Femmes au jardin, lecture sociopoétique : L’exemple d’Honorine de Balzac

DOI : 10.52497/sociopoetiques.2589

Résumés

Il s’agit de proposer une lecture sociopoétique genrée d’Honorine, petit roman de Balzac. En privilégiant l’espace du jardin où la protagoniste éponyme de son texte se réfugie après avoir quitté son mari pour un amant qui a tôt fait de l’abandonner, Balzac met en jeu un ensemble de représentations d’époque sur la femme fleur et sur ce lieu de sociabilité que le siècle a consacré. Roman de mœurs sur la conjugalité, Honorine met au jour les mécanismes de la chute tragique d’une femme qui échoue à retourner les stéréotypes : le jardin de Saint-Maur, loin d’être un espace de liberté, fonctionne comme une cage ou comme un piège.

The aim is to propose a gendered sociopoetic reading of Honorine, a short novel by Balzac. By focusing on the garden, where the novel’s eponymous protagonist takes refuge after leaving her husband for a lover who soon abandons her, Balzac brings into play a set of period representations of the flower woman and this place of sociability that the century has consecrated. A novel of manners about conjugality, Honorine reveals the mechanisms of a woman’s tragic downfall, as she fails to renew stereotypes: the garden of Saint-Maur, far from being a space of freedom, functions as a cage or trap.

Index

Mots-clés

jardin, fleurs, stéréotypes, conjugalité, horticulture, idéal, représentations sociales

Keywords

garden, flowers, stereotypes, conjugality, gardening, ideal, social representations

Plan

Texte

D’après Denise Jodelet, « les représentations sociales sont des phénomènes cognitifs engageant l’appartenance sociale des individus par l’intériorisation de pratiques et d’expériences, de modèles de conduites et de pensée1 ». Or, ajoute Serge Moscovici, « les circonstances dans lesquelles naît une représentation sociale sont une affaire historique ou empirique complexe. Mais sans doute le plus souvent une image ou un nom propre servent-ils de déclencheur ou d’attracteur2. » Le lexique, parfois l’onomastique, mais tout aussi bien l’iconographie, contribuent ainsi à fixer un certain nombre de représentations, phénomène particulièrement important au long des xviiie et xixe siècles pour ce qui est des jardins.

En effet, la période qui nous intéresse dans le champ européen est caractérisée par un afflux particulièrement remarquable de traités paysagistes et d’ouvrages relatifs à diverses pratiques sociales en plein essor : la botanique, l’horticulture, mais aussi la création technique des serres et jardins d’hiver, la restructuration de l’espace urbain dans lequel s’implantent parcs publics et cimetières – on pense à Brongniart, qui dessine et crée le Père-Lachaise au début du xixe siècle, aux travaux d’Haussmann qui voient éclore et/ou se transformer le bois de Boulogne, le parc Monceau, le parc Montsouris, etc3. Cette restructuration de l’espace induit des comportements nouveaux. On peut lier notamment les études sur la sociopoétique de la promenade4 à la réflexion sur les parcs et jardins car il s’agit d’une pratique sociale qu’exacerbent et renouvellent la multiplication ou le réaménagement de ces espaces : s’y promener est une « manière de rencontrer son prochain », de « maintenir le lien social », c’est aussi l’espace par excellence de la rencontre. Le cimetière même devient lieu de promenade : « le 21 mai 1804, l’ouverture officielle du Père-Lachaise (à l’origine domaine privé et agreste de 17 hectares) marque la création originale d’un cimetière laïc ouvert à la flânerie du public où se mêlent le minéral […] et le végétal5 ».

Quant au jardin privatif, présent aussi bien en ville qu’à la campagne, attenant à une habitation dont il redéfinit la configuration d’ensemble et le lien avec la nature, il se reconnaît moins à ses dimensions qu’à sa délimitation par rapport à l’environnement et appelle des représentations qui lui sont propres. S’il est question de promenade au jardin comme au parc, c’est selon des modalités différentes, que celle-ci se recentre sur l’introspection et le recueillement (donc sur le repli sur soi avec une propension certaine à la mélancolie, l’inquiétude6 ou l’ennui), ou au contraire sur le domaine plus prosaïque des transactions en tout genre – matrimoniales ou financières notamment. Mais ces espaces sont aussi l’occasion de débats idéologiques, comme c’est le cas du marquis de Boiguibault, qui fait l’éloge de « la vérité éternelle […] : savoir, l’égalité des droits et la nécessité inévitable de l’égalité des jouissances7 » tout en déambulant dans son parc avec le jeune bourgeois socialiste Émile Cardonnet, dans Le Péché de Monsieur Antoine, chez George Sand. En l’occurrence, le parc devient même le lieu d’une utopie programmée, puisque contre toute attente le vieil aristocrate a « cultivé son parc dans le but d’y voir éclore une communauté d’hommes justes et égaux8. » 

Si l’on se retrouve volontiers dans ces parcs et jardins, c’est parce que ces espaces « intermédiaire[s] entre la demeure et la nature » ont naturellement partie liée avec les pratiques de l’hospitalité : « Le jardin […] implique un visiteur et la promenade fait partie (à toute époque) du rituel d’accueil des hôtes », affirme ainsi Sophie Le Ménahèze9. L’espace privé qu’est le jardin devient ainsi au xixe siècle le lieu « d’une hospitalité libérée des pesanteurs d’une sociabilité codifiée ».

On discerne dans ces interactions et ces échanges des particularités relatives au sexe des protagonistes et à leurs attendus, c’est pourquoi j’observerai ces pratiques jardinières sous l’espèce des représentations genrées. La philosophe Judith Butler a montré dès 1990 que, « loin d’être une donnée incontestable, le genre est une construction sociale qui s’élabore par une série d’actes, de phénomènes, de “performances”10 ». Il n’y a donc pas coïncidence forcée entre le sexe et le genre, ce dernier résultant moins des prédéterminations physiologiques que de l’invention de soi : « Il n’y a pas d’identité de genre cachée derrière les expressions du genre ; cette identité est constituée sur un mode performatif par ces expressions, celles-là même qui sont censées résulter de cette identité11 ». La sociopoétique des genres interroge précisément les liens entre le comportement des individus et les représentations sexuées auxquelles ils sont censés correspondre : il s’agit de « répond[re] à l’idéologie caractéristique générale concernant leurs statuts et leurs représentations socioculturelles12 », comme l’a montré Alain Montandon. Dans le domaine européen, on peut se référer avec profit sur ce point aux traités de savoir-vivre :

En indiquant ce qui doit être, [le traité] décrit ce qui est attendu des comportements de l’un et de l’autre sexe. Aussi, en différenciant les conduites des sexes, il est amené à institutionnaliser une gendérisation, c’est-à-dire à définir par leurs règles de comportement ce qui relève d’un sexe et de l’autre. Bien évidemment ces différences sexuelles répondent à l’idéologie caractéristique générale concernant leurs statuts et leurs représentations socioculturelles. Mais dans la valeur prescriptive du traité de politesse, on assiste à la mise en place de ce qu’on pourrait appeler un périmètre comportemental distinct et à des injonctions qui ont pour effet d’établir des normes de genre13.

L’occupation des jardins par les hommes ou par les femmes répond à une codification, explicite ou plus implicite, qui repose pour l’essentiel sur les liens établis entre le féminin et la nature d’une part (les fleurs, en particulier), le féminin et la clôture, d’autre part. En effet, c’est bien d’abord sa clôture qui définit le jardin, même si le xixe siècle se joue de ces limites en promouvant un nouveau type de jardins, sans démarcation nette avec la nature environnante. J’aimerais donc envisager à titre d’exemple un court roman de Balzac, roman sur la condition des femmes et roman de fleurs : Honorine (1843).

Honorine, imaginer une fiction en partant de stéréotypes

Longue nouvelle, Honorine est écrit du 25 au 28 décembre 1842, publié en préoriginale dans La Presse en 1843, puis chez Potter en 1844. C’est l’occasion pour Balzac de proposer une nouvelle étude de femme et de décrire l’un de ces beaux jardins privés parisiens qu’il aime tant, un jardin qui ressemble à ceux dont il rêve pour lui-même à la même époque, les deux projets étant étroitement corrélés.

Il faut résumer rapidement ce drame, narré dans un récit inclus à la première personne par Maurice, récit qui se focalise sur un jardin féminin, avant d’interroger le traitement réservé aux représentations sociales que le choix de cet espace mobilise. La structure énonciative est complexe. Un premier narrateur (externe) présente ce qui sera le cadre du récit : une soirée de 1836 « pendant le séjour de la cour de Sardaigne à Gênes14 » devient le « théâtre » d’un récit rétrospectif et en partie personnel fait par le Consul-Général de France15 à ses hôtes. Il s’agit de ses débuts dans la carrière, quand il entre, à vingt-deux ans, au service d’un homme étrange, qu’il choisit d’appeler par discrétion le comte Octave. Ce récit inclus commence au chapitre II, mais cette voix narrative laissera ensuite place par moments à une autre voix : celle du comte lui-même, lorsque celui-ci décide de lui confier son secret et s’exprime longuement au discours direct (jusqu’au chapitre IV). L’histoire d’Honorine – car c’est d’elle qu’il s’agit – est ainsi enrobée de mystère par un ensemble de techniques dilatoires et de relais énonciatifs et marquée du sceau du secret.

Honorine est l’épouse du comte Octave, qu’elle ne parvient cependant pas à aimer16. Elle s’enfuit donc avec un mystérieux amant qui l’abandonne dix-huit mois plus tard en la laissant dans la misère, enceinte d’un enfant qu’elle perdra quelques mois après sa naissance. Refusant de réintégrer le domicile conjugal alors qu’Octave, qui l’aime, lui a tout pardonné, la jeune femme décide de gagner sa vie en devenant ouvrière fleuriste. Mais Maurice de l’Hostal, le narrateur inclus, alors secrétaire du comte, accepte à sa demande de se faire passer pour fleuriste et de devenir le voisin d’Honorine pour tenter de la ramener à la raison. Celle-ci croit vivre de sa production, en réalité achetée à prix d’or par le comte, de sorte que la jeune femme est entretenue par son mari à son insu. L’objectif avoué du comte Octave est de « reconquérir » sa femme, de « la surveiller dans la cage où elle est, sans qu’elle se sache en [sa] puissance ; satisfaire à ses besoins, veiller au peu de plaisir qu’elle se permet, être sans cesse autour d’elle, comme un sylphe, sans [se] laisser ni voir ni deviner » (H, 1389, je souligne). Il avoue plus loin : « Il n’existe plus qu’un moyen de triomphe : la ruse et la patience avec lesquelles les oiseleurs finissent par saisir les oiseaux les plus défiants […] » (H, p. 1393). Or ce dispositif romanesque n’est pas sans lien avec la représentation de la femme au jardin que Balzac a choisi de mettre en œuvre dans la fiction. Honorine vit rue Saint-Maur, où elle a « son pavillon, un jardin, une serre superbe » (H, p. 1390) et elle croit s’épanouir dans un espace de liberté dans lequel elle vit en symbiose, mais qui est en réalité à la fois clôturé et surveillé, en concordance avec les représentations de ce premier dix-neuvième siècle.

Car la femme au jardin, dans les mentalités de l’époque, est le plus souvent une femme rêveuse ou recueillie, volontiers mélancolique. On pense à Eugénie Grandet rêvant devant la cour qui relie entre eux les espaces domestiques et mène à un jardin promis à l’engourdissement et à la déréliction, signes de l’oppression et de la domination paternelles :

Auprès de la cuisine se trouvait un puits entouré d’une margelle, et à poulie maintenue dans une branche de fer courbée, qu’embrassait une vigne aux pampres flétris, rougis, brouis par la saison. De là, le tortueux sarment gagnait le mur, s’y attachait, courait le long de la maison et finissait sur un bûcher où le bois était rangé avec autant d’exactitude que peuvent l’être les livres d’un bibliophile. […] Quand le soleil atteignit un pan de mur, d’où tombaient les Cheveux de Vénus aux feuilles épaisses à couleurs changeantes comme la gorge des pigeons, de célestes rayons d’espérance illuminèrent l’avenir pour Eugénie, qui désormais se plut à regarder ce pan de mur, ses fleurs pâles, ses clochettes bleues et ses herbes fanées, auxquelles se mêla un souvenir gracieux comme ceux de l’enfance17.

Dans un tel cadre, les rêves d’amour de la jeune femme ne peuvent que déchoir. Même la lumière, avec ses « couleurs changeantes comme la gorge des pigeons », est trompeuse. On peut y lire par anticipation la même désillusion qui gagnera plus tard les héroïnes de Flaubert, et plus spécialement Emma Bovary, elle aussi fascinée par l’irisation « gorge de pigeon » des étoffes, en laquelle Jean-Pierre Richard perçoit comme un « chatoiement » qui « dévoile […] le néant des choses et l’imposture de leur apparente plénitude18 ».

Si Honorine, quant à elle, pense avoir choisi en toute liberté de vivre et de se cacher dans le petit pavillon de Saint-Maur, elle n’en est pas moins sans le savoir victime des stéréotypes qui pèsent sur sa destinée : « […] cette fleur céleste se dessèche solitaire et cachée », déplore le comte Octave (H, p. 1303), réactivant l’association femme-fleur à l’origine de la rêverie de la femme au jardin, que l’on peut garder et posséder à loisir19. Or Maurice se réapproprie cette même image lors de leur première rencontre : « je conçus la passion d’Octave et la vérité de cette expression : une fleur céleste ! » (H, p. 1396). Emporté par sa virtuosité de conteur et par sa propre passion naissante, il déroule le motif dans un portrait enthousiaste qui fait l’éloge de cette femme « qui vraiment était une fleur pour le toucher, une fleur pour le regard, une fleur pour l’odorat, une fleur céleste pour l’âme… » (H, p. 1397). Il l’assimile encore, plus loin, à une « violette ensevelie dans sa forêt de fleurs » (H, p. 1400). Or, comme elle l’expliquera elle-même, les fleurs ont un langage : « N’y a-t-il pas des fleurs pour les bacchantes ivres, des fleurs pour les sombres et rigides dévotes, des fleurs soucieuses pour les femmes ennuyées20 ? » (H, p. 1401)

Figure 1 : Jean-Jacques Grandville, Nénuphar, Les Fleurs animées, 1847.

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Gravure sur bois et lithographie colorées à la main. Dimensions : 26,2 × 17,6 cm. Graveur : Charles-Michel Geoffroy (1819-1882). Autres contributeurs : Taxile Delord (1815-1877), Alphonse Karr (1808–1890) ; éditeur : Gabriel de Gonet ; imprimeur : Lacour et Cie.

Bibliothèques de Nancy, Rés. 4794.

Figure 2 : Jean-Jacques Grandville, Fleur de grenadier, Les Fleurs animées, 1847.

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Gravure sur bois et lithographie colorées à la main. Dimensions : 26,2 × 17,6 cm. Graveur : Charles-Michel Geoffroy (1819-1882). Autres contributeurs : Taxile Delord (1815-1877), Alphonse Karr (1808–1890) ; éditeur : Gabriel de Gonet ; imprimeur : Lacour et Cie.

Bibliothèques de Nancy, Rés. 4794

En l’occurrence, les connotations de la violette, fleur pudique que les Romains considéraient comme une fleur de deuil – et dont la jeune femme exhale par ailleurs le parfum – peuvent suggérer l’impasse dans laquelle se trouve Honorine, qui devra en effet renoncer à ses idées de belle liberté21.

Figure 3 : Jean-Jacques Grandville, Violette, Les Fleurs animées, 1847.

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Gravure sur bois et lithographie colorées à la main. Dimensions : 26,2 × 17,6 cm. Graveur : Charles-Michel Geoffroy (1819-1882). Autres contributeurs : Taxile Delord (1815-1877), Alphonse Karr (1808-1890) ; éditeur : Gabriel de Gonet ; imprimeur : Lacour et Cie.

Bibliothèques de Nancy, Rés. 4794.

Dans une longue lettre qu’elle adresse à Maurice après qu’il l’a éclairée sur sa véritable situation, Honorine elle-même file la métaphore florale, dont elle tire lucidement les déductions :

Une jeune fille est comme une fleur qu’on a cueillie ; mais la femme coupable est une fleur sur laquelle on a marché. Vous êtes fleuriste, vous devez savoir s’il est possible de redresser cette tige, de raviver ces couleurs flétries, de ramener la sève dans ces tubes si délicats et dont toute la puissance végétative vient de leur parfaite rectitude…Si quelque botaniste se livrait à cette opération, cet homme de génie effacerait-il les plis de la tunique froissée ? Il referait une fleur, Dieu seul peut me refaire ! (H, p. 1413)

Si Honorine est flétrie – thème qui parcourt par ailleurs le roman – c’est moins par manque de vertu que parce qu’elle est victime de l’asphyxie dans le jardin-cage qui l’a retenue prisonnière. Pourtant, son histoire est celle d’une tentative d’affranchissement et le jardin symbolise à ses yeux un lieu de régénérescence.

Honorine et son jardin : un goût de liberté

Honorine est une âme fière qui se veut libre et le jardin qu’elle croit avoir conquis est d’abord une projection de ce rêve de liberté :

Elle s’était créé comme un musée de fleurs et d’arbustes, où le soleil seul pénétrait, dont l’arrangement était dicté par un génie artiste et que le plus insensible des propriétaires aurait respecté. Les masses de fleurs, étagées avec une science de fleuriste ou disposées en bouquets, produisaient des effets doux à l’âme. Ce jardin recueilli, solitaire, exhalait des baumes consolateurs et n’inspirait que de douces pensées, des images gracieuses, voluptueuses même. On y reconnaissait cette ineffaçable signature que notre vrai caractère imprime en toutes choses quand rien ne nous contraint d’obéir aux diverses hypocrisies, d’ailleurs nécessaires, qu’exige la Société (H, p. 1398).

La jeune femme est maître d’œuvre d’un espace qu’elle semble façonner à son image, en opposition avec la rudesse des lois sociales qu’elle conteste. C’est pourquoi elle en interdit l’accès : elle s’y enferme pour mieux se protéger et se soustraire au despotisme du mariage. Quand son voisin, Maurice, qui feint donc d’être lui-même un jardinier monofloriste – il ne cultive que des dahlias –, lui suggère de ménager une « petite porte à claire-voie qui réunirait [leurs] jardins », sa réaction est catégorique : « – Non, dit-elle, je ne veux donner à personne le droit d’entrer dans mon jardin, chez moi, à toute heure. […] j’aime trop ma solitude pour la grever d’une dépendance quelconque » (H, p. 1399). Mais la configuration des lieux est problématique car les deux jardins sont séparés par un semblant de clôture, « un palis, le long duquel elle avait fait planter des cyprès déjà hauts de quatre pieds » (H, p. 1395). Un palis, précise le Trésor de la langue française, est un « petit pieu pointu disposé en alignement avec d’autres, afin de former une clôture » et désigne en conséquence une « clôture constituée de ces petits pieux », barrière fragile que la comtesse a cru bon de renforcer et dont le texte laisse à entendre le peu d’efficacité. C’est pourquoi Maurice peut sans mal franchir cette limite à plusieurs reprises : « Et je sautai d’un bond par-dessus le palis. – À quoi sert une porte ? m’écriai-je ? » (H, p. 1399) Et de nouveau, quinze jours plus tard, à l’issue d’une promenade des deux voisins de chaque côté de la barrière : « Enfin je franchis la haie, et me trouvai pour la seconde fois auprès d’elle. » (Ibid.) Ces jeux de franchissement invitent à reconsidérer le sens de la clôture du jardin : incapables d’assurer l’indépendance et l’intimité d’Honorine, ces clôtures bafouées témoignent indirectement de la présence envahissante du comte Octave, par l’intermédiaire de son émissaire, qui n’est qu’un élément du maillage étroit en réalité tissé autour de la jeune femme.

De façon ironique, en menaçant de construire un vrai mur entre les deux propriétés, ce qui reviendrait à asphyxier le jardin, le privant ainsi de ses fleurs, Maurice ne fait qu’évoquer la situation tragique qui est déjà celle d’Honorine :

Mon projet de bâtir un mur était une affreuse menace. Plus d’air pour Honorine dont le jardin devenait une espèce d’allée serrée entre ma muraille et son pavillon. Ce pavillon, une ancienne maison de plaisir, ressemblait à un château de cartes, il n’avait pas plus de trente pieds de profondeur sur une longueur d’environ cent pieds. […] On arrivait par une longue avenue de tilleuls. Le jardin du pavillon et le marais figuraient une hache dont le manche était représenté par cette avenue. Mon mur allait rogner les trois quarts de la hache. La comtesse en fut désolée (H, p. 1395).

Ces considérations topographiques ont pour intérêt de faire varier les images du jardin autour de la dialectique de l’ouverture et de la fermeture, ici clairement corrélée à la question de l’autonomie de la femme. Le jardin secret, d’essence toute féminine et conçu par une femme artiste, crée une illusion de liberté, mais en réalité il n’est pas d’échappatoire et Honorine vit sous contrainte.

Honorine en son jardin ou l’implacable aliénation

Honorine, on l’a dit, est « ouvrière fleuriste », c’est-à-dire créatrice de fleurs artificielles, métier que la vogue des fleurs et des jardins a mis à l’honneur au xixe siècle :

– « On m’a dit, madame, que vous aimiez les fleurs. – Je suis ouvrière fleuriste, monsieur, répondit-elle. Après avoir cultivé les fleurs, je les copie, comme une mère qui serait assez artiste pour se donner le plaisir de peindre ses enfants. […] N’est-ce pas assez vous dire que je suis pauvre et hors d’état de payer la concession que je veux obtenir de vous ? » (H, p. 1398).

Mais dans le cas de la jeune femme, cette condition qui stimule la création est avant tout un signe d’affranchissement. D’abord parce que cette activité libère le goût et la créativité : « – Cet art, me disait-elle, est dans l’enfance. Si les Parisiennes avaient un peu du génie que l’esclavage du harem exige chez les femmes de l’Orient, elles donneraient tout un langage aux fleurs posées sur leurs têtes » (H, p. 1401). Au langage institutionnalisé de la mode s’oppose l’inventivité langagière de la libre interprétation, signe de licence dont les femmes hésitent à s’emparer. Ce métier semble ainsi être un gage d’autonomie, d’où une revendication en forme de manifeste aux résonances féministes avant l’heure :

La comtesse faisait tintinnuller dans sa main les cinq pièces d’or d’un faux commissionnaire en modes, autre compère d’Octave. […] – Gagner la vie en s’amusant, dit-elle, être libre, quand les hommes, armés de leurs lois, ont voulu nous faire esclaves ! Oh ! chaque samedi, j’ai des accès d’orgueil. Enfin, j’aime les pièces d’or de M. Gaudissart autant que lord Byron, votre Sosie, aimait celles de Murray (H, p. 1404).

À la réaction de Maurice toute pétrie de conformisme (« Ceci n’est guère le rôle d’une femme ! »), Honorine répond : « – Bah ! suis-je une femme ? Je suis un garçon qu’aucune femme ne peut tourmenter » (H, p. 1404). Il est plaisant de lire dans cette répartie un écho de la déclaration toute personnelle de George Sand lorsqu’elle célèbre en 1832 son accession à l’autonomie financière : « À Paris, Mme Dudevant est morte. Mais Georges Sand est connu pour un vigoureux gaillard22. » Le jeu sur les stéréotypes de genre s’enracine de la sorte dans une réflexion sur les petits métiers associés à la vogue des jardins : en effet le jardinier-fleuriste, occupé à soigner et faire pousser les végétaux en réponse à « l’amour des citadins aisés […] pour tout ce qui a trait à la botanique et à la culture des fleurs », est en principe masculin, tandis que la bouquetière, qui « manipule exclusivement des fleurs naturelles », bouquets de fleurs coupées ou ornements à base de fleurs, qu’elle vend aux halles ou dans les différents quartiers de la ville, est une femme, comme son nom l’indique. Et c’est en principe le bouquetier-décorateur qui est en charge de la fabrication des fleurs artificielles, comme le précisent différents manuels d’époque – comme le Manuel complet du fleuriste artificiel ou l’Art d’imiter d’après nature toute espèce de Fleurs, Paris, Roret, 183823. Créatrice et vendeuse pensant bénéficier d’intermédiaires efficaces, Honorine s’arroge une fonction sociale a priori peu féminisée – même si George Sand a donné elle aussi une version de cette féminisation dans André, où Geneviève, officiellement présentée comme « fleuriste », est déjà en 1835 « créatrice de fleurs artificielles24 ».

Le jardin, en tant qu’espace engendrant toute une constellation de pratiques et de fonctions sociales, est donc un support efficace pour repenser la représentation des rôles genrés. Et l’on constate que, là encore, les revendications d’Honorine ne correspondent à aucune réalité car, si elle vend ses fleurs, c’est à son propre mari, comme le lui explique finalement Maurice : « l’argent que vous gagnez vous vient du comte. […] Comment une femme d’esprit a-t-elle pu croire que des marchands pouvaient acheter des fleurs et des bonnets aussi chers qu’ils les vendent ? » (H, p. 1408).

Épilogue : la fleur de l’idéal

Cette impossible reconfiguration des catégories genrées est traitée sur un mode tout à la fois analytique et poétique par le narrateur balzacien, qui propose en surplomb de son récit une rêverie sur la fleur bleue, fleur de l’idéal à l’horizon de toute pensée horticole. En 1843, le roman s’ouvrait sur une épigraphe extraite de Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier :

Idéal ! fleur bleue à cœur d’or dont les racines fibreuses, mille fois plus déliées que les tresses de soie des fées, plongent au fond de notre âme pour en boire la plus pure substance ! fleur douce et amère, on ne peut t’arracher sans faire saigner le cœur, sans que de ta tige brisée suintent des gouttes rouges ! (H, p. 1362)

La double mention de cette « fleur bleue » encadre en outre le récit, et le parcourt. Maurice prétend ainsi chercher « le dahlia bleu, la rose bleue » : « je suis fou des fleurs bleues. Le bleu n’est-il pas la couleur favorite des belles âmes ? », déclare-t-il à Honorine (H, p. 1398-99). Si la mention du dahlia, dont il dit faire la monoculture, correspond à un phénomène de mode, puisque celui-ci a été importé en France en 1802, la fleur bleue procède d’une inspiration littéraire, avec comme terminus ab quo le roman de Novalis, Heinrich von Ofterdingen, dont le protagoniste rêve d’« une fleur élancée et d’un bleu lumineux qui l’effleurait de ses larges feuilles resplendissantes25 ». Devenue « le symbole suprême du romantisme allemand26 », la fleur n’est pas identifiée malgré de nombreuses spéculations, mais on sait que la « couleur bleue répond à la sensibilité de l’époque27 ». Que le bleu en peinture soit utilisé « pour suggérer les perspectives » et donc « la couleur des lointains », importe plus que d’identifier cette « fleur de l’idéal » qui, loin de tout référent botanique, accède au statut de symbole suprême, et qu’Honorine dépeint avec exaltation dans la lettre testament qu’elle envoie à Maurice :

[…] empêchez [votre femme] de cultiver dans son cœur la mystérieuse fleur de l’idéal, cette perfection céleste à laquelle j’ai cru, cette fleur enchantée aux couleurs ardentes, et dont les parfums inspirent le dégoût des réalités (H, p. 1424).

La représentation du jardin se nourrit ainsi de réminiscences littéraires ou picturales et la double mention de la fleur dans la fiction opère une sorte de synthèse poétique, qui couronne cet ensemble de réflexions sur les difficultés éprouvées par Honorine à correspondre aux attendus sociaux en tant que femme et épouse. Pierre Laforgue, qui lit dans ce texte une dénonciation du mariage comme viol et prostitution28, conclut que la floralité y est considérée comme « l’envers poétique du matérialisme qui caractérise le mariage et plus généralement la relation homme femme29 ». L’idéal amoureux indissociable d’un idéal de l’émancipation est donc ici hors de portée. Comme le résume Maurice à propos d’Honorine : « Elle se croyait indépendante et libre, le mariage pesait sur elle comme la prison sur le captif » (H, p. 1409). En définitive, le jardin des délices devenu un jardin sérail est tout entier déterminé par cette couleur bleue dont Balzac fait – intentionnellement ou non – l’emblème de son écriture, tissée d’ironie et de poésie. Les yeux du comte Octave à la passion dévorante en effet ne sont-ils pas du bleu de la pervenche30 ?

1 Denise Jodelet (dir.), 1989, cité dans Pina Lalli, « Représentations sociales et communication », Hermès, La Revue, 2005/1, no 41, 2005, p. 59-64 [

2 Serge Moscovici, « Entretien. Comment voit-on le monde ? Représentations sociales et réalité », Sciences Humaines, juin/juillet 1998.

3 Voir sur ce point Pascale Auraix-Jonchière et Simone Bernard-Griffiths (dir.), Dictionnaire littéraire des fleurs et des jardins (xviiie et xixe 

4 Alain Montandon, Sociopoétique de la promenade, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2000.

5 Christine Girodias-Majeune, « Cimetières et jardins », in Dictionnaire littéraire des fleurs et des jardins, op. cit. p. 92.

6 Valentina Vestroni souligne que « [d]ans la Philosophie de l’inquiétude, Jean Deprun consacre un chapitre à la “métaphysique des jardins”, en

7 George Sand, Le Péché de Monsieur Antoine, Paris, Calmann-Lévy, 1847, chapitre XVII.

8 Voir sur ce point Agnese Silvestri, « Trois lieux initiatiques de l’utopie dans les romans de George Sand », Studi francesi, 193 (LXV/I), 2021, p. 

9 Sophie Le Ménahèze, in Le Livre de l’hospitalité, Alain Montandon (dir.), Paris, Bayard, 2004, p. 656.

10 François Kerlouégan, « Corps et genre dans la presse de mode masculine », in Féminin/Masculin dans la presse du xixe siècle, Christine Planté

11 Ibid., p. 98 (Judith Butler, p. 96).

12 Alain Montandon, « Sociopoétiques des genres gendrés », in Genres littéraires et gender dans les Amériques, Assia Mohssine (dir.), Clermont-Ferrand

13 Ibid.

14 Honoré de Balzac, Honorine, dans Balzac. Nouvelles et contes II, 1832-1850, édition d'Isabelle Tournier, Paris, Gallimard, « Quarto », 2006, p. 

15 « Je vais vous raconter une histoire dans laquelle je joue un rôle » (H, p. 1368).

16 On comprend à demi-mots que le comte, dont le récit ne masque pas la force du désir, a abusé du pouvoir que lui donnait le mariage sur son épouse.

17 Honoré de Balzac, Eugénie Grandet, [1834], Œuvres complètes, t. 5, 1855, p. 249-250 (Wikisource).

18 Voir sur ce point Jean-Pierre Richard, Littérature et sensation. Stendhal, Flaubert, Paris, Seuil, « Points », p. 204, 1970. Il explique : « […] le

19 La formule du comte : « Depuis cinq ans, je la tiens, rue Saint-Maur, dans un charmant pavillon, où elle fabrique des fleurs et des modes » (H, p. 

20 En 1847, Jean-Jacques Grandville publiera Les fleurs animées, illustré de lithographies personnifiant les fleurs, auxquelles divers tempéraments

21 Osons un parallèle peut-être fortuit : Coré cueille des violettes au moment où elle est enlevée par Hadès, qui la prive ainsi de liberté et fera d’

22 George Sand, Correspondance, éd. Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, t. II, 1966, lettres à Laure Decerfz [Paris, 3, 6 et 7 juillet 1832], p.

23 Voir Christine Velut, « Jardinier ; bouquetière ; bouquetier-décorateur », in Dictionnaire des fleurs et des jardins, op. cit., p. 454-460.

24 Voir sur ce point Simone Bernard-Griffiths, « Créatrices de fleurs artificielles, Geneviève chez George Sand et Honorine chez Balzac », in ibid., p

25 Novalis, Heinrich von Ofterdingen, chapitre I.

26 Voir sur ce point Alain Montandon, Dictionnaire littéraire des fleurs et des jardins, op. cit., p. 248-257 (p. 249).

27 Ibid.

28 Pierre Laforgue, « Honorine, ou le sexe des fleurs », in L’Érotique balzacienne, op. cit., p. 35-40.

29 Ibid., p. 40.

30 « Deux yeux d’un bleu de turquoise […] ajoutaient à l’étrangeté de cette face » (H, p. 1373-1374), note Maurice dans son portrait, avant de

Notes

1 Denise Jodelet (dir.), 1989, cité dans Pina Lalli, « Représentations sociales et communication », Hermès, La Revue, 2005/1, no 41, 2005, p. 59-64 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4267/2042/8953.

2 Serge Moscovici, « Entretien. Comment voit-on le monde ? Représentations sociales et réalité », Sciences Humaines, juin/juillet 1998.

3 Voir sur ce point Pascale Auraix-Jonchière et Simone Bernard-Griffiths (dir.), Dictionnaire littéraire des fleurs et des jardins (xviiie et xixe siècles), Paris, Honoré Champion, 2017.

4 Alain Montandon, Sociopoétique de la promenade, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2000.

5 Christine Girodias-Majeune, « Cimetières et jardins », in Dictionnaire littéraire des fleurs et des jardins, op. cit. p. 92.

6 Valentina Vestroni souligne que « [d]ans la Philosophie de l’inquiétude, Jean Deprun consacre un chapitre à la “métaphysique des jardins”, en analysant les raisons pour lesquelles ils peuvent engendrer l’inquiétude ». Valentina Vestroni, Jardins romanesques au xviiie siècle, Paris, Classiques Garnier, « L’Europe des Lumières », 2016, p. 133.

7 George Sand, Le Péché de Monsieur Antoine, Paris, Calmann-Lévy, 1847, chapitre XVII.

8 Voir sur ce point Agnese Silvestri, « Trois lieux initiatiques de l’utopie dans les romans de George Sand », Studi francesi, 193 (LXV/I), 2021, p. 34-44 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/studifrancesi.43244 [consulté le 19 avril 2025].

9 Sophie Le Ménahèze, in Le Livre de l’hospitalité, Alain Montandon (dir.), Paris, Bayard, 2004, p. 656.

10 François Kerlouégan, « Corps et genre dans la presse de mode masculine », in Féminin/Masculin dans la presse du xixe siècle, Christine Planté, Marie-Ève Thérenty et Isabelle Matamoros (dir.), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2022, p. 97-98 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/books.pul.44113, à propos de Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité [1990], traduit de l’anglais par Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, 2006.

11 Ibid., p. 98 (Judith Butler, p. 96).

12 Alain Montandon, « Sociopoétiques des genres gendrés », in Genres littéraires et gender dans les Amériques, Assia Mohssine (dir.), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2019 [En ligne] DOI : https://doi.org/10.4000/books.pubp.3300 [consulté le 19 avril 2025].

13 Ibid.

14 Honoré de Balzac, Honorine, dans Balzac. Nouvelles et contes II, 1832-1850, édition d'Isabelle Tournier, Paris, Gallimard, « Quarto », 2006, p. 1363. Je renverrai désormais à cette édition comme suit : H, suivi du numéro de page.

15 « Je vais vous raconter une histoire dans laquelle je joue un rôle » (H, p. 1368).

16 On comprend à demi-mots que le comte, dont le récit ne masque pas la force du désir, a abusé du pouvoir que lui donnait le mariage sur son épouse. Lui-même en est conscient lorsqu’il confie à Maurice : « […] j’ai toujours été doux et bon pour elle. Admettons que j’aie eu quelques vivacités en l’instruisant, que mon ironie d’homme ait blessé son légitime orgueil de jeune fille ? » (H, p. 1391). Le comte n’hésite d’ailleurs pas à convoquer la figure de Lovelace – qui viole Clarisse dans le roman de Richardson – pour contraindre Honorine à revenir vivre à ses côtés : « J’ai médité sérieusement, il y a quelques jours, le dénouement atroce de Lovelace avec Clarisse, en me disant : Si Honorine avait un enfant de moi, ne faudrait-il pas qu’elle revînt dans la maison conjugale ? » (H, p. 1392).

17 Honoré de Balzac, Eugénie Grandet, [1834], Œuvres complètes, t. 5, 1855, p. 249-250 (Wikisource).

18 Voir sur ce point Jean-Pierre Richard, Littérature et sensation. Stendhal, Flaubert, Paris, Seuil, « Points », p. 204, 1970. Il explique : « […] le chatoiement mine la couleur et la forme, suggère le vide. » (Ibid., p. 203).

19 La formule du comte : « Depuis cinq ans, je la tiens, rue Saint-Maur, dans un charmant pavillon, où elle fabrique des fleurs et des modes » (H, p. 1390) peut se comprendre comme une version despotique de cette idée de possession (au-delà du sens premier, en contexte, d’« entretenir », puisqu’il permet à la jeune femme de vivre dans une relative aisance).

20 En 1847, Jean-Jacques Grandville publiera Les fleurs animées, illustré de lithographies personnifiant les fleurs, auxquelles divers tempéraments codifiés sont associés. On y trouvera par exemple l’austérité associée au nénuphar ou au contraire l’ivresse de la danse pour figurer la fleur de grenadier.

21 Osons un parallèle peut-être fortuit : Coré cueille des violettes au moment où elle est enlevée par Hadès, qui la prive ainsi de liberté et fera d’elle Perséphone, la reine des enfers. Honorine est victime d’un rapt consenti par ignorance, puis par devoir (le mariage et le retour auprès de son mari). Elle en mourra. Pierre Laforgue va plus loin dans l’interprétation. Il écrit : « Pourquoi une violette ? Vraisemblablement parce que c’est une fleur fine et distinguée, parce que c’est une fleur discrète et élégante. Mais comment, d’autre part, ne pas entendre le mot de viol dans celui de violette ? ». Pierre Laforgue, « Honorine, ou le sexe des fleurs », in L’Érotique balzacienne, Lucienne Frappier-Mazur et Jean-Marie Roulin (dir.), Paris, Sedes, 2001, p. 39.

22 George Sand, Correspondance, éd. Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, t. II, 1966, lettres à Laure Decerfz [Paris, 3, 6 et 7 juillet 1832], p. 120.

23 Voir Christine Velut, « Jardinier ; bouquetière ; bouquetier-décorateur », in Dictionnaire des fleurs et des jardins, op. cit., p. 454-460.

24 Voir sur ce point Simone Bernard-Griffiths, « Créatrices de fleurs artificielles, Geneviève chez George Sand et Honorine chez Balzac », in ibid., p. 121-130.

25 Novalis, Heinrich von Ofterdingen, chapitre I.

26 Voir sur ce point Alain Montandon, Dictionnaire littéraire des fleurs et des jardins, op. cit., p. 248-257 (p. 249).

27 Ibid.

28 Pierre Laforgue, « Honorine, ou le sexe des fleurs », in L’Érotique balzacienne, op. cit., p. 35-40.

29 Ibid., p. 40.

30 « Deux yeux d’un bleu de turquoise […] ajoutaient à l’étrangeté de cette face » (H, p. 1373-1374), note Maurice dans son portrait, avant de préciser qu’en de certains moments ils « repre[nnent…] la fraîcheur d’une pervenche » (H, p. 1375).

Illustrations

Figure 1 : Jean-Jacques Grandville, Nénuphar, Les Fleurs animées, 1847.

Figure 1 : Jean-Jacques Grandville, Nénuphar, Les Fleurs animées, 1847.

Gravure sur bois et lithographie colorées à la main. Dimensions : 26,2 × 17,6 cm. Graveur : Charles-Michel Geoffroy (1819-1882). Autres contributeurs : Taxile Delord (1815-1877), Alphonse Karr (1808–1890) ; éditeur : Gabriel de Gonet ; imprimeur : Lacour et Cie.

Bibliothèques de Nancy, Rés. 4794.

Figure 2 : Jean-Jacques Grandville, Fleur de grenadier, Les Fleurs animées, 1847.

Figure 2 : Jean-Jacques Grandville, Fleur de grenadier, Les Fleurs animées, 1847.

Gravure sur bois et lithographie colorées à la main. Dimensions : 26,2 × 17,6 cm. Graveur : Charles-Michel Geoffroy (1819-1882). Autres contributeurs : Taxile Delord (1815-1877), Alphonse Karr (1808–1890) ; éditeur : Gabriel de Gonet ; imprimeur : Lacour et Cie.

Bibliothèques de Nancy, Rés. 4794

Figure 3 : Jean-Jacques Grandville, Violette, Les Fleurs animées, 1847.

Figure 3 : Jean-Jacques Grandville, Violette, Les Fleurs animées, 1847.

Gravure sur bois et lithographie colorées à la main. Dimensions : 26,2 × 17,6 cm. Graveur : Charles-Michel Geoffroy (1819-1882). Autres contributeurs : Taxile Delord (1815-1877), Alphonse Karr (1808-1890) ; éditeur : Gabriel de Gonet ; imprimeur : Lacour et Cie.

Bibliothèques de Nancy, Rés. 4794.

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Référence électronique

Pascale AURAIX-JONCHIÈRE, « Femmes au jardin, lecture sociopoétique : L’exemple d’Honorine de Balzac », Sociopoétiques [En ligne], 10 | 2025, mis en ligne le 11 décembre 2025, consulté le 17 décembre 2025. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=2589

Auteur

Pascale AURAIX-JONCHIÈRE

CELIS, Université Clermont Auvergne

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