diverses, qu’il s’agisse de journaux, de traités, de romans, de lettres, d’autobiographies et de mémoires, etc., afin de pouvoir dessiner l’état des représentations sociales de l’objet à étudier : « [i]l s’agit alors de voir comment il [l’auteur] les construit esthétiquement par l’objet littéraire7. » La finalité de la perspective sociopoétique à partir des représentations sociales débouche sur « une véritable poétique8. » Or, pour ce qui est des communautés roms, qui sont très hétérogènes, nous sommes confrontés à l’obstacle de l’oralité traditionnelle de leur culture. S’ajoute à cela le fait que leur vie a souvent été menée aux marges des sociétés dominantes9, voire dans l’invisibilité sociale10. C’est seulement à partir de 1946 avec Matéo Maximoff qu’émergent les premières traces écrites des Roms en Europe de l’Ouest. Les véritables littératures roms ont vu le jour seulement autour des années 1980 avec des écrivaines majeures comme notamment Jayat (débuts dans les années 1960, 1978), Franz (1982, 1985) et Ceija Stojka (1988). Les trois écrivaines partagent une expérience commune qui est celle de la vie d’avant-guerre, c’est-à-dire d’une communauté manouche/sinti/rom encore intacte, qui sera ensuite détruite par les nazis (à partir de 1933). Le caractère nostalgique de la vie de voyage est appuyé par le fait qu’au moins deux figures principales pour les femmes durant leur enfance sont leurs grands-pères, respectivement Narado pour Jayat et Johannes Haag pour Franz. Les deux grands artistes, l’un peintre, l’autre violoncelliste, deviennent des transmetteurs des savoirs culturels aux enfants ; il s’agit d’un savoir-vivre manouche et sinti fortement attaché à la valeur de la roulotte et à la vie d’artiste. Selon notre hypothèse, l’habitat et moyen de transport que constitue la roulotte devient le symbole des cultures manouche et sinti. Faute de traités de savoir-vivre spécialement rom et d’autres traces écrites hormis la littérature rom elle-même, nos sources pour reconstruire la représentation sociale de la roulotte seront exclusivement des romans, des poèmes, des lettres, des autobiographies, des mémoires, des interviews et des films. De notre point de vue, la roulotte comme moyen de transport devient inséparable de la roulotte comme objet littéraire.

La valeur sociale de la roulotte chez Franz

Dans l’œuvre de Philomena Franz, la roulotte joue un rôle éminent. L’ouverture de son autobiographie Entre amour et haine la place sur le même plan que les membres de la famille : « Notre troupe de comédiens et musiciens – mes parents et leurs huit enfants – parcourait le pays. /En plus de notre roulotte, nous avions une vraie maison, un chez nous qui nous accueillait après la fatigue des voyages et des spectacles11. » La roulotte bénéficie d’une description étendue dans le second chapitre :

Je me souviens très bien de notre roulotte. Ce n’était pas un chariot à ridelles couvert d’une bâche, c’était une magnifique roulotte, couverte de bardeaux à l’intérieur et à l’extérieur. Sur les vitres gravées à l’acide, un décor de châteaux et de châteaux-forts. Longue de huit mètres et large de deux mètres cinquante, elle avait déjà coûté à l’époque dans les 2 000 marks. C’était le prix à payer pour une maison. Mais bien sûr, tous les Sinti n’étaient pas aussi fortunés que nous. La plupart d’entre eux parcouraient le pays en voiture bâchée et n’avaient que quelques casseroles et les tentes sous lesquelles ils dormaient.
Notre roulotte était une splendeur. Du sol au plafond, des armoires bombées en acajou, avec des miroirs sertis au plomb. Les lits et les armoires étaient décorés de jolies marqueteries. Le sol était revêtu de linoleum : des roses jaunes sur fond bleu. Au milieu de la roulotte se trouvait le salon, avec un moelleux canapé, bleu à fleurs jaunes. Derrière la porte coulissante, la cuisine.
Dans l’armoire, la plus belle porcelaine et vaisselle. La cuisinière chromée. Le tuyau du poêle, emmaillé, bleu, orné également de fleurs jaunes peintes. Les casseroles en cuivre suspendues au mur12.

À la « splendeur » et à la richesse du « château-fort » se joint la picturalité centrée sur les couleurs bleu et jaune du motif des fleurs : le sol de l’intérieur est doté « de roses jaunes sur fond bleu », le confortable canapé du salon d’un « bleu à fleurs jaunes ». S’ajoutent la gravure sur verre des vitres, le bois des meubles en acajou, « [l]e tuyau du poêle, émaillé, bleu, orné également de fleurs jaunes peintes. » Musique et peinture, voire artisanat et art se joignent pour représenter à la fois la richesse, le haut statut social de la famille et la finesse artistique de leur maison mobile.

L’extérieur de l’architecture consonne avec son intérieur :

Déjà de l’extérieur notre roulotte était particulière. À gauche et à droite étaient fixées de grandes lanternes argentées. Au-dessus de chaque lanterne, un grand aigle d’argent fixé sur une petite boule. Les lanternes, alimentées au pétrole, faisaient environ un mètre de haut.
La voiture était tirée par quatre chevaux, notre grande fierté, brossés et étrillés, aux magnifiques harnais aux reflets d’argent13.

La construction était en bois. Selon l’information de l’auteure, les roulottes Spenger (dans le Wurtemberg) d’avant la guerre étaient construites sur commande chez un artisan fabricant de roulottes et ébéniste suivant un plan du père ou du grand-père qui avaient préconçu leurs roulottes. L’exécution eut lieu dans leur cas chez le professionnel. La création originale de la roulotte, non seulement par son architecture, mais aussi par son décor, prouve la valeur artistique et artisanale de la machine. En somme, la maison roulante comportait trois véhicules : d’abord le wagon-salon avec attelage de quatre chevaux en ligne, puis le Wagen de la cuisine et à l’arrière un petit chariot avec une bâche pour ranger les ustensiles. Peu de temps avant la guerre, la famille se servait parfois d’un mototracteur au lieu des chevaux pour un voyage plus rapide et plus commode14.

Il faut prendre en considération l’appellation de cet habitat mobile : le terme utilisé par les Sinti et manouches est vurdum, sg./vurdija, pl. Chez Maximoff, on trouve la verdine. Chez l’anthropologue Marc Bordigoni15, nous rencontrons les notions, pour la roulotte fabriquée à Pont-du-Château sur les bords de l’Allier, vago, sg./vagi pl. Bordigoni met en relief le statut social lié à l’exécution de la roulotte16. De plus, chaque famille se définit par un style spécifique qui s’étend à un groupe élargi associé à celui-ci. Le social se lie au singulier, quand chaque famille choisit par exemple sa propre couleur de vago pour mieux se distinguer17.

La roulotte comme machine

Dans la détermination du phénomène de la roulotte/vago comme habitat mobile, la « mécanologie » de Jacques Lafitte18, un architecte, ingénieur et philosophe qui propose une typologie des machines19, nous servira de guide. Le trait le plus originel de ce fondateur de la mécanologie, selon Nitsch, est l’inclusion de l’architecture dans l’ensemble des machines. Or, entre habitat et moyen de transport, la roulotte nous sert d’exemple type d’une « machine à habiter20 ». À la lueur de la sociopoétique, la roulotte devient un « médiatope mobile21 », à savoir un lieu déplaçable qui ne cesse de donner à voir, à entendre ou à sentir. Notre enjeu principal sera d’analyser la manière concrète dont la roulotte comme machine (mobile) informe le texte dans son écriture et de déceler une poétique propre à nos auteurs. Nous allons interroger la roulotte comme espace mobile dans sa fonction de médium de la connaissance et de l’expérience sensibles.

La machine selon Lafitte

La « machine » selon son étymologie, provient au xviie siècle du français machine, du champ lexical de l’art militaire en usage pour certains outils et appareils. Déjà en latin, le terme māchina est attaché aux outils techniques du champ militaire, du transport et de la construction. À partir du xviiie siècle, la machine est liée à la technique. La roulotte comme machine fait donc étymologiquement référence à un usage militaire22. Lafitte, dans le sillage des architectes comme Viollet-le-Duc, « propose […] le nom de machines pour l’ensemble des corps organisés construits par l’homme […] [,] il englobe […] le vaste ensemble des engins, instruments, appareils, outils, jouets, constructions architecturales etc. […] assemblages de corps résistants, qui reçoivent de l’homme une forme plastique organisée23 ». Il distingue trois classes de base, qui sont les machines passives, les machines actives et les machines réflexes. Lafitte caractérise les machines selon leur dynamisme :

Les machines passives, harmonieusement statiques, où nous nous attachons aux propriétés d’état de la matière ; où nous exprimons, en les modelant, par leurs volumes, leurs masses et leurs résistances, notre conception profonde des propriétés substantielles ; les machines actives, d’une croissante harmonie dynamique, où nous exploitons les effets qu’y donnent, par la matière, les forces qui l’animent et qui se transforment en elle ; les machines réflexes, à qui nous conférons le pouvoir de régler, par elles-mêmes, les transformations d’énergie qu’elles opèrent et d’en conduire les effets vers des fins que nous leur imposons et qui deviennent leurs fins propres […][.] Elles [les machines, S.B.] sont comme nous-mêmes sous une autre forme24 [ns].

Parmi les machines passives, on trouve la plupart des constructions architecturales25. Elles n’ont qu’une « fonction […] de position, de masse et de résistance aux agents extérieurs, […] elles subissent, sans plus, à notre profit, les effets des flux qui les atteignent26 ». Les machines actives, au contraire, ont pour mérite de transformer et de transmettre une énergie reçue de l’extérieur, tandis que les machines réflexes peuvent modifier leur fonctionnement selon les variations de leur milieu27. Tandis que le vélo est l’exemple d’une machine active, une trappe est un exemple d’une machine réflexe des plus simples. Nitsch émet l’hypothèse d’un sous-groupe des moyens de locomotion pour les machines à deux fonctions. Se référant aux métros comme constructions mobiles, il parle de « machines duelles28 » : « D’un côté, elles fonctionnent comme des machines actives, vu qu’elles transforment l’énergie qui les propulse en un mouvement linéaire29 ». De l’autre côté, les moyens de transport sont des « machines passives qui constituent un espace intérieur30 ». Fournir un espace intérieur stable (bien qu’il soit en déplacement) est une fonction passive. Suivant la logique de la machine duelle, nous souhaitons postuler la dualité qui consiste en activité d’une part et en passivité d’autre part, concernant la roulotte (vago). D’un côté, elle est un véhicule actif qui transforme, tiré par les chevaux, l’effort musculaire en mouvement. D’un autre côté, la bâtisse constitue un corps architectural classé parmi les machines passives.

La roulotte comme « machine duelle »

Le vago se distingue principalement de la caravane moderne en fonction de deux traits. Premièrement, l’attelage des chevaux faisait d’antan partie de l’ensemble de la verdine, machine hétérogène, à la fois animale et architecturale, statique et dynamique. De plus, la roulotte est l’expression sociale d’une famille et de sa singularité, de son statut social, de son ancrage régional et de son esprit créateur. Elle est à la fois une construction artistique, expression de l’histoire culturelle d’une minorité et un corps mécanique.

La roulotte participe autant de l’art de construire des machines (a) qu’elle fait objet de mécanographie (b) et de mécanologie (c). La roulotte présuppose l’art de construire les machines (a) : de les concevoir, de les réaliser matériellement et d’en assurer le fonctionnement. Sont sollicités les arts des Roms : artistes, architectes de la roulotte, ingénieurs, artisans, constructeurs, entrepreneurs, réparateurs, conducteurs… Ces professions se situent toutes à l’intersection du monde rom et du monde des gadjé. L’art de la roulotte concerne donc essentiellement la dimension collective et singulière. La mécanographie (b) prend en considération l’historique de la roulotte, les formes variées y compris leur emploi, leurs symboliques, leurs représentations pratiques des formes. La représentation symbolique poétique de la roulotte participe donc de la mécanographie. La mécanologie (c) étudie le fonctionnement et la genèse ainsi que les différentes formes de la roulotte et nous intéresse moins dans le contexte littéraire.

Si le vago implique l’art de la construction et la représentation symbolique ainsi que ses emplois variés, la caravane, quant à elle, perd considérablement de ces dimensions artistiques majeures. Elle est homogénéisée quant à ses formes ; elle perd le statut de véhicule en devenant machine entièrement passive, séparée du moyen de locomotion qu’est la voiture. La roulotte en revanche assure un double statut de moyen de locomotion et d’habitat. Elle est à la fois une machine passive – un habitat – et une machine active – un véhicule. Les synonymes « maison roulante » ou « maison nomade » renvoient à son double statut de machine duelle.

Les deux Sintizze, Franz et Jayat, nous proposent surtout des représentations des roulottes faisant « de l’art pour l’art31 » ; c’est-à-dire que la dimension architecturale de la machine passive est valorisée dans son caractère artistique aux dépens de son sens pratique.

La roulotte du point de vue auto-représentationnel

Si dans les textes écrits – à la différence des films (Tony Gatlif32) – le mouvement de la roulotte n’est pas explicitement mentionné, la mobilité de l’habitat mobile se lit en filigrane à travers les déplacements et à travers le phénomène de la route qui constitue son milieu lors du mouvement. Ainsi, Franz ouvre son autobiographie par le titre suivant : « Sur les routes avec ma famille33 ». Toutefois, l’entourage de la route disparaît au profit des lieux de la halte, soit à l’intérieur d’un village soit dans le paysage, de préférence à l’orée d’une forêt. « C’était une nouvelle fois la Pentecôte et nous étions installés dehors avec nos roulottes34 ». Peu de temps après s’opère un changement de lieu :

Un jour, les hommes jouaient pour les forestiers, quelque part en pays souabe. Nous avions installé nos chevaux dans une écurie […]. L’endroit était un lieu d’excursion, il y avait un grand tilleul devant une auberge qui s’appelait « Au Tilleul ». […] Nous avions placé nos roulottes à l’ombre du tilleul. Il suffisait de donner quelques marks à la patronne, et nous pouvions prendre un bain chez eux35.

D’autres fois, comme lors d’un déplacement à travers la Provence, la halte se fait sur un terrain vague rural36. C’est-à-dire que le milieu varie selon la finalité du voyage. S’il s’agit d’un spectacle, la famille stationne le plus souvent à l’intérieur du village, à proximité de l’auberge, d’une église, d’une ferme et souvent à côté d’un arbre. S’il s’agit d’une route à parcourir et d’un choix libre d’emplacements, la roulotte est installée sur un terrain entre routes, forêts, prés et ruisseaux, souvent à la lisière d’une forêt non loin d’un village ou d’une ferme.

Grand-père joue une sérénade de Toselli. Mon père prend le violoncelle et mon oncle, le violoniste, les rejoint. Ils jouent une merveilleuse musique, là-haut, à la lisière de la forêt. Des estivants qui passent par-là écoutent et applaudissent. Mon grand-père est un homme très connu. C’est pour cela que nous n’avons pas de problèmes, nous pouvons nous installer où bon nous semble37.

La proximité topographique relative des roulottes vis-à-vis du village traduit l’échange et l’estime réciproques des Roms et de la société majoritaire. La grande rupture de la vie intégrée par un contact des cultures s’impose avec l’accession au pouvoir des nazis38. La vie de voyage en roulotte – qui sera détruite en Allemagne, assignée à résidence fixe en France pour les années d’occupation – ne va guère continuer dans l’après-guerre pour les Sinti.

Hitler ne permit plus tout cela.
Lorsque je suis au calme, et que je contemple la forêt, cette proximité me confère vie et force. Cela m’a tant nourrie. C’est une manne. Une manne qui vient de la nature. Lorsque nous nous installions avec nos roulottes en lisière de forêt, et que le soir, les hommes allumaient un grand feu : voilà quelque chose qui nous procurait une joie immense39.

Chez Franz ressort – plus que la dimension de la route ou la différence des paysages parcourus – une ouverture vers la nature du lieu qui procure une force vitale à la culture des Sintis. La nature du lieu de repos est ce qui est représenté au premier chef dans l’œuvre de Franz. Le lieu naturel est intégré dans le paysage. Grâce à leurs médiatopes mobiles entre autres, les familles créent un espace singulièrement rom. Nous considérons cet espace particulier comme un locus rom. Les roulottes, par leurs positionnements, peuvent représenter un vecteur d’échange des Roms avec les gadjé. Elles signifient, par leur environnement naturel entre forêts, herbage et ruisseaux, un contact direct avec la nature. Retenons le caractère d’ouverture, d’échange et de passage de l’habitat mobile chez Franz.

Chez Jayat, la roulotte revêt une importance qui s’attache plus à la mobilité, mais non moins à la nature : « Depuis, mon père a loué ce terrain pour la nature qui l’entoure, dans laquelle ses yeux puisent l’inspiration. Il est artiste peintre. […] Sur ce terrain vague, les roulottes aux multiples couleurs lancent des jets de lumière40 ». La famille vivant à Sesto Calende près de Milan alterne entre sédentarité et vie de voyage dans l’après-guerre. En 1940, la famille de la protagoniste manouche/zingara du nom de Stella vivait encore près de Moulins, à côté du pont de Régemortes qui traverse l’Allier. La vie de voyage, qui a une forte tendance à favoriser les stationnements durables, est marquée par la politique nazie et par l’état général de guerre. Les Tsiganes sont obligés de se cacher et pour cela ils doivent abandonner leurs roulottes qui les rendraient trop visibles. Après la guerre, les Tsiganes s’identifient à nouveau, aux yeux de Stella, par leurs roulottes organisées en campements. À la dimension sociale de la roulotte s’attache également la loi spécialement tsigane. Stella, exclue des siens pour ne pas avoir voulu épouser le mari qu’on lui avait choisi, est condamnée à errer de campement en campement. Si les roulottes, à ses yeux, marquent des points stables, c’est sa propre démarche qui crée le dynamisme du trajet. Son parcours se déploie donc d’une roulotte d’accueil pour une nuit à une roulotte d’accueil pour une autre nuit et ainsi de suite. Selon la loi des Sinti/Manouches/Roms il est possible d’accueillir une personne devenue marrhimé/impure pour une nuitée, mais pas plus, au risque de devenir impur également. Pendant le temps raconté41, la géographie pour la réfugiée change. Stella mentionne, à part le Sesto Calende, le lac Majeur et le lac de Côme42, Moulins, la zone libre et la Camargue en raison du pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Le paysage se caractérise par des éléments naturels comme le lac, les herbes, les champs et la rivière. La narratrice évoque les « marches [de la roulotte] qui donnent sur l’herbe des champs et l’eau de la rivière43 ». Le milieu naturel est source d’inspiration aussi bien pour son père peintre que pour son grand-père Narado. L’histoire s’ouvre par une description du paysage dans lequel est intégré le locus rom. C’est au cœur de l’abondance naturelle qu’ont lieu les conversations substantielles entre le grand-père et Stellina :

Narado mon grand-père, après avoir conversé avec les arbres fruitiers qui semblent vouloir montrer leurs richesses en se dressant au-dessus d’un grand mur, se dirige vers moi en me disant : – La nature aujourd’hui n’est pas au cœur de mes préoccupations ; pourtant elle m’impose la puissance de son éveil. […] [U]ne partie de ma famille vit à Sesto Calende, à quelques kilomètres de Milan, tout près du lac. Mon père a loué ce terrain pour la nature qui l’entoure, dans laquelle ses yeux puisent l’inspiration. Il est artiste peintre. Il peint souvent d’imagination ; ses doigts s’agitent comme de flammes qui ne noient jamais.
Sur ce terrain vague, les roulottes aux multiples couleurs lancent des jets de lumière44 […].

Tout comme Franz dépeint le paysage et le bouquet de fleurs, Jayat transpose l’inspiration par les yeux dont se sert son père peintre, sur le plan de la littérature pour doter son souvenir de couleurs touffues et de natures mortes au style fauviste d’une nature contemporainement vivante. Von Hagen met en lumière la mise en scène de la nature comme un tableau méditerranéen, doté de couleurs lumineuses45. Les « roulottes aux multiples couleurs » reflètent la lumière et « impose[nt] la puissance de [leur] éveil » tout comme la nature. Dans le décor décrit par Jayat, les roulottes se marient à la nature, mais la fille ne veut pas se marier au mari choisi, voire accepter sa place à l’intérieur du groupe zingari en adoptant une maison nomade matrimoniale. Les dernières images retenues par Stella avant son départ libre sont celles des roulottes décorées pour son mariage qu’elle refuse : « Les enfants confectionnent des guirlandes de fleurs d’oranger et de citronnier, qui serviront à décorer les roulottes46 ». Le nouveau couple est censé recevoir sa propre roulotte : « peinte extérieurement et intérieurement en or, […] rehaussée de feuilles d’olivier en branches, en bouquets, en pluies de toutes couleurs, symboles de l’amour, de la chance, du bonheur47 ». Si dans la représentation de sa société des Zingari, la roulotte peinte symbolise « l’amour, la chance, le bonheur48 » au sein du groupe, pour Stella elle signifie la perte de sa liberté individuelle. Elle prend donc ses distances avec la dimension conjugale, familiale et tsigane de la roulotte.

Pour Franz, la roulotte est liée à son enfance seulement, et par là à un lieu protecteur comme un nid49. Jayat en revanche met l’accent sur un monde contaminé par la contrainte conjugale et par conséquent sexuelle. La dimension topographique de la roulotte manifeste une ouverture vers le paysage, tandis que la dimension topologique qui inclut l’espace social et donc genré, indique le manque de liberté accordée à la Sintizza dans le réseau familial et social.

La poétique de la roulotte

Pour Franz, la roulotte représente la culture des Sinti dans sa dimension spatiale et plus précisément en ce qui concerne leur lien à la nature. L’intégration de la roulotte dans le milieu social est l’exercice d’un éthos d’humilité. La jeune fille apprend à ne pas mépriser les autres Sinti aux roulottes moins précieuses, jusqu’aux chaises :

Nous prenions nos roulottes, attelions nos chevaux, et en route. Les autres sinti disaient : « Voici les beaux Eckstein ! » et à moi : « Toi, tu es toujours habillée avec autant d’élégance ! » En colère, je rétorquais : « Vous, pour commencer, lavez-vous correctement les mains, les pieds et le reste ! » Alors comme d’habitude, la querelle éclatait. Ma mère me disait : « Arrête de te disputer avec les autres enfants. »
Un jour, d’autres sinti arrivèrent. Leur fille, de mon âge, poussait une chaise, une sorte de charrette à bras pour enfants. C’était des sinti pauvres, de ceux qui ne pouvaient pas se payer des chevaux. Ils nous demandèrent s’ils pouvaient bivouaquer ici avec nous. Mon grand-père répondit : « Mais pourquoi me le demandez-vous ? Je ne suis pas un aristocrate ! Vous pouvez allumer votre feu où vous voulez, sauf devant la porte de ma roulotte50 ! ».

Selon la valorisation du plus petit au plus grand dans la chaîne naturelle – de l’insecte jusqu’à l’arbre – la roulotte fait partie intégrante de la nature environnante, où qu’elle soit momentanément placée. Pour Franz, la perte de la culture sinti commence au moment où les habitats deviennent exclusivement des maisons en tant que machines passives et non esthétiques, entourées de murs et coupant ainsi le contact direct avec l’extérieur. Selon Franz, « [l]a relation avec la nature/commençait avec l’aurore51 ». La jouissance du spectacle naturel commençait ainsi tôt le matin : « la rosée sur les herbes/ses étincelles au soleil52 ». La roulotte exprime l’amour des Sinti pour la nature53. Par rapport à une poétique de l’espace, il convient de mettre en relief l’importance du seuil : « Il y avait le grand escalier double de la roulotte54 ». Dans le poème « Tu m’as raconté55 » adressé au grand-père, Franz évoque à nouveau le vurdo du salon, doté de « fleurs » et de « couleurs » et elle met en évidence la construction mécanologique :

Le vago était long, devant
s’ouvrait une contre-porte
à travers des fenêtres donnant sur le bras d’attelage
sur le chemin
champs, forêt, collines et vallées.
[…]
Quand le vago était arrêté
je m’en allais seule traverser les champs
champs de blé de préférence,
je n’eus pas peur, découvrant animaux et fleurs

bleuets bleus, pavot rouge :
on admirait ma douceur envers elles
en les mariant les unes aux autres
fleurs sauvages56

Le style du poème à dix strophes avec un triple refrain tend vers la prose. La deuxième partie est dédiée à l’évocation précise et picturale de la roulotte, la troisième au paysage directement autour d’elle. Une vue panoramique du paysage prédomine et signale l’immensité d’espace qu’offre la roulotte au regard de l’enfant. La roulotte offre effectivement une perspective à vol d’oiseau grâce aux multiples paysages parcourus à tableaux changeants. Si le deuxième passage implique le déplacement, le suivant focalise la halte. Par un gros plan, Franz découvre sans peur la diversité biologique du lieu. En mariant les fleurs les unes aux autres, elle s’en inspire de manière esthétique. Franz transpose la cueillette des fleurs et la configuration d’un bouquet dont ressortent les couleurs (elle évoque le bleu, le rouge et l’or) à la constitution du poème dont chaque strophe met en lumière une autre facette de sa vie en roulotte, dont chaque aspect côtoie harmonieusement un autre.

L’intérieur de la roulotte et l’espace extérieur se correspondent et s’unissent. Philomena se trouve en harmonie avec l’habitat et son lieu de halte. Précisément, la jeune fille se trouve sur le seuil entre l’extérieur de l’habitacle et l’intérieur. Elle se situe sur le lieu concret du passage qui signifie aussi un passage vers l’inconnu de l’espace. Les parties disjointes sont d’une part l’ancrage familial et social et d’autre part l’espace extérieur au locus rom. Son symbole accueillant est la forêt. L’escabeau porte la signification initiatique de la fille au monde, en l’occurrence au monde naturel qui constitue une source culturelle pour les Sinti. Le bonheur solitaire de la narratrice se fait jour à l’aube et de manière quasi invisible. L’enfant reste inaperçue sauf par son animal Getsela. La roulotte symbolise ainsi le bonheur du passage, la liberté de la sortie et de l’entrée comme s’il s’agissait d’un rite sacré, à la fois libre et interdit.

À pas de loup, je sortais de la roulotte et m’asseyais sur l’escalier. Getsela arrivait et se blottissait contre mon dos. Elle me regardait et commençait à parler. Elle se serrait contre moi, puis je m’en allais avec elle le long de la petite route de campagne, on entrait dans la forêt, on faisait quelques pas. C’est là que tu pouvais observer tous les petits animaux57.

Le passage de la roulotte au-dehors mène directement, par la route, dans la forêt et permet l’éducation de la fille par le biais de l’observation de la nature et de ses animaux minuscules (« tu pouvais observer tous les petits animaux »). La soif d’apprendre et de comprendre les cohérences écologiques est attisée et nourrie par la nature découverte aux environs de la roulotte. Dans l’environnement naturel, la fille fait l’étude des animaux minuscules sur le terrain (fourmis, locustes et al.). Pour la narratrice, le temps devient une durée vécue en harmonie avec les systèmes écologiques devant ses yeux. Le matin provoque en elle le sentiment de sérénité qui englobe le milieu ambiant. Les éléments mécanologiques et architecturaux du vurdo, comme la longueur de l’habitat, l’ouverture de son front précisément sur le paysage et l’accessibilité directe de la nature due au caractère actif de la roulotte, constituent les moments clef de la « machine » au moment de sa passivité. Mais cette passivité au locus rom ne peut pas être atteinte sans son autre côté dynamique. Il faut constater que par la dimension d’infini qu’elle véhicule ainsi que par sa longueur, Franz ne distingue pas la roulotte de la route, « machine active » et institue donc les deux faces de l’étape (la halte et la route) au seuil du vurdo. Même debout et ancrée, la roulotte est en partance et mobile. Dans l’univers de la Sintizza, le vurdo est un vrai moteur qui met en mouvement la sensibilité et l’intelligibilité de la fille. Les frontières de la roulotte n’étant pas fixes, la roulotte informe une poétique du voyage, voyage très sensible, peut-être passage vers et initiation, tout comme invitation au voyage : elle fait preuve d’un art de vivre transporté. Le médiatope mobile « roulotte » propose donc la dualité de la passivité et de l’activité, évoquée comme une continuation de la route lors de la halte et une continuation du mouvement dans la vie même de la protagoniste, après la halte nécessaire.

L’hypothèse de la roulotte comme « machine duelle », à la fois active par sa transformation d’énergie et passive par son corps architectural, semble assez banale. Cependant, elle constitue le fondement des analyses desdits « médiatopes mobiles » selon Nitsch (comme par ailleurs le métro, le wagon de train, etc.). En plus, sa dualité distingue la roulotte (vurdo, vago) de la caravane plus moderne, entièrement passive. La dualité singulière entre le mouvement et l’immobilité de la roulotte s’exprime à travers le poème : la roulotte évoquée met en mouvement la sensibilité et la capacité à se faire comprendre de la jeune fille au moment de sa halte, car elle ouvre à une poétique du voyage qui mêle le voyage géographique au voyage intime.

Examinons ensuite la fonction de la roulotte dans l’autofiction de Jayat. Après avoir rompu avec les lois de sa tribu, c’est-à-dire après avoir refusé le mariage, la protagoniste Stella est devenue « impure » et ne pourra plus jamais vivre auprès des siens (« Je suis reniée58 »). Elle entreprend donc un voyage vers un avenir inconnu qui la mène vers les gadjé. Tout d’abord, Stella se met en route pour rejoindre Paris. La diégèse est constituée d’analepses vers son passé vécu durant la Deuxième Guerre mondiale et aux côtés de son grand-père Narado tant aimé tandis que Stella chemine temporellement et géographiquement vers un avenir inconnu. Ce faisant, elle vit pleinement le présent. Son parcours avance par étapes. Stella cherche des campements : « Depuis plusieurs mois je marche et je cours sans jamais apercevoir la frontière, sans jamais pouvoir appeler une main secourable. Il me faut attendre, toujours attendre un hasard, une chance, un campement zingari59 ». Elle n’y parvient toutefois pas toujours et se trouve sans-abri. Le chemin de la libération est douloureux, seulement ponctué des rencontres de hasard avec des familles tsiganes chez qui elle trouve temporairement refuge. Ce refuge qui représente un espace de soin est féminin, car il s’agit précisément de rencontres avec des mères de famille, qui soignent et nourrissent Stella de manière empathique. Elles aussi sont obligées de suivre la loi inflexible de son exclusion sans merci : « Si je pouvais te garder près de moi, Stellina, je le ferais, tu le sais », lui confie une Zingara complice60. Stella, ainsi que le sentiment humain généreux, dont la générosité consiste dans le fait de ne pas suivre aveuglément la loi du groupe, mais de se conformer superficiellement à elle tout en le déviant, se heurtent donc constamment à la loi traditionnelle imposée61. L’adolescente n’en veut pas à ses semblables qui sont impuissants face à la loi du groupe.

Stella est blessée au bras et sa plaie enflée suppure62. Tiraillée par la douleur, elle se traîne jusqu’à l’épuisement. Au moment où elle est sur le point de sombrer dans un délire proche de la mort, un Zingaro la trouve et la porte dans la roulotte de sa mère : « Au diable les traditions63 », ose-t-il émettre. Plus tard, Stellina l’entend à travers la porte de la roulotte : « Il faudrait réformer les traditions64 », avis contre lequel s’oppose le frère aîné : « Ce n’est pas possible65 […] ». La roulotte devient un espace de confort, de ressourcement, de guérison, de propreté et en outre de questionnement des lois traditionnelles. Stellina recommence à y voir clair : « Puis dans cette roulotte, étendue confortablement sur un vrai lit, j’ouvre largement mes yeux. Une femme me fait boire une tisane […] une autre femme désinfecte ma blessure66. » Ensuite, une jeune fille la lave (« Elle adoucit mon visage ») en donnant à sentir et en valorisant son jeune corps (« Elle rafraîchit mon corps67 »). Stella lui en sait gré : « cette Zingara qui a tant pris soin de mon corps68 ». De plus, la Sintizza lui donne à manger et lui embrasse tendrement la main69. Dans ces circonstances, la roulotte comme seuil entre intérieur et extérieur devient significative. Si la conversation se déroule à l’intérieur de la machine, l’émotion cachée, car trop intime et trop douloureuse, est portée, par le regard, vers l’extérieur : « Elle ouvre la porte […] Je ne saurai jamais le fond de sa pensée […] et referme la porte derrière elle70 ». La liberté intime passe donc par l’ouverture de la roulotte. La porte ouverte signifie la vulnérabilité de la femme seule. En plus du sens intime, l’ouverture vers la nature représente, comme chez Franz, le passage sans obstacle de la vie intime à la nature : « Elle ouvre la porte de la roulotte en lançant : – La nature aussi mange puisqu’elle vit. Pourtant regarde comme elle est belle… par la terre… le soleil… l’abeille71… ». Une correspondance s’établit entre la beauté de la nature et celle de la jeune fille. À la discussion entre les femmes succède une longue description détaillée de l’intérieur de la roulotte72. Le matin, cette « mama73 », assise sur les marches de la roulotte, surveille le départ de Stellina. Si l’espace intérieur de la roulotte représente un espace social féminin de complicité implicite entre les femmes contre la loi masculine et dominante, la sortie forcée représente la soumission obligée à la loi sociale du groupe. Le départ visible de Stellina fait partie des représentations sociales du groupe avec lesquelles Jayat prend ses distances, tout en représentant le questionnement de la loi. La roulotte est évoquée comme un espace de résistance fugitive contre la rigidité des traditions. L’habitat mobile n’appartient pas au domaine des mariages forcés, mais au germe – dans l’intimité féminine – de l’émancipation des contraintes. La roulotte chez Jayat devient ainsi au fur et à mesure de la fuite le symbole du corps féminin intime valorisé au sein d’un espace social genré, exclusivement féminin. Au départ de Stellina, ce moyen de locomotion s’avère à nouveau comme l’espace de transition vers les émotions féminines intimes cachées. Le regard de la « mama » se fige sur Stella, puis l’étrangère « s’enferme dans sa roulotte, probablement pour ne pas montrer ses larmes74 ». La roulotte devient l’espace du corps sensible féminin et de sa condition à l’intérieur du groupe. Elle s’apparente à un espacement du physique féminin et par extension à l’union partagée par les femmes. Son espace social est empreint des paramètres de la guérison, du soin et de la solidarité entre semblables. La sensibilité féminine et son pouvoir réparateur sont directement liés à la nature environnante.

Jayat tend à valoriser davantage la dimension architecturale de la maison mobile que son caractère dynamique. La singularité de la roulotte en bois correspond, dans son roman, à la singularité des personnages féminins qui s’émancipent. La force motrice de la roulotte déteint sur la mise en mouvement de l’autoperception féminine.

Conclusion : l’émancipation des Sintizze à la lumière du « pouvoir de régler, par elles-mêmes, les transformations d’énergie75 »

Malgré les différences entre les deux représentations de la roulotte, certains traits transparaissent aussi bien chez Jayat que chez Franz. La maison nomade devient particulièrement intéressante par rapport à ses aires de stationnement qui sont intégrées dans des lieux idylliques. L’ensemble de la topographie du lieu et de son espace social éphémère, qui implique les roulottes et les chevaux forme le locus rom. La roulotte comme médiatope mobile informe la perception des deux protagonistes Stella et Philomena de deux façons. Premièrement, la roulotte offre un espace de sécurité, associé à l’intimité et au corps. Le soin féminin et quasiment maternel imprègne la perception de l’habitat. L’expérience sensible éprouvée au sein de la roulotte transgresse le seuil du corps-roulotte pour s’espacer dans la nature du lieu. Le paysage qui prolonge l’expérience corporelle continue ainsi le dynamisme spatial du voyage. Le transport machinal par la roulotte se transforme en un transport émotionnel des deux protagonistes. L’expérience de l’espace leur procure une foi intense en elles-mêmes. En traversant le seuil de la roulotte, qui devient un point de départ, les protagonistes deviennent maîtresses de leur propre destin. La roulotte représente donc l’antichambre d’un chemin d’initiation. Libre de son chemin, la verdine se transforme en moteur intérieur – la fille passive (correspondant à la machine passive, dirigée) se transforme en moteur de sa propre vie, correspondant aux machines réflexes ayant le « pouvoir de régler, par elles-mêmes, les transformations d’énergie qu’elles opèrent et d’en conduire les effets vers des fins » qu’elles choisissent et « qui deviennent leurs fins propres76 ». La femme associée à la roulotte dépasse par conséquent les deux fonctions passives (architecturales) et actives (dynamiques) de la machine duelle traditionnelle en ajoutant la troisième fonction réflexe, voire émancipatrice. Elle décide de ses propres choix et devient la responsable de son destin.

« Le mystérieux passage » de la roulotte dans Le Grand Meaulnes. Un point de vue hétéro-représentationnel

Alain-Fournier dans Le Grand Meaulnes accorde une attention soutenue aux véhicules, qu’il s’agisse de voitures à cheval ou motorisées. Il définit la roulotte en question comme, du point de vue subjectif du narrateur François : « le mystérieux passage et l’antichambre du Pays dont nous avions perdu le chemin77 ». L’analyse a pour objectif d’éclairer la fonction du passage et de l’antichambre qui rejoint les symboliques du seuil et du passage relevées chez Franz et chez Jayat. La roulotte régit l’imagination des protagonistes Augustin Meaulnes, François Seurel et Frantz de Galais. Le pays recherché, auquel les adolescents cherchent l’accès, s’appelle aussi le « Pays perdu78 ». Concrètement, il s’agit du domaine Les Sablonnières. Dans une première partie, bien que principalement en ruines, le domaine des Sablonnières existe encore, tandis que dans la troisième et dernière partie du roman, la plupart de ses bâtis a été démolie. Le domaine devient donc un pays deux fois perdu. S’y déroule le mariage manqué, puisque le jeune châtelain Frantz se voit abandonné par sa fiancée le jour même de la fête des fiançailles. Le déroulement du mariage présente des parallèles avec le roman de Jayat. Dans les deux histoires, la mariée fuit le rituel du commencement de la vie conjugale. Or, chez Alain-Fournier, il s’agit de la perception masculine de l’événement. Le mariage entre Augustin et Yvonne de Galais à son tour sera une déception, entraînant la mort de la jeune châtelaine en l’absence de son mari. La fin, qui correspond à l’entrée dans l’âge adulte des amis, se caractérise par la perte de la dimension mystérieuse. L’enfance, en revanche, garde intacte la perception d’un monde merveilleux. Le pays perdu ainsi s’apparente à un âge d’or entrevu et perdu à l’instar des deux pertes successives d’Eurydice par Orphée. Dans Le Grand Meaulnes, ce sont les bohémiens qui apparaissent comme les garants du monde merveilleux. Par cette ouverture fantastique, ils sont étroitement liés à l’enfance, comme dans les deux œuvres des Sintizze. Frantz, qui vit temporairement chez les bohémiens, déclare : « je ne continuerai à vivre que pour l’amusement, comme un enfant, comme un bohémien79 ». Les bohémiens sont, dans les hétéro-représentations, souvent liés au monde de l’enfance, comme le révèlent Emmanuel Filhol et Rose Duroux80. Or, la vie de voyage fait partie de l’enfance des auteures sintizze également. Aussi la relation étroite entre aristocratie et bohémiens est attestée depuis leur arrivée en Europe au xve siècle, dans tous les pays : de l’Espagne à la Roumanie, en passant par la France et l’Allemagne81. C’est surtout la dimension artistique des Tsiganes qui est valorisée à la cour, mais également leur talent guerrier.

Dans Le Grand Meaulnes, le thème de la technique associé aux bohémiens s’introduit en filigrane à travers les ustensiles d’école. Son sens s’élargit quand il s’agira de stratégie de bataille et surtout en ce qui concerne la roulotte. Car la maison roulante, à peine apparaît-elle sur scène, se donne à voir en tant que machine passive selon la définition lafittienne :

Brusquement, dans le chemin étroit, la voiture fit un écart pour ne pas heurter un obstacle. C’était autant qu’on pouvait deviner dans la nuit à ses formes massives, une roulotte arrêtée presque au milieu du chemin et qui avait dû rester là, à proximité de la fête, durant ces derniers jours. Cet obstacle franchi, […] dans la profondeur du bois, il y eut un éclair, suivi d’une détonation82.

La caractérisation de la roulotte arrêtée non loin du château sur le chemin au milieu de la forêt – le lieu privilégié qui apparaît dans les autoreprésentations également – comme un « obstacle » statique, massif et résistant lui enlève aussitôt son aspect dynamique pour former une masse. Chez Alain-Fournier le regard extérieur sur la roulotte domine. Aucune perspective focalisée sur l’intérieur n’est donnée à voir. Au contraire, quand la roulotte acquiert le statut d’habitat, stationnée sur la place de l’église83, elle stimule la force d’imagination de François. Deux fois, la roulotte se révèle salvatrice pour Frantz : premièrement, la tentative de se suicider par amour échoue, car il est sauvé par Ganache, le bohémien qui le porte dans ses bras pour le mener à la roulotte et l’y guérir de son mal. Les bohémiens l’accueillent au moment le plus malheureux de sa vie pour lui offrir une alternative au suicide (« Je voulais mourir. Et puisque je n’ai pas réussi, je ne continuerai à vivre que pour l’amusement, comme un enfant, comme un bohémien84. ») et une issue à la solitude (« Je suis terriblement seul. Je n’ai que Ganache…85 »). Comme chez Jayat, la roulotte représente un espace de soin, cette fois-ci masculin. Si dans La longue route d’une Zingarina, les femmes se sont entraidées et Stella a été sauvée de la mort, dans Le Grand Meaulnes le soin entre hommes est accentué. Dans les deux cas, il existe un écart d’âge, c’est toujours la personne aînée qui sauve l’adolescent(e). Un lien familial de choix qui s’appuie sur l’amitié est ainsi institué et délie les jeunes aventuriers de leur appartenance originaire respective. La roulotte dépeint ainsi la confiance donnée à l’inconnu. La loyauté est réciproque. Ainsi, François défend le bohémien, voleur de poules, par un point de vue bien différencié, des inculpations des villageois : « n’était-ce pas là toute l’histoire du pauvre diable ? Voleur et chemineau d’un côté, bonne créature de l’autre86… ». Une deuxième fois, le Pierrot Ganache, « pauvre diable », va sauver le jeune Frantz de la mort. Celui-ci se trouve à nouveau blessé à la tête par les batailles des écoliers. Durant les semaines d’hiver, ayant appelé à son aide une sœur, il soigne Frantz jusqu’à ce que celui-ci puisse à nouveau sortir et travailler87. Pourtant, aucun regard sur l’intérieur de la maison mobile n’est offert. Inquiets pour leur ami, Augustin et François s’approchent de la roulotte stationnée sur la place de l’église – ils restent à l’extérieur. Dans l’espace intime de l’habitat-machine ils peuvent voir « la lampe derrière le rideau rouge de la voiture88 » dont le mystère les attire sans qu’ils n’osent pourtant entrer, à la différence de Frantz. Augustin occupe tout justement le « marchepied89 » devant la porte déjà close, les rideaux fermés. Nous avons déjà relevé l’importance du seuil de la roulotte dans l’autobiographie de Philomena Franz et le rôle du passage dans l’autofiction de Jayat. Comparons ensuite le rôle du seuil de la roulotte dans l’œuvre d’Alain-Fournier à celui que proposent les littératures roms.

La roulotte, au temps du spectacle, est à concevoir en constellation avec la « tente90 » (« baraque91 »), « lieu de la comédie » arrangé comme dans un « cirque92 ». Le narrateur se souvient : « Je revois ce lieu, qui devait être fort étroit, comme un cirque véritable93 ». La piste (où joue Ganache) communique avec la roulotte à un endroit précis où se trouve Frantz non encore identifié à un châtelain « travesti » en bohémien. Vers la fin de l’entracte94, l’écolier-bohémien s’efforce de gagner l’entrée de la roulotte, donc le lieu de son ouverture et du passage, quand il est injurié par l’écolier Jasmin. Frantz disparaît dans les coulisses, derrière le rideau de l’entrée de la roulotte95. Une dispute monte entre les deux comédiens. La chambre obscure et mystérieuse de la roulotte se transforme, invisiblement – seulement par apparition des voix, en une teichoscopie – en chambre claire où Frantz apprend que son compagnon en vérité vit de vols lorsqu’il ne réussit pas à gagner son argent par son art. À la suite du désenchantement, Frantz décide de se révéler lui-même à ses deux amis tel qu’il est véritablement : Frantz de Galais96. La fin de la mascarade qui éclaire la situation pour les trois jeunes hommes se déroule dans un lieu étroit et précis, « à l’entrée de la roulotte97 » : « On voyait dans la lueur fumeuse, comme naguère dans la lumière de la bougie, dans la chambre du Domaine, un très fin, très aquilin visage98 […] ». Une anagnorisis se produit entre François, Augustin et Frantz. François reconnaît le mari déchu qui dans le même temps se révèle en tant que tel. La chambre obscure et mystérieuse ainsi s’élucide et résout les mystères. La mise en scène de la roulotte hésite entre le clair et l’obscur et se présente ainsi comme le passage entre la connaissance et le mystère, entre la clarté et l’obscurité dans ce qui est un phénomène de chiaroscuro. La chute des héros est dans le même temps mise en abyme par le Pierrot Ganache qui joue le déclin du Pierrot sur la piste (acte deuxième)99.

Tout porte à associer l’obscurité du monde de la roulotte à une chambre obscure, mystérieuse comme celle d’une camera obscura100. La chambre opaque toutefois devient, au fur et à mesure, l’espace d’un dénouement. La roulotte se transforme donc en chambre claire tout en gardant une part de mystère attachée au passé. La métaphore de la photographie comme technique s’impose. Car la photographie « plate101 » donne à voir. Cependant, elle ne montre qu’une surface, écartant la partie du mystère d’une figure. La roulotte au contraire représente un « passage obscur102 ». Ce véhicule transmet donc une poétique du passage entre le précis et le mystérieux103, entre le concret et le merveilleux, entre la connaissance et l’ignorance104. La poétique du passage se situe au lieu exact du seuil de la roulotte, dont l’intérieur n’est jamais pénétré par la perspective du narrateur. Le marchepied occupe le rôle central du passage. Le marchepied dans Le Grand Meaulnes se donne à lire comme une figure métapoétique. Le seuil de la roulotte est l’emblème d’une dualité dans la perception du monde. L’adolescent frôle le côté enchanté des choses pour leur enlever leur finitude. Le clair représente la finitude, tandis que l’obscur représente le mystère et donc l’infini. L’entrée de la roulotte marque le passage entre les deux façons d’appréhender le monde dont le biais correspond à l’âge de l’adolescence. Comme dans l’œuvre de Franz, le médiatope mobile inaugure une nouvelle connaissance du monde qui va de pair avec une initiation au monde inconnu. Chez Jayat également, la traversée des roulottes accueillantes signifie le commencement d’une vie d’adulte.

La machine duelle révèle également chez Alain-Fournier une dualité. Une mise en mouvement des consciences se produit, à la finitude des choses s’ajoute le côté enchanté de l’infini du moment éphémère. C’est notamment grâce à la transgression du passage – le marchepied de la roulotte – que la révélation se produit. L’habitat mobile ouvre donc le passage vers une dimension du réel qui était perdue – elle constitue une vraie antichambre, qui au lieu d’enfermer ouvre l’horizon de la conscience. Ainsi, le médiatope mobile transporte l’esprit de Frantz vers une nouvelle prise de conscience.

Frantz et Augustin cherchent le « [p]ays perdu » qui s’apparente à un arrière-pays105. La clef et le passage pour y accéder sont évidemment les bohémiens, eux qui sont liés au « chemin » et à la sémantique de la route : « Et ce fut un nouvel hiver, aussi mort que le précédent avait été vivant d’une mystérieuse vie : la place de l’église sans bohémiens106 ». Évidemment, Augustin et François, qui n’entrent pas dans la roulotte, ne feront pas, du moins pour ce qui est la diégèse, l’expérience d’une vie en couple accomplie. Le bonheur de vivre finalement avec sa femme aimée incombe, si l’on peut dire, à l’aristocrate Frantz, lui qui a transgressé la frontière vers les bohémiens, vers le « pays sans nom » en vivant dans une roulotte. L’habitat-machine s’affirme ainsi comme l’« antichambre du Pays dont nous avions perdu le chemin ». La vie dans la roulotte comme passage vers l’âge adulte s’avère aussi dans Le Grand Meaulnes comme un acte d’émancipation (de l’aristocrate) qui fait preuve de son « pouvoir de régler », par sa propre énergie, des transformations.

Si la nouvelle vie de Philomena reste imprécise, mais attachée à sa soif d’apprendre par l’observation du monde naturel, la nouvelle vie de Stella se déroule loin de sa culture originaire au sein de la société française. Frantz quant à lui réussit à transformer les lois d’héritage en brassant les milieux sociaux.

Le chemin intérieur parcouru par Frantz de l’enfance à l’âge adulte, au moment de l’immobilité de la machine, est indépendant d’un quelconque mouvement extérieur : « – Oh ! là ! là ! répondit le “comédien”, voyagé ? Oui, j’ai voyagé ! Mais je n’ai rien vu ! Que veux-tu voir dans une roulotte107 ? ». La connaissance, précisément la clairvoyance, concerne la vie intérieure et intime des personnages. La chambre obscure est par conséquent plus qu’un habitat, c’est un moyen de connaissance de l’intériorité des personnages. En tant que médiatope mobile, la roulotte est un lieu déplaçable qui ne cesse de donner à voir, à entendre et à sentir. Sa valeur se veut démocratique : elle engage, aussi bien du point de vue auto-représentationnel que hétéro-représentationnel, un éthos de l’humilité et un mixage des classes sociales : aristocrates, travailleurs et bohémiens cohabitent grâce à l’espace de la roulotte. L’obstacle sur le chemin en forêt de la roulotte en tant que machine passive est dépassé au profit de sa fonction de médiatope mobile. Le lieu mobile de la roulotte en tant que médium qui influe sur le mode de la connaissance, initie le transport d’une expérience sensible.

Pour les trois protagonistes Philomena (autobiographie), Stella (autofiction) et Frantz de Galais (fiction), la roulotte représente un seuil du passage de l’enfance envers l’âge adulte. Elle peut être qualifiée d’antichambre, où un mixage des milieux et des âges a lieu et où germent des idées de solidarité et de subversion de l’ordre existant, soit-il aristocrate ou tsigane. Les expériences sensibles de l’espace de la roulotte concernent le soin et la convalescence des blessures corporelles et sentimentales. Le bonheur éprouvé avec autrui touche une solidarité intime entre semblables ainsi que l’harmonie éprouvée au contact de la nature. La fonction de l’éducation par la nature est un trait saillant des autoreprésentations. Certes, Alain-Fournier situe la roulotte dans la forêt. Pourtant, ses bohémiens ne représentent pas un monde naturel, mais artistique. La comparaison genrée nous donne à voir que la roulotte représente un espace protégé et de confiance familiale aussi bien pour les Sintizze que concernant le bohémien dans Le Grand Meaulnes. La machine duelle de la « roulotte » se voit d’une part exploitée dans sa dimension intime et architecturale. Au premier regard, la dimension dynamique semble être refoulée. Toutefois, la dynamique de la maison nomade se voit transposée sur les consciences des protagonistes. Pour Philomena enfant commence l’instruction de la fille au sein de la nature. Chez Jayat, un mouvement pré-féministe se fait jour. Quant à Frantz de Galais, un nouvel ordre social voit le jour après le passage de l’habitat mobile.

1 Sandra Jayat, La Longue Route d’une Zingarina, Paris, Éditions Pocket, [1978] 1996. La page 24 indique Moulins, tandis que le page 32 indique « aux

2 Normalement, un « chef de famille » sert de porte-parole envers les gadjé, c’est-à-dire les non-Tsiganes.

3 Henri Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, Paris, Gallimard, coll. « folio », [1913] 2009.

4 Voir [En ligne] URL : https://www.yumpu.com/de/document/read/21561206/mateo-maximoff [consulté le 23-10-2023].

5 Pascale Auraix-Jonchière et Gérard Loubinoux (dir.), La Bohémienne, figure poétique de l’errance aux xviiie et xixsiècles, Clermont-Ferrand

6 Alain Montandon, « Sociopoétique », Sociopoétique, n° 1, Mythes, Contes et sociopoétique, 2016 [En ligne] DOI : https://dx.doi.org/10.52497/

7 Ibid.

8 Ibid.

9 Ceija Stojka, Wir leben im Verborgenen. Aufzeichnungen einer Romni zwischen den Welten, Vienne, Picus Verlag, 2013.

10 Sidonia Bauer, « De l’invisibilité à la visibilité : sintizza Philomena Franz et son histoire d’identité illustrée à partir d’une sociopoétique

11 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, Traduit de l’allemand par Aïka Mittler, Albane Gellé, Sidona Bauer, Jean-Pierre Siméon (poèmes).

12 Ibid., p. 84-85.

13 Ibid., p. 85.

14 Entretien personnel avec Philomena Franz du 23 janvier 2022.

15 Marc Bordigoni, « Vago. L’habitat en mouvement », Techniques & culture, n° 56, 2011, p. 250-261, p. 258 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000

16 « Être en mesure de se faire construire un “beau petit vago” était bien le signe visible de ce savoir-faire. Depuis le xixe siècle des artisans s

17 « [C]haque famille élargie a son propre modèle qui permet d’identifier de loin le vago (comme ses couleurs) », ibid., p. 256.

18 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, éd. J. Guillerme, Paris, Vrin, [1932] 1972.

19 Voir à ce sujet Wolfram Nitsch, « “Il roule des machines qui font trembler les idylles de la base au faîte”. Transports en commun chez Fargue et

20 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, op. cit., p. 27.

21 Wolfram Nitsch, « Médiatopes mobiles. L’effet des moyens de transport sur l’expérience de l’espace urbain », in Scénarios d’espace. Littérature

22 Le lien nous saute aux yeux entre le campement comme organisation sociale d’origine militaire et l’arsenal du campement tsigane moderne dont la

23 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, op. cit., p. 27.

24 Ibid., p. 93.

25 Ibid., p. 72.

26 Ibid., p. 72-73.

27 Wolfram Nitsch, « “Il roule des machines qui font trembler les idylles de la base au faîte”. Transports en commun chez Fargue et Mandiargues »

28 Ibid.

29 Ibid.

30 Ibid.

31 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, op. cit., p. 53-54.

32 Par exemple le film de Tony Gatlif, Latcho Drom, 1993.

33 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 81.

34 Ibid., p. 227.

35 Ibid., p. 225-226.

36 Ibid., p. 221.

37 Ibid., p. 207.

38 Voir les lois de 1933, 1935, 1940. 1933 marque le début des internements tsiganes. À partir de 1935, l’administration avait utilisé le volet sur «

39 Ibid., p. 271.

40 Sandra Jayat, La Longue Route d’une Zingarina, op. cit., p. 8.

41 « Erzählte Zeit », selon la terminologie du germaniste Günther Müller, dans un contexte narratologique.

42 Sandra Jayat, La longue route d’une Zingarina, op. cit., p. 89.

43 Ibid., p. 29.

44 Ibid., p. 7-8.

45 Kirsten von Hagen, « “Mon pays… C’est partout où il y a un humain” – Sandra Jayats La longue route d’une Zingarina (1978) », Lendemains, « Fremd-

46 Sandra Jayat, La Longue Route d’une Zingarina, op. cit., p. 11.

47 Ibid., p. 13.

48 Ibid.

49 Voir ma contribution : Sidonia Bauer, « “L’éternité du matin fait halte sur toi”. Étapes et locus romani », Sociopoétiques,no7, 2022 [En ligne]

50 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 202.

51 Philomena Franz, Ainsi marchent les nuages/Wie die Wolken laufen, Herne, Gabriele Schäfer Verlag, 2017, p. 15. Pour ce volume, il s’agit de notre

52 Ibid.

53 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 195.

54 Ibid., p. 270.

55 Philomena Franz, Ainsi marchent les nuages, op. cit., p. 25-26.

56 Ibid., p. 26.

57 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 270.

58 Sandra Jayat, La Longue Route d’une Zingarina, op. cit., p. 67.

59 Ibid., p. 57, p. 63, p. 72, p. 93.

60 Ibid., p. 67.

61 Ibid., p. 64.

62 Ibid., p. 61.

63 Ibid., p. 63.

64 Ibid., p. 64.

65 Ibid., p. 64-65.

66 Ibid.

67 Ibid., p. 66.

68 Ibid.

69 Ibid.

70 Ibid., p. 68.

71 Ibid., p. 68.

72 Ibid., p. 69.

73 Ibid.

74 Ibid., p. 70.

75 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, op. cit., p. 93.

76 Ibid., p. 73.

77 Henri Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, op. cit., p. 161.

78 Ibid., p. 129.

79 Ibid., p. 154, p. 171.

80 Emmanuel Filhol : « La Gitane : figure d’énamoration. Un souvenir d’enfance de Le Clézio », et Rose Duroux, « Dessine-moi un Tsigane » in

81 Henriette Asséo, Les Tsiganes. Une destinée européenne, Paris, Gallimard, « Découvertes Gallimard », 2000.

82 Henri Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, op. cit., p. 123.

83 Ibid., p. 161.

84 Ibid., p. 154.

85 Ibid., p. 155.

86 Ibid., p. 173.

87 Ibid., p. 161.

88 Ibid.

89 Ibid., p. 170.

90 Ibid., p. 161.

91 Ibid., p. 164.

92 Ibid.

93 Ibid.

94 Ibid., p. 165.

95 Ibid., p. 166.

96 Ibid., p. 169.

97 Ibid.

98 Ibid.

99 Ibid., p. 168.

100 Olaf Breidbach, Kerrin Klinger, Matthias Müller (dir.), Camera Obscura. Die Dunkelkammer in ihrer historischen Entwicklung, Stuttgart, Franz

101 Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile, Gallimard, Seuil, 1980, p. 164.

102 Ibid., §44.

103 Jacques Rivière, « Alain-Fournier », in Le Grand Meaulnes, op. cit., p. 360.

104 Ibid., p. 358.

105 Yves Bonnefoy, L’Arrière-pays, Paris, Gallimard, [1972] 2009.

106 Henri Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, op. cit., p. 198.

107 Ibid., p. 89.

Notes

1 Sandra Jayat, La Longue Route d’une Zingarina, Paris, Éditions Pocket, [1978] 1996. La page 24 indique Moulins, tandis que le page 32 indique « aux berges de l’Allier ».

2 Normalement, un « chef de famille » sert de porte-parole envers les gadjé, c’est-à-dire les non-Tsiganes.

3 Henri Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, Paris, Gallimard, coll. « folio », [1913] 2009.

4 Voir [En ligne] URL : https://www.yumpu.com/de/document/read/21561206/mateo-maximoff [consulté le 23-10-2023].

5 Pascale Auraix-Jonchière et Gérard Loubinoux (dir.), La Bohémienne, figure poétique de l’errance aux xviiie et xixsiècles, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, « Révolutions et romantisme », 2005.

6 Alain Montandon, « Sociopoétique », Sociopoétique, n° 1, Mythes, Contes et sociopoétique, 2016 [En ligne] DOI : https://dx.doi.org/10.52497/sociopoetiques.640.

7 Ibid.

8 Ibid.

9 Ceija Stojka, Wir leben im Verborgenen. Aufzeichnungen einer Romni zwischen den Welten, Vienne, Picus Verlag, 2013.

10 Sidonia Bauer, « De l’invisibilité à la visibilité : sintizza Philomena Franz et son histoire d’identité illustrée à partir d’une sociopoétique des couleurs vestimentaires romani », Résonances, « De l’invisibilité à la visibilité. Représentations des marges diasporiques », no20, 2020, p. 103-125.

11 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, Traduit de l’allemand par Aïka Mittler, Albane Gellé, Sidona Bauer, Jean-Pierre Siméon (poèmes). Préface de Sidona Bauer, postface de Henriette Asséo, Paris, Éditions Pétra, « Méandre », 2019, p. 81.

12 Ibid., p. 84-85.

13 Ibid., p. 85.

14 Entretien personnel avec Philomena Franz du 23 janvier 2022.

15 Marc Bordigoni, « Vago. L’habitat en mouvement », Techniques & culture, n° 56, 2011, p. 250-261, p. 258 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/tc.5380.

16 « Être en mesure de se faire construire un “beau petit vago” était bien le signe visible de ce savoir-faire. Depuis le xixe siècle des artisans s’étaient spécialisés dans la construction de roulottes pour l’ensemble du “monde du Voyage”. Quelques-uns devenaient les fournisseurs principaux de groupes familiaux de Tsiganes. C’était le cas d’une petite entreprise du village de Pont-du-Château, en Auvergne. Le nom du village devint une “marque” », ibid., p. 258.

17 « [C]haque famille élargie a son propre modèle qui permet d’identifier de loin le vago (comme ses couleurs) », ibid., p. 256.

18 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, éd. J. Guillerme, Paris, Vrin, [1932] 1972.

19 Voir à ce sujet Wolfram Nitsch, « “Il roule des machines qui font trembler les idylles de la base au faîte”. Transports en commun chez Fargue et Mandiargues », Revue des sciences humaines, n° 336, 2019, p. 113-126.

20 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, op. cit., p. 27.

21 Wolfram Nitsch, « Médiatopes mobiles. L’effet des moyens de transport sur l’expérience de l’espace urbain », in Scénarios d’espace. Littérature, cinéma et parcours urbains, Jörg Dünne et Wolfram Nitsch (dir.), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, « Littératures », 2014, p. 17-37.

22 Le lien nous saute aux yeux entre le campement comme organisation sociale d’origine militaire et l’arsenal du campement tsigane moderne dont la roulotte constitue un élément central. Toutefois, les campements tsiganes n’ont plus pour finalité un accompagnement guerrier. Olivier Sirost, « Du Campement au camping. Une précarité désirée », Techniques & Culture, n° 56, 2011, p. 98-113 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/tc.5432. C’est Roberto Lorier, Saga tsigane. Pâni et le peuple sans frontières. Première époque, Draguignan, Wâllada, 2010, qui exploite les origines des formes sociales de la vie des Tsiganes européens sous forme d’équipage militaire. Nous appuyons cette hypothèse dans la mesure où la roulotte comme machine selon Lafitte contribue à soutenir une origine liée au champ militaire.

23 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, op. cit., p. 27.

24 Ibid., p. 93.

25 Ibid., p. 72.

26 Ibid., p. 72-73.

27 Wolfram Nitsch, « “Il roule des machines qui font trembler les idylles de la base au faîte”. Transports en commun chez Fargue et Mandiargues », art. cit., p. 116.

28 Ibid.

29 Ibid.

30 Ibid.

31 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, op. cit., p. 53-54.

32 Par exemple le film de Tony Gatlif, Latcho Drom, 1993.

33 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 81.

34 Ibid., p. 227.

35 Ibid., p. 225-226.

36 Ibid., p. 221.

37 Ibid., p. 207.

38 Voir les lois de 1933, 1935, 1940. 1933 marque le début des internements tsiganes. À partir de 1935, l’administration avait utilisé le volet sur « la prévention de la criminalité » pour se référer aux Tsiganes. En 1940, des déportations massives ont lieu. Voir Henriette Asséo, « En adresse à Philomena », in Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 279-296, p. 293.

39 Ibid., p. 271.

40 Sandra Jayat, La Longue Route d’une Zingarina, op. cit., p. 8.

41 « Erzählte Zeit », selon la terminologie du germaniste Günther Müller, dans un contexte narratologique.

42 Sandra Jayat, La longue route d’une Zingarina, op. cit., p. 89.

43 Ibid., p. 29.

44 Ibid., p. 7-8.

45 Kirsten von Hagen, « “Mon pays… C’est partout où il y a un humain” – Sandra Jayats La longue route d’une Zingarina (1978) », Lendemains, « Fremd- und Selbstbilder von Roma in Literatur und Film der französischen Gegenwart », n° 182-183, 2021, p. 64.

46 Sandra Jayat, La Longue Route d’une Zingarina, op. cit., p. 11.

47 Ibid., p. 13.

48 Ibid.

49 Voir ma contribution : Sidonia Bauer, « “L’éternité du matin fait halte sur toi”. Étapes et locus romani », Sociopoétiques, no7, 2022 [En ligne] DOI : https://dx.doi.org/10.52497/sociopoetiques.1616.

50 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 202.

51 Philomena Franz, Ainsi marchent les nuages/Wie die Wolken laufen, Herne, Gabriele Schäfer Verlag, 2017, p. 15. Pour ce volume, il s’agit de notre traduction de travail [S.B.].

52 Ibid.

53 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 195.

54 Ibid., p. 270.

55 Philomena Franz, Ainsi marchent les nuages, op. cit., p. 25-26.

56 Ibid., p. 26.

57 Philomena Franz, L’Amour a vaincu la mort, op. cit., p. 270.

58 Sandra Jayat, La Longue Route d’une Zingarina, op. cit., p. 67.

59 Ibid., p. 57, p. 63, p. 72, p. 93.

60 Ibid., p. 67.

61 Ibid., p. 64.

62 Ibid., p. 61.

63 Ibid., p. 63.

64 Ibid., p. 64.

65 Ibid., p. 64-65.

66 Ibid.

67 Ibid., p. 66.

68 Ibid.

69 Ibid.

70 Ibid., p. 68.

71 Ibid., p. 68.

72 Ibid., p. 69.

73 Ibid.

74 Ibid., p. 70.

75 Jacques Lafitte, Réflexions sur la science des machines, op. cit., p. 93.

76 Ibid., p. 73.

77 Henri Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, op. cit., p. 161.

78 Ibid., p. 129.

79 Ibid., p. 154, p. 171.

80 Emmanuel Filhol : « La Gitane : figure d’énamoration. Un souvenir d’enfance de Le Clézio », et Rose Duroux, « Dessine-moi un Tsigane » in Bohémiens und Marginalität. Künstlerische und literarische Darstellungen vom 19.-21. Jahrhundert / Bohémiens et marginalité. Représentations artistiques et littéraires du xixe au xxie siècles, Sidonia Bauer et Pascale Auraix-Jonchière (dir.), Berlin, Frank & Timme, 2019, p. 315-330 et p. 475-497.

81 Henriette Asséo, Les Tsiganes. Une destinée européenne, Paris, Gallimard, « Découvertes Gallimard », 2000.

82 Henri Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, op. cit., p. 123.

83 Ibid., p. 161.

84 Ibid., p. 154.

85 Ibid., p. 155.

86 Ibid., p. 173.

87 Ibid., p. 161.

88 Ibid.

89 Ibid., p. 170.

90 Ibid., p. 161.

91 Ibid., p. 164.

92 Ibid.

93 Ibid.

94 Ibid., p. 165.

95 Ibid., p. 166.

96 Ibid., p. 169.

97 Ibid.

98 Ibid.

99 Ibid., p. 168.

100 Olaf Breidbach, Kerrin Klinger, Matthias Müller (dir.), Camera Obscura. Die Dunkelkammer in ihrer historischen Entwicklung, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2013.

101 Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile, Gallimard, Seuil, 1980, p. 164.

102 Ibid., §44.

103 Jacques Rivière, « Alain-Fournier », in Le Grand Meaulnes, op. cit., p. 360.

104 Ibid., p. 358.

105 Yves Bonnefoy, L’Arrière-pays, Paris, Gallimard, [1972] 2009.

106 Henri Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, op. cit., p. 198.

107 Ibid., p. 89.

Citer cet article

Référence électronique

Sidonia BAUER, « La roulotte comme médiatope mobile », Sociopoétiques [En ligne], 8 | 2023, mis en ligne le 27 octobre 2023, consulté le 29 avril 2024. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=2053

Auteur

Sidonia BAUER

Université de Cologne

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